C. LE CHOC DES CULTURES ENTRE LE SECTEUR PUBLIC ET LES COMMISSAIRES AUX COMPTES QUI N'EN SONT INITIALEMENT PAS FAMILIERS

1. L'effort d'adaptation de la collectivité territoriale

Pour reprendre les termes de l'Association des départements de France (ADF), « l'expérimentation de la certification des comptes a été perçue comme un véritable défi par les agents des collectivités. Cette démarche a permis à la collectivité et à ses agents de bénéficier d'un regard extérieur et indépendant, réelle source de progrès »24(*).

Pour les vingt-cinq collectivités territoriales expérimentatrices25(*), l'entrée dans le processus de certification s'est tout d'abord traduite par un diagnostic global d'entrée, dressé par la Cour des comptes dès 2017-2018. Ce diagnostic visait à dresser un état des lieux liminaire en vue d'apprécier la conformité à la norme des états financiers et à identifier les processus susceptibles de présenter un risque. Cette phase a abouti à la formulation de recommandations de la part de la Cour aux différentes collectivités. À compter de 2018, une seconde phase a conduit à la réalisation d'audits ciblés (par la Cour des comptes et les autres juridictions financières) selon plusieurs objectifs :

- évaluer la régularité et la sincérité des états financiers de chaque collectivité, ainsi que la fidélité de l'image qu'ils donnent de sa situation financière et du résultat de ses opérations ;

- porter une appréciation sur les cycles comptables considérés comme à risque dans le cadre du diagnostic global d'entrée ;

- porter une attention particulière à l'organisation comptable et financière, aux processus de gestion ayant une incidence significative sur les comptes, au système d'information financière et à l'efficacité du contrôle interne de la collectivité ;

- permettre aux collectivités de se préparer à la réalisation d'une certification expérimentale des comptes lors des exercices 2020, 2021 et 2022.

Au terme de la campagne d'audits ciblés, la Cour des comptes a ainsi formulé 388 recommandations à l'attention des vingt-cinq collectivités participant à l'expérimentation26(*).

Cette préparation à la certification s'est ainsi traduite, pour les équipes concernées des collectivités territoriales, par la nécessité de s'approprier de nouveaux outils et de nouvelles notions. Or, ainsi que le relève Intercommunalités de France, « pour les services comptables, la difficulté est de passer d'une logique exclusive de flux à une analyse de créances et de dettes »27(*).

Pour autant, les équipes ont su dépasser cette barrière à l'entrée et se familiariser, par exemple, à l'annexe qui constitue un nouvel état financier, en sus du bilan et du compte de résultat de la collectivité territoriale, produit par l'ordonnateur de la collectivité28(*).

En interne, le cap a pu être franchi grâce à une forte mobilisation des équipes. Au sein de la communauté d'agglomération du Grand Dole par exemple, ce ne sont pas moins de sept entités, soit bien au-delà des seuls services financiers, qui ont directement été impliquées : la Direction générale Ressources et stratégie, le pôle Moyens et Ressources, la Direction des finances, la Direction des ressources humaines, la Direction des systèmes d'information, le service Urbanisme et foncier, ainsi que les services techniques (en lien avec la gestion du parc de véhicules, les stocks magasin...).

Les systèmes d'information et la production des états financiers

L'application HELIOS est en charge de la tenue des comptes des collectivités territoriales. Cette application a progressivement été mise à jour, par les services de l'État, pour tenir compte des évolutions réglementaires induites par les dispositions du référentiel « M57 ». Ainsi, dans le cadre de l'expérimentation de la certification des comptes locaux, elle produit les états financiers (bilan, compte de résultat), remis par le comptable public à l'ordonnateur (et au commissaire aux comptes).

Au-delà, les collectivités territoriales peuvent néanmoins avoir à adapter leur système d'information en fonction de leur organisation interne et de leurs attentes spécifiques. Pour ces développements, elles se tournent alors vers des prestataires privés, éditeurs de logiciels.

À cet égard, la communauté d'agglomération du Grand Dole a pointé une difficulté, déplorant qu'il soit difficile de mobiliser les éditeurs de logiciel sur les demandes d'adaptation résultant des observations des auditeurs dans le cadre de la certification des comptes. La communauté regrette en particulier des éditeurs « très fermés, s'abritant beaucoup derrière le secret industriel ».

Les travaux de certification ont eu pour conséquence positive de renforcer, dans de nombreux cas, la relation entre l'ordonnateur de la collectivité territoriale et le comptable public, ie les services comptables de l'État (le réseau de la DGFiP). Les services de la région des Pays-de-la-Loire considèrent que cette collaboration « est indispensable à la réussite de la certification et à la levée des réserves. Ainsi, la certification a favorisé le développement de groupes de travail sur des thématiques spécifiques avec la Paierie (inventaire comptable, provisions...) ». Et de préciser qu'« afin de poursuivre cette démarche collaborative et de l'encadrer, la région souhaite proposer la signature d'une nouvelle Convention des Services Comptables et Financiers (CSCF) [...]. Il s'agira en particulier de clarifier le partage de responsabilité entre l'ordonnateur et le comptable, notamment par l'identification des acteurs, l'élaboration d'indicateurs de contrôle et le suivi des actions ». Parfois, l'imbrication entre la collectivité territoriale et les services de la DGFiP est particulièrement poussée au point que deux agents de la communauté d'agglomération du Grand Dole sont même installés dans les bureaux de la DGFiP.

2. L'acclimatation nécessaire de l'auditeur externe

Dans le cadre de l'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, c'est un cabinet privé, exerçant la profession réglementée de commissaire aux comptes, qui procède aux vérifications, puis rend son avis. Cet aspect n'est pas négligeable en ce qu'il renvoie à des cultures professionnelles différentes.

De fait, l'auditeur externe doit s'adapter à l'organisation et au fonctionnement de la collectivité. Dans les services de celle-ci, la culture de l'écrit prévaut et le principe hiérarchique est prégnant. Par ailleurs, la collectivité vit en partie au rythme de son assemblée délibérante avec par conséquent un agenda spécifique. Or, les équipes des cabinets de commissariat aux comptes sont davantage habituées à travailler sur des temps plus courts que ceux de la sphère publique et en ayant davantage recours aux échanges oraux.

Les règles budgétaires et comptables des collectivités territoriales ne sont pas non plus familières, en général, à ces auditeurs externes. La DGFiP souligne d'ailleurs que « les retours d'expérience mettent en évidence un besoin de familiarisation aux particularités « budgétaro-comptables » du secteur local de la part des professionnels du chiffre ; les commissaires aux comptes réalisent leurs audits selon les dispositions du code de commerce. Si les spécificités de l'action publique locale sont intégrées dans les référentiels comptables et si les normes comptables publiques tendent à converger vers celles de la comptabilité privée, le commissaire aux comptes doit adapter son approche au contexte spécifique du secteur public local et, pour ce faire, en comprendre les particularités ».

Au total, comme l'a estimé Pascal Bellemin, directeur des Finances, du Pilotage de gestion et des Affaires juridiques du département de la Savoie, « si la préparation à la certification nécessite du temps pour les collectivités afin d'adapter leur organisation et leurs processus, c'est aussi le cas du côté des commissaires aux comptes qui doivent apprendre le secteur public ».

Ce temps d'acculturation explique notamment pourquoi les collectivités expérimentatrices expriment une nette préférence à pouvoir travailler dans la durée avec leur commissaire aux comptes. Un changement de cabinet trop fréquent impliquerait en effet de consacrer de nouveau du temps à la pédagogie auprès du nouveau cabinet mandaté.


* 24 Réponse écrite de l'ADF au questionnaire de votre rapporteur.

* 25 Cf. liste en Annexe 2.

* 26 Dont 166 sont les prolongements de celles émises à l'issue des diagnostics globaux d'entrée.

* 27 Réponse écrite d'Intercommunalités de France au questionnaire de votre rapporteur.

* 28 Les conditions de sa production sont précisées dans le tome IV du référentiel « M57 ».

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