COMPTE RENDU DE L'AUDITION EN COMMISSION
M. Olivier Becht, ministre
délégué auprès de la ministre de l'Europe
et des
Affaires étrangères chargé du commerce
extérieur,
de l'attractivité et des Français de
l'étranger
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Mme Catherine Di Folco, président. - Monsieur le ministre, nous vous accueillons aujourd'hui pour cette audition qui s'inscrit dans les travaux d'évaluation menés par notre commission sur la loi du 23 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France.
Dix ans presque jour pour jour après la promulgation de ce texte, nos rapporteurs Christophe-André Frassa et Jean-Yves Leconte, qui en était déjà le rapporteur à l'époque, vont présenter leurs constats et leurs recommandations. Ils ont mené, dans le cadre d'une mission d'information, plusieurs auditions pour déterminer si les dispositifs mis en place en 2013 s'avèrent effectifs et, surtout, garantissent dans des conditions satisfaisantes la représentation de nos compatriotes établis hors de France.
Votre audition, que nous aurions souhaitée plus précoce, intervient à la fin de ce processus d'évaluation.
C'est l'occasion pour vous de nous présenter, à titre liminaire, un panorama de la mise en oeuvre de cette loi, en marquant selon vous ses succès, mais sans éluder, bien sûr, les difficultés d'application qui peuvent se rencontrer et, le cas échéant, les voies d'amélioration.
Puis, je ne doute pas que nos rapporteurs auront quelques questions à vous poser.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger. - Je vous prie tout d'abord de m'excuser de n'avoir pu venir plus tôt devant votre commission, ayant été retenu par de nombreux déplacements à l'étranger.. J'ai en effet visité une quarantaine de pays depuis ma nomination au Gouvernement, le 4 juillet dernier, et cette mobilité me permet d'être au plus près de nos compatriotes installés à l'étranger. C'est précisément la représentation de ces derniers que la loi du 22 juillet 2013 visait à améliorer.
Je tiens à remercier la sénatrice Hélène Conway-Mouret, qui a fait adopter cette loi lorsqu'elle était ministre des Français de l'étranger. Nous devons aussi certaines dispositions de cette loi à certains d'entre vous, notamment aux rapporteurs de cette mission d'information, Christophe-André Frassa et Jean-Yves Leconte, qui siégeaient déjà à l'époque et qui ont eu à coeur d'améliorer les dispositions du texte lors des débats parlementaires. Par la suite, des améliorations ont été apportées par voie d'amendements aux lois de 2019 et de 2020.
Je vous disais avoir eu la chance de rencontrer nos compatriotes dans près de quarante pays depuis ma prise de fonctions. Chaque fois, j'ai eu des échanges privilégiés avec les conseillers des Français de l'étranger élus sur place. Au total, j'ai pu rencontrer plus de 150 d'entre eux et ces échanges furent très enrichissants.
J'en tire un premier constat : les Français de l'étranger sont, dans leur grande majorité, des compatriotes heureux et passionnés, fiers de leur parcours, de leur vie et de leurs engagements. Ils témoignent cependant d'attentes fortes vis-à-vis de l'État. Lors des deux dernières sessions de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), j'ai eu l'occasion de parler d'amour et de preuves d'amour : il faut en effet démontrer à nos compatriotes que, même s'ils sont loin des yeux, ils ne sont pas loin du coeur. Ainsi, après les discours, viennent les preuves, c'est-à-dire l'ensemble des engagements que nous avons pris au cours de ce mandat : la dématérialisation de l'état civil, des procurations et du renouvellement des passeports, mais aussi le pass Culture et le Pass Éducation, le vote par internet, le statut de résidence de repli, la reconnaissance des entrepreneurs français à l'étranger... Tels sont les chantiers sur lesquels je me suis engagé et auxquels j'en ajoute un autre, important : la consultation sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger, qui fera l'objet d'une communication le 3 juillet prochain et qui s'appuie sur un extraordinaire réseau de 567 établissements. Je visite ces établissements au cours de mes déplacements ; ils offrent d'incroyables conditions d'enseignement aux enfants de nos compatriotes et contribuent au rayonnement de la France en accueillant l'élite du pays. Nous souhaitons doubler les effectifs d'ici à 2030.
Le contexte est aussi celui du réarmement du ministère des affaires étrangères. Après trente ans de diète, les crédits sont de nouveau en hausse et croîtront de 20 % d'ici à 2027, pour atteindre 7,9 milliards d'euros, ce qui représente 700 emplois supplémentaires. Nous avons donc pu lancer, dès cette année, le réarmement des consulats, pour renforcer ce service de proximité, qui constitue le premier service public pour les Français de l'étranger.
Venons-en au coeur du sujet, c'est-à-dire à la relation de confiance, cruciale, qui se tisse au quotidien entre les administrations et les élus. Au-delà des dispositions légales, ce sont avant tout les rapports humains existant entre les élus et l'administration consulaire qui permettent de bâtir cette confiance. La loi a fixé un cadre, et, dans l'immense majorité des cas, la complémentarité entre les élus et l'administration prévaut. Au cours de mes différents déplacements, je n'ai pas constaté de tensions entre les conseillers des Français de l'étranger et les consuls, même si l'on m'en a rapporté dans d'autres pays. Globalement, la satisfaction de part et d'autre l'emporte aujourd'hui, dans la mesure où les compétences de chacun sont bien définies. Je me réjouis de cette situation. Les conseillers des Français de l'étranger, qui président désormais les conseils consulaires, sont associés très en amont et l'ordre protocolaire est respecté au cours des cérémonies.
À mon niveau, je m'efforce aussi d'associer les conseillers de Français de l'étranger, notamment ceux qui siègent à l'AFE. Lors de la dernière session, j'ai saisi celle-ci de sujets d'ordre culturel et éducatif, sur le fondement de l'article 12 de la loi de 2013. Je crois que c'était la première fois que cet article était mis en application. J'ai pour cette assemblée le plus grand respect et je lui accorde un rôle prééminent de conseil sur la conduite des politiques concernant les Français établis hors de France. À mes yeux, cette complémentarité entre l'AFE et le ministère fonctionne bien.
J'ai également renforcé la sollicitation des élus sur des groupes de travail et sur des consultations nationales. Je me suis engagé à ce que 100 % des résolutions adoptées par l'AFE reçoivent une réponse. De plus, j'ai oeuvré pour maintenir un dialogue tout au long de l'année, y compris hors session, par l'organisation de réunions avec la présidente et le bureau de l'AFE, ce qui a permis d'assurer un suivi des résolutions et recommandations de l'assemblée. Enfin, j'ai pris l'engagement d'assister non seulement à la séance inaugurale de la session, mais également à sa clôture afin d'écouter les recommandations de l'assemblée et d'y répondre immédiatement. Je suis ainsi en mesure d'exposer mes engagements mais aussi de faire preuve de pédagogie sur les contraintes susceptibles de rendre difficile l'application de certaines propositions.
Je souhaite aussi faire évoluer régime indemnitaire des conseillers à l'AFE. Il me semble important de réévaluer ce régime indemnitaire, inchangé depuis presque dix ans, alors même que les indemnités des élus locaux et nationaux sont indexées sur le point d'indice de la fonction publique qui, lui, av fait l'objet de réévaluations. J'ai aussi souhaité faire évoluer la prise en charge des frais de déplacement.
Au sujet des élections législatives partielles, je me félicite de la résolution des différentes contraintes rencontrées lors des votes par internet. Nous avons été confrontés à des obstacles techniques importants qui relèvent des compétences non de l'administration mais des opérateurs locaux de téléphonie. Pour sécuriser ce vote par internet et, en particulier la transmission des codes aux électeurs, nous avons mis en place un système de substitution qui a donné satisfaction et qui a permis à la quasi-totalité des personnes qui rencontraient des difficultés techniques de voter.
Globalement, la loi du 22 juillet 2013 me semble être un succès. Elle est plébiscitée par les conseillers des Français de l'étranger et par les conseillers à l'AFE. Elle est aussi saluée par les différents consuls que j'ai rencontrés sur le terrain, qui jugent son application actuelle fluide. Bien entendu, quelques améliorations peuvent lui être apportées, mais elle a permis une meilleure représentation des Français de l'étranger, une meilleure considération de leurs élus et une plus grande proximité entre nos compatriotes de l'étranger et leurs représentants, dans leur circonscription ou à l'AFE. Je souhaite, à cet égard, remercier le législateur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Merci, monsieur le ministre. Votre phrase sur l'amour et les preuves d'amour a fait le tour du monde, littéralement...
Dix ans après son entrée en vigueur, cette loi a fait ses preuves. Elle était attendue parmi tous les groupes politiques, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat; car nous attendions une modification du collège électoral pour l'élection des sénateurs, ainsi qu'une plus grande proximité pour nos compatriotes dans l'exercice du mandat local de représentation des Français de l'étranger. Sur ces deux points, la loi a atteint ses objectifs.
Notre réunion d'aujourd'hui marque notre troisième bilan de ce texte. Nous en avions fait un premier en 2015, un an après l'entrée en vigueur de la loi, pour tirer des enseignements des élections consulaires et sénatoriales de 2014 et de la mise en place des conseils consulaires. Nous avions fait un deuxième bilan fin 2020 pour mettre en avant de possibles améliorations en vue des élections reportées de 2020 à 2021. Aujourd'hui, nous effectuons la « grande révision des dix ans » de l'application de cette loi.
Globalement, cette loi a tenu ses promesses. Les élus sont plus proches de nos compatriotes et les conseils consulaires sont en lien direct avec le quotidien des communautés qu'ils représentent. Les dispositifs prévus par la loi pour les élections sénatoriales ont également fonctionné puisque les élections de 2014, 2017 et 2021 se sont bien déroulées.
Toutefois, un point ne nous convainc pas : le rôle dévolu à l'AFE. Cette dernière n'a pas réussi à trouver sa place dans ce dispositif. J'estime qu'il y avait, dès le départ, dans la loi de 2013, un problème de conception. Déjà à l'époque, on constatait une volonté, qui était peut-être celle du Gouvernement, de ne pas donner sa place à l'AFE, voire de la lui retirer. Nous, qui étions alors dans l'opposition, avons bataillé pour qu'elle conserve sa place, mais nous n'avons pas réussi à faire en sorte qu'elle conserve toutes ses attributions. Aujourd'hui, l'AFE a un rôle mal défini entre les conseils consulaires locaux et le Parlement. Cette assemblée, qui pourrait s'apparenter à un conseil régional, manque encore de prérogatives. Renforcer ces prérogatives doit être un objectif et ce bilan nous permet de vous faire des propositions dans ce sens.
Monsieur le ministre, vous évoquiez l'importance des rapports humains. Les rapports entre les élus locaux et le corps préfectoral sont anciens, codifiés, mais ceux qui lient le corps consulaire et le corps diplomatique aux élus consulaires sont encore de l'ordre de la relation interpersonnelle. Parfois, par manque de culture de la relation de la part d'un diplomate ou d'un consul général, la relation avec les élus se dégrade. On peut améliorer les textes de loi, publier des circulaires, mais c'est surtout un travail d'ordre culturel que nous devons effectuer. Peut-être devons-nous prévoir un module de préparation avant la prise de poste. L'arrivée d'un ambassadeur ou d'un consul général devrait être préparée dans tous les cercles concernés, notamment par la présentation des conseillers des Français de l'étranger, qui sont non pas des adversaires mais, comme les élus locaux, des interlocuteurs privilégiés.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - La loi de 2013, qui a renforcé la proximité entre les Français de l'étranger et leurs élus, a marqué un progrès. Avant elle, nous avions moins de cinquante circonscriptions, dont certaines regroupaient une vingtaine de pays. Aujourd'hui, on compte 130 circonscriptions et 443 élus consulaires. Le renforcement de la proximité est indéniable, même si des voix s'élèvent pour regretter cette représentation à deux niveaux. Celle-ci convient à certains élus, satisfaits d'avoir à agir à l'échelle locale, mais d'autres expriment une frustration et estiment que cette organisation ne place pas tous les élus sur un pied d'égalité pour obtenir des réponses et un soutien de l'administration.
L'une des grandes avancées de la loi de 2013 fut de prévoir un président élu par les membres de l'AFE. Pour avoir été membre de ce qui était alors le Conseil supérieur des Français de l'étranger (CSFE), je sais que l'assemblée s'appuie beaucoup sur le ministre des affaires étrangères pour fonctionner. Certes, cette dernière jouit désormais d'une présidence, mais les moyens qui lui sont alloués par le ministère des affaires étrangères sont en nette baisse. Le secrétariat général spécifique de l'assemblée regroupait un certain nombre d'administrateurs, qui accompagnaient les commissions dans leurs travaux ; ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le secrétariat général est réduit au minimum, et ses membres ont d'autres fonctions au sein de la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE).
Je souhaite donc vous interroger, monsieur le ministre, sur les moyens d'améliorer cette organisation, qui empêche actuellement l'AFE d'être active tout au long de l'année. Comment faire en sorte que cette assemblée ait un secrétariat général et puisse décider de l'utilisation de son budget en toute autonomie ?
Vous avez également évoqué la question des indemnités, sur laquelle nous partageons votre préoccupation. Considérez-vous qu'une modification législative soit nécessaire ou cette question relève-t-elle des pouvoir réglementaire du ministre des affaires étrangères ? La loi réduit aujourd'hui la capacité d'indemnisation des élus de l'AFE à des remboursements de frais, mais ne prévoit pas d'indemnité liée à leurs responsabilités locales.
Par ailleurs, nous avons constaté certaines tensions lorsque les circonscriptions électorales diffèrent des circonscriptions consulaires, dans les deux cas suivants : lorsqu'elles regroupent plusieurs circonscriptions consulaires, ou bien lorsque des circonscriptions consulaires dépassent les circonscriptions électorales. Des évolutions législatives sont-elles souhaitables pour remédier à ces décalages ?
Au cours des différentes élections, nous avons constaté le besoin d'une commission centrale de propagande. La DFAE jugeait qu'il était compliqué de mettre en place une telle instance et n'a donc pas souhaité le faire. Toutefois, vu la nature des documents produits par certains candidats, une telle commission semble utile. Nous souhaitons donc savoir si vous y êtes favorable.
Sur les questions électorales, dans la mesure où il y a eu trois annulations sur onze circonscriptions lors des élections législatives de l'année dernière, considérez-vous que les dispositions actuelles relatives au vote électronique sont satisfaisantes ? S'agit-il d'annulations liées à des problèmes techniques dont seuls les prestataires sont responsables ou bien y aurait-il des évolutions à mettre en oeuvre sur le plan législatif ?
Concernant les compétences de l'AFE, vous connaissez les tensions et frustrations qui existent par rapport au dispositif de soutien au tissu associatif des Français à l'étranger (STAFE), entre les conseils consulaires, l'AFE et la DFAE. Seriez-vous favorable à ce que des compétences d'attribution - en cette matière, mais également pour celle des bourses scolaires et de l'action sociale - lui soient confiées, en propre ou en liaison avec les administrations concernées ? Cette loi de proximité a 10 ans : n'est-il pas temps de donner aux élus des compétences sur des sujets sur lesquels ils peuvent être utiles ?
Je conclus avec un point qui ne figure pas dans la loi mais qui correspond à une pratique administrative un peu plus ancienne que la loi elle-même : l'existence d'un secrétaire d'État ou d'un ministre chargé des Français de l'étranger, qui est l'interlocuteur privilégié des élus des Français de l'étranger mais dont nous constatons qu'il n'a pas la tutelle de son administration. Cette administration est sous la tutelle du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ; elle est mise à votre disposition pour vos fonctions. Ne regrettez-vous pas l'absence d'une direction des Français de l'étranger directement sous votre tutelle, particulièrement lorsque vous échangez avec des élus sur des questions d'enveloppe scolaire,d'inflation, d'action sociale? Il y a comme un voile entre le ministre décisionnaire et les élus locaux. Comment le vivez-vous ?
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Je suis d'accord avec le sénateur Christophe-André Frassa : on peut écrire ce que l'on veut dans la loi, mais c'est le rapport humain qui en permet la bonne application. Sans volonté, le meilleur texte du monde ne produira pas de solution optimale.
Je me suis rendu dans une quarantaine de pays et, au travers de mes échanges avec les consuls et les conseillers des Français de l'étranger, j'ai eu l'impression que les choses se déroulaient en bonne harmonie. Bien sûr, il y a toujours des contre-exemples.
C'est la raison pour laquelle je partage votre sentiment : il faut sensibiliser les consuls au rôle des conseillers des Français de l'étranger. Nous le faisons notamment pendant les journées consulaires qui se déroulent cette semaine à Paris, via des sessions de sensibilisation. C'est à chaque fois l'occasion de rappeler la considération que l'on doit avoir pour les élus de la République - depuis plus de vingt-deux ans, je suis moi-même un élu local - et je fais ce rappel de la même manière au sein de l'AFE.
Doit-on donner à l'AFE, au-delà des compétences de conseil, de résolution ou de recommandation, des compétences de décision qu'elle n'a pas aujourd'hui ? Il faudrait alors regarder à quel niveau se situerait cette instance intermédiaire et sur quelles compétences elle empiéterait. Prenons un exemple qui vous concerne directement : nous recevons parfois de la part des élus de l'AFE des demandes pour obtenir des prérogatives de contrôle, qui, comme le prévoit la Constitution, appartiennent exclusivement aux assemblées parlementaires. Celles-ci contrôlent l'action du Gouvernement, qui est responsable devant le Parlement et dispose de l'administration. Comment s'exerceraient dès lors les compétences de contrôle de l'AFE par rapport à celles des assemblées parlementaires ?
Si nous lui donnions des capacités décisionnaires, comment cela fonctionnerait-il d'un point de vue juridique, notamment par rapport aux compétences du pouvoir exécutif ?
Aujourd'hui, la représentation des Français de l'étranger n'est pas adossée à un établissement public, si bien que nous ne nous situons pas dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, qui permet la dévolution de compétences aux collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation. Cela ouvre donc un débat juridique auquel je ne suis pas fermé d'emblée, mais qui nécessite d'étudier ce partage des compétences et son articulation avec notre logique constitutionnelle, en gardant à l'esprit que la dévolution de compétences se fait aujourd'hui par la décentralisation ou la déconcentration, avec des mécanismes de contrôle constitutionnels.
Je souhaite réévaluer les indemnités des conseillers des Français de l'étranger. Leur mandat est bénévole et, à ce titre, compensé par la prise en charge des frais de déplacement, de restauration et d'hébergement. Si j'instaure une indemnité propre pour cette assemblée qui, comme je le disais, n'entre pas dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, j'ouvre le débat sur les représentations parlementaires au sein des organisations internationales, à savoir les assemblées parlementaires du Conseil de l'Europe, de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE),pour lesquelles les mandats sont également bénévoles.
Je me suis cependant engagé à actualiser le forfait qui couvre les déplacements des conseillers siégeant à l'AFE et à mettre en place un système d'avances, notamment pour les conseillers qui viennent de l'autre bout du monde. Le prix des billets d'avion, même en classe économique, peut dépasser plusieurs milliers d'euros. Dans la mesure où l'avance se fait sur la trésorerie personnelle des élus, avec des remboursements qui interviennent plusieurs semaines plus tard, cela peut être un obstacle à l'exercice du mandat. J'ai également ouvert le débat sur la prise en compte des frais réels et sur la manière de les prendre en charge.
Monsieur le sénateur Leconte, concernant le problème de l'articulation entre les circonscriptions consulaires et les circonscriptions électorales, je n'ai pas d'opinion tranchée, car ce problème n'est jamais remonté jusqu'à moi depuis ma prise de fonction. Je suis prêt à l'examiner avec vous.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - On peut citer le cas du Paraguay. À chaque modification des circonscriptions consulaires, les difficultés remontent jusqu'à la DFAE, parfois même jusqu'au Conseil d'État..
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Même si je n'ai pas été saisi de ces sujets, que ce soit par des élus sur le terrain ou par l'administration, je suis prêt à y travailler.
Concernant les élections, vous souhaiteriez mettre en place une commission de propagande nationale.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Effectivement, aujourd'hui déjà, toutes les professions de foi remontent au ministère, à la DFAE, pour être mises en ligne. Cette préconisation, d'ailleurs, n'est pas nouvelle puisque nous l'avions faite à l'issue de la mission d'information menée en 2019-2020, en amont des élections consulaires de 2020 : cette commission de propagande effectuerait un travail comparable à celui que réalisent les commissions placées auprès des préfectures.
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Nous avons commis des magistrats dans chaque préfecture pour connaître des élections dans une dizaine de circonscriptions. Dans le cas des Français de l'étranger, cette commission s'occuperait de 130 circonscriptions, ce qui est beaucoup. L'administration s'y oppose car cela aurait pour effet de ralentir les processus.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Cela éviterait des élections partielles.
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Je n'en suis pas certain. En effet, il me semble qu'une commission de propagande est chargée de l'examen formel du résultat d'une élection, autrement dit, elle juge la bonne application du code électoral. Elle n'est donc pas chargée du fond de l'élection.
Je précise que si nous avons eu trois annulations d'élections législatives, deux seulement sont dues au vote par Internet. Sur les deux annulations en question, le prestataire n'est pas en cause. Le problème que nous rencontrons est lié à l'envoi de SMS et à la réception d'un code pour accéder au système et voter. Pour tout cela, nous dépendons d'un opérateur téléphonique, plus ou moins performant selon le pays dans lequel ces communications ont lieu. J'ai demandé que l'on puisse passer par d'autres systèmes, comme WhatsApp ou Signal, mais l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) n'a pas jugé ces processus suffisamment sécurisés et n'a donc pas donné son accord.
De la même manière, pour les élections partielles, j'ai souhaité modifier le système en proposant d'envoyer ces éléments par mail ou d'utiliser une messagerie sécurisée. Ces deux moyens ont également été rejetés par l'Anssi au titre des enjeux de sécurité et de fiabilité du vote.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Ce que révèlent nos échanges avec un président de bureau de vote électronique ou des prestataires, c'est que, si deux élections législatives ont bien été annulées pour un motif lié à la technologie, en vérité, de telles annulations auraient pu avoir lieu dans l'ensemble des 11 circonscriptions, puisque le système a souffert partout de dysfonctionnements.
Je comprends les réserves de l'Anssi, néanmoins, devons-nous passer constamment par un couloir de sécurisation ultra-serré ou voulons-nous un système qui fonctionne ? Pour parler comme elles, une fois que les équipes de Meta auront vu passer nos codes : so what ?
Cette question est d'autant plus importante que le vote électronique fête ses vingt ans. S'il n'encourage pas à voter plus, il est cependant le moyen privilégié par nos compatriotes à l'étranger qui souhaitent voter.
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Les chiffres montrent malgré tout que le vote électronique a permis d'accroître les taux de participation par rapport au vote à l'urne ; je ne parle certes pas d'une augmentation de 50 %, mais toute augmentation est bonne pour la démocratie !
Je partage le constat que, en matière de cybersécurité, aucun système ne peut offrir une garantie à 100 %. La technologie ressemble au combat permanent entre l'épée et le bouclier : on finit toujours par trouver la faille.
Nous avons tiré les leçons de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en mettant en place des solutions de sécurité parallèles ; il s'agit de centres d'appel à contacter, en cas de difficultés, pour obtenir dans les temps l'identifiant et le code nécessaires au vote. Je remercie les équipes de la DFAE qui ont mis en place cette solution, saluée par les usagers.
Si, pour les élections partielles, j'avais fait fi des recommandations de l'Anssi et fait appel à un opérateur extérieur comme Meta, dans les délais définis pour les marchés publics, le Conseil Constitutionnel aurait pointé l'introduction d'un biais de sécurité. Il est donc nécessaire d'aborder ces sujets avec le législateur et le juge de l'élection.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Les contraintes législatives peuvent évoluer pour éviter ces annulations.
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Face à ces difficultés, la première recommandation que j'ai reçue était de ne pas recourir au vote électronique, ce qui est évidemment inacceptable. Cela serait perçu comme un retour en arrière qui engendrerait des baisses de la participation aux élections. Parmi toutes les solutions possibles, nous avons donc choisi « la moins mauvaise » ; elle peut évoluer, dans le cadre d'un dialogue auquel je suis favorable. En attendant, je m'efforce de concilier les exigences de sécurité et les attentes légitimes de nos concitoyens.
Concernant le STAFE et votre souhait de lui accorder des compétences d'attribution dans le domaine des bourses scolaires, j'y vois deux obstacles. Le premier, et non le moindre, est un sujet juridique de dévolution de compétences, qui nécessiterait de modifier l'article 72 de la Constitution pour faire des Français de l'étranger une collectivité publique.
Deuxièmement, il y aurait un risque de créer des disparités entre les différentes circonscriptions consulaires. Comment répartir l'enveloppe allouant 2 millions d'euros à ce dispositif: faudrait-il procéder à parts égales ? Ou bien au prorata du nombre d'habitants, lui-même différent du prorata du nombre d'associations, au risque d'écarter des projets faute de moyens ou au contraire de soutenir des projets simplement parce que des enveloppes sont disponibles ? De la même manière, si les bourses scolaires sont attribuées en fonction des circonscriptions, le budget doit être décentralisé.
En tant qu'élu local, je comprends ce principe; cependant, du point de vue de l'application constitutionnelle, juridique et pratique, il n'est sans doute pas optimal.
Enfin, concernant la tutelle de la DFAE, je rappelle que le ministre chargé des Français de l'étranger est un ministre délégué. En tant que tel, il est donc sous la tutelle du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Du point de vue du droit, il ne peut donc pas avoir d'autorité hiérarchique directe en dehors de la tutelle. Du point de vue politique, je souligne que depuis ma prise de fonction le 4 juillet 2022, je n'ai rencontré aucune difficulté avec la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, et que toutes les décisions ont été prises en bonne intelligence. Nous avons une très bonne relation. Par conséquent, votre proposition d'installer une tutelle directe du ministre délégué sur la DFAE, différente de celle du ministre de plein exercice, ne me semble pertinente ni sur le plan juridique ni sur le plan politique.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Je reviens sur le parallèle que vous avez fait entre les élus de l'AFE et les élus des assemblées de l'Otan, de l'OSCE, et autres. Dans le premier cas, on est élu par ses pairs ; dans le deuxième, on est nommé par ses pairs. Il y a dix ans, nous proposions une élection conjointe en organisant le même jour l'élection au conseil consulaire et l'élection à l'AFE, avec un système de fléchage comparable à celui que nous avons pour l'élection des conseillers communautaires. C'est possible avec davantage d'organisation en amont de l'élection et au moment du dépouillement.
En outre, il faut plus de moyens : le mandat à l'AFE appelle, d'une part, un défraiement aux frais réels et non plus sous la forme d'un forfait, et, d'autre part, une révision des indemnités versées aux conseillers consulaires. Lorsque vous êtes élu des Français de la circonscription de Téhéran ou de Nairobi, deux circonscriptions qui comportent plusieurs pays, vous n'avez pas les moyens d'aller à la rencontre de vos électeurs. Une revalorisation des indemnités est donc indispensable à l'accomplissement du mandat. Le groupe d'études du Sénat sur le statut, le rôle et la place des Français établis hors de France, qui a fait des propositions sur le statut des conseillers des Français de l'étranger et des conseillers à l'AFE, que notre rapport reprendra en partie.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Il y a également une revendication au sujet des passeports de service, qui éviteraient aux élus de ces circonscriptions de payer parfois des visas pour se déplacer d'un pays à l'autre, visas dont le prix peut être supérieur au montant des indemnités ; c'est le cas en Afrique de l'Est et en Asie centrale.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les moyens de l'AFE et de son secrétariat général ? Il y a dix ans, avant la loi de 2013, l'AFE avait les moyens d'agir, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous percevons un délitement de l'engagement du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sur le fonctionnement de l'AFE. Quelles sont vos propositions pour restituer à l'AFE un secrétariat général de plein exercice, qui fonctionnerait en continu ?
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Concernant les frais réels, il faut modifier la loi de 2013, puisque c'est elle qui prévoit le remboursement au forfait.
Concernant les conseillers des Français de l'étranger, si leurs dépenses de déplacement pour aller à la rencontre de leurs compatriotes dépassent 60 % de leur indemnité, ils peuvent en demander le remboursement. Actuellement, un seul conseiller des Français de l'étranger se sert de cette disposition ; j'invite tous les autres à l'imiter. En effet, la démocratie n'a pas de prix mais elle a un coût, qu'il faut, bien entendu, supporter. Il est légitime que les frais que l'on engage dans le cadre des fonctions d'élu soient remboursés.
En ce qui concerne les élections annulées, la loi pourrait prévoir des peines d'inéligibilité en cas de fausses informations diffusées dans la propagande, afin que leurs auteurs ne puissent plus reproduire les mêmes manoeuvres.
Quant à la situation du secrétariat général de l'AFE, elle est liée aux moyens internes du ministère, qui connaissent une baisse constante depuis plusieurs décennies. Je m'engage à étudier cela avec la ministre dans le cadre du réarmement du ministère. Si la charge de travail induite le justifie, une personne pourrait être affectée au secrétariat général de l'AFE dans le cadre d'une gestion permanente du service.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Des élections sénatoriales auront lieu dans quelques mois. Pouvez-vous nous assurer que tout se pour l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France ?
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Sans pouvoir m'engager sur l'absence totale de difficultés, je vous assure que nous mettrons toute l'énergie et tous les moyens nécessaires pour que ces élections se déroulent sans accroc.
Mme Catherine Di Folco, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre.