B. DEPUIS 2019 : UNE GOUVERNANCE TITUBANTE, UNE SUCCESSION DE STRATÉGIES HÉSITANTES ET UNE SCISSION ENCORE BALBUTIANTE

1. Une gouvernance titubante mise à mal par la dispersion progressive de l'actionnariat

Au cours des travaux menés par les rapporteurs, il a presque été unanimement reconnu que la dispersion progressive de l'actionnariat d'Atos et l'absence d'actionnaire de référence à un moment où l'entreprise doit prendre des décisions importantes pour surmonter ses difficultés ne sont de nature ni à permettre de prendre des « choix forts », ni à faciliter l'impulsion d'une stratégie de long terme par le conseil d'administration.

Au regard des informations transmises à cette mission d'information, 16 changements dans la composition du conseil d'administration ont été recensés en dix ans, entre 2009 et 2019, contre 19 changements à partir de 2020.

En 2015 déjà, l'actionnariat d'Atos et la composition de son conseil d'administration ont significativement changé, avec le retrait du capital de la société de gestion PAI Partners annoncé au mois de février, puis la démission du conseil d'administration de Michel Paris annoncée au mois d'avril, alors que cet actionnaire de référence avait joué un rôle moteur dans le développement de l'entreprise.

La composition du conseil d'administration, dont l'évolution depuis 2009 figure en annexe du présent rapport, a été un sujet récurrent de discussion et de critiques lors des auditions menées par les rapporteurs, de nombreuses personnes entendues estimant que le conseil d'administration manque, en plus d'un actionnaire de référence, de personnalités de premier plan avec une bonne connaissance des enjeux industriels de grands groupes.

En 2022, Atos perd justement son dernier et premier actionnaire de référence avec l'annonce du retrait progressif de Siemens du capital d'Atos. Ainsi au mois d'avril, Cédrik Neike, membre du directoire de Siemens AG, démissionne du conseil d'administration d'Atos44(*) au sein duquel il siégeait depuis 2020 en remplacement de Roland Busch qui y siégeait depuis 2011, consécutivement à l'acquisition de Siemens IT & Solutions Services par Atos. Par conséquent, le 28 octobre 2022, le fonds de pension de Siemens a déclaré à l'Autorité des marchés financiers (AMF) avoir franchi en baisse les seuils de 5 % du capital et des droits de vote d'Atos après que le groupe allemand a été le plus important actionnaire de référence d'Atos qui lui avait cédé 15 % de son capital en 2011 pour un montant de 414 millions d'euros dans le cadre de l'acquisition de Siemens IT & Solutions Services.

Après une période de flottement de plus d'un an, la montée progressive de la société OnePoint de David Layani au capital d'Atos a permis à l'entreprise de retrouver un actionnaire de référence qui détient désormais 11,4 % du capital et des droits de vote, lui permettant de disposer désormais de deux administrateurs au sein du conseil d'administration.

Composition actuelle du conseil d'administration d'Atos

Quatorze membres composent actuellement le conseil d'administration institué en 2009 à la suite de la transformation d'Atos en société anonyme à conseil d'administration, dont :

- neuf administrateurs indépendants : Mmes Sujatha Chandrasekaran, Monika Maurer, Astrid Strange, Françoise Mercadal-Delasalles et Elizabeth Tinkham ainsi que MM. Jean-Pierre Mustier, Laurent Collet-Billon, Jean-Jacques Morin et Alain Crozier ;

- deux administrateurs représentant l'actionnaire OnePoint : Mme Helen Lee Bouygues et M. David Layani ;

- deux administrateurs représentant les salariés : Mme Mandy Metten et M. Farès Louis ;

- un administrateur représentant les salariés actionnaires : Mme Kat Hopkins.

Il ressort des auditions que l'arrivée d'un nouvel actionnaire de référence est perçue de façon positive par une grande majorité des parties prenantes internes et externes à l'entreprise. En effet, la présence d'un actionnaire de référence de long terme est de nature à stabiliser le conseil d'administration, qui a connu de nombreux changements ces dernières années, ainsi qu'à faciliter les relations avec la direction générale qui doit aujourd'hui prendre un grand nombre de décisions opérationnelles afin de redresser la situation d'Atos.

2. Une gouvernance titubante mise à mal par la valse des dirigeants successifs

Dans le cadre de leurs travaux, les rapporteurs ont été attachés à auditionner les dirigeants successifs d'Atos afin d'évaluer l'évolution de la gouvernance de l'entreprise jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, ont été entendus :

- Thierry Breton, président-directeur général d'Atos du 10 février 2009 au 31 octobre 2019 ;

- Bertrand Meunier, président non exécutif du conseil d'administration du 1er novembre 2019 au 15 octobre 2023, soit pendant près de quatre ans ;

- Élie Girard, directeur général du 1er novembre 2019 au 22 octobre 2021, soit pendant près de deux ans ;

- Pierre Barnabé, directeur général par intérim du 22 octobre 2021 au 1er janvier 2022, soit moins de trois mois ;

- Rodolphe Belmer, directeur général du 1er janvier 2022 au 13 juillet 2022, soit pendant environ sept mois ;

- Nourdine Bihmane et Philippe Oliva, directeurs généraux du 13 juillet 2022 au 4 octobre 2023, soit pendant un peu plus d'un an ;

- Yves Bernaert, directeur général du 4 octobre 2023 au 14 janvier 2024, soit pendant environ trois mois ;

- Jean-Pierre Mustier, président non exécutif du conseil d'administration depuis le 16 octobre 2023 ;

- Paul Saleh, directeur général depuis le 15 janvier 2024.

Au regard des auditions menées, les rapporteurs constatent que la dissociation des fonctions de président et de directeur général a facilité les changements successifs de directeurs généraux nommés par le conseil d'administration. Il est notamment apparu que l'exercice de la fonction de directeur général par intérim entre octobre 2021 et janvier 2022 ou la délégation de cette fonction à un « triumvirat » de dirigeants entre juillet 2022 et octobre 2023 étaient des configurations assez inhabituelles pour des groupes de l'envergure de celle d'Atos. À cette période, Nourdine Bihmane était chargé de la direction de l'entité Tech Foundations, Philippe Oliva de celle de l'entité Eviden et Diane Galbe de mener à bien la nouvelle stratégie de l'entreprise et notamment son projet de scission en deux entités.

Par ailleurs, les rapporteurs relèvent qu'il y a eu six directeurs généraux en trois ans et que la moitié des directeurs généraux nommés depuis 2019 ont exercé leurs fonctions pendant moins d'un an. Cette discontinuité est d'autant plus dommageable que chaque directeur général a dû s'approprier les projets de ses prédécesseurs, tout en cherchant à marquer l'entreprise de son empreinte et à renégocier les termes des transactions en cours, au détriment de la conduite d'une stratégie de long terme, de la stabilité de la gouvernance et des gages de confiance et de réassurance demandés par les parties prenantes internes et externes de l'entreprise.

3. Une succession de stratégies hésitantes mal perçues par les marchés financiers

Ces dernières années, la forte discontinuité dans la gouvernance d'Atos a indéniablement conduit à des errances et à des interruptions dans la conduite de l'entreprise dont les changements successifs de stratégie ont été mal appréhendés par les marchés financiers.

Ainsi, dès 2020, de nouvelles acquisitions sont effectuées afin de diversifier le portefeuille d'activités du groupe Atos et d'amorcer un repositionnement vers des secteurs considérés comme ayant un fort potentiel de développement tels que le conseil en transformation numérique aux entreprises, le cloud privé, la cybersécurité, l'analyse de données, l'intelligence artificielle ou encore la décarbonation. Dans cette perspective, les sociétés Maven Wave, Miner & Kasch, Alia Consulting, EcoAct, Paladion, SEC Consult Group, Edifixio, In Fidem, Ipsotek, Visual BI, DataSentics ou encore Cloudreach ont par exemple été acquises par Atos, à des prix qui n'ont pas été communiqués à la mission d'information.

Si les acquisitions sont nombreuses, au nombre de 21 entre 2020 et 2022, elles ciblent toutes des sociétés de plus petite taille et positionnées sur des marchés spécifiques. Cette forte diversification a conduit le groupe Atos à opérer dès 2022, soit seulement deux ans plus tard, un recentrage de son positionnement et une rationalisation de son portefeuille d'activités.

À cette période, les rapporteurs relèvent qu'une tentative d'acquisition a été mal perçue par les marchés financiers. En effet, il ressort des auditions que l'intérêt d'Atos pour l'entreprise américaine DXC Technology, issue d'Hewlett Packard (HP), marque un tournant majeur dans la perception du groupe par les marchés financiers. À la suite de plusieurs « rumeurs de marché » et de la publication d'articles de presse faisant état de l'intérêt d'Atos pour cette société à un prix de valorisation de l'ordre de 10 milliards de dollars, le groupe indique, dans un communiqué du 7 janvier 2021, « avoir approché DXC Technology concernant une transaction amicale potentielle »45(*).

Selon les informations publiques d'Euronext Paris, ce même jour, le prix de l'action a diminué de 13 %, passant de 75,2 € la veille à 65,4 € à la clôture des marchés, conduisant l'opérateur de marché à mettre en place un système de réservation ce jour-là afin de stabiliser le cours de l'action devenu fortement volatile.

S'il n'y a pas eu d'offre publique d'achat (OPA) au sens strict du terme, il y a tout de même eu une phase exploratoire pendant laquelle le groupe Atos a missionné la banque d'affaires JP Morgan pour effectuer les vérifications nécessaires préalables à toute transaction éventuelle (due diligence). Toutefois, dans un communiqué du 2 février 2021, il est indiqué que le conseil d'administration d'Atos « a décidé à l'unanimité de ne pas poursuivre une éventuelle transaction avec DXC Technology »46(*).

Même si la transaction ne s'est pas concrétisée, la très grande majorité des personnes auditionnées s'accordent à dire que cet évènement a été mal perçu par les marchés financiers, marquant une perte de confiance auprès des investisseurs ainsi que le début de la baisse durable de la valorisation de l'entreprise dont le cours de l'action n'a jamais retrouvé le niveau atteint à l'ouverture des marchés le 7 janvier 2021. Le Conseil scientifique des Indices d'Euronext Paris a même annoncé quelques mois plus tard la sortie d'Atos du CAC 40, à compter du 17 septembre 2021, où l'entreprise était entrée en mars 2017.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 7 janvier 2021 relatif à l'acquisition de DXC Technology

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

S'il n'y a pas consensus quant à l'opportunité d'une telle transaction, l'entreprise DXC Technology étant parfois présentée comme le « jumeau d'Atos » sur le marché américain, ce qui aurait pu permettre une optimisation de l'outil industriel des services d'infogérance, un tel projet d'acquisition apparaît toutefois à rebours des autres acquisitions menées par Atos depuis 2020, expliquant sans doute en partie la réaction négative des marchés financiers à une telle annonce ainsi que la difficulté des rapporteurs à appréhender la stratégie de l'entreprise à cette période.

4. Une succession de plans de réorganisation interne aboutissant à une scission fortement contestée et entraînant plus de 700 M€ de dépenses
a) Une succession de plans de réorganisation interne contradictoires

Au-delà des errances quant à la stratégie de développement et de croissance d'Atos, les difficultés de gouvernance du groupe ont également conduit les directeurs généraux successifs à mettre en place des plans de réorganisation interne, parfois contradictoires entre eux, ce qui n'a pas été de nature à clarifier l'organisation de la « galaxie Atos », ni pour les salariés ni pour les clients et ni pour les investisseurs.

Dès février 2020, sous l'impulsion d'Élie Girard, un plan de réorganisation interne du groupe visant à mettre en place une organisation sectorielle est décidé. Nommé « SPRING », ce plan vise à valoriser l'expertise multi-sectorielle d'Atos afin de le positionner davantage en leader des services numériques et apparaît en soutien des multiples acquisitions ciblées effectuées à cette période dans les domaines du conseil en transformation numérique aux entreprises, du cloud privé, de la cybersécurité, de l'analyse de données ou encore de l'intelligence artificielle. Ainsi, dans un communiqué de presse du 24 juin 2020, faisant suite à la présentation de la nouvelle stratégie du groupe aux investisseurs, Élie Girard déclare notamment que « l'ambition d'Atos est de devenir le leader du numérique sécurisé et décarboné. Pour les années qui viennent, le Groupe se tourne avant tout vers la croissance, en s'appuyant sur son programme SPRING, afin d'adopter une approche sectorielle et saisir les nouvelles avancées du Cloud et du Digital de cette décennie »47(*).

Cette nouvelle organisation, dont la mise en oeuvre a été contrariée par la crise de la Covid-19 et fortement critiquée par des syndicats qualifiant son schéma de « Rubik Cube », conduit à la disparition des trois « divisions métiers » pour créer six nouvelles « divisions sectorielles » : production, télécommunications et médias, services financiers et assurances, ressources et services, secteur public et défense, santé et sciences de la vie.

Toutefois, dès l'arrivée de Rodolphe Belmer en tant que directeur général en janvier 2022, ce plan de réorganisation interne est abandonné seulement deux ans après son lancement au profit d'une nouvelle organisation réinstaurant trois « divisions métiers » : Big Data & Security (BDS), Digital et Tech Foundations.

Source : CGT Atos

b) Un projet de scission devenu effectif, mais toujours fortement contesté aujourd'hui

Seulement quelques mois plus tard, dans une série de communiqués de presse du 14 juin 2022, Atos annonce à la fois le départ de Rodolphe Belmer48(*) et étudier un nouveau plan de transformation et une possible séparation du groupe en deux sociétés cotées49(*).

Il est désormais question de créer deux entreprises distinctes qui seraient chacune spécialisée sur un segment d'activité, ce qui impliquerait de procéder à la cotation et à la distribution des actions d'une nouvelle société :

- la première dite « TFCo » qui conserverait le nom Atos, correspondrait au périmètre d'activités de Tech Foundations et serait dirigée par Nourdine Bihmane ;

- la seconde dite « SpinCo » qui prendrait le nom d'Evidian, correspondrait au périmètre réuni des activités de Digital et de BDS et serait dirigée par Philippe Oliva.

Une telle annonce a fait fortement réagir et a manifestement été mal perçue par les marchés financiers. Ainsi, selon les données publiques d'Euronext Paris, le prix de l'action a diminué de 23 % le 14 juin 2022, passant de 18,8 € la veille à 14,4 € à la clôture des marchés, conduisant l'opérateur de marché à mettre en place un système de cinq réservations ce jour-là afin de stabiliser le cours de l'action devenu fortement volatile. À date, seule l'annonce de la désignation d'un mandataire ad hoc le 5 février 2024 a conduit à une baisse plus importante du prix de l'action d'Atos. Il ressort par ailleurs des auditions menées par les rapporteurs que la communication autour de la décision de cette scission d'entreprise est jugée assez largement insuffisante par les parties prenantes internes comme externes du groupe.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 14 juin 2021 relatif au projet de scission du groupe

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

À cette période, le groupe a également estimé que si une telle scission devait avoir lieu, cela conduirait indéniablement à un nouveau plan de transformation de l'entreprise et un besoin de financement estimé à 1,6 Md€ sur 2022-2023 jusqu'à ce que la séparation en deux entités devienne effective.

c) Une réorganisation interne dont le coût faramineux est estimé à plus de 700 M€ et dont la pertinence reste à démontrer

Dans son point de marché du 26 mars 2024, le groupe Atos estime que les coûts de réorganisation se sont élevés à 696 M€, dont 343 M€ pour les « mesures d'adaptation des effectifs », ce qui désigne notamment les milliers de suppressions d'emplois induites par la restructuration des activités de Tech Foundations en Europe et notamment en Allemagne, et 353 M€ pour les coûts de séparation et de transformation, auxquels il convient d'ajouter 38 M€ de coûts de rationalisation et de frais associés50(*).

Afin de mener à bien son projet de scission, Atos a recouru à plusieurs cabinets de conseil, en particulier des cabinets de conseil en stratégie - principalement McKinsey et EY Parthénon - de conseils financiers - principalement Rothschild &CO, JP Morgan, Perella Weinberg et Alvarez & Marsal - et de conseils juridiques - principalement Darrois Villey Maillot Brochier, Baker McKenzie, Clifford Chance et EY Tax.

Si la pratique est courante pour ce type d'opérations complexes et sans remettre en cause la liberté d'une entreprise de recourir aux prestations de conseil de son choix, les rapporteurs s'étonnent du coût faramineux de la réorganisation du groupe, estimé à plus de 700 M€, surtout que ce montant représente plus de la moitié du besoin de financement global d'1,2 Md€ annoncé par Atos pour les années 2024-2025 et qu'une moindre dépense en réorganisation aurait permis de contribuer au désendettement de l'entreprise.

Au-delà du coût global estimé de la réorganisation du groupe, il ressort surtout des auditions menées par les rapporteurs que la scission d'Atos en deux entités continue de faire l'objet de nombreuses critiques de la part des parties prenantes internes et externes de l'entreprise.

Alors que l'objectif de la scission tel qu'annoncé le 14 juin 2022 est « d'optimiser notre performance dans les deux marchés distincts sur lesquels le Groupe est positionné, qui ont des dynamiques fondamentalement différentes : d'une part le marché lié aux infrastructures, requérant d'importants actifs, d'autre part le marché des applications digitales et de la sécurité » selon les termes employés par le directeur général de l'époque Rodolphe Belmer, la logique de cette séparation des activités continue de diviser.

D'un côté, les partisans de cette scission considèrent qu'il était pertinent de séparer les « métiers de croissance » des « métiers de décroissance » à l'image de ce qui a été fait en 2021 avec la séparation de Kyndryl, gestionnaire de services d'infrastructure, du groupe américain IBM. Il a également pu être considéré que la séparation de Tech Foundations, réunissant les activités en décroissance, permettrait d'améliorer la perception du reste du groupe sur les marchés financiers. De l'autre, ceux qui estiment que cette scission répond avant tout à une logique financière, et non à une vision industrielle, que les clients, les contrats et le chiffre d'affaires des deux entités demeurent en partie liés et imbriqués, conduisant à une « séparation sur papier » mais peu opérationnelle.

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs demeurent dubitatifs quant à la pertinence de cette séparation d'activités. Ils estiment par ailleurs que leurs doutes quant à une éventuelle porosité entre les contrats rattachés à l'entité Tech Foundations et ceux rattachés à l'entité Eviden, et en particulier à sa branche BDS réunissant des activités souveraines de premier plan, ne sont toujours pas écartés en l'absence de réponses claires et de transmission d'informations précises à ce sujet.

Les rapporteurs rappellent également que cette scission en deux entités s'est progressivement effectuée alors que les conditions initiales de sa réalisation annoncées par Atos ne sont toujours pas remplies, en particulier la cotation boursière distincte et l'augmentation de capital d'Eviden.

Enfin, les rapporteurs tiennent à souligner que cette scission demeure un choix parmi d'autres effectué par le conseil d'administration d'Atos à un moment et dans un contexte donnés, comme l'avait indiqué son président de l'époque Bertrand Meunier : « après avoir examiné un certain nombre d'options possibles, le Conseil d'administration d'Atos est convaincu que le projet envisagé, présenté aujourd'hui par l'équipe dirigeante, est la meilleure option possible pour le Groupe, et celle qui créerait le plus de valeur pour toutes les parties prenantes d'Atos »51(*).

Parmi les autres options envisagées avant l'annonce du projet de scission, figuraient soit la vente de Tech Foundations, soit la vente de Digital, soit la vente de BDS. En particulier, Rodolphe Belmer avait suggéré de vendre la branche BDS, dont la valorisation a pu être estimée entre 3 et 3,5 Mds€, à un moment où plusieurs acteurs tels que l'industriel Thales avaient publiquement exprimé leur intérêt éventuel pour toute cession d'actif de cybersécurité qui serait disponible à la vente. Toutefois, à cette période, le conseil d'administration d'Atos avait écarté toute cession de BDS, considérant qu'une telle opération marquerait le début du « démantèlement » du groupe.

5. Depuis l'annonce du plan de scission, une succession de tentatives de redressement mises à mal par la valse des repreneurs potentiels

L'annonce du plan de scission le 14 juin 2022 a suscité craintes et espoirs, confiance en l'avenir ou défiance supplémentaire à l'égard des dirigeants de l'entreprise, car il ressort des auditions menées par les rapporteurs que la séparation des activités d'Atos en deux entités distinctes a créé un « appel d'air » pour la cession d'actifs, de multiples plans et stratégies de reprise se succédant dès lors sans succès, chaque échec ayant contribué à faire diminuer davantage la valorisation de la société.

a) Un projet de cession de l'entité Tech Foundations à la société EPEI envisagé dès juillet 2022, mais aujourd'hui « en pause » à défaut d'autres offres sérieusement considérées

La société EP Equity Investment (EPEI) de Daniel Kretinsky a déclaré s'être intéressée à l'entité Tech Foundations d'Atos à compter de l'annonce du projet de scission le 14 juin 2022 et après avoir été mise en relation par la banque d'affaires Rothschild & Co.

Ainsi, la société EPEI a indiqué avoir signé un accord de confidentialité avec Atos dès le 18 juillet 2022, avec un projet de transaction reçu le 18 septembre 2022 et une confirmation d'intérêt pour le rachat de Tech Foundations en date du 18 octobre 2022. L'entrée en négociations exclusives avec la société EPEI a par la suite été annoncée par un communiqué du 1er août 2023 indiquant que le projet porte sur la cession « de 100 % de Tech Foundations, avec un impact positif net sur la trésorerie de 0,1 milliard d'euros et le transfert de 1,9 milliard d'euros d'engagements au bilan, conduisant à une valeur d'entreprise de 2 milliards d'euros »52(*). En parallèle, il était également prévu une augmentation du capital de 900 M€, avec une prise de participation de la société EPEI au capital d'Eviden à hauteur de 7,5 % incluant un prix unitaire de l'action majoré à 20 €, ainsi qu'un programme de cession d'actifs estimé à 400 M€.

Cette annonce a été mal perçue par les marchés financiers en raison des critiques liées à sa temporalité, aux termes financiers de la transaction envisagée et des risques évoqués pour la préservation de la souveraineté et des intérêts supérieurs de la Nation. Selon les informations publiques d'Euronext Paris, le prix de l'action a diminué de 4 % le 1er août 2023 puis de 16 % le lendemain, passant ainsi en deux jours de 9,4 € à 7,6 €.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 1er août 2023 relatif à l'entrée en négociations exclusives avec la société EPEI

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

Les rapporteurs relèvent que le projet de cession de Tech Foundations à la société EPEI n'a pas été approuvé à l'unanimité du conseil d'administration, qui n'était d'ailleurs pas réuni au complet, et que ce projet souffrait d'un manque d'informations fiables et claires sur la stratégie poursuivie comme sur ses conséquences financières et comptables.

Par ailleurs, il ressort également des auditions des rapporteurs que l'offre de rachat de la société EPEI de Daniel Kretinsky est la seule qui semble avoir été sérieusement considérée et évaluée par le conseil d'administration d'Atos avec lequel il semble avoir été difficile d'entrer en relation, plusieurs personnes entendues ayant indiqué avoir vu leur offre rapidement éconduite ou ne pas avoir eu l'opportunité de la présenter auprès d'Atos. Ainsi, il a été indiqué que plusieurs marques d'intérêt et lettres d'engagement non contraignantes ont été exprimées et reçues, par exemple de la part d'Astek ou du fonds d'investissement allemand Aurelius.

Après plusieurs mois de négociations et des tentatives successives des directeurs généraux d'Atos de modifier les termes financiers de la transaction envisagée, en particulier concernant l'impact net sur la trésorerie dans la mesure où le montant annoncé de 100 M€ a été jugé insuffisant par de nombreuses parties prenantes, la fin des négociations exclusives entre les deux sociétés a été annoncée le 28 février 2024, Atos ayant indiqué dans un communiqué qu'il n'y avait pas eu d'accord « sur les nouvelles conditions contractuelles et financières »53(*). Toutefois, les rapporteurs considèrent que sur la base de nouvelles conditions contractuelles et financières et selon l'évolution de la situation du groupe, il n'est pas exclu que la société EPEI entre de nouveau en négociations exclusives avec Atos, « au deuxième tour de table », pour le rachat de Tech Foundations.

b) Un projet de cession de la branche Big Data & Security aujourd'hui « questionné » au regard de la criticité de certaines de ses activités

Dans la continuité de l'annonce du plan de scission de l'entreprise indiquant la recherche d'un partenaire minoritaire et stratégique de long terme pour entrer au capital de la nouvelle entité créée, le groupe franco-allemand Airbus a premièrement indiqué envisager une prise de participation minoritaire à hauteur de 29,9 % d'Eviden. Si des discussions ont été engagées en février 2023, le groupe Airbus a indiqué le 29 mars 2023 y mettre fin54(*), tout en privilégiant un partenariat stratégique et technologique de long terme avec Eviden.

Selon les informations publiques d'Euronext Paris, ce même jour, le prix de l'action a diminué de 17 %, passant de 12,9 € la veille à 10,7 € à la clôture des marchés, conduisant l'opérateur de marché à mettre en place un système de réservation ce jour-là afin de stabiliser le cours de l'action devenu fortement volatile.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 29 mars 2023 relatif à la fin des discussions avec Airbus

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

Après cette première tentative de rapprochement entre les deux groupes, Airbus s'est intéressé au rachat de la branche BDS, ce qui a été officiellement confirmé par un communiqué de presse d'Atos du 3 janvier 2024 indiquant « l'ouverture d'une phase de due diligence avec Airbus pour la cession potentielle de l'intégralité du périmètre BDS »55(*). Toutefois, dans un communiqué du 19 mars 2024, soit environ deux mois plus tard, Airbus a indiqué mettre fin aux négociations en cours avec Atos pour le rachat de BDS56(*).

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que la gouvernance franco-allemande du groupe, ainsi que les difficultés liées à la délimitation du périmètre des activités de BDS et à l'identification de ses perspectives financières, ont pu contrarier ce projet de cession malgré un investissement, qui aurait été de l'ordre de 10 M€, pour cette due diligence. Au regard de l'historique des tentatives de rapprochement entre les deux entreprises et des synergies technologiques anticipées entre leurs activités, les rapporteurs n'excluent toutefois pas que le groupe Airbus s'intéresse de nouveau à un rachat d'actifs, sans doute sur un périmètre plus restreint que celui préalablement envisagé, ce qui permettrait éventuellement à d'autres industriels (Thalès, Dassault, etc.) de se positionner sur des segments plus spécifiques de BDS.

c) Un plan de reprise du groupe par la société OnePoint « en maturation » au regard de l'absence d'autres repreneurs officiels

Dans la continuité directe de l'annonce du plan de scission du 14 juin 2022, le groupe OnePoint fondé par David Layani, qui en est l'actionnaire principal à hauteur de 77 % - les 23 % restant étant détenu par les salariés - avait formulé une offre de rachat de la nouvelle entité Eviden pour un montant annoncé de 4,2 Mds€, mais cette offre a été déclinée par le conseil d'administration de l'époque. En effet, dans un communiqué du 29 septembre 2022, Atos confirme avoir reçu deux jours auparavant une marque d'intérêt préliminaire et non engageante du groupe OnePoint, le conseil d'administration ayant alors décidé à l'unanimité « que celle-ci n'est pas dans l'intérêt de la société et de ses parties prenantes »57(*).

En réaction à cette décision, le groupe OnePoint a détaillé son projet dans un communiqué publié le même jour, déclarant avoir l'ambition « de bâtir un champion français indépendant et d'envergure internationale »58(*) qui compterait plus de 60 000 collaborateurs et dont l'ambition serait d'atteindre, d'ici cinq ans, 100 000 collaborateurs et un chiffre d'affaires de 10 Mds€. Il est également précisé que cette acquisition serait financée par une levée de fonds propres de 2 Mds€ pilotée par « un fonds européen de premier plan », en l'espèce le fonds britannique ICG, ainsi que par une dette de 2,2 Mds€.

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que cette offre a été très rapidement éconduite, en deux jours, par le conseil d'administration d'Atos qui, au même moment, avait déjà engagé des discussions avec la société EPEI pour le rachat de Tech Foundations et une prise de participation au capital d'Eviden.

Malgré cette première déconvenue, le groupe OnePoint a maintenu son intérêt pour Atos et en est même devenu son premier actionnaire depuis le 1er novembre 2023 en annonçant détenir 9,9 % du capital et des droits de vote59(*), sachant qu'Atos n'avait plus d'actionnaire de référence depuis plus d'un an. Le 8 décembre 2023, le groupe OnePoint a finalement annoncé détenir 11,4 % du capital et des droits de vote de la société60(*). David Layani et Helen Lee Bouygues siègent désormais au conseil d'administration d'Atos afin d'y représenter OnePoint.

Au même moment que cette montée au capital, le groupe OnePoint a annoncé une opération de refinancement d'obligations existantes auprès de Carlyle Global Credit, une branche du gestionnaire américain d'actifs Carlyle, sous la forme d'obligations d'une maturité de huit ans dont le montant peut aller jusqu'à 500 M€. Face aux craintes exprimées par les rapporteurs, il a bien été précisé à la mission d'information que cette opération de refinancement n'a modifié ni la structure capitalistique ni la gouvernance du groupe OnePoint.

Désormais, David Layani se présente comme un actionnaire de référence, un investisseur de long terme et un partenaire industriel d'Atos. Il a ainsi décidé de détailler sa vision dans une interview accordée le 24 mars dernier au Figaro61(*). Il y fait notamment part de sa volonté de « faire d'Atos l'Airbus du cyber et du digital », de conserver l'intégrité du groupe et d'abandonner tout projet de cession.

Très récemment, son projet « OneAtos » a recueilli le soutien de la société d'investissement française Butler Industries, formant ainsi un consortium dont les trois priorités annoncées sont : la conservation de l'intégralité des actifs du groupe, le retour d'une trajectoire de croissance rentable et la restructuration de la dette62(*).

Ce projet doit encore être accepté par le conseil d'administration d'Atos comme l'a récemment déclaré Paul Saleh, directeur général d'Atos, lors de son audition devant le Sénat le 10 avril dernier : « nous travaillons étroitement avec Onepoint et son dirigeant M. Layani, et nous nous félicitons qu'il propose une solution pour l'entreprise, car il joue le rôle de pierre angulaire. Nous étudierons sa proposition en la mettant en perspective avec les autres solutions qui devraient nous être remises d'ici au 26 avril »63(*).


* 44 Communiqué de presse d'Atos du 6 avril 2022.

* 45 Communiqué de presse d'Atos du 7 janvier 2021.

* 46 Communiqué de presse d'Atos du 2 février 2021.

* 47 Communiqué de presse d'Atos du 24 juin 2020.

* 48 Communiqué de presse d'Atos du 14 juin 2022.

* 49 Communiqué de presse d'Atos du 14 juin 2022.

* 50 Communiqué de presse d'Atos du 26 mars 2024.

* 51 Communiqué de presse d'Atos du 14 juin 2022.

* 52 Communiqué de presse d'Atos du 1er août 2023.

* 53 Communiqué de presse d'Atos du 28 février 2024.

* 54 Communiqué de presse d'Airbus du 29 mars 2023.

* 55 Communiqué de presse d'Atos du 3 janvier 2024.

* 56 Communiqué de presse d'Airbus du 19 mars 2024.

* 57 Communiqué de presse d'Atos du 29 septembre 2022.

* 58 Communiqué de presse de OnePoint du 29 septembre 2022.

* 59 Communiqué de presse de OnePoint du 1er novembre 2023.

* 60 Communiqué de presse de OnePoint du 8 décembre 2023.

* 61 Le Figaro, « Atos : David Layani dévoile au Figaro ses projets pour sauver le groupe français », 24 mars 2024.

* 62 Communiqué de presse de OnePoint du 8 avril 2024

* 63 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

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