II. ACCÉLÉRER LA PRODUCTION DES CARBURANTS D'AVIATION DÉCARBONÉS
A. UNE RÉPONSE ADAPTÉE À PLUSIEURS ENJEUX NATIONAUX
Ainsi que l'a souligné Daniel Iracane lors de l'audition de l'Académie des technologies, la capacité à assurer, sur le territoire national, la production des carburants d'aviation décarbonés répond à trois enjeux majeurs.
Le premier enjeu est la capacité à respecter les engagements pris au niveau européen en matière d'incorporation des carburants d'aviation décarbonés, qui implique de sécuriser l'approvisionnement de ces carburants dans un marché mondial où la demande pourrait rester durablement supérieure à l'offre.
Le deuxième enjeu est en lien avec la nécessaire réindustrialisation du pays. La production des carburants d'aviation décarbonés implique la création ex nihilo d'une nouvelle filière industrielle dont les installations seront réparties dans les régions et qui aura de ce fait un impact socioéconomique significatif dans les territoires.
Le dernier enjeu concerne le rééquilibrage de la balance commerciale française, puisqu'il s'agit de remplacer la plus grande partie des importations françaises de kérosène par une production locale de carburants d'aviation décarbonés. À l'inverse, l'importation de carburants d'aviation décarbonés, plus coûteux que le kérosène, aggraverait le déficit commercial.
B. LE NÉCESSAIRE DÉVELOPPEMENT DES CARBURANTS SYNTHÉTIQUES
Les dix prochaines années seront cruciales pour établir un parcours industriel réaliste qui garantisse la disponibilité effective et à grande échelle des carburants d'aviation synthétiques, selon un rythme approprié. La concrétisation de ce parcours au début de la prochaine décennie est essentielle pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés au niveau européen.
Compte tenu de la nécessité de coordonner les différents acteurs concernés, il apparaît indispensable de mettre en place une filière complète des carburants d'aviation de synthèse, regroupant l'ensemble des acteurs concernés, du stade de la recherche à celui de l'utilisation en passant par la production.
La production de e-carburant durable nécessite de maîtriser deux briques technologiques essentielles : la génération d'hydrogène décarboné par électrolyse et la capture du dioxyde de carbone (CO2).
En matière d'électrolyse, la France dispose d'une certaine avance technologique, avec des entreprises en pointe sur les principales technologies d'électrolyseurs : alcalins, à échange d'anions (AEM), à membranes échangeuses de protons (PEM) et à haute température.
Néanmoins, la nécessité d'accroître significativement le rendement de l'électrolyse, afin de limiter les besoins en électricité décarbonée et d'améliorer sa compatibilité avec une production électrique variable doit conduire à accélérer les recherches dans ce domaine. Dans le contexte de la production de carburants d'aviation durable, génératrice de chaleur fatale, l'électrolyse à haute température apparaît particulièrement bien adaptée.
Les technologies de capture du dioxyde de carbone permettent d'extraire le CO2 des sources industrielles ou directement de l'air ambiant et peuvent être classées en trois catégories principales : la capture postcombustion, la capture précombustion, et la capture directe dans l'air (DAC).
La réglementation RefuelEU Aviation excluant à partir de 2041 l'utilisation du dioxyde de carbone non biogénique pour la fabrication du e-carburant durable, les technologies de capture directe du CO2 dans l'air vont prendre une importance croissante pour la production de e-carburant d'aviation en grande quantité.
Une étude récente162(*) répertoriant cinquante start-up qui développent des solutions de capture directe du CO2 dans l'air illustre le retard pris par la France dans ce domaine, puisqu'y figurent des sociétés américaines, chinoises, néerlandaise, allemandes, finlandaises, norvégiennes, etc. mais aucune entreprise d'origine française.
La position défavorable de la France dans ce domaine, en particulier par rapport aux États-Unis et à l'Allemagne, a été confirmée aux rapporteurs par leurs interlocuteurs de l'Académie des technologies. Or, la maîtrise de cette technologie apparaît indispensable à la souveraineté énergétique de la France pour la production de e-carburants, qu'ils soient destinés à l'aviation, au transport maritime ou à d'autres usages. Renforcer la recherche et l'innovation sur ces technologies est donc nécessaire pour rattraper le retard pris sur les autres pays dans la course au développement des e-carburants durables.
Par ailleurs, grâce à son mix électrique décarboné, la France se positionne, au côté de la Norvège et de la Suède, comme l'un des rares pays européens capables de déployer rapidement une industrie nationale pour la production de carburants d'aviation durables synthétiques, sans être limitée par la disponibilité de la biomasse. Ce développement peut s'effectuer sans changements majeurs dans la composition du mix énergétique français, qui devrait pouvoir répondre aux besoins nationaux pour la production de carburants d'aviation durables jusqu'en 2040. Après cette date, un accroissement significatif des capacités de production d'électricité sera nécessaire, ce qui implique de confirmer sans délai le développement de nouveaux moyens de génération d'électricité décarbonée, indispensables à la production des carburants d'aviation durables en quantité suffisante.
Les producteurs de CAD, tout comme les autres acteurs de l'innovation, qu'il s'agisse de grands industriels comme Airbus et Safran, ou d'entreprises plus petites, voire de start-up, peuvent se trouver confrontés au mur du dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN) lorsqu'ils cherchent à créer de nouvelles installations. C'est pourquoi il serait souhaitable que tous les projets d'implantation de nouvelles installations qui contribuent à l'objectif de décarbonation du pays puissent être exclus a priori du dispositif ZAN, comme c'est déjà le cas pour d'autres entreprises.
* 162 E. Wang et al., Reviewing direct air capture startups and emerging technologies, Cell Reports Physical Science, Volume 5, Issue 2, 2024.