B. POUR AGIR EFFICACEMENT SUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE, L'AIDE ALIMENTAIRE FRANÇAISE DOIT CLARIFIER SES INSTRUMENTS ET DAVANTAGE S'APPUYER SUR SES ACTIONS DE DÉVELOPPEMENT À PLUS LONG TERME

1. Pour éviter les risques de recoupements, il apparait nécessaire de clarifier le mandat des instruments d'aide alimentaire et de renforcer leur coordination
a) La similarité des instruments concourant à l'aide alimentaire appelle une clarification de leurs objectifs et de leurs interventions

La diversité des outils mobilisés dans le cadre de l'aide humanitaire de la France soulève un risque de perte de lisibilité de l'action de la France en matière d'aide alimentaire, d'une part, et de chevauchements entre les différents instruments, d'autre part.

Ces risques s'expliquent en grande partie par l'absence de formalisation des mandats respectifs des différents instruments intervenant en matière d'aide alimentaire, particulièrement s'agissant de l'AAP et du FUHS. Les rapports d'évaluation successifs de ces deux canaux, respectivement publiés en 202133(*) et en 202334(*), s'étonnent de l'absence de cadre indiquant les objectifs stratégiques qui leur sont respectivement assignés.

Il existe toutefois un cadre théorique d'intervention de ces différents outils. D'une part, le FUHS a été pensé comme un instrument de réaction rapide aux crises humanitaires. Son objectif initial était la mise en oeuvre de projets à impact rapide dans un horizon temporel court. D'autre part, l'AAP est comme un instrument intermédiaire : « À l'interface entre humanitaire et développement [...] en finançant des projets d'assistance alimentaire sur des terrains de fragilité chronique, et favorisant le retour à l'autonomie des populations vulnérables »35(*). En conséquence, le FUHS intervient en principe immédiatement après le déclenchement d'une crise alimentaire et ne serait suivi par l'AAP que dans un second temps, dans une logique de sortie de crise.

En cohérence avec leurs mandats respectifs, les deux instruments, se caractérisent par une temporalité distincte. Le FUHS, principalement tourné vers la réaction aux crises, se distingue par la rapidité potentielle du décaissement de ses fonds. La procédure accélérée d'examen d'un projet peut donner lieu à un versement des fonds dans les 48 heures. À l'inverse, le positionnement intermédiaire théorique de l'AAP conduit à des procédures plus longues. Le versement des financements, y compris dans l'hypothèse d'une procédure accélérée prend a minima deux à trois semaines. Néanmoins, dans le cas de projets relevant de la stabilisation / résilience, les délais sont relativement similaires.

Schéma d'intervention des canaux de gestion et de sortie de crise en matière d'aide alimentaire

Source : commission des finances

Toutefois, cette subtile distinction initiale cède en partie devant la mise en oeuvre opérationnelle de ces deux canaux d'aide humanitaire. Plusieurs facteurs contribuent à ce rapprochement de facto des deux instruments.

Premièrement, l'augmentation conséquente des enveloppes respectives de l'AAP et du FUHS renforce les risques de chevauchement. En une décennie (2014-2024), les crédits de l'AAP ont été multipliés par cinq et ceux du FUHS par douze. De plus, l'élargissement du champ d'intervention du FUHS aux opérations de stabilisation, phase intermédiaire entre urgence et développement, rapproche cet instrument du mandat initial confié à l'AAP. La combinaison de l'accroissement de son enveloppe et de son mandat a conduit le centre de crise et de soutien (CDCS) à davantage mobiliser le FUHS sur des questions d'alimentation.

Deuxièmement, les contextes d'intervention des différents instruments concourant à l'aide alimentaire sont en réalité relativement similaires. La distinction théorique entre crise et stabilisation s'efface en raison de la multiplication des crises et de leur inscription dans le temps. En moyenne, les deux tiers de l'aide humanitaire sont dirigés vers des crises d'une durée moyenne de sept ans36(*). Il en ressort un champ d'intervention géographique relativement similaire en dépit du mandat donné à l'AAP par la Stratégie alimentaire de 2019 de concentrer son activité sur les « pays prioritaires » désignés par le CICID. Dans la pratique, zones de crises et pays prioritaires se rapprochent.

Troisièmement, les opérateurs de la société civile bénéficiaires des financements du FUHS et de l'AAP sont, pour la plupart, les mêmes OSC. Comme indiqué par l'évaluation de l'AAP et confirmé par les auditions menées par vos rapporteurs, une même OSC peut basculer de l'un des instruments à l'autre pour un même dispositif entre deux exercices. Ces mêmes OSC peuvent également obtenir des financements de l'AFD en matière d'aide alimentaire, au travers du Fonds Minka.

Principales OSC bénéficiaires des financements de l'AAP et du FUHS

OSC bénéficiaires de l'AAP

OSC bénéficiaires du FUHS

Action contre la Faim

Solidarités International

Solidarités International

ACTED

ACTED

Première Urgence Internationale (PUI)

Première Urgence Internationale (PUI)

Humanité et Inclusion

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire de contrôle

Compte tenu de ces éléments, les rapporteurs réitèrent les recommandations déjà formulées par une première évaluation de l'aide alimentaire programmée en 200937(*) et reprises, tant par l'évaluation de la stratégie humanitaire de la République française 2018-202238(*), que par les récentes évaluations du FUHS39(*) et de l'AAP40(*), d'une définition précise des objectifs stratégiques assignés à chaque instrument. Dans sa réponse à l'évaluation de l'AAP, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a indiqué qu'une note stratégique avait été rédigée à la demande du cabinet du ministre. Ce document, également évoqué à de multiples reprises lors des auditions, vise à préciser la valeur ajoutée de chaque instrument et leur articulation avec l'action de l'AFD. Si l'utilité d'une telle note est indéniable, elle n'a pas été rendue publique.

Recommandation n° 5 : Formaliser et préciser les mandats d'intervention respectifs des différents instruments participant à l'aide alimentaire française, en premier lieu le fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS) et l'aide alimentaire programmée (AAP) (DGM, CDCS).

Pour terminer, outre la difficulté à distinguer clairement le cadre d'intervention de ces instruments, les organismes de la société civile, qui bénéficient de 30,9 % des financements de l'AAP et de 84 % des financements du FUHS en 2023 ont regretté l'absence d'un guichet unique pour les financements des projets d'aide alimentaire41(*).

Comme indiqué supra, pour un objectif similaire d'aide alimentaire ou, plus largement, de sécurité alimentaire, les organismes de la société civile peuvent introduire des dossiers auprès du centre de crise et de soutien pour le FUHS, de la sous-direction HUMA pour l'aide alimentaire programmée et de l'AFD pour le Fonds Minka ou pour son guichet OSC. Chaque instrument implique des procédures de sélection et des temporalités distinctes. Ainsi, le CDCS privilégie une sélection de gré à gré des projets avec les OSC. Ces dernières soumettent leurs propositions d'intervention directement auprès du CDCS ou par l'intermédiaire des postes. Dans le cas de l'AAP, les OSC soumettent leurs propositions à la suite d'un appel à projets diffusé par le MEAE auprès d'acteurs pré-identifiés, qu'il s'agisse d'OSC françaises ou d'interlocuteurs spécialisés dans l'aide alimentaire. Les projets sont soumis aux ambassades et arbitrés au sein de l'administration centrale. Les exigences de redevabilité diffèrent également selon les bailleurs.

La complémentarité des projets financés peut ainsi dépendre davantage d'une démarche des opérateurs OSC que de la coordination entre les différents guichets d'aide alimentaire.

Le positionnement international des OSC, qui reçoivent des financements de bailleurs étatiques et multilatéraux, leur permet à cet égard de comparer l'organisation française avec les pratiques de nos partenaires internationaux. Elles ont notamment mis en avant l'unité d'action qui domine Outre-Rhin, où les financements humanitaires sont distribués par une seule entité. En effet, en Allemagne, le ministère des affaires étrangères (Office des affaires étrangères - Auswärtiges Amt) dispose d'une compétence pleine et entière pour la gestion de l'aide humanitaire, centralisée au sein d'une direction dédiée. L'exemple allemand contrasterait ainsi avec la prévalence d'un « millefeuille » français des canaux de financement de l'aide alimentaire.

Les OSC auditionnées dans le cadre du contrôle seraient favorables à un rapprochement des procédures, si ce n'est des structures, de financement de l'aide alimentaire. La souplesse d'examen des demandes de crédits par le centre des opérations humanitaires et de stabilisation (COHS)du CDCS et la rapidité de décaissement des fonds est à ce titre cité en exemple.

En outre, ce double objectif de souplesse et de rapidité doit cependant être concilié avec les exigences de redevabilité et de contrôle des comptes. Dans la conduite des projets, les OSC sont en effet soumises à des obligations de redevabilité, sur le plan financier comme sur l'impact des projets menés. Ces obligations interviennent tant au stade de l'instruction du projet, que de sa conduite et sa validation finale. Les opérateurs doivent notamment remettre en fin de projet AAP un rapport final d'exécution et un rapport financier.

Pourtant, si vos rapporteurs approuvent ces démarches de contrôle qui sont imposées aux opérateurs OSC, ils soulignent le risque d'un alourdissement de ces contraintes. Ces organismes n'ont, par comparaison, pas les mêmes moyens internes pour répondre aux conditions de redevabilité que les organisations internationales. Il importe de garder à l'esprit que tout renforcement du contrôle implique un coût budgétaire additionnel pour l'organisme et réduit par conséquent la part des financements alloués par le bailleur qui sera directement investie dans le projet final. Or, comme le souligne le rapport d'évaluation de l'AAP42(*), la moyenne des coûts associés à la mise en oeuvre des projets ne revenant pas aux bénéficiaires est de 36 % pour les OSC et de 25 % pour les organisations internationales.

Recommandation n° 6 : Envisager un rapprochement des procédures de sélection et de redevabilité des projets entre le FUHS et l'AAP (DGM, CDCS).

Cette difficulté à comprendre l'articulation des outils participant à l'aide alimentaire de la France est également valable pour les opérateurs publics. C'est le cas pour l'Agence française d'expertise technique internationale, « Expertise France », filiale du groupe AFD, qui dispose d'une capacité d'intervention en matière d'aide alimentaire, dans un contexte de sortie de crise et de résilience. Le département « Paix, Stabilité, Sécurité » de l'agence met en oeuvre des programmes de coopération technique pour le compte de financeurs étatiques ou internationaux. En 2023, ce pôle a ainsi conduit des projets en matière d'aide alimentaire à hauteur de 25 millions d'euros au Liban, en Syrie et au Yémen dans le cadre de financements du CDCS sur l'enveloppe du FUHS et, subsidiairement de l'AFD. À titre d'exemple, Expertise France conduit, pour le compte du CDCS et pour un budget de 11 millions d'euros en 2023, le projet Sabir en Syrie. Ce dernier vise à renforcer la sécurité alimentaire dans le nord du pays en soutenant une approche intégrée des organisations locales de la société civile. Il se concentre sur le relèvement des capacités des agriculteurs et des éleveurs à résister aux chocs climatiques.

Pour autant, alors qu'elle est en mesure de mener des programmes d'aide alimentaire dans des situations d'urgence, l'agence a signalé à vos rapporteurs qu'elle n'était pas considérée comme un opérateur éligible aux financements de l'aide alimentaire programmée43(*). Le cadre d'intervention d'Expertise France paraît pourtant adapté aux projets de l'AAP. Son positionnement lui permet de conduire des projets de « jointure » entre urgence et développement qui correspondent au cadre d'intervention théorique de l'AAP, intervenant davantage dans une logique de sortie de crise que d'urgence absolue. Toutefois, sans explication claire, la manifestation d'intérêt d'Expertise France pour des financements AAP auprès du MEAE a jusqu'à présent fait l'objet d'une fin de non-recevoir.

Recommandation n° 7 : Permettre à Expertise France de participer aux appels à projets de l'aide alimentaire programmée (DGM).

Par opposition, au niveau des postes diplomatiques, même s'il existe des disparités géographiques, la lisibilité et la coordination de facto entre les instruments paraît satisfaisante. L'articulation entre ces instruments se déroule de manière satisfaisante, en particulier lors de la survenue d'une crise alimentaire.

Le cas du Liban illustre cette coordination effective dans un contexte de crise alimentaire chronique, aggravée depuis l'explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Les trois canaux du MEAE contribuant à l'aide alimentaire (FUHS, AAP et contributions volontaires) interviennent dans ce pays. Au sein de l'ambassade, un conseiller référent pour l'aide humanitaire est chargé depuis septembre 2021 d'assurer la coordination entre ces différents outils avec un référent du CDCS présent à Beyrouth. La bonne articulation de l'« Équipe France » au Liban a également été citée en exemple aux rapporteurs lors de l'audition de l'Agence française de développement. De même, la Cour des comptes, dans son audit flash sur l'aide de l'État au Liban, n'a relevé aucun défaut de coordination dans l'action humanitaire de la France sur place44(*).

Toutefois, si sur le terrain et dans un contexte de crise, l'articulation de l'aide alimentaire de la France paraît poser peu de difficulté, la coordination et l'orientation stratégique de cette aide au niveau centrale est moins évidente.

b) Au niveau central, une meilleure coordination doit être recherchée entre ces différents outils

Au niveau central, la coordination entre les différents instruments concourant à l'aide alimentaire de la France paraît pour le moins perfectible.

La dispersion de l'aide alimentaire française entre les trois instruments principaux (AAP, FUHS, CVNU), voire quatre en incluant le Fonds Minka, implique un éclatement de leur gestion entre différents services (DGM, CDCS et NUOI).

Au niveau central, le pilotage de l'aide alimentaire programmée était, jusqu'il y a peu, assurée par le comité interministériel de l'aide alimentaire (CIAA). Selon la décision interministérielle du 12 juillet 2004, la mission de ce comité était « d'assurer la cohérence de l'aide alimentaire française avec des engagements pris dans différentes enceintes internationales et européennes, avec les actions d'appui au développement agricole et à la sécurité alimentaire qui impliquent plusieurs institutions publiques ». Le CIAA était composé des services concernés du MEAE (DGM, CDCS, NUOI, divisions géographiques), du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (direction générale du Trésor) et, suite aux recommandations du premier rapport d'évaluation de l'AAP en 2008, de l'AFD.

Concrètement, le rôle du CIAA revenait, dans le cadre du déroulement des projets de l'AAP à approuver les projets remontés par les ambassades et arbitrés au sein de la sous-direction HUMA. Les différents services du MEAE interrogés par les rapporteurs spéciaux ont indiqué lors de leurs auditions que cette instance était devenue une chambre d'enregistrement peu investie par ses membres.

À l'inverse de la mission d'évaluation de l'AAP qui recommandait de revitaliser le CIAA, le MEAE a tiré de ce constat la conclusion que ce format n'était plus adapté. Par décision du cabinet de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 27 juin 2023, le comité interministériel, qui n'était encadré par aucun texte réglementaire, a été supprimé.

Le rôle d'arbitrage du CIAA est désormais dévolu à une « consultation interservices » associant, outre la sous-direction HUMA chargée de l'AAP, les directions géographiques, NUOI et le CDCS. Par ailleurs, interrogés sur la suppression du CIAA, les administrations auditionnées ont mis en avant la récente « Task Force humanitaire » créée pour coordonner les trois outils de l'aide humanitaire française. La task force se réunit tous les trois mois et est animée par le CDCS, chef de file de l'aide humanitaire.

S'ils trouvent surprenant de la part du ministère de prendre le contrepied d'une évaluation réalisée à sa demande, vos rapporteurs partagent le souci de rationalisation et de simplification des instances interministérielles peu utilisées. Cette évolution appelle toutefois deux remarques.

En premier lieu, il paraît indispensable que les nouveaux cadres d'échanges interservices fonctionnent effectivement. L'éclatement de l'aide alimentaire en trois instruments et le maintien d'un outil spécifiquement dédié comme l'AAP n'est envisageable que si la coordination entre services est réelle.

En second lieu, ce nouveau format traduit un double recentrage de l'aide alimentaire sur l'aide humanitaire et sur le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. En centrant les instances de coordination tant de l'aide alimentaire que de l'aide humanitaire sur les services du ministère, le dialogue avec l'AFD s'en trouve affaibli. Or, au travers du Fonds Minka, les interventions de l'AFD dans les zones de crises sont croissantes. Si les décisions prises au sein du CIAA faisaient certes l'objet de peu de discussion, ce format présentait a minima l'avantage d'harmoniser les positions françaises en matière d'aide alimentaire.

Ce choix est d'autant plus surprenant que l'AFD est généralement associée aux « task forces » de réponse à des crises humanitaires soudaines et se coordonne, sur le terrain, avec les attachés humanitaires et SCAC. Si cette exclusion ne signifie pas une absence de dialogue entre les directions de l'AFD et les services du MEAE, elle illustre toutefois un faible dialogue stratégique entre l'Agence et le ministère pour fixer les orientations de l'aide humanitaire et plus spécifiquement de l'aide alimentaire.

De même, il paraît nécessaire que les organismes de la société civile puissent être mieux associées à la définition des priorités annuelles de la politique d'aide alimentaire.

Recommandation n° 8 : Assurer, au niveau de l'administration centrale, une véritable coordination de l'aide alimentaire associant le groupe AFD et ses filiales et prévoir une consultation annuelle des organismes de la société civile (MEAE, AFD).

2. Les efforts engagés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères en matière de gestion et d'évaluation des projets devraient être prolongés et systématisés

L'accroissement significatif de l'aide alimentaire portée par les outils d'aide humanitaire de la France ne s'est pas accompagnée d'un alignement suffisant des moyens, en interne, pour assurer la gestion et le suivi de ces crédits.

Au sein de la direction générale de la mondialisation, les équipes de la sous-direction HUMA affectées au suivi de l'aide alimentaire programmée restent peu nombreuses. Entre 2017 et 2022, seulement 1,5 équivalents temps plein travaillés (ETPT) instruisaient et suivaient les projets AAP. Suite aux rapports d'évaluation de la Stratégie humanitaire 2018-2022 puis de l'aide alimentaire programmée, le DGM a procédé, en juillet 2023, au recrutement d'un ETP chargé du suivi, de l'évaluation et du processus de capitalisation des projets d'AAP. Ce chargé de mission est également affecté à des missions de communication. Un autre recrutement, sur un poste similaire serait envisagé par le ministère45(*).

Du côté du CDCS, sur la période 2017-2022 et alors que l'enveloppe du FUHS avait été multiplié par plus de six, les créations de postes se sont limitées à deux ETP. Le centre de crise s'est toutefois étoffé par la création en son sein d'une cellule d'audit et d'évaluation et d'une unité de gestion administrative et financière, chargées des questions d'évaluation et de redevabilité.

Au niveau des postes, la pratique de désignation d'un attaché humanitaire au sein des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des pays plus vulnérables permet d'appuyer le suivi de l'aide alimentaire réalisé au niveau central, de coordonner le déploiement de l'aide au niveau local et de fluidifier la communication avec les acteurs humanitaires sur le terrain. Le MEAE a également procédé à des créations de postes plus spécifiques comme l'adjonction d'un poste de conseiller politique chargé du PAM au sein de la représentation permanente de la France auprès des organisations spécialisées de l'ONU à Rome.

Ces recrutements ont certes permis de renforcer la gestion de l'aide alimentaire française au sein du MEAE. Pour autant, il n'est pas certain que cette progression limitée du nombre de personnels soit suffisante compte tenu du bondissement des crédits. La taille des effectifs a une incidence sur la mise en oeuvre et le suivi des projets. Des ressources humaines plus limités peuvent conduire à financer un nombre moins important de projets tout en augmentant leur taille et leur champ d'intervention géographique. Le suivi de redevabilité de ces projets peut également s'avérer moins poussé. Un palliatif à cette réduction des effectifs consiste à intervenir de manière plus fréquente au travers d'opérateurs, notamment les organisations internationales, et à faire reporter sur ces institutions la charge du contrôle et de l'audit.

À titre de comparaison46(*), au Royaume-Uni, le Foreign, Commonwealth and Development Office (FDCO)47(*) dispose d'une équipe de 15 personnes dédiée au suivi de l'aide humanitaire au niveau central et pouvant s'appuyer sur des équipes dédiées au sein des postes diplomatiques. Au Danemark, l'ensemble des moyens humains consacrés à l'aide humanitaire regroupent 25 à 30 personnes.

Si vos rapporteurs ne recommandent pas nécessairement une augmentation des effectifs chargés de l'aide alimentaire, au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, il apparaît tout le moins souhaitable de mieux évaluer l'adéquation des moyens humains avec les besoins exprimés au regard de la croissance continue de cette politique. Si nécessaire, il pourrait être envisagé de prévoir l'affectation d'une partie des créations de postes annoncées au sein du MEAE sur les missions liées à l'aide alimentaire. La conclusion des États généraux de la diplomatie en mars 2023 a en effet conduit à l'annonce de la création de 700 ETP au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères d'ici à 2027.

Recommandation n° 9 : Évaluer les besoins en ressources humaines, au niveau central comme dans les postes diplomatiques, et transcrire les recrutements éventuels dans la programmation des 700 nouveaux ETP prévus au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères d'ici à 2027 (MEAE, DGM, CDCS).

Au-delà de la problématique des moyens humains, le Quai d'Orsay a engagé un effort de renforcement de l'évaluation de son aide alimentaire.

Comme indiqué supra, le ministère a commandé au cabinet de conseil Technopolis Group, en 2021 puis en 2023, deux évaluations consécutives du Fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation et de l'aide alimentaire programmée. Dans le prolongement de l'évaluation des instruments, le ministère a lancé une mission d'évaluation, confiée au cabinet ITAR, d'une grappe de 27 projets AAP. Selon le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ces évaluations visent à définir des indicateurs d'évaluation et de suivi pertinents pour les projets futurs afin de standardiser les procédures applicables aux projets AAP.

3. Les instruments d'aide d'urgence et d'aide au développement apparaissent peu coordonnés en matière de sécurité alimentaire
a) Une coordination discrète entre l'aide d'urgence et l'aide au développement en matière de sécurité alimentaire

Au-delà de la seule question de l'aide alimentaire, l'articulation entre l'aide humanitaire et l'aide au développement demeure l'un des points d'amélioration de notre politique d'APD. Les différents textes et documents formant la doctrine française en la matière, notamment la loi de programmation du 4 août 2021 et la stratégie humanitaire, fixent un objectif de meilleure coopération entre les outils d'urgence et de développement, dans une logique dite de « nexus ». Il est ainsi convenu qu'en matière de sécurité alimentaire, une aide d'urgence ne peut traiter les problématiques de sous-alimentation qu'à court terme. L'aide au développement doit intervenir pour traiter les causes structurelles de l'insécurité alimentaire.

Pour autant, l'évaluation de la précédente stratégie humanitaire de la République française estime que cette logique de nexus humanitaire-développement a fait l'objet d'une « pratique discrète » au cours des dernières années.

L'instrument d'aide alimentaire programmée est pourtant conçu comme un intermédiaire entre urgence et développement. Intervenant dans un contexte post-crises, il est censé se positionner en amont des interventions d'acteurs du développement comme l'AFD. Or, l'évaluation de l'AAP comme celle du FUHS relèvent qu'il existe peu d'exemples d'articulations entre des projets d'aide alimentaire gérés par l'un de ces instruments et l'action de l'AFD en matière de sécurité alimentaire.

La mise en oeuvre des conseils locaux de développement (CLD), qui associent les équipes des ambassades avec les bureaux de l'AFD et d'Expertise France sur le terrain, est identifiée comme un levier pour faire progresser l'articulation entre urgence et développement. Vos rapporteurs seront attentifs, à l'avenir, à ce que les CLD soient réellement mobilisés en ce sens.

b) Or, au-delà de l'aide alimentaire d'urgence et de stabilisation, les instruments d'aide au développement permettent de renforcer la sécurité alimentaire

Les actions d'aide au développement en matière d'alimentation et d'agriculture, qui sortent du champ de l'aide alimentaire au sens strict, interviennent sur les causes structurelles de l'insécurité alimentaire. À cet égard, les différents acteurs de la politique de développement mènent des interventions sur ces thématiques.

En premier lieu, l'AFD intervient, au-delà du Fonds Minka, sur le moyen et long terme en matière de sécurité alimentaire. La doctrine de l'AFD en la matière est fixée par le cadre d'intervention sectoriel « Agriculture, développement rural et biodiversité »48(*). Son action repose sur trois objectifs : contribuer aux transitions productives et écologiques ; soutenir des territoires ruraux solidaires, inclusifs et résilients ; promouvoir des institutions et politiques favorables aux transitions écologiques productives et territoriales.

Sur la période 2013-2023, l'AFD a engagé un total de 4,4 milliards d'euros pour la sécurité alimentaire, en suivant une évolution croissante depuis 2014. Les engagements annuels de l'Agence dans le secteur de l'agriculture et de la sécurité alimentaire sont de l'ordre de 400 à 500 millions d'euros. Ainsi, 497 millions d'euros ont été engagés en 2023 pour financer de nouveaux projets, dont 256 millions d'euros en Afrique. La majorité de ces financements, soit 260 millions d'euros, ont été versés sous forme de subventions.

L'AFD entretient un partenariat suivi avec le Fonds international de développement agricole. Les deux institutions financières ont ainsi renouvelé en juillet 2021, un accord de partenariat pour une durée de trois ans. La coopération entre AFD et FIDA se traduit sur le plan opérationnel par des co-financements, sous formes de prêts ou de subventions, dans plusieurs États en développement. L'AFD participe également au financement du FIDA, au travers de prêts ciblés sur des objectifs précis.

En second lieu, l'activité d'Expertise France promeut une « agriculture au service de systèmes alimentaires durables, permettant d'améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle »49(*). Si l'aide alimentaire au sens strict, portée par le pôle stabilisation d'Expertise France, ne représente que 2 à 3 % de son activité, les projets concernant l'agriculture regroupent près de 12 % des financements mis en oeuvre par l'agence. Cette proportion correspond à un total de 53,8 millions d'euros de projets en cours, portés pour moitié sur fonds européens et pour moitié sur financement de l'AFD.

Les instituts de recherche français au service de la sécurité alimentaire

Les instituts de recherche français participent à l'effort d'aide au développement en matière de sécurité alimentaire.

D'une part, les deux instituts de recherche en développement, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD), s'investissent particulièrement dans le développement agricole. Ces deux instituts sont placés sous la double tutelle du ministère de l'enseignement et de la recherche et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

D'autre part, l'Institut national de la recherche agronomique (INRAE), dépendant du ministère de l'enseignement et de la recherche et du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, s'est investi depuis 2021 dans les thématiques de développement. Cette mobilisation lui a permis se positionner sur l'appui technique aux politiques publiques, au travers d'une expertise reconnue en modélisation et en prospective alimentaire.

Ces trois instituts coopèrent sur des projets conjoints relevant des thématiques d'alimentation et de nutrition avec les organisations internationales. Ils sont par exemple engagés tous les trois dans le plan d'action « Une seule santé » au sein de l'initiative internationale PREZODE sur la prévention de l'émergence de zoonoses. Les trois instituts ont également signé en 2022 avec la FAO un protocole d'accord pour la période 2022-2027 portant sur la transformation des systèmes agricoles et alimentaires.

Au sein de la représentation permanent de la France à Rome, un conseiller scientifique représente le CIRAD, INRAE et l'IRD et aide au développement de la coopération entre les autres acteurs de recherche (IFREMER, ANSES, Instituts Pasteurs, CNES) et les agences onusiennes. Il s'assure également de la participation des chercheurs français aux Coalitions issues du sommet onusien des systèmes alimentaires dans lesquelles la France est particulièrement impliquée.

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire de contrôle


* 33 Technopolis Group, Évaluation du Fonds d'urgence humanitaire 2015-2018, rapport final, août 2020.

* 34 Technopolis Group, Évaluation de l'aide alimentaire programmée du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, rapport final d'évaluation, mars 2023.

* 35 Rapport annuel de performances, Annexe au projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour 2023, Programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ».

* 36 Sonia Rahal, « Le Triple Nexus à l'épreuve du terrain : humanitaire-développement-paix », Conférence Nationale Humanitaire du 17 décembre 2020.

* 37 Direction générale de la Coopération internationale et du Développement, Évaluation de l'aide alimentaire programmée, mai 2008.

* 38 Groupe URD, Revue stratégique, « Bilan des engagements de la stratégie humanitaire de la République française 2018-2022 : une aide humanitaire plus efficace face aux crises de demain ? », janvier 2023.

* 39 Technopolis Group, Évaluation du Fonds d'urgence humanitaire 2015-2018, rapport final, août 2020.

* 40 Technopolis Group, Évaluation de l'aide alimentaire programmée du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, rapport final d'évaluation, mars 2023.

* 41 Audition conjointe d'ACTED et Action contre la Faim.

* 42 Technopolis Group, Évaluation de l'aide alimentaire programmée du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, rapport final d'évaluation, mars 2023.

* 43 Audition d'Expertise France.

* 44 Cour des comptes, L'aide apportée par l'État au Liban depuis 2020. Exercices 2020-2022, audit flash, juin 2023.

* 45 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, Réponses aux recommandations issues de l'évaluation de l'aide alimentaire programmée, février 2024.

* 46 Source : réponse au questionnaire de contrôle.

* 47 Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth.

* 48 Agence française de développement, Cadre sectoriel d'intervention « Agriculture, développement rural et biodiversité », 2022.

* 49 Réponses au questionnaire de contrôle.

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