AVANT PROPOS

Alors que les politiques de santé publique et l'organisation de l'offre de soins avaient permis d'atteindre, au début du XXIe siècle, de très bons résultats en matière de santé périnatale, la France connaît un décrochage marqué depuis plus d'une dizaine d'années par rapport à ses voisins européens. Ainsi, les principaux indicateurs de santé publique ne progressent plus, voire se dégradent : la France se classe désormais 20e sur 28 concernant les taux de mortinatalité (enfants nés sans vie) et 22e s'agissant des taux de mortalité infantile (enfants décédés dans leur première année de vie). Dans le même temps, la natalité diminue et se concentre davantage sur les territoires urbains.

C'est notamment dans ce contexte que l'Académie de médecine a publié en 2023 un rapport au retentissement médiatique important, dans lequel elle appelait à une urgente réforme de la planification en matière de périnatalité. Parfois mal compris, ce rapport a suscité une vive inquiétude sur l'état de l'offre de soins périnatals et la soutenabilité de structures souvent désignées comme de « petites maternités ».

Devant cette forte préoccupation, le groupe du Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE) a souhaité consacrer son droit de tirage annuel à une mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale.

La santé périnatale couvre une période définie de la santé de la mère et de l'enfant : au sens de l'organisation mondiale de la santé, elle s'étend de la 28e semaine de grossesse au 7e jour du nouveau-né. Plus globalement, elle désigne l'état de santé de la femme enceinte, du foetus et du nouveau-né au cours de la période qui va de la grossesse au post-partum, voire au premier anniversaire de l'enfant.

Cette politique de santé publique fait intervenir de nombreux professionnels de santé, médicaux et non médicaux - gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres, généralistes, sages-femmes, infirmières - à l'hôpital mais aussi en ville et dans les services de protection maternelle et infantile (PMI). La mission a eu à coeur de les interroger, par l'intermédiaire de leurs communautés scientifiques comme de leurs représentants institutionnels et syndicaux, ou encore directement sur le terrain.

Surtout, la santé périnatale est souvent analysée sous l'angle d'une tension indépassable entre proximité et sécurité des soins, opposant donc de manière sous-jacente une politique d'aménagement du territoire à une politique de santé publique. À cette question, la mission a entendu apporter une réponse rationnelle et fondée sur une approche de santé publique : c'est sous cet angle que doivent être analysés les établissements et services de santé périnatals, au premier rang desquels les maternités. C'est pourquoi la mission s'est attachée à rendre visible le consensus médical et scientifique autour de ces enjeux, à travers de nombreuses auditions d'autorités sanitaires et de sociétés savantes.

Pour autant, alors qu'une partie des soins périnatals et particulièrement l'acte de l'accouchement peuvent être urgents et non programmés, l'organisation territoriale de l'offre de soins est indispensable. En outre, tout au long de la grossesse et dans les jours et mois qui suivent l'accouchement, les femmes et les familles doivent pouvoir accéder, au plus près de leur domicile et de leur quotidien de vie, à des professionnels de santé et à un accompagnement dans les soins à apporter à leur enfant. Il s'agit là d'un enjeu d'équité sociale et territoriale. C'est pourquoi, tant dans ses auditions au Sénat qu'à travers des déplacements, la mission a souhaité donner la parole à des acteurs locaux, institutionnels, soignants ou encore élus de quasiment toutes les régions de France hexagonale, des Hauts-de-France à l'Occitanie, de la Normandie à l'Auvergne-Rhône-Alpes, en passant par la Bourgogne-Franche-Comté, quand deux tables rondes ont été consacrées aux enjeux et spécificités des outre-mer avec la Guadeloupe et Mayotte.

Enfin, au-delà des acteurs institutionnels, politiques et scientifiques et de la communauté médicale et soignante, la mission a entendu valoriser plus directement la parole des principales concernées que sont les femmes. Au-delà d'auditions d'associations de patientes ou encore de journalistes et relais des témoignages de mères, la mission a ainsi commandé, à un institut professionnel indépendant, une étude d'opinion sur la perception des femmes quant à leur prise en charge durant leur grossesse et leur accouchement.

Après un semestre de travail, trente-deux auditions et trois déplacements, en Île-de-France, dans le Grand-Est et en Bretagne, le rapport présenté par la rapporteure et les seize recommandations formulées appellent à apporter une réponse organisée et assumée à une question de santé publique aujourd'hui laissée de côté.

Pas plus qu'il n'est acceptable de se contenter des résultats actuels en matière de mortalité maternelle et infantile, il n'est possible d'éviter la question d'une reconfiguration profonde de l'organisation des soins périnatals dans notre pays. Ne pas recalibrer les ratios d'encadrement des secteurs de naissance ou encore ignorer la situation de fait préoccupante pour nombre de maternités face aux risques de fermetures non anticipées ne fait que fragiliser encore davantage l'offre de soins et, en définitive, augmenter les risques pour les femmes et leurs enfants à naître.

En responsabilité et face à une réalité incontournable, sans résignation aucune, la mission a ainsi souscrit à la nécessité d'intervenir sur les différents aspects de la santé périnatale, avec un nécessaire renforcement du suivi en proximité durant la grossesse et après la naissance, d'une part, et une sécurisation accrue de l'accouchement, d'autre part.

Enfin, sans que le rapport n'aborde plus en détail cette question, la mission a fait le constat persistant, au fil des auditions, d'une politique publique sans pilote. Si la santé périnatale fait intervenir les collectivités territoriales et en particulier les départements au titre de la protection maternelle et infantile, elle est avant tout, comme toute politique de santé, une prérogative de l'État. Or faute d'arbitrages, de volonté ou de courage politique, ce sujet a été par trop délaissé.

La mission partage à ce titre la recommandation souvent relayée, d'une véritable stratégie nationale de santé périnatale. Celle-ci doit s'appuyer principalement sur des organes de dialogue et de pilotage partagés, au niveau national comme au niveau territorial, rôle qu'assumaient les commissions des naissances que la mission souhaite voir rétablies.

Recommandation n° 1 : Assurer un véritable pilotage de la politique de périnatalité, en adoptant une stratégie nationale de santé périnatale et en rétablissant les commissions nationale et régionales des naissances.

Alors que la Cour des comptes mettait récemment en avant une politique de périnatalité peu efficiente, qualifiant même de « médiocres » les résultats d'une dépense publique avoisinant les 9,3 milliards d'euros, la mission souhaite que ce rapport marque le retour d'une ambition politique forte pour la santé périnatale, au bénéfice de l'accessibilité, de la sécurité et de la qualité des soins pour toutes et tous sur l'ensemble du territoire.

I. UN TABLEAU CLINIQUE ALARMANT

Si la situation française a longtemps été l'une des plus favorables d'Europe en matière de santé périnatale, l'absence d'amélioration voire la dégradation des indicateurs de santé publique placent aujourd'hui la France parmi les mauvais élèves. Valable pour la quasi-totalité du territoire national, ce constat est encore plus marqué dans certaines régions, singulièrement celles d'outre-mer, mais aussi, dans l'Hexagone, dans des zones urbaines concentrant une plus importante population précaire comme dans des départements ruraux.

L'analyse de ce tableau clinique, au niveau national comme dans ses déclinaisons régionales et départementales, se heurte à un déficit d'études nationales d'ampleur, permettant de croiser les indicateurs de santé périnatale (mortalité, mais aussi pathologies et complications graves), avec les données médicales et socio-démographiques des patients et les caractéristiques de l'établissement de santé les ayant pris en charge.

A. DES INDICATEURS DE SANTÉ PUBLIQUE DÉGRADÉS

Depuis une vingtaine d'années, les taux de mortalité néonatale, infantile et maternelle - principaux indicateurs de la santé périnatale - ne s'améliorent plus voire se dégradent, bien au-dessus des taux affichés par les pays du nord de l'Europe. Ainsi, aujourd'hui en France, après six mois de grossesse, un bébé sur cent naît sans vie ou décède au cours de ses sept premiers jours de vie.

Au-delà des indicateurs de mortalité, la fragilité de la santé physique comme mentale des mères et des nouveau-nés, en particulier les prématurés, appelle une vigilance accrue. La période périnatale et plus globalement les premiers jours de l'enfant, de la vie intra-utérine jusqu'à l'âge de deux ans, représentent une période déterminante pour la santé de l'individu, dans l'enfance et jusqu'à l'âge adulte, ce que le programme des 1 000 premiers jours, lancé en 2019, met bien en avant.

1. Une proportion d'enfants nés sans vie ou décédés au cours de leur première année de vie qui ne diminue plus voire augmente
a) Un taux de mortinatalité parmi les plus élevés d'Europe

Le taux de mortalité périnatale - à savoir le nombre d'enfants nés sans vie ou décédés au cours des sept premiers jours de vie rapporté à l'ensemble des naissances à partir de 22 semaines d'aménorrhée (SA) - représente environ 1 % des naissances en France depuis une dizaine d'années selon la Drees1(*).

Son principal composant est le taux de mortinatalité, qui y contribue à hauteur de 85 %. Il correspond à la proportion d'enfants nés sans vie, par mort foetale spontanée ou interruption médicale de grossesse (IMG), après 22 semaines d'aménorrhée - seuil de viabilité foetale fixé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Ce taux de mortinatalité s'est stabilisé à un niveau élevé depuis une dizaine d'années, entre 8,8 et 8,9 %o. Si le taux d'IMG (mortalité induite) a légèrement diminué, passant de 3,7 en 2012 à 3,4 %o en 2022, la mortalité spontanée a légèrement augmenté, représentant 5,4 décès pour mille naissances en 2022. Le taux de mortinatalité spontanée est deux fois plus élevé pour les femmes âgées de 40 ans ou plus que pour celles âgées de 30 à 34 ans et est près de quatre fois plus élevé dans le cas d'une grossesse multiple.

En comparaison européenne, la France se classe au 21e rang sur les 28 pays participant au projet Eurostat, avec une mortinatalité spontanée à partir de 24 semaines d'aménorrhée - l'indicateur utilisé pour les comparaisons internationales - de 3,8 %o en moyenne sur la période 2015-2019.

Taux moyen de mortinatalité spontanée (enfants nés sans vie après 24 SA)
pour 1 000 naissances entre 2015 et 2019

Source : carte réalisée par la mission d'information sur la santé périnatale à partir de données d'Eurostat

Les statistiques sur la mortinatalité n'incluent pas les interruptions spontanées de grossesse avant 22 semaines d'aménorrhées, à savoir les expulsions spontanées d'un embryon ou d'un foetus non viable pesant moins de 500 grammes, communément appelées « fausses couches », et les grossesses arrêtées précocement, sans expulsion spontanée. Ces interruptions précoces et spontanées concernent environ 15 % des grossesses.

En outre, les déclarations des enfants nés sans vie à l'état civil sont inégales car elles dépendent du souhait des parents - et non d'une borne physiologique et médicale autorisant la déclaration de l'enfant comme dans la plupart des pays.

b) Une augmentation de la mortalité infantile, en particulier au cours des premières semaines de vie
(1) Un taux de mortalité infantile en augmentation et parmi les plus mauvais d'Europe

Le taux de mortalité infantile - à savoir le nombre de décès d'enfants de moins d'un an rapport au nombre de naissances vivantes - a nettement baissé au cours du XXe siècle et jusque dans les années 2000 en lien avec la généralisation de la vaccination et des antibiotiques, un développement des dépistages prénatals et une amélioration de la prise en charge des nouveau-nés prématurés et vulnérables.

Cependant, en France, le taux de mortalité infantile ne diminue plus depuis 2005, fluctuant entre 3,5 et 4 %o. Il augmente même légèrement depuis 2014. Une étude publiée dans The Lancet en 20222(*), analysant la mortalité infantile entre 2001 et 2019, montre que, depuis 2012, les morts de nourrisson de moins d'un an augmentent au rythme de 0,04 mort pour 1 000 naissances vivantes par an.

En 2023, 2 700 enfants sont décédés avant leur premier anniversaire. Cette même année, 678 000 enfants sont nés, soit un taux de mortalité infantile de 4 décès pour 1 000 naissances vivantes.

Taux de mortalité infantile pour 1 000 enfants nés vivants
dans l'Union européenne entre 1996 et 2022

Champ : naissances vivantes dans l'Union européenne à 27 pays, France hors Mayotte jusqu'en 2013 et France à partir de 2014.

Source : Eurostat, Insee, estimations de population et statistiques d'état civil

Le taux de mortalité infantile, qui était l'un des plus bas d'Europe à la fin du XXe siècle, est supérieur à la moyenne européenne depuis 2015, alors même que les facteurs de risque ont augmenté dans tous les pays. Selon les données Eurostat de 2022, la France occupe la 22e place de l'Union européenne en la matière, avec 4,0 morts pour 1 000 naissances vivantes, loin derrière la Suède (2,2), la Finlande (2,0), l'Italie (2,3) ou l'Espagne (2,6). En extrapolant, la France enregistrerait chaque année 1 000 à 1 200 décès indus de nouveau-nés liés à l'écart existant par rapport aux taux de mortalité des pays du Nord de l'Europe.

Taux de mortalité infantile en 2022

Source : carte réalisée par la mission d'information sur la santé périnatale à partir de données d'Eurostat

Selon l'étude du Lancet précitée, la hausse de la mortalité infantile est particulièrement marquée la première semaine de vie. Entre 2001 et 2019, 53 077 enfants n'ont pas vécu plus d'une année. Presque la moitié de ces morts (47,8 %) sont survenues pendant la période néonatale précoce, la première semaine de vie, en grande partie le premier jour (24 %). Les autres décès se répartissent entre la période néonatale tardive, le premier mois (20,8 %), et la période post-néonatale (31,8 %).

(2) Une surmortalité au cours du premier mois de vie qui concerne à la fois les situations à bas risque et celles à haut risque

Les travaux de l'équipe EPOPé3(*), dont plusieurs membres ont été entendus par la mission, montrent que la surmortalité néonatale, au cours du premier mois de vie, en France, se manifeste à la fois dans les situations à bas risque et à haut risque.

S'agissant des situations à haut risque, le taux de mortalité néonatale des extrêmes prématurités - nés à moins de 28 SA, soit moins de 1 % des nouveau-nés - est supérieur à celui des autres pays européens. A 22 SA le taux de survie est de 0 % en France contre 30 % en Suède et à 24 SA de 31 % contre 79 %. Ce constat doit être nuancé par le fait qu'en France les nouveau-nés sont plus souvent déclarés nés vivants et décédés que mort-nés. Les chercheurs d'EPOPé font l'hypothèse d'un lien entre ces taux plus défavorables et :

- d'une part, une prise en charge moins systématique des extrêmes prématurés en France ;

- mais aussi, d'autre part, une offre de soins de réanimation néonatale insuffisante et mal répartie sur le territoire. Plusieurs rapports4(*) montrent qu'une taille plus importante des unités de réanimation néonatale est liée à une morbi-mortalité plus faible pour les enfants grands prématurés.

Le taux de mortalité néonatale en cas d'accouchement à terme, dans une situation de bas risque théorique, est également supérieur aux autres pays européens. Lors de leur audition, les chercheurs d'EPOPé ont déploré le manque d'études sur la morbi-mortalité des nouveau-nés à bas risque et sur l'impact éventuel des évolutions de l'organisation des soins, qui permettraient d'analyser ce phénomène.

Sans que des études permettent de la mesurer précisément et de façon univoque, l'épidémiologiste Pierre-Yves Ancel a estimé que « cette surmortalité est sans doute évitable, car elle semble découler de soins sous optimaux et d'un défaut d'organisation des soins »5(*). Il a mis en avant les difficultés à assurer la triple permanence des soins en obstétrique, pédiatrie et anesthésie dans un contexte de ressources humaines et de temps médical limités, le recours à l'intérim qui désorganise les équipes en place et les offres de soins récentes (maisons de naissance et accouchements à domicile) à évaluer. Le Pr Jean-Christophe Rozé, président de la société française de néonatalogie, déclarait quant à lui, de façon encore plus affirmative, que, « sur le bas risque, la mortalité est évitable, la problématique principale est celle de la permanence des soins »6(*).

Les chercheurs d'EPOPé ont également souligné devant la mission le rôle de l'augmentation des inégalités sociales de santé, avec une moins bonne santé maternelle, des comportements à risque et des parcours de soins inadéquats plus fréquents chez les femmes les moins favorisées, notamment celles d'origine étrangère.

(3) Des morts inattendues du nourrisson en partie évitables

Dans la période post-natale, entre 28 jours et un an, la « mort inattendue du nourrisson » - décès subit d'un enfant jusqu'alors bien portant, alors que rien dans ses antécédents connus ni dans l'histoire des faits ne pouvait le laisser prévoir - constitue la première circonstance de décès. Elle se produit le plus souvent durant son sommeil.

L'incidence de morts inattendues du nourrisson a diminué de 80 % en France depuis les années 1990, en lien avec la diffusion de recommandations pour un couchage sécurisé des nourrissons, la position de couchage sur le ventre ayant été identifiée comme le principal facteur de risque. Cependant, ces décès concernent encore environ 200 nourrissons chaque année, dont la moitié serait évitable selon le Pr Christèle Gras-Le Guen, co-présidente du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant7(*), notamment en lien avec un couchage inadapté (couchage sur le ventre, surfaces de couchage ou environnantes molles, partage de la surface de couchage avec une autre personne).

Une étude récente8(*) a examiné les images présentes sur les emballages de couches pour bébés dans 11 pays européens dont la France et montré que 39 % des paquets étaient non conformes avec au moins une recommandation de prévention de la mort subite du nourrisson. Elle a également trouvé des images non conformes sur les sites internet d'agences sanitaires ou de sociétés savantes. Des marges d'amélioration manifestes existent donc pour renforcer la prévention autour de pratiques de couchage sécurisées et diminuer le nombre de décès induits par ces pratiques.

2. Un nombre élevé de nouveau-nés prématurés ou à la santé fragile
a) Des nouveau-nés qui naissent de plus en plus précocement

55 000 enfants naissent prématurément (avant 37 SA) en France chaque année, dont 15 % de grands prématurés (avant 32 SA) et 5 % d'extrêmes prématurés (avant 28 SA).

Le taux de prématurité a augmenté entre 1995 et 2016, passant de 5,4 % des naissances en 1995 à 7 % en 2016. Il est désormais stable : 6,6 % des naissances en France hexagonale et 10 % dans les Drom en 2022. En revanche, le taux d'extrême prématurité (avant 28 SA) est en hausse, autour de 0,35 % des naissances. Par ailleurs, la prématurité concerne plus de la moitié des grossesses multiples.

Environ 70 % des naissances prématurées sont spontanées, liées à des contractions précoces ou à une rupture prématurée des membranes foetales. Les autres naissances prématurées sont provoquées sur décision médicale en raison d'un risque majeur pour la santé de l'enfant ou de la mère et ont le plus souvent lieu par césarienne.

L'augmentation de la prématurité peut s'expliquer par une augmentation des facteurs de risque maternels et environnementaux conduisant à des accouchements précoces mais également par l'amélioration de la prise en charge médicale. La réanimation et l'intubation des nouveau-nés interviennent de plus en plus tôt : les nouveau-nés sont désormais pris en charge généralement à partir de 23 semaines d'aménorrhées et un poids de 500 grammes - le seuil n'étant pas fixe et la décision de réanimation prenant en compte divers facteurs. La prise en charge intervenait autour de 28 semaines il y a 40 ans.

Les maternités de type 3 sont ainsi amenées à prendre en charge davantage de nouveau-nés avec une prématurité parfois très importante ou avec des malformations, conduisant à une nette augmentation de la charge en soin, ainsi que l'a souligné le Pr Rémi Salomon, président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), président de la conférence nationale des présidents de CME de CHU, lors de son audition9(*).

b) Une amélioration des dépistages anténataux mais davantage de grossesses poursuivies en dépit de pathologies foetales graves

Les résultats de l'enquête nationale périnatale (ENP) de 202110(*) montrent une nette augmentation de certaines pratiques de dépistage et de prévention entre 2016 et 2021 (échographies non obligatoires, dépistage de la trisomie 21 et du diabète gestationnel, vaccination contre la grippe...), permettant un meilleur suivi de la santé du foetus, une prévention de certaines pathologies, une meilleure prise en charge médicale et une meilleure anticipation des difficultés éventuelles à la naissance.

Selon Santé publique France, la politique active de dépistage des anomalies congénitales et le nombre élevé d'interruptions de grossesses pour motif médical en France limitent le nombre de décès néonatals par anomalies congénitales sévères. Le nombre de couples accompagnés par les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) dans la prise de décision (IMG ou poursuite de grossesse) lorsqu'une malformation est détectée ou suspectée augmente de façon continue.

Cependant, alors que le nombre d'attestations de particulière gravité délivrées en vue d'une IMG est stable (environ 7 000 par an), le nombre de grossesses poursuivies avec une pathologie foetale grave qui aurait pu conduire à autoriser une IMG a augmenté, passant de 1 189 en 2014 à 1 903 en 2020. La moitié des grossesses concernées a abouti à une mort foetale in utero ou à une mortalité néonatale avant 28 jours.

Confirmant cette tendance, les praticiens de l'hôpital Robert Debré à Paris ont témoigné auprès de la mission d'un triplement du nombre de patientes refusant l'interruption de grossesse pour motif médical lorsque celle-ci est proposée du fait d'une affection grave, voire incurable, du foetus ou d'une mise en danger de la santé de la mère, vraisemblablement pour des raisons culturelles ou religieuses. Au sein de cet établissement, l'un des plus grands centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal de France avec plus de 2 000 dossiers chaque année, de plus en plus de patientes souhaitent poursuivre leur grossesse, conduisant l'hôpital à prendre en charge davantage de nouveau-nés avec des malformations graves.

Ce constat a été confirmé à la mission par le Dr Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes de Santé publique France11(*), qui estime que la baisse des IMG a probablement un impact sur les taux de prématurité, de mortinatalité et de mortalité néo-natale.

Pour autant, ce phénomène ne contribue que marginalement à la dégradation des indicateurs de santé périnatale et ne suffit pas à l'expliquer. La société française de néonatalogie estime ainsi qu'on ne peut considérer qu'il y a un transfert de la mortalité anténatale sur la mortalité post-natale.

c) Des conséquences à moyen et long terme en cas de prématurité ou de pathologies à la naissance

Les premières semaines de vie de l'enfant ont un impact majeur sur sa santé future. En particulier, la prématurité et le petit poids à la naissance (moins de 2 500 grammes) sont des facteurs de risque pour la santé ultérieure de l'enfant. Les enfants concernés sont plus à risque de décéder ou d'avoir un handicap physique, sensoriel, intellectuel ou cognitif, leurs organes - en particulier le cerveau, les poumons, le tube digestif et les yeux - étant encore immatures et fragiles. Ainsi, les enfants prématurés représentent 7 % des naissances mais 75 % de la mortalité néonatale et la moitié des handicaps d'origine périnatale. Ils ont également un risque plus élevé de souffrir de problèmes de puberté (retard pubertaire ou absence complète de puberté à l'adolescence) et d'infertilité à l'âge adulte.

Taux de survie et de pathologies néonatales graves
en fonction du stade de prématurité

 

Nombre de semaines d'aménorrhée (SA)

Taux de survie

Proportion d'enfants sortis de néonatalogie sans pathologie néonatale grave (morbidité sévère)

Stade de prématurité

Extrêmes prématurés

Avant 24 SA

1 %

0 %

24 SA

31 %

12 %

25 SA

59 %

30 %

26 SA

75 %

48 %

Grands prématurés

27-31 SA

94 %

81 %

Modérément prématurés

32-34 SA

99 %

97 %

Source : EPIPAGE-2, 2015 (étude portant sur 7 000 enfants nés prématurément en France en 2011)

Prévalence de troubles du développement modérés à sévères
à l'âge de cinq ans

Enfants nés
à terme

Prématurés
32-34 SA

Grands prématurés
27-31 SA

Extrêmes prématurés
24-26 SA

 
 
 
 

Source : Inserm, Prématurité : des bébés qui arrivent trop tôt, 2023

Afin d'assurer une meilleure prise en charge des enfants susceptibles de présenter une santé fragile et de limiter les conséquences à long terme, des programmes de prévention et de détection des pathologies pendant la grossesse et à la naissance sont mis en oeuvre.

Le programme national de dépistage néonatal concerne tous les nouveau-nés qui naissent en France. Il vise à détecter la surdité (à partir de tests auditifs) et des maladies rares, sévères et le plus souvent génétiques (à partir d'une goutte de sang séchée) qui peuvent avoir de graves conséquences si elles ne sont pas dépistées et prises en charge rapidement après la naissance. Outre la surdité, 13 maladies sont dépistées à ce jour. Selon la Haute Autorité de santé, leur nombre devrait être porté à 15 ou 16 en 2025, et davantage par la suite, en raison du développement de thérapies innovantes offrant de nouvelles perspectives pour de nombreuses pathologies à la condition d'une prise en charge précoce des patients. Certains pays européens dépistent d'ores et déjà une trentaine de pathologies.

Avant même la grossesse, des consultations préconceptionnelles peuvent permettre d'anticiper certaines difficultés liées à l'âge ou l'état de santé de la mère et de limiter le risque de développer certaines pathologies. Cependant ces consultations sont très rares. Lors de l'ENP 2021, seules 28 % des femmes (23 % dans les Hauts-de-France, 10 % dans les Drom) avaient pris de l'acide folique (vitamine B9) avant leur grossesse, alors que la prescription de cette vitamine est recommandée dès le projet de grossesse, en prévention des anomalies de fermeture du tube neural (AFTN).

d) Des disparités dans la prise en charge et le suivi des nouveau-nés vulnérables

La prise en charge des nouveau-nés vulnérables et en particulier des prématurés a largement bénéficié du développement des techniques de réanimation et d'assistance respiratoire et de traitements adaptés, ainsi que de l'orientation de ces enfants vers des maternités équipées de services de néonatalogie, voire de réanimation néonatale.

Des professionnels rencontrés par la rapporteure ont souligné le fait que le risque de handicap étant plus élevé en cas d'extrême prématurité, cela pouvait influer sur la décision de poursuivre ou non une réanimation sur un nouveau-né extrême prématuré (moins de 28 SA), en fonction parfois du regard que le médecin et les parents portent sur le handicap.

Par ailleurs, la prise en charge des nouveau-nés prématurés n'est pas uniforme sur tout le territoire et selon les établissements, certains étant précurseurs dans le développement de pratiques novatrices.

De plus en plus de services de néonatalogie mettent aujourd'hui en place des soins de développement avec le dispositif NIDCAP (Neonatal Individualized Developmental Care Assessment Program ou programme néonatal individualisé d'évaluation et de soins de développement) fondé sur une individualisation de la prise en charge, une limitation des stimuli sensoriels et une valorisation de la place des parents (zéro séparation, peau à peau, participation des parents aux soins, soutien à l'allaitement).

Sur le modèle suédois, onze services de néonatalogie expérimentent depuis 2022 des équipes mobiles de néonatalogie prenant en charge des nouveau-nés prématurés à domicile, permettant une sortie plus précoce d'hospitalisation et l'établissement facilité des liens parents-enfant.

À la sortie de la maternité, un suivi des nouveau-nés vulnérables est effectué au sein de certains établissements pour les enfants prématurés, ayant manqué d'oxygène à la naissance, avec des malformations cérébrales, dont la mère a consommé de l'alcool ou de la drogue pendant la grossesse, etc.

Ainsi, en Auvergne-Rhône-Alpes, le réseau Aurore a mis en place un réseau de suivi des nouveau-nés vulnérables, qui travaille en collaboration avec des médecins et des professionnels paramédicaux. Il compte une file active de 4 200 patients par an. De même, le dispositif expérimental Cocon en Occitanie organise un suivi des prématurés.

Lors de son audition par la mission, l'association SOS Préma a dénoncé l'absence de schéma clair et compréhensible, à l'échelle nationale, de la façon dont s'effectue le suivi d'un enfant vulnérable, qui conduit à des disparités entre régions et à des difficultés dans la continuité du suivi en cas de changement de région. Elle a également déploré le fait que les enfants avec une prématurité « légère », nés à plus de 7 mois de grossesse, ne font l'objet d'aucun suivi alors même qu'ils sont susceptibles de présenter des troubles du neurodéveloppement.

3. Des décès maternels et complications graves autour de la naissance encore trop fréquents

Si les décès maternels sont désormais rares - une centaine de femmes décédant chaque année au cours de sa grossesse ou dans l'année qui suit la fin de celle-ci - les complications et difficultés tant physiques que psychiques au cours de la grossesse, lors de l'accouchement ou en post-partum sont quant à elles fréquentes et constituent un véritable enjeu de santé publique.

Lors de leur audition12(*), les chercheurs de l'équipe EPOPé ont ainsi souligné la nécessité de se pencher sur le continuum de morbidité maternelle :

Near-miss maternel : morbidité maternelle grave, cas de complications graves où une action urgente a permis la survie de la patiente

Source : Mission d'information sur la santé périnatale

a) Des décès maternels rares mais majoritairement évitables

Les résultats de la dernière enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM), publiés par l'Inserm en avril 202413(*), font état de 272 morts maternelles survenues en France entre 2016 et 2018 pendant une grossesse ou dans l'année qui suit sa fin, soit 90 décès par an et 11,8 décès pour 100 000 naissances vivantes. Ce ratio de mortalité maternelle (RMM) n'augmente pas mais ne diminue pas non plus. Le ratio de mortalité maternelle limité à 42 jours après la fin de la grossesse - indicateur de référence à des fins de comparaisons internationales - s'élève à 8,5 pour 100 000 naissances, situant la France dans la moyenne des pays européens.

Les causes de décès maternels ont fortement évolué ces dernières années, en particulier en considérant l'ensemble des décès jusqu'à un an après l'accouchement. La mortalité par hémorragie du post-partum, longtemps première cause de décès, a diminué de moitié en quinze ans et ne représente plus que 12 % des décès à 42 jours et 8 % des décès à un an. Elle est désormais à un niveau stable mais dans la fourchette haute des pays européens. Les cas restants apparaissent souvent liés à une prise en charge chirurgicale inadaptée, comme l'a souligné le syndicat des gynécologues-obstétriciens lors de son audition.

Désormais, les suicides sont la première cause de mortalité maternelle à un an, tandis que les maladies cardiovasculaires sont la deuxième cause à un an et la première cause à 42 jours après l'accouchement, en lien avec une augmentation de l'âge et de l'obésité des parturientes mais aussi avec la possibilité de mener une grossesse à terme désormais offerte aux femmes ayant des pathologies cardiaques.

Principales causes de décès selon le moment de survenue de la complication

Source : 7e rapport de l'enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018

Selon le rapport ENCMM, au-delà des facteurs de risque individuels (âge, obésité, vulnérabilité sociale), 60 % des décès maternels sont considérés comme probablement ou possiblement évitables. Plus précisément, 95 % des décès par hémorragies et 79 % des suicides sont jugé évitables. Sont en cause une inadéquation des soins dispensés dans plus de la moitié des cas, un défaut d'organisation des soins pour 24 % des décès et un défaut d'interaction entre la femme et le système de soins pour 22 % des décès. Ainsi, une diminution supplémentaire de la mortalité maternelle, en agissant sur les décès évitables, est encore possible.

De même, lors d'une analyse par la Haute Autorité de santé14(*) de 269 événements indésirables graves associés à des soins (EIGS) survenus avant, pendant ou juste après l'accouchement entre 2017 et 2021, dont la moitié a donné lieu à des décès (110 enfants et 40 mères), la moitié de l'ensemble de ces EIGS ont été jugés évitables ou probablement évitables par les équipes elles-mêmes. Parmi les causes identifiées : un défaut ou retard de diagnostic (en particulier défaillance ou erreur d'interprétation du rythme cardiaque foetal), un défaut ou un retard de prise en charge (retard à la décision de pratiquer une césarienne, retards de prise en charge d'une hémorragie, défaut de surveillance et retard à la prise en charge de nouveau-nés...) et des erreurs médicamenteuses. Des difficultés liées aux tâches à accomplir (absence ou mauvaise connaissance des protocoles), à l'organisation des équipes (communication insuffisante entre professionnels, personnels non habituels) et à la charge de travail ont contribué à la survenue de 60 % des EIGS analysés.

b) Une souffrance psychique massive
(1) Une mère sur cinq et un père sur dix atteints de dépression périnatale

Le Dr Lucie Joly, responsable de l'unité de psychiatrie périnatale commune aux hôpitaux de La Pitié-Salpêtrière, Tenon et Armand-Trousseau (AP-HP), a souligné devant la mission l'incidence dramatique de troubles psychiques pendant la période périnatale, en lien avec des changements cérébraux et hormonaux tout au long de la grossesse, une rupture des rythmes de sommeil, de veille et d'alimentation des deux parents et des transitions conjugales et familiales pendant cette période.

L'immense majorité des femmes (60 à 80 %) traverse une période dite de « baby blues » causée par les bouleversements physiques, hormonaux et psychologiques liés à l'accouchement et qui se traduit par des fluctuations émotionnelles, une fatigue et une perte de confiance en soi. Ces symptômes sont transitoires, limités à quelques heures ou jours après l'accouchement et disparaissent généralement naturellement avec le soutien des proches et des soignants.

En revanche, si les symptômes s'installent dans la durée, s'aggravent et empêchent le développement de bonnes relations entre la mère et l'enfant, il ne s'agit plus d'un baby blues et il peut s'agir d'une dépression du post-partum. Cette maladie se caractérise par les symptômes suivants : manque d'énergie, difficultés à réaliser les tâches du quotidien et à s'occuper du bébé, profonde tristesse, perte de plaisir, pensées négatives, anxiété.

Si les troubles anxiodépressifs sont favorisés par divers facteurs de risques psychologiques, sociaux et environnementaux, le Dr Lucie Joly alerte : « la dépression périnatale peut également frapper comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, touchant des mères sans antécédents psychiatriques, après des grossesses sans complications et en l'absence de facteurs environnementaux ».

Environ 12,5 % des femmes enceintes déclarent une détresse psychologique dès leur grossesse15(*) et, deux mois après leur accouchement, 16,7 % des femmes sont atteintes de dépression du post-partum, selon la dernière enquête nationale périnatale de 2021.

Au total, près d'une mère sur cinq souffre de dépression périnatale, entre le début de la grossesse et l'année suivant son accouchement, avec un pic d'apparition des symptômes à six semaines de l'accouchement et trois mois après celui-ci.

Selon le Dr Romain Dugravier, pédopsychiatre, chef du Centre de psychopathologie périnatale (CPPB) du GHU Paris, 8 à 10 % des pères traversent également une dépression du post-partum au cours de la première année de vie de leur enfant. Les symptômes dépressifs sont souvent moins apparents chez les pères que chez les mères, se manifestent différemment et apparaissent plus tardivement, entre six et neuf mois après l'accouchement. Ils sont également plus fréquents lorsque la mère a connu un épisode de dépression périnatale.

Les risques d'anxiété et de dépression sont encore plus élevés chez les mères d'enfants prématurés - 40 % de dépression du post-partum selon l'association SOS Préma - et chez les parents confrontés au deuil périnatal.

Ces troubles anxiodépressifs, de même que le manque de sommeil, ont des conséquences sur l'établissement du lien parent-bébé, peuvent altérer le développement psychomoteur du nourrisson et augmentent le risque de carences, négligences, voire maltraitance (risque de bébé secoué en particulier).

En outre, lorsque la dépression du post-partum n'est pas correctement prise en charge, il existe un risque d'évolution vers un trouble dépressif chronique ou un trouble de l'humeur de type bipolaire.

(2) Le suicide, désormais première cause de décès maternel

Le suicide représente aujourd'hui la première cause de décès maternel dans l'année suivant l'accouchement. La comptabilisation des décès maternels, qui portait sur les 42 jours après l'accouchement, a en effet été étendue à l'année suivant l'accouchement.

Selon le 7e rapport de l'ENCMM, les suicides et causes psychiatriques de décès représentent 17 % des décès maternels dans l'année suivant l'accouchement, soit un décès maternel de cause psychiatrique toutes les trois semaines en France.

Une détérioration de la santé mentale des parents,
qui peut aller jusqu'au suicide

c) Des difficultés, complications et violences lors de la grossesse et de l'accouchement qui peuvent avoir des conséquences à long terme
(1) Davantage de grossesses à risque qui peuvent donner lieu à des complications

Selon le syndicat des gynécologues-obstétriciens et le syndicat Snphare des anesthésistes-réanimateurs16(*), il est de plus en plus difficile de prendre en charge les parturientes en raison d'une augmentation des facteurs de risque, en particulier l'âge, l'obésité et la vulnérabilité sociale. Ainsi, la prévalence du diabète gestationnel a plus que doublé entre 2010 (6,7 %) et 2021 (16,4 %), augmentant le risque d'issues défavorables tant chez la mère (césarienne, prééclampsie, éclampsie) que chez le nouveau-né (prématurité, macrosomie, détresse respiratoire).

En outre, de plus en plus de femmes qui par le passé n'auraient pu mener une grossesse à terme le peuvent désormais grâce aux progrès médicaux et à des traitements adaptés. Tel est le cas des femmes ayant eu une greffe de rein ou du foie, souffrant de cardiopathies ou ayant des troubles psychiatriques sévères par exemple. Le risque de maladies cardiovasculaires - deuxième cause de décès maternels à un an - est plus élevé chez les femmes porteuses d'une maladie cardiovasculaire préexistante ou ayant eu un désordre hypertensif de la grossesse. Un suivi renforcé de grossesse apparaît nécessaire pour ces femmes.

(2) De nombreux événements indésirables imprévus voire imprévisibles lors de l'accouchement

Nombre d'événements indésirables de santé maternelle qui se produisent lors de l'accouchement sont imprévisibles. Si les études manquent pour en livrer une analyse fine, les travaux de l'Inserm font apparaître des facteurs de risque individuels, ainsi que des facteurs de risque organisationnels ou liés à la qualité des soins.

Les hémorragies du post-partum, survenant de manière soudaine et inattendue, concernent environ 10 % des accouchements et sont sévères dans un tiers des cas. Le taux d'hémorragies sévères du post-partum a augmenté de manière nette entre 2016 (1,8 % des accouchements) et 2021 (3 %) sans que cette augmentation ne soit expliquée à ce stade. Par ailleurs, selon le syndicat Snphare, les hémorragies étant habituelles, elles ne sont pas systématiquement déclarées comme des événements indésirables graves.

Or, selon des travaux de l'Inserm17(*), le risque de prise en charge inadéquate de l'hémorragie du post-partum chez les femmes accouchant par voie basse est deux fois plus élevé dans une maternité de type 1 par rapport à une maternité de type 3. Ces différences semblent être liées aux différences d'encadrement et de personnels présents dans l'établissement.

D'autres événements imprévisibles peuvent se produire comme des anoxies ou des embolies. Ainsi, pour 0,5 % des nouveau-nés considérés comme à bas risque, un score d'Apgar18(*) inférieur à 7 à cinq minutes de vie exigera une réanimation.

L'étude de la HAS précitée sur les EIGS survenus chez les parturientes entre 2017 et 2021 montre que 68 % des événements déclarés sont survenus durant une période particulière, soit la nuit, le week-end ou lors d'un changement d'équipe. Lors de son audition, le Dr Margaux Creutz Leroy, présidente de la fédération des réseaux de périnatalité, a établi un lien entre ces événements et la présence d'équipes incomplètes ou instables.

Ces événements indésirables peuvent avoir des conséquences sur la santé ultérieure de la mère et de l'enfant. Ainsi, les hémorragies du post-partum entraînent des risques immunologiques et infectieux, de thrombose veineuse, d'anémie, d'état de stress post-traumatique et de stérilité en cas de réalisation d'une hystérectomie d'hémostase.

(3) Des interventions chirurgicales et instrumentales à surveiller

Le taux de césarienne est stable et dans la moyenne européenne, autour de 20 %, dont un tiers de césariennes programmées et deux tiers de césariennes en urgence ou pendant le travail. Il existe cependant de fortes différences entre établissements. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, selon l'ARS, le taux de césariennes programmées à terme varie de 2,5 à 10,5 %, selon les établissements, avec des pratiques plus fréquentes dans les structures privées et les établissements où existe une fragilité en matière de ressources humaines.

Le taux d'accouchements par voie basse instrumentale (forceps, spatule, ventouses) est stable mais plus élevé en France que dans le reste de l'Europe (12,3 % en 2019 contre 4,9 % en Suède).

Enfin, les épisiotomies ont connu une nette diminution : elles n'étaient plus pratiquées que pour 8 % des accouchements en 2021, contre 20 % en 2016.

Les interventions chirurgicales et instrumentales peuvent avoir des conséquences sur la santé ultérieure des femmes et de leur bébé. En particulier, les césariennes entraînent une augmentation des risques lors des grossesses ultérieures : davantage de risque de césarienne, de rupture utérine et de placenta praevia accreta19(*).

Des progrès sont encore nécessaires dans la gestion de la douleur. Selon l'enquête nationale périnatale de 2021, 30 % des femmes ayant accouché par voie basse ont ressenti une douleur insupportable malgré le taux élevé d'analgésie péridurale. Environ 10 % des femmes ont ressenti une douleur comparable lors d'une suture de déchirure ou d'épisiotomie. Enfin, plus de 10 % des femmes ont ressenti une douleur insupportable en début de césarienne.

Près de 30 % des femmes ayant subi une césarienne, une épisiotomie ou une déchirure périnéale ressentent toujours une douleur physique à cette localisation deux mois après l'accouchement, selon l'enquête nationale périnatale de 2021.

La prévalence de dépression du post-partum est également plus élevée en cas d'accouchement par voie basse instrumentale.

(4) De la maltraitance et des violences gynécologiques et obstétriques à ne pas occulter

Si la mission tient à souligner l'engagement des soignants impliqués dans la prise en charge de la santé périnatale, elle ne peut occulter le sujet des violences obstétriques et gynécologiques (VOG) et plus globalement de la maltraitance, pas nécessairement consciente ni volontaire de la part des soignants, auxquelles les femmes peuvent être confrontées au cours de leur grossesse, de leur accouchement ou de leurs suites de couche. Cette maltraitance, outre le traumatisme physique et psychique qu'elle peut engendrer, peut également amener à une défiance à l'égard des professionnels de santé et conduire les femmes à renoncer à des soins par la suite, à reporter des souhaits de grossesse ou à privilégier des accouchements à domicile sans assistance médicalisée. L'amélioration de la bientraitance dans les soins gynécologiques et obstétriques constitue un enjeu de santé publique.

Au sein du Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNOGF), une commission de la promotion de la bientraitance en maternité, mise en place en 2017, a estimé qu'en moyenne 20 % des femmes ont été confrontées à des violences obstétriques et gynécologiques. Plus largement, lors d'une enquête réalisée conjointement par le Ciane et Santé publique France en 2022, près de 40 % des femmes ont déclaré avoir été confrontées, au cours de leur grossesse, à des pratiques problématiques (commentaires désobligeants, moqueries, non-respect de la pudeur, manque de délicatesse dans les gestes médicaux, non-prise en compte de la douleur, manque de communication, non-respect du consentement) : 6 % des femmes se sont senties toujours ou souvent non respectées et 33 % parfois non respectées.

Ces pratiques peuvent s'expliquer par un manque de sensibilisation des professionnels de santé aux enjeux de bientraitance et de consentement aux soins, en dépit d'une visibilité plus importante de ces enjeux depuis 2017, dans le sillage de la vague #MeToo. Dans sa contribution écrite adressée à la mission, le Dr Amina Yamgnane, ancienne présidente de la commission de la promotion de la bientraitance en maternité et auteure de Prendre soin des femmes - pour en finir avec les violences gynécologiques20(*), a critiqué « le paternalisme qui prévaut encore beaucoup dans les soins et la formation », « le poids de la hiérarchie qui rend difficile les remises en cause au sein de la profession » ainsi que le manque de formation formelle au sujet du consentement et aux alternatives à proposer aux patientes refusant un acte.

Par ailleurs, les conditions de travail des soignants peuvent conduire à une forme de maltraitance involontaire. La campagne #JeSuisMaltraitante, lancée par la sage-femme et chroniqueuse Anna Roy, a permis de mettre en lumière ce phénomène. De même, la journaliste Zoé Varier a témoigné, lors de son audition, des témoignages de maltraitance reçus de toutes les sages-femmes rencontrées pour la préparation de son podcast scientifique In Utero : toutes parlent de la maltraitance qu'elles imposent, souvent liée à la maltraitance institutionnelle qu'elles subissent, faute d'être en nombre suffisant en salle de naissance. Le Dr Amina Yamgnina a mentionné dans sa contribution plusieurs exemple de maltraitance involontaire : un manque de temps consacré à l'écoute des patientes, des déclenchements d'accouchements, y compris à domicile, liés à l'organisation des soins et une réduction de la durée de séjour post-natal.

Dans ce contexte, il paraît nécessaire de relancer des travaux en faveur de l'amélioration de la bientraitance des patients et de tenir compte de ces enjeux dans le cadre de toute réflexion autour de l'organisation de l'offre de soins.


* 1 Drees, Stabilité de la mortalité périnatale entre 2014 et 2019, 2021.

* 2  Recent historic increase of infant mortality in France: A time-serie analysis 2001 to 2019, 2022.

* 3 Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique, co-affiliée à l'Inserm et à l'Université Paris Cité. Plusieurs de ses membres ont été entendus en audition le 2 avril 2024.

* 4 Phibbs CS, Baker LC, Caughey AB, Danielsen B, Schmitt SK, Phibbs RH, Level and volume of neonatal intensive care and mortality in very-low-birth-weight infants, N Engl J Med., 2007.

Jensen EA, Lorch SA, Effects of a Birth Hospital's Neonatal Intensive Care Unit Level and Annual Volume of Very Low-Birth-Weight Infant Deliveries on Morbidity and Mortality, JAMA pediatrics, 2015.

* 5 Audition du 2 avril 2024.

* 6 Audition du 26 mars 2024.

* 7 Audition du 27 mars 2024.

* 8 The Journal of Pediatrics, Inconsistency Between Pictures on Baby Diaper Packaging in Europe and Safe Infant Sleep Recommendations, Janvier 2024.

* 9 Audition du 27 mai 2024.

* 10 Cinelli H, Lelong N, Le Ray C et al, Rapport de l'Enquête Nationale Périnatale 2021 en France métropolitaine : Les naissances, le suivi à 2 mois et les établissements - Situation et évolution depuis 2016, Inserm, octobre 2022.

* 11 Audition du 20 mars 2024.

* 12 Audition du 2 avril 2024.

* 13 Catherine Deneux-Tharaux, Monica Saucedo, Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir. 7e rapport de l'Enquête Nationale Confidentielle sur les Morts Maternelles (ENCMM) 2016-2018, Inserm et Santé publique France, 2024.

* 14 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-11/retour_experience_nationall_eigs_2021_2022-11-21_11-16-23_105.pdf.

* 15 Bales, Pambrun, Melchior, Glangeaud-Freudenthal, Charles, Verdoux, et al. Prenatal psychological distress and access to mental health care in the ELFE cohort, 2015.

* 16 Audition du 25 mars 2024.

* 17 Didelot H, Goffinet F, Seco A, Deneux-Tharaux C, Evaluating the quality of care for postpartum hemorrhage with a new quantitative tool: a population-based study, Scientific Report, 2022 (données Epimoms, 2013).

* 18 Nombre permettant d'évaluer chez un nouveau-né cinq grandes fonctions vitales : le rythme cardiaque, le rythme respiratoire, le tonus, la coloration cutanée et la réactivité aux stimulus, cotées de 0 à 2 de façon répétitive aux première, troisième, cinquième et dixième minutes qui suivent la naissance.

* 19 Placenta anormalement adhérent au myomètre, aboutissant à une délivrance du placenta retardée ou impossible.

* 20 Amina Yamgnane, Prendre soin des femmes - pour en finir avec les violences gynécologiques, Flammarion, 2024.

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