EXAMEN EN DÉLÉGATION

Mme Micheline Jacques, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les conclusions du rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, sujet dont il est souvent question, mais sur lequel il existe en réalité peu d'études récentes et approfondies.

Au cours des dernières années, les initiatives de coopération ont fleuri dans cette zone sans qu'une réelle évaluation de leur portée ait été effectuée, notamment au regard de l'insertion de La Réunion et de Mayotte dans ce bassin océanique particulièrement dynamique et stratégique.

Je salue donc le travail de nos trois rapporteurs, qui se sont attelés avec beaucoup d'implication à l'analyse de la situation du bassin Indien où se situent La Réunion, Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Je remercie chaleureusement Christian Cambon, qui a bien voulu être le rapporteur coordonnateur de cette étude qui comportera trois volets pour tenir compte des spécificités géographiques de chaque bassin océanique, et nos collègues Stéphane Demilly et Georges Patient qui en sont les rapporteurs pour l'océan Indien.

Avant de leur céder la parole, permettez-moi de souligner l'importance de l'étude réalisée par nos collègues. Les travaux préparatoires de cette étude lancée le 16 novembre 2023 nous ont conduits à mener 62 auditions et à entendre 144 personnes. Lors de deux déplacements, l'un à La Réunion ainsi qu'à Maurice et l'autre à Mayotte, nos rapporteurs ont rencontré les principaux acteurs impliqués, y compris sur les problématiques des TAAF. Un déplacement à Marseille a par ailleurs été l'occasion d'aborder la question du transport maritime avec des responsables de la CMA-CGM.

Les comptes rendus de toutes les auditions ont été mis en ligne et seront annexés au rapport d'information, ce qui contribuera à éclairer et enrichir ce dossier.

M. Christian Cambon, rapporteur coordonnateur. - Je tiens à mon tour à saluer le travail réalisé par les rapporteurs sur ce premier volet consacré aux outre-mer de l'océan Indien. En ma qualité de rapporteur coordonnateur, je rappellerai brièvement les raisons qui ont présidé au choix de ce thème d'étude, en insistant sur les spécificités du bassin Indien par rapport aux bassins Atlantique et Pacifique.

Le constat est ancien, documenté et - hélas ! - constant : nos outre-mer ont assez peu de relations ou d'échanges avec leur environnement régional. En cause, notamment, des relations historiques et des liens économiques avec la métropole hérités de la période coloniale.

Je ne m'étendrai pas sur ce constat qui a été décrit par de précédents rapports et que les données recueillies lors de cette mission confirment. Un seul chiffre : les importations en provenance des pays de la Commission de l'océan Indien (COI), la principale organisation régionale, représentent 0,7 % des importations de La Réunion et 7 % de ses exportations. L'Hexagone et l'Europe sont prédominants, et c'est encore plus marqué pour le trafic de marchandises par conteneur.

Cet état de fait, qui concerne aussi les mobilités - avec trop peu de liaisons régionales -, les investissements ou le tourisme, est devenu aberrant et est désormais perçu comme un frein au développement.

En effet, tous les interlocuteurs considèrent qu'une meilleure intégration ou insertion régionale serait porteuse de solutions pour répondre aux défis des outre-mer que sont la lutte contre la vie chère, le développement économique, la mobilité et la lutte contre les trafics qui menacent de plus en plus la stabilité de nos territoires.

Ces opportunités manquées sont devenues d'autant moins tolérables que le sentiment général est que le modèle de développement de nos outre-mer est à bout de souffle.

Dans ce contexte, la politique de coopération régionale doit se concevoir comme un levier pour amorcer et renforcer des dynamiques d'insertion régionale et supprimer les blocages.

Les rapporteurs ont donc étudié la politique de coopération régionale conduite ces dernières années dans le bassin Indien, afin d'en cerner les forces, mais aussi les limites. Sur la base de ce bilan, vingt propositions sont formulées autour de quatre orientations principales.

Avant de céder la parole aux rapporteurs, j'évoquerai rapidement les particularités des outre-mer du bassin Indien par rapport aux deux autres bassins océaniques.

La première particularité est sans doute que le bassin Indien est le seul où la souveraineté française est contestée dans plusieurs territoires : Mayotte par les Comores, mais aussi Tromelin par Maurice et les îles Éparses par Madagascar. Cette singularité complique le jeu naturel de la coopération régionale, aujourd'hui et pour demain.

Elle oblige à intégrer dans notre politique de coopération une stratégie d'influence et de consolidation de notre souveraineté, d'autant que le bassin Indien est de plus en plus exposé aux menaces de déstabilisation de l'ordre mondial. Le général Jean-Marc Giraud, commandant des Forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), estime que la zone du sud-ouest de l'océan Indien « n'est plus à la périphérie des enjeux du monde ». Les jeux d'ingérence des grandes puissances ainsi que la compétition militaire s'y exercent de plus en plus. Nos outre-mer sont aussi situés sur des routes commerciales stratégiques, en particulier depuis la crise des Houthis en mer Rouge.

On voit donc qu'à côté d'un enjeu de développement économique, les menaces sur la stabilité, la sécurité et la souveraineté ne cessent de monter dans cette région du monde. La politique de coopération régionale doit donc impérativement traiter ces menaces. La France a un rôle essentiel de pourvoyeur de sécurité et de stabilité à jouer.

Cela m'amène à évoquer la stratégie indopacifique de la France. Sous ma présidence, la commission des affaires étrangères du Sénat a publié en janvier 2023 un rapport intitulé La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité. Il est évident que la politique de coopération régionale dans cette région doit être une composante prioritaire de notre stratégie indopacifique. Sans nos outre-mer, en particulier Mayotte, La Réunion et les TAAF, perd de sa légitimité. Je rappelle que nous avons notamment pu adhérer à l'IORA (Indian Ocean Rim Association) grâce à La Réunion.

Dans ce rapport, nous pointions également le décalage entre les ambitions affichées et la réalité. Cet appel au réalisme concluait à distinguer quatre zones dans cet espace indopacifique, dont l'une centrée sur l'océan Indien occidental, où se trouvent précisément nos outre-mer. Sans ces points d'ancrage, notre stratégie se trouve largement « démonétisée ».

Enfin, nous plaidions pour une acclimatation de la stratégie française, « en renforçant sa cogestion avec les territoires ultramarins français ». Nos outre-mer ne doivent pas être perçus comme de simples points d'appui de la stratégie française, mais comme l'une des raisons d'être de cette stratégie. La coopération régionale doit d'abord servir l'insertion régionale et le développement endogène des outre-mer. En retour, leur rayonnement économique, scientifique ou culturel renforcera naturellement l'influence française dans la région. Cette approche décentrée ne peut se construire sans les territoires.

On relèvera aussi que Mayotte et La Réunion sont deux régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne qui regroupent 1,2 million de citoyens européens. Le bassin Indien est celui où la présence européenne est la plus marquée. Cela se traduit par des crédits Interreg substantiels et par des crédits du Fonds européen de développement (FED) et de la COI au profit de plusieurs États de la région.

Autre singularité du bassin Indien, les écarts de richesse y sont parmi les plus élevés au monde. Entre Mayotte et Madagascar, l'écart de PIB par habitant est de un à vingt, alors même que Mayotte est le département français le plus pauvre.

Enfin, la dernière spécificité que je souhaite souligner est l'existence d'une communauté francophone forte dans la région. La COI rassemble cinq pays dont l'identité est marquée par la francophonie. C'est aussi une organisation qui monte en puissance et qui devient une clef d'entrée incontournable pour nos territoires, mais aussi pour la stratégie indopacifique.

M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Après ce rappel du cadre général de nos travaux et des principaux enjeux, je présenterai un état des lieux de la politique de coopération régionale dans le bassin Indien, ainsi que les limites de cette politique. Je m'attarderai également sur la situation particulière de Mayotte, où notre déplacement fut particulièrement marquant.

Depuis quelques années, la politique de coopération régionale semble connaître un nouvel élan. La crise migratoire à Mayotte, la montée des menaces dans cette région du monde et les contestations de la souveraineté française ont conduit à une prise de conscience par l'État, tandis que les collectivités sont très demandeuses de plus de responsabilités.

Ce changement d'approche de l'État date de la publication, en 2017, du Livre blanc Diplomatie et territoires. Concrètement, cela s'est traduit par la nomination de conseillers diplomatiques auprès des préfets de La Réunion et de Mayotte, ainsi que par la création, en 2019, de la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien. Cette structure technique d'échange est animée par l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien. On voit donc qu'une architecture de la coopération régionale commence à mieux s'articuler. C'est une nécessité, compte tenu de la multiplicité des acteurs et de l'obligation de co-construire cette politique.

Plus récemment, le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) de juillet 2023 a nettement mis l'accent sur cette dimension. La mesure 9 de ses conclusions prévoit ainsi de définir des stratégies commerciales par bassin et la mesure 54 d'associer les outre-mer à la politique étrangère de la France.

Cette dernière mesure s'est notamment traduite, en mars dernier, par la signature d'un accord de partenariat très prometteur entre le département de Mayotte et le ministère des affaires étrangères. Cet accord vise clairement à permettre une montée en compétences de Mayotte et une étroite coordination des initiatives extérieures. Il s'inscrit dans une stratégie plus offensive de la France pour obtenir une pleine reconnaissance de cette région française, l'objectif étant de faire des Mahorais les premiers défenseurs de la souveraineté française sur la scène régionale.

Par ailleurs, les opérateurs de l'État intègrent de plus en plus la dimension régionale. C'est tout particulièrement le cas de l'Agence française de développement (AFD), qui a refondé son action outre-mer avec la stratégie « Trois Océans ». Le but est de casser les politiques en silos pour s'assurer que les actions conduites dans les États voisins sont cohérentes avec le développement et les intérêts de nos outre-mer.

Concomitamment, les collectivités sont en pointe dans l'affichage de leurs ambitions régionales. Déjà fortes de la gestion des programmes Interreg, elles multiplient les initiatives. Elles maintiennent, voire développent, leurs implantations régionales, soit au sein d'antennes propres, soit au sein des ambassades de France. Le président du conseil départemental de La Réunion s'est ainsi rendu récemment en Namibie. Mayotte s'affirme aussi de plus en plus sous le double effet de la départementalisation et de son statut de RUP.

Ce nouvel élan de la coopération régionale s'appuie également sur des financements importants au premier rang desquels les financements européens, au travers des deux programmes Interreg Océan Indien et Canal du Mozambique gérés par La Réunion et par Mayotte, pour des montants de 75 millions d'euros sur la période 2014-2020 et 73 millions d'euros sur la période 2021-2027. Il faut y ajouter les crédits de l'Union européenne au titre du FED et désormais du NDICI (Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument) qui a remplacé le FED. Principale organisation régionale, la COI est très largement financée par l'Union européenne ; elle a ainsi reçu 87 millions d'euros sur la période 2018-2022.

Les financements de l'État pour des projets de coopération sont en revanche très modestes. Le fonds de coopération régionale sert plutôt à boucler des financements à la marge. Quant à l'AFD, qui est le principal financeur pour l'État en outre-mer et dans les pays voisins - les Comores et Madagascar figurent parmi les principaux bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France -, la part des projets à dimension régionale demeure très modeste, puisqu'elle se situe autour de 4 %.

Une autre évolution significative vient de la COI, qui a pris une nouvelle dimension depuis quelques années. Entre 2018 et 2022, 194 millions d'euros de projets ont été financés. D'ici à 2027, ce montant devrait grimper à 500 millions d'euros.

Elle est la seule organisation régionale africaine dont la France est membre et constitue un vecteur clef du renforcement de la légitimité de la présence française dans l'océan Indien. Le financement prépondérant de la COI par la France et l'Union européenne - à hauteur de 66 % - est un axe majeur de la stratégie indopacifique de la France, par exemple pour obtenir notre adhésion à l'IORA en 2020.

La COI porte depuis quelques années des projets de coopération très concrets et opérationnels, en particulier dans les domaines de la sécurité maritime, de la lutte contre la pêche illégale ou de la sécurité sanitaire. Cette transformation de la COI est très prometteuse.

Un autre marqueur d'une coopération régionale qui se densifie est le renforcement de certaines relations bilatérales, notamment avec Maurice, la Tanzanie ou même les Comores en dépit des tensions et du contentieux territorial lourd à propos de Mayotte.

Enfin, un dernier point positif est celui des normes. Le constat est connu : La Réunion et Mayotte forment deux enclaves juridiques régies par un corpus normatif conçu pour des territoires européens aux économies développées et à haute exigence environnementale et sanitaire. Cette situation entrave la possibilité, avant même de se poser la question de l'opportunité, de développer des échanges avec les pays de la région, en particulier les échanges économiques.

Ce dossier ancien est enfin sérieusement pris en considération, à la fois par le Gouvernement et par l'Union européenne. La révision de la réglementation européenne relative à la commercialisation des matériaux de construction a permis d'obtenir une dérogation au marquage CE dans les RUP aux fins de faciliter les échanges avec l'environnement propre à chaque RUP. Il revient aux États membres concernés de définir les équivalences utiles. La mise en oeuvre de cette dérogation européenne devra être une des priorités du nouveau Gouvernement.

Ce panorama rapide de la coopération régionale doit toutefois être tempéré par les maigres progrès de l'intégration régionale de nos outre-mer.

Comme cela a été relevé, l'intégration économique demeure imperturbablement marginale. S'agissant des mobilités aériennes, les liaisons régionales restent fragiles. Quand quelques progrès sont enregistrés, des retours en arrière sont aussi constatés, comme la suppression des liaisons directes entre La Réunion et l'Inde. Maurice est toutefois le contre-exemple fréquemment cité, puisque vingt compagnies aériennes y travaillent, contre sept à La Réunion et quatre à Mayotte.

La situation est moins défavorable en ce qui concerne le transport maritime de marchandises. La connectivité régionale tend en effet à s'améliorer en dépit de l'irrégularité de certaines lignes. Le port de Mayotte souffre néanmoins de dysfonctionnements importants qui freinent son développement. On notera aussi que certaines liaisons régionales sont sous-utilisées par les opérateurs économiques. L'offre existe, mais la demande ne suit pas ou ne sait pas que l'offre existe. Dans ce contexte, le projet d'une compagnie maritime régionale reste un « serpent de mer ».

Un autre écueil est celui de la prolifération des initiatives et des acteurs. Malgré des progrès et une meilleure coordination entre les collectivités et l'État, le sentiment d'un saupoudrage subsiste. La concentration des moyens sur quelques projets catalyseurs, qui pourraient avoir un effet d'entraînement, est encore trop faible. On notera toutefois qu'à son niveau la COI a développé des projets d'une nouvelle dimension, notamment en matière de sécurité maritime et de lutte contre les trafics, qui commencent à produire des effets intégrateurs importants.

Une seconde critique qui ne disparaît pas est celle de l'insuffisante association des collectivités à la définition de la politique extérieure de la France. Au sein de la COI, par exemple, l'État ne donne pas mandat aux autorités de La Réunion pour la représenter. S'agissant de la mesure 9 du CIOM, qui vise à adopter une stratégie commerciale par bassin, l'État est resté le principal chef d'orchestre, alors que les régions ont la charge du développement économique. Quant à la stratégie indopacifique, les collectivités se plaignent de ne pas avoir été associées.

La perception des partenaires extérieurs, qui sont des États souverains, est que les outre-mer restent des interlocuteurs subalternes. Le portage politique et son incarnation manquent encore.

Cette multiplicité d'acteurs pourrait être compensée par une vision et une stratégie communes et ressenties comme telles par les États voisins. Mais ce n'est pas le cas, faute d'une véritable instance de coordination.

Le bilan est aussi décevant en ce qui concerne les contestations de la souveraineté française sur plusieurs territoires. Si les contentieux de Tromelin et des îles Éparses sont plus ou moins en sommeil, celui de Mayotte reste plus que jamais à vif. La Chine, la Russie ou l'Azerbaïdjan n'hésitent pas à en jouer pour déstabiliser la position française dans la région. À intervalles réguliers, les autorités comoriennes réaffirment leur irrédentisme. La récente demande de la France de remettre à l'ordre du jour de la COI son adhésion au titre de Mayotte a reçu une fin de non-recevoir immédiate. Rare point de satisfaction, Mayotte devrait organiser les Jeux des îles de l'océan Indien en 2035. Si cela était confirmé, la question très symbolique de l'hymne national et du drapeau français pour les athlètes mahorais devrait être clarifiée.

Cette non-reconnaissance entrave les initiatives de Mayotte, tout particulièrement son développement économique et commercial dans la région. Même bien disposés à l'égard de Mayotte, les États de la région ne souhaitent pas se positionner en défaveur des Comores ni se voir reprocher de s'immiscer dans la relation entre la France et les Comores.

Le constat de ce statu quo de plus en plus insupportable pour Mayotte a conduit l'Assemblée nationale à bloquer l'adoption du projet de loi ratifiant l'accord de Victoria révisé de 2020. Cet accord porte une importante réforme institutionnelle de la COI. La France est à présent le seul membre de la COI à ne pas l'avoir ratifié.

L'appartenance à l'Union européenne emporte des effets contradictoires sur l'intégration régionale de Mayotte et La Réunion.

Elle a de nombreux avantages : fonds structurels et programme Interreg dédié, ouverture sur le marché européen, sécurité juridique, sanitaire et environnementale des normes européennes...

Ces avantages sont toutefois contrebalancés par plusieurs inconvénients qui inhibent et compliquent l'insertion régionale de Mayotte et de La Réunion. Comme le lien Hexagone-outre-mer, le lien Union européenne-outre-mer isole La Réunion et Mayotte dans leur environnement régional.

Le premier reproche quasi unanime porte sur les accords de partenariat économique (APE) négociés par l'Union européenne avec les pays ACP - Afrique, Caraïbes et Pacifique. La non-prise en compte des intérêts des outre-mer, en particulier des RUP, est pointée. Les vulnérabilités des économies ultramarines sont souvent oubliées et ces accords exposent les outre-mer à une concurrence accrue. Les outre-mer restent absents du processus décisionnel européen. Récemment, par exemple, les autorités réunionnaises et mahoraises ont découvert tardivement les négociations entre l'Union européenne et Madagascar pour relever le taux de nicotine toléré dans la vanille de Madagascar pour pouvoir entrer sur le marché européen.

Ce manque de coordination entre politique interne et externe se reflète aussi dans le pilotage des crédits de l'action extérieure de l'Union européenne - le NDICI et le Fonds européen de développement régional (Feder), qui inclut notamment les programmes Interreg. Ces fonds ne sont pas exempts du reproche d'une gestion en silos. L'aide au développement est insuffisamment coordonnée avec le Feder dans des zones où les territoires bénéficiaires sont limitrophes ou voisins.

Un autre exemple d'incohérence, pour ne pas dire d'injustice, concerne l'application de la réglementation européenne sur la production agroalimentaire bio. Un même produit importé à La Réunion et à Maurice pour y être transformé pourra être commercialisé ensuite avec le label bio pour celui provenant de Maurice, mais pas pour celui de La Réunion.

Cet exemple pose le problème crucial des normes européennes, qui ne sont pas adaptées aux RUP. J'ai certes évoqué au début de mon propos les avancées sur les matériaux de construction et l'autorisation d'un marquage RUP, mais d'autres secteurs nécessiteraient aussi des adaptations pour faciliter un approvisionnement régional des RUP, sans renoncer à la sécurité sanitaire et environnementale. L'agroalimentaire est celui où les marges de progrès sont les plus importantes.

Je terminerai en insistant sur la situation de Mayotte.

Notre déplacement a montré l'extrême fragilité de ce territoire en proie à des tensions migratoires, sociales, environnementales, sanitaires et hydriques terribles. Le sentiment d'enfermement d'une partie de la population est encore accentué par l'isolement politique et diplomatique de Mayotte dans sa région. Pourtant, les liens linguistiques, historiques et ethniques avec Madagascar ou la Tanzanie ouvrent des opportunités immenses.

Pour desserrer l'étau comorien sur l'action extérieure de Mayotte et son insertion régionale, la priorité doit aller à la maîtrise de l'immigration clandestine. L'arme migratoire qui est entre les mains du Gouvernement comorien doit être désamorcée par la réussite du « rideau de fer », à défaut de réussir à obtenir des Comoriens qu'ils engagent une lutte plus efficace contre les kwassa-kwassa.

En résumé, le constat est que la coopération régionale s'est renforcée, mais sans emporter un effet d'entraînement significatif sur l'intégration régionale de La Réunion et de Mayotte. Plusieurs inflexions paraissent donc indispensables, afin que la politique de coopération régionale échappe au reproche de « tourner à vide ».

M. Georges Patient, rapporteur. - Sur la base de ce bilan, nous avons retenu vingt propositions pour donner une nouvelle impulsion à la politique de coopération régionale dans le bassin Indien.

Si certaines propositions ne valent que pour le bassin Indien, la majorité nous paraissent pertinentes pour l'ensemble des outre-mer. Il reviendra à nos collègues chargés des deux autres bassins océaniques de confirmer ou nuancer notre appréciation.

Nous avons regroupé ces propositions autour de quatre axes principaux qui guideront mon propos.

Le premier axe est celui de l'insertion économique, qui doit à notre sens être la priorité, d'une part parce que les plus grands défis des outre-mer s'y rattachent - je pense en particulier à la vie chère et à la croissance économique -, et d'autre part parce que l'insertion économique régionale est le domaine le plus en retard. La coopération en matière scientifique, culturelle ou universitaire, bien que perfectible, est en effet plus avancée.

Pour impulser un profond changement, il importe de clarifier les responsabilités en faisant des territoires les chefs de file de leur insertion économique. L'État doit accepter de laisser la main aux collectivités régionales, dont l'une des principales compétences est précisément le développement économique. Les termes de l'article L. 4251-12 du code général des collectivités territoriales sont clairs : « La région est la collectivité territoriale responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique ».

Elle élabore à ce titre un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Ce schéma doit véritablement s'imposer comme le document maître qui définit la stratégie d'insertion économique régionale. Ainsi, la stratégie commerciale par bassin prévue par la mesure 9 du CIOM devrait dans cette hypothèse venir se caler en cohérence avec le SRDEII. Cela suppose d'inverser l'ordre de conception des stratégies économiques : les collectivités conduisent et l'État s'associe en soutien.

En qualité de chef de file, les collectivités, en particulier la région, seraient placées en position de pleine responsabilité, ce qui les inciterait à s'approprier des stratégies de développement économique et d'attractivité.

Certains opérateurs de l'État sont d'ailleurs demandeurs d'une telle prise en main par les collectivités. Business France constate que, dans certains territoires, des difficultés à adopter une stratégie d'attractivité internationale réellement définie persistent.

Sur les sujets de la connectivité et de la mobilité régionale, les réponses uniques n'existent pas, en particulier dans le secteur aérien où la fragilité économique de plusieurs compagnies incite à la prudence. Plusieurs mesures paraissent toutefois indispensables pour débloquer des opportunités.

À Mayotte en particulier, il est urgent de moderniser les infrastructures portuaires et de construire un poste frontalier communautaire. Sans ces prérequis, le développement du commerce régional sera impossible. De manière subsidiaire, après des études de marché ciblées, des lignes régionales de cabotage sous délégation de service public pour un temps limité pourraient être expérimentées, notamment entre Mayotte, Madagascar et l'Afrique de l'Est.

En matière aérienne, la priorité doit également aller à la stimulation de la demande pour solvabiliser l'offre de liaisons. Cela passe par une révision de la politique des visas avec chaque pays de la région, l'exigence de visas pouvant être allégée dans certains cas. Par ailleurs, la stratégie touristique devrait s'efforcer de diversifier les pays de provenance des touristes afin de nourrir la demande sur les liaisons régionales.

Un programme Erasmus régional plus substantiel que les programmes actuels mériterait d'être mené, notamment en direction de l'Inde.

Des accords de trafic aérien doivent aussi être conclus sur le modèle de l'accord entre la France et la Tanzanie qui ouvre la possibilité de plusieurs vols hebdomadaires avec Mayotte.

Quelques secteurs d'activité prometteurs sont de nature à avoir un effet d'entraînement. Outre le secteur agricole que nous avons déjà évoqué - Mayotte fonde beaucoup d'espoir dans un approvisionnement régional -, celui du traitement des déchets présente des perspectives intéressantes. L'objectif serait de mutualiser le traitement de certains déchets à l'échelle régionale pour atteindre une masse critique économiquement viable.

Il en va de même en matière d'énergie. Des projets d'achat mutualisé de biomasse entre La Réunion et Maurice pourraient par exemple être économiquement pertinents, et donc viables à moyen terme. Agriculture, déchets et énergie devraient très certainement concentrer les efforts et les moyens pour enclencher des dynamiques économiques régionales.

Le deuxième axe concerne l'Europe, avec deux principales mesures.

La première serait la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins des RUP. Cette PEVu serait conçue par analogie avec la politique européenne de voisinage de l'Union européenne, qui bénéficie à ce jour aux pays limitrophes du flanc est de l'Europe et aux pays du pourtour méditerranéen. La PEVu ferait prendre pleinement conscience à l'Union européenne que les RUP font partie du territoire de l'Union européenne et que les relations avec le voisinage des RUP sont assimilables à celles avec le voisinage des États membres continentaux.

Un autre acte politique majeur serait d'obtenir que le prochain programme de travail de la Commission européenne prévoie l'adoption d'un « paquet législatif RUP ». L'objectif serait de passer en revue les différentes législations européennes qui créent des obstacles réglementaires à l'insertion économique des RUP dans leur environnement.

Ce qui a été fait pour les matériaux de construction doit pouvoir être fait rapidement dans toute une série de secteurs, sans tarder. Je pense par exemple aux règles en matière de transfert des déchets pour permettre le développement de filières de traitement des déchets à l'échelon régional. Le sujet normatif est prioritaire pour débloquer l'insertion économique des outre-mer et ouvrir le champ des possibles.

Un « paquet RUP » obligerait aussi à une étude transversale et complète des spécificités des RUP. Ce serait également un outil puissant pour donner de la visibilité à ces territoires dans le débat européen. Les facultés d'adaptation offertes par l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sont encore trop peu utilisées.

Outre ces deux mesures, les cofinancements NDICI et Feder devraient être facilités pour mieux orienter les crédits européens vers des projets de coopération régionale.

Enfin, pour que les RUP cessent de découvrir à la dernière minute les projets d'accords commerciaux de l'Union, il conviendrait de rendre obligatoires les études d'impact de ces projets sur les RUP et d'y associer ces dernières dès l'ouverture des négociations.

Le troisième axe consiste à bâtir une diplomatie des outre-mer.

Malgré quelques progrès, la diplomatie française n'a pas encore achevé sa révolution copernicienne pour décentrer la conception et la conduite de son action extérieure autour et avec nos outre-mer.

Au sein du ministère des affaires étrangères, la dimension ultramarine mériterait d'être encore mieux identifiée. La création d'une direction de la coopération régionale outre-mer, regroupant les trois ambassadeurs délégués à la coopération, avec des moyens renforcés, y contribuerait directement. Cette direction serait sous la double tutelle des ministères des affaires étrangères et des outre-mer. Chaque ambassadeur serait doté d'une équipe de deux ou trois adjoints, en plus des conseillers diplomatiques auprès des préfets. Des « assises de la diplomatie des outre-mer » pourraient de plus être organisées, selon une périodicité à définir.

L'actuelle plateforme de coopération de la France de l'océan Indien devrait être confortée pour en faire l'instance de co-construction de la politique de coopération régionale. Une présidence tournante avec les collectivités régionales pourrait même être imaginée, cette plateforme demeurant une structure de travail non décisionnelle.

Du côté des collectivités, des initiatives sont également nécessaires.

À titre préalable, j'indique que nous ne préconisons pas de modifier le cadre législatif issu de la loi du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite loi Letchimy, qui définit les compétences des collectivités ultramarines en matière d'action extérieure. Ce cadre ouvre déjà d'importantes facultés aux collectivités. L'article 52 de la Constitution et son interprétation par le Conseil constitutionnel ne permettent pas non plus de pousser beaucoup plus loin les compétences des départements d'outre-mer. L'enjeu nous paraît plutôt d'aider les collectivités à s'en saisir pleinement. La loi demeure sous-utilisée.

Cela passe notamment par la formation. La nouvelle Académie diplomatique et consulaire devrait accueillir les fonctionnaires territoriaux des outre-mer pour encore mieux les former. Le récent accord entre le ministère des affaires étrangères et Mayotte comporte notamment des engagements en ce sens.

L'outil le plus prometteur est le programme-cadre, qui fut la principale innovation de la loi Letchimy. L'adoption d'un programme-cadre par la Région Réunion, le département de La Réunion et le conseil départemental de Mayotte devrait être une priorité. Au plan politique, le programme-cadre permet d'afficher une stratégie de long terme, concertée avec l'État. Il renforce à la fois la légitimité interne - vis-à-vis de l'État et de la société civile - et externe - vis-à-vis des États voisins. Au plan opérationnel, il évite aux collectivités d'avoir à solliciter, au coup par coup, des autorisations de l'État parfois longues à obtenir pour conclure des conventions avec des États étrangers au nom de l'État. Ce document consacre aussi une répartition des rôles et des priorités entre l'État et les collectivités, le programme-cadre pouvant s'apparenter à un mandat donné par l'État pour déployer une activité diplomatique en son nom dans des domaines prédéfinis.

En sus de ce programme-cadre, la faculté de charger le président du conseil départemental ou le président du conseil régional de le représenter au sein d'organismes régionaux, avec les instructions et pouvoirs nécessaires, devrait être le mode normal de fonctionnement dans le bassin Indien. S'il n'est pas possible de créer une obligation légale de donner mandat - la Constitution s'y oppose -, une obligation politique devrait conduire l'État à accorder cette confiance aux autorités de La Réunion, sauf désaccord majeur.

La COI se prêterait bien à cet exercice. La France n'en est membre à ce jour qu'au titre de La Réunion. Par ailleurs, la coopération régionale s'appuie sur des équipes compétentes. L'engagement de la France est aussi majeur au sein de cette organisation et La Réunion gère les fonds Interreg. La seule difficulté porterait sur la répartition des rôles entre le département et la région, voire sur le choix à faire entre les deux collectivités. La parole territoriale sera d'autant plus facilement comprise et forte qu'elle sera unique et coconstruite. Ce mandat, susceptible d'être retiré à tout instant conformément au texte constitutionnel, mettrait la collectivité compétente en position de responsabilité et l'astreindrait plus qu'aujourd'hui à définir une stratégie globale de coopération régionale. De l'autre côté, ce mandat obligerait l'État à co-construire sa diplomatie régionale, la collectivité mandatée ne pouvant se borner à un rôle de perroquet.

Cette association systématique de La Réunion et de Mayotte aux initiatives françaises devrait également se traduire par la participation des autorités locales aux déplacements ministériels dans les États de la région.

J'en viens au quatrième et dernier axe : asseoir la souveraineté française à Mayotte, ainsi que l'influence de la France dans la région. La contestation de l'appartenance de Mayotte à la France nuit considérablement à la coopération régionale et est utilisée par nos rivaux pour affaiblir notre influence. Cette situation oblige à affirmer clairement comme objectif prioritaire de notre diplomatie la pleine reconnaissance de Mayotte française.

Face au mur comorien, deux stratégies sont possibles : soit le bras de fer avec l'Union des Comores, c'est-à-dire un durcissement des relations, voire des pressions ; soit une stratégie des « petits pas », pour acclimater l'ensemble des partenaires régionaux à la participation de Mayotte à des projets régionaux.

Deux facteurs poussent plutôt à privilégier la seconde, bien qu'elle puisse paraître frustrante et parfois inefficace aux yeux de la plupart des acteurs mahorais face à l'ampleur des défis de ce territoire et des opportunités manquées du fait de la position comorienne. Le premier est l'irrédentisme intrinsèque qui fonde l'Union des Comores. Le second est l'aversion des États de la région à se positionner en défaveur des Comores ou à se voir reprocher de s'immiscer dans la relation entre les Comores et la France. Par ailleurs, l'image dégradée de la France en Afrique depuis plusieurs années est en cours de reconstruction. Une diplomatie perçue comme trop offensive pourrait être contre-productive, alors même que des signaux positifs en faveur d'une acceptation de Mayotte dans le concert régional existent.

Cette stratégie n'est pas incompatible avec l'affirmation claire de l'objectif de la pleine reconnaissance de Mayotte française. Elle doit en revanche se traduire par une stratégie globale associant systématiquement les autorités mahoraises, qui seront les meilleurs promoteurs de leur appartenance incontestable à la citoyenneté française. L'ambiguïté coloniale agitée par les Comores ne sera jamais aussi bien combattue que par les Mahorais eux-mêmes, en particulier vis-à-vis de nos partenaires africains. Le levier principal doit être la promotion de l'insertion économique de Mayotte, notamment en direction de Madagascar et de l'Afrique de l'Est.

Enfin, comme l'a souligné Stéphane Demilly, la réussite du « rideau de fer » annoncé par le ministre de l'intérieur est indispensable pour éteindre le chantage migratoire en provenance des Comores. La baisse de la pression migratoire redonnerait des marges de manoeuvre à une action diplomatique plus offensive.

Enfin, dans le cadre de la stratégie indopacifique, il est essentiel que la France conforte son rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité dans la région. À cet égard, le projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien est une priorité. Il permettrait de faire faire un saut qualitatif important au rayonnement régional de la France et de La Réunion sur l'ensemble des sujets régaliens, tout en apportant une plus-value majeure pour la stabilité de la zone et en contribuant à la montée en compétences des autres pays.

Mme Micheline Jacques, président. - Vous l'aurez compris, il est primordial que l'État fasse davantage confiance à ses territoires ultramarins et leur accorde une plus grande marge de manoeuvre. Je reste convaincue que l'insertion régionale de nos territoires permettra de régler de nombreux problèmes et qu'elle apportera notamment une solution prometteuse dans la lutte contre la vie chère, alors que nos populations ultramarines souffrent de la cherté des produits de première nécessité.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous attendions ce rapport avec impatience et nous ne sommes pas déçus. Comme d'habitude, il est d'excellente qualité et je remercie vivement les rapporteurs d'avoir abordé toutes les thématiques avec exhaustivité.

Si je partage la quasi-totalité de leurs préconisations, je commenterai les derniers propos de Georges Patient sur la conduite à tenir face aux Comores. Pendant trop longtemps, nous avons appliqué la politique des « petits pas ». Elle a été éprouvée et s'est révélée inefficace : au contraire, la situation empire. Il est temps désormais de passer à l'étape du bras de fer.

La dernière manoeuvre de déstabilisation en date a eu lieu à Bakou quand une délégation d'individus s'y est rendue pour proférer des propos inacceptables. La France est un pays de liberté et la liberté est tellement chère à nos coeurs que je ne sous-entendrais même pas qu'il faille mettre fin à celle de ces personnes. Mais en plus de tenir des propos allant dans le sens de la propagande comorienne, ces dernières ont craché, vomi sur la France.

Au-delà des propositions que nos rapporteurs ont émises, je demande simplement que nous appliquions notre droit interne, notamment l'article 23-7 du Code civil, qui dispose : « Le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'État, avoir perdu la qualité de Français. » À partir du moment où ces individus ont tous la double nationalité, l'hypocrisie doit cesser. Je demande à notre prochain gouvernement de prendre ses responsabilités et, compte tenu des propos orduriers contre la France qui ont été tenus à Bakou, de faire appliquer cet article.

Les personnes visées auront la possibilité, le cas échéant, de s'expliquer et de se défendre devant les autorités compétentes. Nous ne sommes pas aux Comores, où celui qui a attenté à la vie du président a été tué en prison dès le lendemain. Commençons par ces mesures simples d'application. Nous ne demandons ni la suppression du droit du sol réclamée par les Mahorais ni la fin du dispositif de visa de séjour territorialisé, mais la simple application du code civil. Faisons en sorte que, dans ce territoire, les gens ne se disent pas qu'ils peuvent venir faire tout et n'importe quoi.

Mme Micheline Jacques, président. -Il doit être possible de contenir cette immigration massive à la limite des eaux territoriales. Dans la loi de programmation militaire, 17 milliards d'euros sont affectés aux territoires ultramarins. Il pourrait être judicieux d'investir dans plus de technologie, par exemple dans l'intelligence artificielle ou dans des radars. Cela permettrait de faire des économies substantielles dans nos politiques publiques et de les rendre beaucoup plus efficaces.

M. Frédéric Buval. - Cet après-midi, je me suis senti Mahorais, tellement la situation à Mayotte a des points communs avec celle de la Martinique. Les élus disent souvent : « Nous sommes français, nous sommes européens, mais nous sommes aussi martiniquais et caribéens, avec un ancrage dans les Caraïbes. » Ce que j'ai entendu ici, c'est exactement ce que nous défendons là-bas. Nous avons un État centralisateur : tout vient de Paris, ou de Bruxelles. Les textes nous tombent dessus sans être adaptés aux situations locales. Nous faisons partie de l'Europe, mais nous avons l'impression de ne pas être entendus.

Je voudrais féliciter nos rapporteurs Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, ainsi que notre présidente pour ce travail. Nous aborderons prochainement la région caribéenne et nous tenons nous aussi à renforcer l'intégration régionale. Nous voulons montrer que nous faisons partie d'un espace géopolitique et géostratégique.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous débuterons nos travaux sur le bassin Atlantique lors de la prochaine session parlementaire.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Je vous remercie, mes chers collègues, pour la qualité de votre rapport. Que Stéphane Demilly ait choisi de débuter son propos par la question de la vie chère n'est pas un hasard. Il s'agit d'un élément central, qui affecte au quotidien la vie des ultramarins. Le lier directement à la coopération régionale, à l'activité économique et à la connectivité de nos territoires avec leur bassin géographique est très important.

Je tiens aussi à souligner le fait que vous avez pris le temps de rencontrer les collectivités territoriales, qui mettent en oeuvre la coopération régionale. Dans votre rapport, vous venez redire à la France tout entière que, dans nos territoires, nous savons imaginer et mettre en oeuvre des politiques publiques favorables à nos concitoyens, dans le respect des réglementations et lois en vigueur. Or, bien souvent, nous sommes confrontés à des injonctions contradictoires qui nous empêchent d'aller aussi loin que nous le voudrions.

Les vingt propositions que vous développez relèvent du bon sens. J'espère qu'elles trouveront un écho favorable et qu'elles se traduiront concrètement sur le terrain. Nos collectivités territoriales, si loin de l'Hexagone, doivent sentir qu'elles sont entendues, mais surtout soutenues dans leur action.

M. Georges Naturel. - Je vous remercie de ce rapport très intéressant. Quel que soit le bassin, les problématiques sont finalement similaires, si l'on excepte les spécificités dépendant de nos relations régionales. À l'issue des trois volets, il faudra valider un corpus général. Nos propositions auront plus de force si nous parvenons à nous coordonner entre bassins. Dans le contexte actuel, cette analyse est essentielle pour savoir, par exemple, comment nous inscrivons nos territoires - Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna - dans le fameux axe indopacifique.

Mme Viviane Malet. - Je remercie à mon tour les rapporteurs pour la qualité de leur travail. J'adhère absolument aux vingt recommandations. Comme ma collègue de La Réunion et l'ensemble de mes collègues ultramarins, je suis sensible à la question de la vie chère. Le coût des transports est un sujet à traiter en priorité si l'on veut coopérer davantage au sein de l'océan Indien et entre nos départements. En raison des monopoles, un vol Maurice-La Réunion ou Mayotte-La Réunion peut être plus cher qu'un vol Paris-La Réunion.

Un autre défi est la barrière de la langue. Voilà trois ou quatre ans, le conseil départemental de La Réunion proposait des emplois aidés, dont les bénéficiaires étaient affectés dans les alliances françaises, les ambassades ou les facultés de la région. Cela permettait à nos jeunes de revenir bilingues, mais aussi de promouvoir la langue française en Inde, en Afrique du Sud ou dans d'autres territoires. Le département de La Réunion doublait la participation de l'État et logeait ces étudiants pendant deux ou trois ans. Il est dommage que ce système ait disparu. J'espère, madame la présidente, que son rétablissement figurera parmi les propositions que nous formulerons au mois de novembre.

M. Jean-Gérard Paumier. - J'ai encore peu d'expérience au Sénat sur la question des outre-mer et je trouve important que le rapport souligne que le développement et l'ambition des territoires ultramarins sont freinés par la concentration des pouvoirs et la dilution des moyens.

Nous le savons bien, la concentration des pouvoirs n'est pas réservée à ces territoires ultramarins. Si l'on peut comprendre que les dossiers concernent Tours soient gérées depuis Paris, il en va autrement pour Mayotte ou La Réunion. La coopération régionale souffre manifestement d'une grave insuffisance et l'on peut se demander pourquoi, en 2024, nous en sommes encore à nous poser ces questions.

Par ailleurs, j'ai retenu des nombreuses auditions que nous avons menées le nombre invraisemblable d'organismes qui agissent dans tous les sens, chacun avec ses moyens, chacun avec ses critères. Moi qui suis un esprit simple, je pense que les collectivités, qui sont gérées par des élus, sont mieux placées pour savoir ce qui est bon pour leur territoire que des personnes qui sont affectées périodiquement, mais qui passent en définitive peu de temps sur le terrain. Merci aux rapporteurs d'avoir mis le doigt sur ces deux sujets.

M. Christian Cambon, rapporteur coordonnateur. - J'apporterai pour conclure un éclairage « commission des affaires étrangères » - j'ai cherché cette symbiose -, en soulignant à mon tour le risque d'ingérence, bien pointé par ailleurs dans le rapport. Si vous saviez le nombre de signalements particulièrement inquiétants dont j'ai eu connaissance lorsque j'étais à la tête de la délégation parlementaire au renseignement ! L'ensemble des outre-mer est concerné par ce phénomène, y compris la Guyane. Quand on voit la manière dont nos richesses aurifères ou halieutiques y sont pillées, la volonté d'atteinte à notre souveraineté économique est évidente.

Dans l'océan Indien également, des puissances étrangères sont à l'action. Nous connaissons bien le rôle de la Chine, dont la présence s'étend - nous le verrons prochainement - jusqu'en Polynésie. Nous sommes conscients des manipulations qui ont eu lieu en Nouvelle-Calédonie au moment des référendums : de véritables pourparlers se sont tenus quasiment au grand jour entre les indépendantistes et les Chinois, qui faisaient mille promesses. Aux Comores bien sûr, cette tentation existe de manière beaucoup plus officielle.

Je rejoins Thani Mohamed Soilihi. Je voudrais dire au prochain ministre des affaires étrangères - nous l'avons souvent dit à ses prédécesseurs - qu'il est temps désormais de hausser le ton. Tous ces gens-là, nous les voyons à l'oeuvre. Le président chinois a été reçu avec bien des égards et on ne lui parle jamais de ce genre de choses.

Le rapport le préconise : il faut renforcer les équipes diplomatiques autour des ambassadeurs territoriaux, qui ne disposent que d'un seul adjoint quand la moindre ambassade compte au moins une dizaine de personnes. Il faudrait toute une équipe pour aller voir les pays du voisinage, porter ces messages et, le cas échéant, évoquer des sanctions.

En tant que rapporteur du budget de l'Agence française de développement (AFD) - entre parenthèses, le fait d'avoir rattaché les outre-mer à l'AFD en dit long sur la vision qu'ont certains des outre-mer dans notre pays -, je pense que nous devons avoir un message clair vis-à-vis de ces pays, en particulier des Comores, qui viennent régulièrement, dans un autre cadre, nous demander une aide considérable. Il faut trouver un équilibre dans ces relations.

Je souhaite par ailleurs que nous ayons chaque année un débat au Sénat sur les outre-mer. Comment se fait-il que l'assemblée des territoires ne parvienne pas à évoquer ces sujets aussi régulièrement ? Nous avons certes quelques « fenêtres de tir », au moment du budget par exemple, mais il nous faut institutionnaliser ce débat.

Il faut montrer à la population française tout l'intérêt d'avoir des outre-mer. Combien de fois avons-nous entendu dire sur le terrain : « Pourquoi donc le pays se charge-t-il de toutes ces îles ? Donnons-leur leur indépendance ! Tout cela coûte beaucoup d'argent ! » ? Il faut dénoncer ces propos, que vous connaissez par coeur. Ce type de rapport y contribue, mes chers collègues ultramarins, en montrant tout ce que vous apportez à la France, ne serait-ce que notre présence et notre souveraineté dans le monde. On se gargarise d'un discours sur « la France, puissance de l'Indopacifique ». Mais quelle puissance ? Celle qui s'appuie sur un patrouilleur de quarante ans et sur un hélicoptère Puma de cinquante-six ans dans lequel je n'aurais jamais mis les pieds si j'avais eu connaissance de sa vétusté ? Il faut avoir des ambitions et faisons en sorte, collectivement, de mettre en relation les moyens nécessaires pour les atteindre !

Je le répète : nous devons lutter contre les ingérences. L'expérience de Bakou est insensée : il s'agissait d'une véritable conférence contre la France. Je soulèverai d'ailleurs ce problème dans le cadre de la mission que je conduirai dans quinze jours à Ankara.

Remettons les choses à leur place. La France est un grand pays. Nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et nous avons des responsabilités. Même si les crédits ont été quelque peu resserrés, la France donne beaucoup à ces pays dans le cadre de l'aide au développement. Il faut qu'il y ait une contrepartie, notamment dans les affaires de souveraineté.

Ce rapport est essentiel et j'en remercie Mme la présidente. Le découpage très astucieux de nos travaux nous permettra d'apporter notre regard sur ces parties du monde et de formuler des propositions qui méritent selon moi d'être débattues en séance publique. En effet, nos collègues, eux aussi, ont besoin de savoir. Je regrette le temps où l'on autorisait à chaque sénateur la possibilité d'un déplacement en outre-mer. Beaucoup d'entre eux n'ont jamais été véritablement confrontés à la réalité de ces territoires.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci cher président Christian Cambon, votre regard éclairé nous permet de nous sentir soutenus et compris, ce qui n'est pas toujours le cas. J'espère que nous aurons prochainement un ministre ayant une bonne connaissance de nos territoires. Ils ont besoin d'être entendus.

La délégation sénatoriale aux outre-mer adopte le rapport à l'unanimité des présents et une abstention (M. Robert Wienie Xowie, sénateur de la Nouvelle-Calédonie)

La réunion est close à 15 h 45.

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