LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Prévoir, en fonction des circonstances locales, la possibilité d'un transfert de propriété des emprises préfectorales - direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES), direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier (DEPAFI) et collectivités territoriales concernées.

Recommandation n° 2 : Garantir le financement d'opérations immobilières dont le retour sur investissement est considéré comme très performant, notamment en termes de performance énergétique - DEPAFI, direction du budget (DB) et direction de l'immobilier de l'État (DIE).

Recommandation n° 3 : Unifier le régime de prise en charge des dépenses immobilières de l'administration territoriale de l'État, en supprimant la distinction existante pour les dépenses du propriétaire des directions départementales interministérielles et des directions régionales de l'administration territoriale de l'État - DMATES et DEPAFI.

Recommandation n° 4 : Renforcer la maîtrise d'ouvrage de l'État, notamment en permettant la mobilisation des compétences au-delà des périmètres ministériels - DIE.

Recommandation n° 5 : Simplifier les modalités de financement des dépenses immobilières de l'administration territoriale de l'État, en limitant le nombre de vecteurs budgétaires - DEPAFI, DB et DIE.

Recommandation n° 6 : Lancer un réel chantier d'objectivation des besoins financiers pour atteindre les objectifs du décret tertiaire et de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments - DMATES et DEPAFI.

Recommandation n° 7 : Engager une politique beaucoup plus volontariste en matière de densification des locaux de l'ATE - DMATES et DEPAFI.

Recommandation n° 8 : Redéfinir les modalités de calcul des ratios de surface par agent pour exclure les espaces de réception et de réunion des préfectures, afin de garantir le réalisme de ces cibles - DIE.

Recommandation n° 9 : Intégrer à l'analyse de la soutenabilité du budget de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » la cohérence des financements immobiliers au regard des obligations de rénovation énergétique des bâtiments - DB.

Recommandation n° 10 : Maintenir la mise en place d'une foncière dans deux régions pilotes en 2025 (ministère de l'économie et ministère de l'intérieur).

Recommandation n° 11 : Confier au préfet de région la prise de décision sur les orientations stratégiques de la foncière au niveau régional - DIE, DMATES et DEPAFI.

Recommandation n° 12 : Faire de l'échelon régional l'échelon de référence pour l'organisation territoriale de la foncière - DIE, DMATES et DEPAFI.

Recommandation n° 13 : Définir le niveau des loyers payés par les occupants en fonction des coûts réels pour la foncière, intégrant notamment celui de la transition énergétique du parc, afin de répondre aux obligations nationales et européennes - DB, DIE, DMATES et DEPAFI.

Recommandation n° 14 : Veiller à ce que la création de la foncière n'induise pas une perte de compétence en assurant le maintien des agents ayant la connaissance bâtimentaire au sein de cette nouvelle structure - DIE, DMATES et DEPAFI.

Recommandation n° 15 : Garantir l'information du Parlement en complétant le document de politique transversale sur la politique immobilière de l'État en présentant précisément les moyens déployés par la foncière et ses objectifs - DB.

I. L'IMMOBILIER DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT EST CONTRONTÉ À LA SITUATION CONTRADICTOIRE D'UN FORT MANQUE DE MOYENS ET D'UNE MULTIPLICATION DES VECTEURS BUDGÉTAIRES

A. ALORS QUE LE PROGRAMME 354 PORTE LES DÉPENSES IMMOBILIÈRES D'UN PARC HÉTÉROGÈNE, SON PÉRIMÈTRE D'INTERVENTION DOIT ÊTRE CLARIFIÉ

1. Un patrimoine important, qui peut être propriété de l'État, mis à disposition par des collectivités territoriales, ou encore loué à des bailleurs privés

Le patrimoine de l'administration territoriale de l'État (ATE) comporte 2 871 bâtiments hébergeant près de 75 000 agents pour une surface utile brute (SUB) de plus de 3 millions de m², soit 3 % de la SUB de l'ensemble des bâtiments occupés par l'État et ses opérateurs.

Le périmètre immobilier du programme 354

Le périmètre immobilier du programme 354 « Administration territoriale de l'État » vise les services des :

- 101 préfectures situées en métropole et départements régions d'outre-mer, ainsi que leurs sous-préfectures ;

- 235 directions départementales interministérielles (DDI) ;

- 65 directions régionales du champ de l'administration territoriale de l'État (DR du périmètre ATE), dont 20 en départements ou région d'outre-mer ;

- 28 services de l'éducation nationale installés en cité administrative, dans des locaux communs avec les précédents services.

Source : projet annuel de performances de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2024.

Ces sites sont affectés à trois catégories d'usage (bureaux, logements et bâtiments techniques) et peuvent relever de trois statuts patrimoniaux (domanial, mis à disposition ou pris à bail par l'État).

Les bâtiments préfectoraux représentent une surface totale de 1,8 million de m², tandis que le parc immobilier des DDI et des DR du périmètre ATE représente un peu plus de 1,3 million de m². Le régime applicable aux différents bâtiments répond à des héritages historiques : ainsi, une part importante des emprises préfectorales sont mises à dispositions par les collectivités territoriales, principalement les conseils départementaux (cf. infra).

Répartition de l'immobilier de l'administration territoriale de l'État

(en pourcentage des surfaces)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur

Les différents statuts des bâtiments de l'ATE appellent deux séries de remarques de la rapporteure spéciale, concernant, d'une part, les bâtiments mis à disposition de l'État par les collectivités, et, d'autre part, les bâtiments loués à des bailleurs privés.

a) Héritage des lois de décentralisation, la mise à disposition par les départements des emprises préfectorales doit pouvoir évoluer au cas par cas

Les surfaces mises à disposition par les départements depuis les lois de décentralisation représentent près de la moitié des emprises préfectorales, soit un peu plus de 800 000 m² de SUB. Le principe de mise à disposition est fixé à l'article 26 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions12(*).

Les charges de maintenance et de gros entretien sont réparties entre l'État et les conseils départementaux en application de l'article 13 de la loi du 11 octobre 198513(*), qui dispose que « l'État prend à sa charge les travaux d'entretien et de grosses réparations incombant au propriétaire. Il possède tous pouvoirs de gestion et, le cas échéant, agit en justice aux lieu et place du propriétaire. »

Des conventions de mise à disposition sont ainsi signées entre l'État et les conseils départementaux. Lorsque les services sont imbriqués dans les mêmes bâtiments, ces conventions permettent d'établir le régime de répartition des charges.

Dans son rapport sur la gestion de l'immobilier préfectoral de janvier 202314(*), la Cour pointe le manque de suivi des conventions, et des avenants signés entre les préfectures et les départements. De plus, alors que la répartition des espaces peut évoluer, « ces révisions demeurent à ce jour rares et sans cadre national renouvelé ».

La Cour des comptes qualifiait déjà en 201015(*) cette situation « d'accommodement ». Dans son rapport de janvier 2023, la Cour indique que « les implantations préfectorales mériteraient de faire l'objet d'une analyse approfondie quant aux enjeux portés par l'État en matière de transition écologique, de rationalisation de certaines implantations ». Le rapport propose notamment d'engager une expérimentation de reprise dans le patrimoine de l'État des sous-préfectures, qui sont dans leur grande majorité exclusivement occupées par les services de l'État.

Néanmoins, la Cour admet que certaines spécificités locales peuvent justifier le maintien du régime de répartition actuel : un cadre trop rigide de transfert à l'État des biens détenus par les collectivités pouvant même s'avérer contre-productif.

La rapporteure spéciale partage en grande partie l'analyse de la Cour : elle considère que la possibilité doit être ouverte aux Préfets d'engager des échanges avec les collectivités propriétaires pour une cession à un montant symbolique des emprises concernées.

Alors que de nombreux bâtiments ne sont occupées que par les services de l'État, une telle démarche de simplification et de rationalisation ne peut qu'être bienvenue lorsqu'elle est possible. Surtout, l'intégration pleine et entière de ces biens au patrimoine de l'État doit contribuer à améliorer la vision stratégique du ministère sur son patrimoine.

Néanmoins, ces transferts ne peuvent être automatiques et doivent intervenir après des échanges avec les conseils départementaux. En effet, il serait préjudiciable de créer des complexités alors que la mise à disposition des bâtiments intervient, dans la pratique, « sans difficulté particulière », et alors que « ces bâtiments font l'objet d'un traitement identique à ceux inscrit au patrimoine de l'État », d'après les réponses du ministère de l'intérieur au questionnaire de la rapporteure spéciale.

En outre, le ministère de l'intérieur indique que « la possession des bâtiments préfectoraux par les collectivités territoriales ouvre à ses dernières la possibilité d'obtenir des crédits du ministère de la culture au titre de la conservation des monuments historiques ». En cas de transfert de propriété, il conviendra de veiller à maintenir ces financements, indispensables à la préservation du patrimoine.

Recommandation n° 1 : prévoir, en fonction des circonstances locales, la possibilité d'un transfert de propriété des emprises préfectorales (direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur, direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier et collectivités territoriales concernées).

b) Un parc locatif qui pourrait être rationnalisé à l'occasion des chantiers de densification, les économies générées par les abandons de baux devant pouvoir contribuer à financer ces opérations

Les services de l'administration territoriale de l'État louent plus de 320 000 m² à des bailleurs privés, soit près de 10 % des surfaces occupées par ces services. La location représente des montants conséquents en dépenses de fonctionnement : en 2023, ils ont représenté 91,32 millions d'euros, soit 27 % des dépenses immobilières du programme. Ainsi, les loyers externes ont représenté à eux seuls près de deux fois et demi (241 %) les dépenses d'investissement immobilier.

Répartition des dépenses immobilières du programme 354 en 2023

(en CP, en pourcentage des dépenses)

Source : rapport annuel de performances pour l'année 2023

Il est ressorti des échanges de la rapporteure spéciale avec différents services que des projets de construction, de rationalisation des emprises et de densification, potentiellement coûteux à court terme, pouvaient se traduire par des économies à moyen terme sur les loyers - ces économies étant d'autant plus importantes que les chantiers en question peuvent permettre de répondre aux obligations environnementales de l'État (cf. infra).

À ce jour, il n'existe pas d'outil pour permettre de financer ce type d'opérations pourtant génératrices d'importantes économies de fonctionnement. Ainsi, lors de son déplacement en Corse du Sud, la rapporteure spéciale a pu relever qu'une opération qui avait pourtant été labellisée lors d'une conférence nationale de l'immobilier public (CNIP) allait être remise en cause, faute d'obtenir auprès des ministères concernés les financements nécessaires à la réalisation du projet. La rapporteure spéciale ne peut que déplorer cette situation, alors que l'objectif de la labellisation en CNIP est précisément de « s'assurer de la performance technique, économique et énergétique des projets immobiliers » de « professionnaliser le montage des projets immobiliers » et « d'objectiver la décision immobilière »

Le projet Paglia Orba 2

Le projet Paglia Orba 2 a été soumis à la labellisation CNIP en juillet 2022. Il consiste au regroupement sur le site de Paglia Orba à Ajaccio des 191 agents des services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), de la direction de la mer et du littoral corse (DMLC) et de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), actuellement installés dans plusieurs sites. Le scénario privilégié visait à signer un contrat de vente en état futur d'achèvement pour le bâtiment dit Paglia Orba 2.

Le projet permettait de répondre à plusieurs objectifs de la politique immobilière de l'État :

- le projet répond à une logique fonctionnelle de regroupement et de densification des services en réduisant les implantations de 15 à 6 emprises, avec une diminution globale de surface de 796 m² (- 28,5 % des surfaces occupées par les agents concernés) ;

- la performance énergétique du nouveau bâtiment B devait être élevée (a minima de type E3C1) permettant d'obtenir des gains importants en matière de consommation énergétique par rapport aux anciens locaux : programmation centralisée, dispositifs occultant en façade, récupération et stockage d'eau de pluie, bornes électriques. La comparaison entre la situation actuelle et la situation à l'issue du projet affiche une réduction supérieure à 60 % de la consommation énergétique, de la facture énergétique et des émissions de gaz à effet de serre ;

- le scénario acquisitif représente un coût complet sur le long terme de 25 ans (67 millions d'euros, contre près de 75 millions d'euros en cas de statu quo). D'après l'avis de la direction de l'immobilier sur le projet, celui-ci offre un retour sur investissement très performant, à 16 ans. Outre les cessions domaniales, et les moindres dépenses de location, le financement était très largement envisagé sur le programme 723 du CAS immobilier.

Source : dossier d'examen du projet Paglia Orba 2 pour sa labellisation en conférence nationale de l'immobilier public, le 12 juillet 2022

Ainsi, malgré les qualités du projet Paglia Orba 2 et le fait qu'il répondait à plusieurs des objectifs de la politique immobilière de l'État (densification des surfaces, amélioration de la performance énergétique des bâtiments, retour sur investissement performant), celui-ci a dû être abandonné faute de rassembler les financements suffisants pour sa réalisation.

À la lumière de cet exemple, la rapporteure spéciale considère par conséquent qu'il est indispensable de disposer de nouveaux outils pour permettre le financement d'opérations vertueuses, dans lesquelles les investissements sont rapidement compensés par les économies de fonctionnement, principalement sur les loyers.

Cet outil aurait dû être mis en place depuis plusieurs exercices, ce qui aurait permis au parc immobilier de l'ATE de se moderniser et de se densifier, sans coût à moyen terme pour les finances publiques.

La transition vers des bâtiments plus écologiques permet aussi de répondre à l'exigence de mise en conformité du parc, en réalisant des dépenses qui devront de toute façon être engagées. Par ailleurs, doivent être pris en compte, dans ce type d'opération, la diminution du coût des fluides et l'optimisation des surfaces voire leur abandon ainsi que la baisse des charges notamment liées à l'entretien. La prise en compte de l'ensemble de ces variables doit soutenir le financement de projets les plus vertueux.

Recommandation n° 2 : Garantir le financement d'opérations immobilières dont le retour sur investissement est considéré comme très performant, notamment en termes de performance énergétique (direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier, direction du budget et direction de l'immobilier de l'État).

Par ailleurs, un travail doit être mené pour identifier les opportunités d'optimisation des surfaces et de réduction des coûts.

À titre d'exemple, en République Tchèque, un outil, dénommé Office of Government Real Property Administration (OGRPA ou ÚZSVM) et qui prend la forme d'un registre des bâtiments administratifs (outil informatique d'enregistrement de tous les espaces de bureaux et utilisations des bureaux) centralise les données pour fournir des conseils sur les relocalisations, la politique immobilière, la stratégie et les normes.

Selon une étude d'Ersnt and Young, produite pour la Commission européenne16(*), l'OGRPA reflète l'accent mis par l'administration Tchèque sur l'aliénation de biens immobiliers et son rôle politique en ce qui concerne l'utilisation des bureaux du gouvernement, y compris les recettes de cession, la réduction de la taille du portefeuille, les postes vacants, les revenus locatifs, les coûts d'exploitation, la consommation d'énergie et la norme en matière d'espaces de bureaux.

Ainsi, afin d'améliorer la connaissance bâtimentaire et mieux identifier les gisements d'économie potentiels, la rapporteure spéciale salue les travaux de la direction de l'immobilier de l'État visant à prioriser la remontée des données utiles à une gestion proactive de l'immobilier public.

En effet, le référentiel technique, outil interministériel mis à disposition des gestionnaires de parcs des différents occupants (opérateurs, administration centrale, ...) par la direction de l'immobilier de l'État, intègre désormais prioritairement certaines données. Ce logiciel permet de recueillir, stocker, et mettre à jour les données immobilières de chaque bâtiment. L'outil doit donc être renseigné par chaque service de l'État gestionnaire et chaque opérateur.

Dans le cadre de la définition des schémas directeurs de l'immobilier régional, une mise à jour de ce référentiel technique a été engagée, et permettra de disposer de données plus précises sur l'état général des biens et leur coût.

Données prioritaires du référentiel techniques

Données générales

Adresse du bien

Surface utile brute/ surface utile nette

Nombre de poste de travail

Loyer

Présence d'amiante

États techniques

État de santé général

État d'accessibilité général

Facilité d'accès pour le personnel

Présence d'une enquête de confort d'usage

Données d'exploitation

Charges de fonctionnement

Consommation d'énergie finale annuelle

Consommation d'eau annuelle

Tri des déchets

Contrôle réalisé

État du dernier contrôle réalisé

Réserves levées (sécurité incendie, électricité et ascenseurs).

Source : boîte à outils de la Direction de l'immobilier de l'État pour la rédaction des schémas directeurs de l'immobilier régional

Le référentiel technique de la DIE doit ainsi poursuivre sa montée en puissance pour que l'outil devienne, au cours des prochains exercices, un réel moyen d'identification des leviers d'amélioration et d'optimisation du parc immobilier de l'État.

2. Le périmètre des dépenses soutenues par le programme 354 doit impérativement être clarifié
a) Lors de la création du programme 354, la question des dépenses du propriétaire des directions départementales interministérielles et des directions régionales de l'administration territoriale de l'État n'a pas été clairement tranchée

La création en 2020 d'un nouveau programme budgétaire, le programme 354, « Administration territoriale de l'État », est intervenue dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE). Ce nouveau programme devait alors permettre de « renforcer l'efficacité du fonctionnement des services déconcentrés par la mutualisation des moyens et par le développement de la modularité des organisations. [Il visait] à obtenir des gains de performance dans le service rendu et à renforcer la capacité d'action de l'administration de l'État au niveau départemental. »17(*) Il fusionne le programme 307 « Administration territoriale », avec le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », antérieurement rattaché à la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

Dans le rapport annuel de performances du projet de loi de finances pour 2020, il était clairement inscrit que les dépenses immobilières de ce nouveau programme couvraient :

- « les dépenses immobilières de l'occupant18(*) du réseau préfectoral, des secrétariats généraux communs départementaux, des DDI et des DR de l'ATE - les dépenses concernées étant notamment les loyers, charges immobilières, coûts d'énergies-fluides et travaux d'entretien courant du locataire » ;

- « les dépenses immobilières du propriétaire19(*) du réseau préfectoral portées par le programme national d'équipement (PNE), ainsi que par des activités de travaux courants et de travaux d'investissement du propriétaire hors PNE, incluant une enveloppe mutualisée d'investissement régional (EMIR), à disposition de chaque territoire. »

L'enveloppe mutualisée d'investissement régional (EMIR)

Chaque préfet de région bénéficie d'une dotation annuelle au titre de l'enveloppe EMIR. Ces crédits sont destinés à financer des travaux généralement inférieurs à 100 000 euros pour l'entretien du patrimoine exclusivement préfectoral. Ces interventions peuvent couvrir des travaux de l'occupant ou du propriétaire.

Source : Cour des comptes, La gestion de l'immobilier préfectoral, janvier 2023

Ainsi, en principe, les dépenses immobilières du propriétaire des DDI et des DR de l'ATE n'entraient pas dans le champ des dépenses prises en charge par le programme 354. Néanmoins, les ministères de l'ATE ne disposant plus de crédits dédiés aux fonctions support, seul demeurait le programme 723, « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État », du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », pour assurer le financement des dépenses du propriétaire afférentes à ces bâtiments, alors même que ce programme a une vocation beaucoup plus large que la seule ATE.

Comme l'indique le document de politique transversale dédié à la politique immobilière de l'État, annexé au projet de loi de finances pour 2024, « les dépenses d'investissement immobilier (T5) du programme [354] ne concernent quasi exclusivement que les sites préfectoraux. »20(*)

Répartition des dépenses du propriétaire et de l'occupant
de l'administration territoriale de l'État

 

Préfectures

DDI et DR de l'ATE

Dépenses de l'occupant

Programme 354

Programme 354

Dépenses du propriétaire

Programme 723

Source : commission des finances, d'après les informations transmises par le ministère de l'intérieur

Néanmoins, comme le relève depuis plusieurs exercices le rapporteur du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » de la commission des finances du Sénat, M. Claude Nougein, le CAS est marqué par une baisse tendancielle de ses recettes et de ses dépenses, et celles-ci « sont loin d'être suffisantes pour couvrir l'ensemble des besoins du parc immobilier de l'État. »21(*)

Le fonctionnement du programme 723

Le programme 723 « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État » porte les crédits destinés à financer les dépenses d'entretien à la charge du propriétaire, ainsi que les opérations immobilières structurantes réalisées sur le parc immobilier de l'État.

Les produits des cessions de biens, qui constituent la principale ressource du compte, sont répartis à égalité entre les anciens ministères occupants et le compte d'affectation spéciale22(*). Cette règle de gestion répond à un double objectif : a) mutualiser les recettes au profit des dépenses d'entretien du propriétaire et b) encourager les ministères à rationaliser leurs emprises et à respecter les principes de la politique immobilière de l'État, en leur reversant une partie des produits issus de leurs actions de valorisation.

Concrètement, chaque ministère et chaque préfecture de région dispose d'un budget opérationnel de programme (BOP) pour financer ses projets immobiliers, en partie appuyé sur les droits de tirage qui lui sont alloués sur les produits de cession encaissés sur le CAS.

Source : Rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2024 du Compte d'affectation spéciale : Gestion du patrimoine immobilier de l'État, M. Claude Nougein, commission des finances du Sénat23(*).

En tout état de cause, le CAS n'a ni la vocation, ni les moyens, de prendre en charge l'ensemble des dépenses du propriétaire du parc des DDI et des DR du périmètre ATE, quand bien même ces dernières seraient « mieux servies » que d'autres bâtiments publics.

En effet, financer les dépenses du propriétaire de près de la moitié du parc immobilier de l'ATE uniquement avec les produits de cession des biens de l'État n'est « ni sain, ni suffisant », d'après les termes du directeur de l'immobilier de l'État, M. Alain Resplandy Bernard, auditionné par la rapporteure spéciale.

D'abord, le financement de ces besoins pérennes ne saurait être durablement assuré par des recettes ponctuelles de cession, qui ont de surcroît vocation à réduire au fil des exercices.

Ensuite, pour 2024, les dépenses d'investissement du programme 723 s'élèvent à 123 millions d'euros pour l'ensemble du parc immobilier de l'État, alors même que ce programme fait lui aussi l'objet d'effets d'éviction au profit de grands programmes (projet Quai d'Orsay XXI du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le projet de Saint-Mandé mené par le ministère de la transition écologique). Les crédits du programme 723 ne peuvent en aucun cas suffire à assurer les charges du propriétaire inhérentes au parc immobilier des DDI et des DR de l'ATE.

Comme l'indique le ministère de l'Intérieur dans ses réponses au questionnaire de la rapporteure spéciale : « le CAS 723, dont la dynamique est par ailleurs en voie de ralentissement, étant également mobilisable pour les contrôles réglementaires sur l'ensemble du parc de l'État au-delà du périmètre ATE, un grand nombre de projets au bénéfice des DDI et DR sont laissés en suspens. »24(*)

De plus, comme le relève l'inspection générale des finances et le conseil général de l'environnement et du développement durable dans son rapport sur l'immobilier de l'État : une nouvelle architecture pour professionnaliser, « les interlocuteurs rencontrés par la mission ont unanimement souligné la faiblesse des enveloppes délégués par la DIE [sur le programme 723], qui ne permettent pas de couvrir plus que la moitié des besoins identifiés. » 25(*) Ainsi, le rapport évoque un CAS « à bout de souffle ».

Cette situation est d'autant plus préoccupante que : les DDI et les DR, « présentent aujourd'hui des risques de détérioration accélérée (et donc de coûts démultipliés) avec les risques que cela comporte, notamment de dégradation de la qualité de vie au travail, d'accueil des usagers... »26(*)

b) La responsabilité des dépenses du propriétaire de l'administration territoriale de l'État doit être harmonisée et accompagnée d'un fléchage des moyens suffisants

D'après le directeur de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier, M. Pierre Chavy le programme national d'équipement (PNE) du programme 354 « peut ponctuellement prendre en charge certaines dépenses du propriétaire des DDI et des DR ». Au regard des éléments transmis, ces interventions ponctuelles sont très limitées. Ainsi, sur le total des demandes PNE de la période 2023-2027, seuls 1,6 % d'entre elles27(*) concernent les directions départementales ou les cités administratives.

Cette situation est d'autant plus problématique que, d'après les réponses transmises par la direction de l'immobilier de l'État à la rapporteure spéciale, le ministère de l'intérieur « a décidé de ne pas couvrir les dépenses sur les périmètres des DDI et DR, alors qu'il en a la compétence. Cela relève sans doute d'un débat entre le ministère de l'intérieur et la direction du Budget sur le juste niveau de budgétisation à réaliser ou sur les conditions du transfert au moment de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Reste que cette situation a des implications fortes sur la dégradation du patrimoine de l'État, les conditions d'accueil des usagers et de travail des agents, et peut avoir des conséquences pénales pour les chefs d'établissement. »28(*)

Il est par ailleurs à noter que la création, depuis 2018, de nouveaux vecteurs budgétaires, dédiés à la rénovation des cités administratives (programme 348), ou à des opérations ponctuelles pour les crédits du plan de relance (programme 362), ont contribué à garantir le financement d'opérations indispensables pour les DDI et les DR de l'ATE (cf.infra).

Ainsi, lancé avant la création du programme 354 et la crise sanitaire, le programme 348 a permis de financer un milliard d'euros de rénovation de 36 cités administratives, occupées en partie par des directions de l'ATE.

Par ailleurs sur les crédits du programme 362 « Écologie », de la mission « Plan de relance » onze projets de grande envergure de plus de 10 millions d'euros ont été financés, correspondant au périmètre des dépenses du propriétaires des DDI et des DR de l'ATE.

Le programme 362 a ainsi permis de débloquer des financements indispensables pour répondre à des besoins massifs sur les dépenses du propriétaire des bâtiments de l'administration territoriale.

Il n'en demeure pas moins que ces vecteurs budgétaires, qui fonctionnent selon une logique d'appel à projet et ne sont pas dotés de crédits budgétaires pérennes, ne sauraient devenir les vecteurs de « droit commun » du financement des dépenses du propriétaire de ces directions.

De plus, ces appels à projets de la direction de l'immobilier de l'État exigent le plus souvent des co-financements et induisent des effets de bord à financer en sus des travaux, (relogements temporaires, achat de mobilier, déménagements, archivage, etc)29(*).

Pour sortir de « l'impasse du financement de l'immobilier du propriétaire des DDI et des DR », le ministère de l'intérieur souhaiterait « harmoniser le portage des crédits immobiliers de l'ATE », en augmentant la dotation du programme 354 de 42 millions d'euros. Cette demande a été portée par le ministère de l'intérieur auprès de la direction du budget, à l'occasion de la préparation du projet de loi de finances pour 2024. Elle n'a pas été satisfaite en 2024 et a donc été réitérée lors des travaux préparatoires au projet de loi de finances pour 2025.

Le ministère de l'intérieur souhaiterait que cette demande soit satisfaite au-delà du cadre de la loi de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), arguant notamment du fait que l'inflation intervenue depuis le vote de la loi a rogné une partie des moyens supplémentaires octroyés par celle-ci. Néanmoins, les lois de programmation sectorielles votées par le Parlement ont vocation à définir des trajectoires strictes de finances publiques pour les ministères, et l'augmentation de cette enveloppe ne serait pas sans poser d'importantes difficultés.

Trajectoire du budget du ministère de l'intérieur,
définie par l'article 2 de la loi d'orientation et de programmation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Il est donc urgent d'arbitrer clairement la responsabilité des dépenses du propriétaire du parc des DDI et des DR de l'ATE et de les intégrer aux dépenses prises en charge par le programme 354.

Au regard de l'impératif de maîtrise de dépense publique, il ne semble pas opportun de revoir à la hause l'enveloppe fixée par la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur. Si l'on peut déplorer, comme l'a relevé M. Clément Boisnaud, sous-directeur de la 5e sous-direction du budget, que « les sous-jacents de la LOPMI n'aient pas suffisamment pris en compte le sujet immobilier », ce constat ne doit pas pour autant conduire à une réévaluation des plafonds de la LOPMI.

Le ministère de l'intérieur doit, sous la contrainte de cette enveloppe, débloquer les crédits nécessaires aux dépenses du propriétaire de l'ensemble du parc de l'ATE.

Recommandation n° 3 : Unifier le régime de prise en charge des dépenses immobilières de l'administration territoriale de l'État, en supprimant la distinction existante pour les dépenses du propriétaire des directions départementales interministérielles et des directions régionales de l'administration territoriale de l'État (direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur et direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier).


* 12 Il est notable que le statut de ces mises à disposition était envisagé comme transitoire. En effet, l'article 22 de la loi du 7 janvier 1983 disposait que les biens préfectoraux « pourront faire l'objet d'un transfert en pleine propriété à la collectivité bénéficiaire ». Cet article a néanmoins été abrogé.

* 13 Article 13 de la loi n° 85-1098 du 11 octobre 1985 relative à la prise en charge par l'État, les départements et les régions des dépenses de personnel, de fonctionnement et d'équipement des services placés sous leur autorité.

* 14 La gestion de l'immobilier préfectoral, janvier 2023, Cour des comptes, p. 15.

* 15 La gestion du parc immobilier des préfectures et sous-préfectures, exercices de 2004 à 2008 de juillet

2010.

* 16 Étude comparative sur la gestion de l'immobilier d'État en Europe, restitution finale de l'étude, Ersnt and Young pour la Commission européenne, avril 2022.

* 17 Rapport annuel de performances de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 2020, p. 62.

* 18 Cette notion exclut a priori les dépenses du propriétaire du périmètre des dépenses immobilières couvertes par le programme 354.

* 19 Les dépenses du propriétaire sont constituées par les dépenses d'acquisition, construction, travaux structurants et entretien lourd. Celles-ci sont majoritairement des dépenses d'investissement.

* 20 Document de politique transversale, annexe au projet de loi de finances pour 2024, Politique immobilière de l'État, p. 123.

* 21Ibid.

* 22 Il existe plusieurs exceptions à ce principe général.

* 23 Annexe n° 15b au rapport général fait au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024, Compte d'affectation spéciale : Gestion du patrimoine immobilier de l'État, M. Claude Nougein.

* 24 Réponses du ministère de l'intérieur au questionnaire de la rapporteure.

* 25 Immobilier de l'État : une nouvelle architecture pour professionnaliser, avril 2022, Inspection générale des finances et Conseil général de l'environnement et du développement durable, p. 1.

* 26 Ibid.

* 27 Un peu moins de 3 millions d'euros sur les 176 millions d'euros de demandes réalisées sur le PNE.

* 28 Réponses de la direction de l'immobilier de l'État au questionnaire de la rapporteure.

* 29 En 2024, ce seraient ainsi près 16 millions d'euros, soit environ de 2,2 millions d'euros d'effets de bord résultants des opérations de rénovation du plan de relance, ainsi que 13,8 millions d'euros générés par les rénovations des cités administratives par le programme 348, pour le seul périmètre de l'ATE, que le programme 354 devra supporter. Le responsable de programme a fait le choix de dédier 8 millions d'euros pour prendre en charge partiellement ces frais accessoires (résultants à la fois des opérations du programme 348 et du plan de relance).

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