B. SI LE RÔLE DU BLOC COMMUNAL EST MIEUX RECONNU, L'ARTICULATION AVEC LES AUTRES ACTEURS DE LA POLITIQUE DU GRAND ÂGE RESTE PERFECTIBLE

1. De récentes évolutions législatives ont consolidé le rôle du bloc communal dans le soutien aux aînés
a) La meilleure prise en compte des enjeux d'adaptation au vieillissement dans les programmes locaux de l'habitat et au sein des commissions d'accessibilité

La loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement (dite « ASV ») prévoit la prise en compte, par les documents de planification urbaine, des besoins des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.

Le programme local de l'habitat (PLH)45(*) - document élaboré tous les six ans à l'échelle intercommunale pour définir la politique de
l'habitat - intègre désormais la problématique de l'adaptation de l'habitat au vieillissement. Toutefois, les évolutions procèdent surtout d'une « logique d'incitation, puisque l'obligation pesant sur les EPCI est essentiellement une obligation de réflexion »46(*).

La loi « ASV » élargit par ailleurs la composition des commissions communales et intercommunales d'accessibilité47(*), pour y inclure des associations représentatives de personnes âgées, aux côtés des représentants de la commune, des associations d'usagers et de représentants des personnes en situation de handicap. Ces commissions d'accessibilité formulent des propositions visant à améliorer l'accessibilité du bâti, de la voirie, des espaces publics et des transports.

b) La loi dite « ASV » du 28 décembre 2015 a institué les conférences des financeurs

La loi du 28 décembre 2015 dite « ASV » a instauré dans chaque département une conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées (CFPPA)48(*), chargée de financer des actions de prévention de la perte d'autonomie chez les personnes âgées de 60 ans et plus.

Ces conférences disposent d'une enveloppe de financement correspondant à une partie du produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa), versée au budget de la CNSA. Leur mission est de favoriser la « mise en commun des expertises, des projets et des financements dans une optique de mutualisation et, in fine, [l']amélioration de l'offre et de la lisibilité des dispositifs de prévention destinés aux personnes âgées de soixante ans et plus »49(*). Les CFPPA peuvent soutenir les actions locales d'adaptation au vieillissement, y compris celles portées par les communes et leurs CCAS, et sont également chargées de recenser les initiatives locales.

Aux termes de l'article L. 233-3 du CASF, la conférence des financeurs est présidée par le président du conseil départemental et comprend :

- des représentants de l'agence nationale de l'habitat (Anah) et de l'ARS du département ;

- des représentants des régimes de base d'assurance vieillesse et d'assurance maladie ainsi que des fédérations des institutions de retraite complémentaire ;

- des représentants des organismes régis par le code de la mutualité ;

- des représentants des départements et d'autres collectivités territoriales contribuant aux financements.

Les membres de droit de la conférence peuvent décider, à la majorité, d'autoriser « toute autre personne physique ou morale concernée par les politiques de prévention de la perte d'autonomie » à participer à ses travaux. Les représentants de la CNSA, auditionnés par vos rapporteurs, ont ainsi noté que « la rencontre et la mobilisation des élus cantonaux et des maires au sein de la conférence sont de bonnes pratiques pour améliorer la coordination des pratiques de prévention sur leur territoire »50(*).

Sans remettre en cause le principe d'une gouvernance resserrée, gage d'efficacité, les modalités d'association des communes et des intercommunalités pourraient être renforcées, en particulier dans la phase d'évaluation des besoins et de recensement des initiatives locales, en amont de la définition des programmes de financement.

Les bonnes pratiques de gouvernance consistant à associer des communes et des intercommunalités à la gouvernance des CFPPA devraient être promues. Il pourrait être envisagé de rendre obligatoire, lors de la phase de recensement des initiatives locales, la participation de représentants de communes et d'intercommunalités.

Recommandation n° 3 : Étudier l'opportunité de rendre obligatoire la participation de représentants de communes et d'intercommunalités dans le cadre de la mission de recensement des initiatives locales, qui incombe aux CFPPA.

c) En dépit de son manque d'ambition, la loi « Bien vieillir » conforte certaines opérations destinées à lutter contre l'isolement des personnes âgées

Bien que la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, dite « Bien Vieillir », n'ait pas été à la hauteur des attentes en matière d'adaptation au vieillissement, l'un de ses apports est néanmoins d'élargir les possibilités de collecte et de transmission d'informations concernant les personnes âgées les plus fragiles51(*), à condition que celles-ci ou le cas échéant leur représentant légal ne s'y soient pas opposés.

Les conditions de collecte de données (identité, âge et domicile) par les maires sont précisées, ainsi que, réciproquement, les modalités
de transmission aux maires des données relatives aux bénéficiaires
d'allocations52(*). Concrètement, les maires peuvent transmettre ces données aux CCAS (ou CIAS), aux services sanitaires ou aux établissements et services médico-sociaux (ESMS) de leur territoire, pour informer les personnes de leurs droits, proposer des actions contre l'isolement social ou organiser un contact périodique dans le cadre d'un plan d'alerte et d'urgence. Toutefois, le décret d'application, qui doit être pris après avis de la CNIL, est toujours attendu.

Si les dispositifs de lutte contre l'isolement ne sont pas nouveaux, ces nouvelles dispositions doivent conférer davantage de sécurité juridique pour lutter contre l'isolement et mieux orienter les seniors vers des services
adaptés. Les dispositions de la loi « Bien vieillir », relatives à la collecte et à la transmission des données, pourraient faciliter ces initiatives. Dans le cadre des travaux d'audition, plusieurs exemples de coopérations fructueuses ont été mis en exergue. L'association France urbaine a cité la convention d'échanges de données conclue entre la ville de Rennes et le département d'Ille-et-Vilaine, dont l'objet est de repérer, sur la base de critères objectifs de fragilité, des situations d'isolement. Cette initiative a permis à la ville d'adresser des courriers d'information ciblés aux habitants et de multiplier par six, en l'espace de deux ans, le nombre de personnes inscrites sur le registre des personnes vulnérables.

Ces nouvelles possibilités de collecte de données contribuent à la mise en place des « réseaux de vigilance »53(*), mettant en relation les acteurs engagés dans la lutte contre l'isolement social, tout en respectant le libre arbitre des personnes quant à leur volonté de prendre part à ces démarches.

L'AMF souhaite aller plus loin, considérant que le « repérage des publics » est l'un des obstacles majeurs dans la mise en oeuvre
des «
 démarches permettant d'aller au contact direct des
personnes
 ». L'association propose ainsi d'engager une réflexion pour que la « réglementation RGPD puisse être assouplie lorsque la demande émane du pouvoir public et relève de démarches de solidarités et non commerciales »54(*).

Recommandation n° 4 : Veiller à la publication du décret d'application relatif aux modalités de collecte et de transmission par les maires d'informations concernant les personnes les plus fragiles.

2. Le nouveau SPDA devra renforcer la coordination entre les acteurs de la politique du grand âge
a) Au 1er janvier 2025, le SPDA sera déployé dans chaque département

Conformément aux dispositions de la loi du 8 avril 2024
dite « Bien vieillir », le SPDA sera mis en place à compter du 1er janvier 2025. Ce nouveau service public devra - entre autres missions55(*) - renforcer la coordination entre les acteurs de la politique du grand âge, quel que soit le point d'entrée (guichet France services, maison départementale du handicap (MDPH), CCAS, caisses de sécurité sociale, etc.).

L'article L. 149-6 du CASF, dans sa rédaction issue de la loi « Bien vieillir », dispose que les communes et leurs groupements seront parmi les acteurs devant assurer conjointement le SPDA56(*). L'approche de la loi « Bien vieillir » rejoint largement celle portée par son inspirateur, Dominique Libault, qui dans son rapport « Vers un service public territorial de l'autonomie »57(*) décrivait les communes et les intercommunalités comme des « partenaires » de la gouvernance de ce futur service public départemental. Selon cette conception, le bloc communal compterait ainsi parmi un « ensemble » d'acteurs apportant des « réponses de proximité », tandis que la gouvernance du SPDA aurait vocation à être assurée par « l'État [et] le conseil départemental, chacun légitime dans [leur] sphère de compétences respective »58(*).

Cependant, le texte de la loi « Bien vieillir » se cantonne à une territorialisation inaboutie du SPDA. Dans le cadre des discussions sur la proposition de loi, le Sénat avait adopté un amendement59(*) visant à permettre au conseil départemental et à l'ARS de définir conjointement des « territoires de l'autonomie » au niveau infra-départemental, c'est-à-dire au niveau des bassins de vie. En effet, une approche plus fine peut parfois être nécessaire, « le niveau départemental n'[étant] pas nécessairement suffisant pour penser la coordination de l'offre de services à la population et pour créer une articulation avec les EPCI, les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et les centres communaux d'action sociale (CCAS) notamment »60(*). Si le rôle de chef de filât du département apparaît justifié en matière sociale, il n'en reste « pas moins essentiel de laisser une grande place au niveau infra-départemental »61(*).

L'expérimentation du SPDA par les 18 départements préfigurateurs n'ayant été lancée que le 21 mai 2024, le retour d'expérience reste
limité62(*). Après cette courte phase de « préfiguration », le nouveau service public sera déployé sous la direction des conseils départementaux, en collaboration avec les ARS.

La procédure de sélection des 18 départements préfigurateurs du SPDA

Les 18 départements « préfigurateurs » du SPDA sont : les
Alpes-Maritimes, l'Aveyron, la Corrèze, le Finistère, la Gironde, la Guyane, les Hauts-de-Seine, l'Hérault, le Loir-et-Cher, la Mayenne, la
Meurthe-et-Moselle, le Nord, le Pas-de-Calais, la Sarthe, la Seine-Maritime, la Seine-Saint-Denis, la Somme, les Yvelines.

Ces départements, retenus par un « comité de sélection national », ont répondu à un appel à manifestation d'intérêt (AMI) intitulé « Préfiguration du Service public départemental de l'autonomie » (63(*)) dont l'objet était de « disposer d'un panel représentatif de la diversité des territoires (taille, situation géographique, caractéristique de la population... ». La prise en compte des réseaux d'initiatives locales mis en oeuvre pour coordonner les services publics de l'autonomie semble toutefois avoir occupé une place secondaire parmi les critères de sélection.

b) Le SPDA ne devra pas déstabiliser les modèles de coopération déjà structurés à l'échelle locale

Au cours des auditions menées par vos rapporteurs, plusieurs interlocuteurs - à l'instar de l'AMF et de France urbaine - ont souligné le risque de remise en cause des structurations et réseaux préexistants à l'échelle locale.

L'association France urbaine alerte ainsi sur les effets contreproductifs que risquerait d'avoir la méconnaissance de mécanismes de coordination locaux préexistant au SPDA : « Ce manque de connaissance des dispositifs à l'oeuvre peut conduire à présenter des dispositifs comme étant des nouveautés alors qu'ils prennent la suite de dispositifs de coordination déjà mis en place depuis plusieurs années (MAIA (64(*)), DAC (65(*)), CLIC (66(*)), Communautés 360 (67(*))...) et à générer des effets d'éviction : une coordination chasse l'autre et le travail de mise en réseau repart de zéro. ».

L'un des principaux écueils serait de remettre en question la « longue histoire de la structuration » des réseaux locaux, dont certains s'appuient par exemple sur une ingénierie contractuelle (conventions entre CLIC et départements, entre EPCI et départements, ou encore entre CLIC, caisses de retraite et CCAS). En d'autres termes, la bonne articulation du SPDA avec les dispositifs de coopération déjà en place sera déterminante pour le succès de ce nouveau service public. Par le passé, la mise en place des Dispositifs d'appui à la coordination (DAC) avait pu fragiliser « des années de structuration de réseau entre MAIA et CLIC »68(*). L'articulation entre DAC et CLIC n'est, à ce jour, « toujours pas parfaitement clarifiée ».

France urbaine invite ainsi à « stabiliser les modèles de
coordination
 » 
: les modèles de coordination devraient partir des besoins exprimés par les seniors, sans omettre aucun des acteurs de la chaîne d'orientation et d'accompagnement. C'est pourquoi la bonne association des communes et des intercommunalités à la gouvernance du SPDA devrait constituer un critère de qualité du service dans le cahier des charges national du SPDA, dont la publication est attendue dans les prochains mois69(*).

Recommandation n° 5 : Veiller à faire de la bonne association du bloc communal un critère du référentiel de qualité de service du cahier des charges national du SPDA.

Recommandation n° 6 : Approfondir la territorialisation du SPDA en soutenant également, à l'échelle infradépartementale, les modèles de coordination préexistants.

Plus fondamentalement, la nécessaire coordination des actions ne saurait faire oublier les difficultés liées à la raréfaction des moyens et à la perte d'attractivité des métiers du service à domicile.

À ce stade, selon l'AMF, les élus locaux « s'interrogent sur le caractère opérationnel de [la] démarche, le SPDA n'intervenant pas dans l'organisation de l'offre ou encore sur des sujets tels que la pénurie de professionnels ». Les maires peuvent agir « à hauteur de leurs compétences » sur l'attractivité des métiers (par exemple « en fléchant des logements sociaux, en réservant des places d'accueil en crèche »), mais « ne peuvent le faire seuls ». Dès lors, les maires demandent au Gouvernement de « proposer une grande réforme du domicile permettant de structurer davantage l'offre et de lever les difficultés actuelles, en particulier la pénurie de professionnels ».

De la même manière, l'association Intercommunalités de France, constatant que « les attentes sont très fortes concernant la revalorisation des métiers (attractivité des formations dès l'orientation, revalorisations salariales, amélioration des conditions et du cadre de travail) », appelle à « ne pas passer à côté des urgences du secteur : l'attractivité des métiers et le financement des établissements. »

Vos rapporteurs ne sauraient donc trop insister sur le caractère stratégique que revêtira la future loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge, qui devra donner de la visibilité et des moyens aux acteurs du secteur, et permettre in fine de répondre au désir des seniors de vieillir à domicile.


* 45 Prévu à l'article L. 302-1 du code de la construction et de l'habitation (CCH).

* 46 Rapport n° 322, tome I (2014-2015) de MM. Georges LABAZÉE et Gérard ROCHE, déposé le
4 mars 2015, sur le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, p. 87.

* 47 L'article L. 2143-3 du CGCT prévoit la mise en place de commissions communales d'accessibilité dans les communes ou dans les EPCI de plus de 5 000 habitants compétents en matière de transports ou d'aménagement. Ces commissions sont présidées par le maire ou le président de l'EPCI.

* 48 V. articles L. 233-1 à L. 233-5 [nouveaux] du code de l'action sociale et des familles (CASF).

* 49 Rapport n° 322, tome I (2014-2015) de MM. Georges LABAZÉE et Gérard ROCHE, déposé le
4 mars 2015, sur le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, p. 47.

* 50 Plaquette de présentation distribuée aux maires dans le cadre du salon des maires et des collectivités locales 2023, « Soutenir l'autonomie dans les territoires ».

* 51 V. article L. 121-6-1 du CASF.

* 52 APA, PCH, aides des organismes d'assurance vieillesse versées au titre de la perte d'autonomie.

* 53 Yann Lasnier et Boris Venon, « Bien vieillir : 50 solutions pour les territoires », octobre 2024,
p. 26.

* 54 Réponses écrites de l'AMF au questionnaire des rapporteurs.

* 55 Plus globalement, le SPDA doit améliorer la prise en charge des seniors ainsi que des personnes en situation de handicap.

* 56 Cf Article L. 149-6 du CASF : « Le service public départemental de l'autonomie est piloté par le département ou la collectivité exerçant les compétences des départements. Il est assuré conjointement par : 1° Le département, la collectivité exerçant les compétences de départements, les communes, leurs groupements et leurs établissements publics ; [...] ».

* 57 « Vers un service public territorial de l'autonomie », Dominique LIBAULT, p. 54.

* 58 Ibid., pp. 68-70.

* 59 Amendement présenté par les rapporteurs du Sénat, Jean Sol et Jocelyne Guidez, le 15 janvier 2024, et adopté en première lecture.

* 60 Réponses écrites de l'association France urbaine au questionnaire des rapporteurs. France urbaine défend ainsi « l'impératif de déclinaison infra-départementale » et insiste plus particulièrement sur la « réintégration du niveau EPCI [...] au vu du rôle exercé par ces derniers dans les politiques de mobilité, d'habitat et de politique de la ville ».

* 61 Comme le concluait le rapport (précité) de la commission des Lois de l'Assemblée nationale en conclusion d'une mission d'information sur la commune dans la nouvelle organisation territoriale.

* 62 Les départements ont largement relevé que le véritable début de l'expérimentation était, non pas en janvier 2024, mais bien plutôt en mai 2024 (le temps de la « mise en place » de l'expérimentation avec les différentes réunions et des consultations préparatoires, par exemple, le département de la Guyane a élaboré 6 semaines de diagnostic). 

* (63) Ministère des solidarités et des familles et CNSA, « Préfiguration du Service public départemental de l'autonomie, appel à manifestation d'intérêt », septembre 2023, p. 7.

* (64) Méthode d'action pour l'intégration des services d'aides et de soins dans le champ de l'autonomie.

* (65) Dispositifs d'appui à la coordination.

* (66) Centre local d'information et de coordination.

* (67) Réseau de professionnels soutenant les parcours de vie des personnes.

* 68 Dans ses réponses écrites au questionnaire des rapporteurs, France urbaine considère que le passage des MAIA (méthodes d'action pour l'intégration des services d'aide et de soins dans le champ de l'autonomie) aux DAC (dispositifs d'appui à la coordination) a conduit à un recentrage sur le sanitaire au détriment d'une approche médico-sociale globale, créant des silos entre les actions départementales, intercommunales, et communales.

* 69 V. article L. 149-5 du CASF.

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