B. UNE BASE JURIDIQUE À CONCRÉTISER PAR LA DÉFINITION D'UNE DOCTRINE EXIGEANTE
Si elles ne précisent pas la notion de « bon état » des biens de retours, les stipulations des contrats historiques, à condition qu'elles soient scrupuleusement appliquées, doivent permettre à l'État de protéger ses intérêts et ceux du patrimoine public des concessions. En effet, selon les contrats c'est au concédant de fixer le niveau d'exigence relatif à l'état de restitution des infrastructures. C'est lui également qui détermine et notifie sept ans avant l'échéance de la concession le programme des travaux qui devront être réalisés par le concessionnaire afin que celui-ci restitue les infrastructures dans l'état attendu.
Si une base contractuelle protectrice des intérêts de l'État concédant existe bel et bien, elle ne pourra être effectivement appliquée qu'à condition que soit défini une doctrine d'appréciation de la notion de « bon état » suffisamment exigeante. C'est l'un des points essentiels sur lesquels l'ART a entendu alerter le rapporteur dans ses réponses écrites : « ces dispositions ne peuvent toutefois être mises en oeuvre que si une définition opérationnelle du « bon état » est précisée. En effet, les contrats sont pratiquement muets sur ce point : jusqu'à récemment, aucune référence à des indicateurs permettant d'objectiver l'état de retour de l'infrastructure n'y figurait ».
Les contrats historiques ne comportaient que des indicateurs permettant de suivre le « bon état » d'exploitation des infrastructures. Or, l'ART a insisté auprès du rapporteur sur le fait qu'il convenait absolument de distinguer cette notion de celle du « bon état » des biens de retours à l'issue de la concession : « seul l'état des actifs en cours d'exécution du contrat était défini, c'est-à-dire celui que le concessionnaire doit garantir au quotidien afin que l'usage de la route soit sûr. La distinction entre l'état en cours d'exécution du contrat et l'état en fin de contrat est essentielle : une chaussée peut être sûre pour un usage courant, mais structurellement fatiguée, si bien qu'elle devrait faire l'objet de travaux rapidement »73(*).
L'autorité avait déjà exposé cette distinction dans son premier rapport sur l'économie des concessions autoroutières en 202074(*) : « si les clauses relatives à la qualité de service et à la préservation des intérêt patrimoniaux de l'État ont pour objet d'éviter la dégradation des biens de la concession en cours d'exploitation, les clauses de reprise des biens et installations en fin de concession ont quant à elles pour but de donner les moyens à l'État, durant les dernières années du contrat, de s'assurer du retour des biens dans son patrimoine dans un bon état d'entretien ».
Pourquoi le « bon état courant » ne garantit pas le « bon état d'entretien » en fin de concession des biens de retour ?
Les indicateurs mesurés contractuellement aujourd'hui ne permettent pas d'évaluer la pérennité du patrimoine.
Ainsi, l'indicateur d'état de surface des chaussées retenu, appelé « IQRA surface », caractérise l'infrastructure en termes de confort et de sécurité des usagers, mais l'identification de défauts en surface ne permet pas de détecter des défauts dans la structure (dont la correction induirait d'importantes dépenses), de même que l'absence de défauts en surface ne garantit pas que la structure n'est pas endommagée.
Du reste, les concessionnaires eux-mêmes s'appuient, pour réaliser leurs missions, sur une gamme d'indicateurs enrichie par rapport à celle qui figure dans les contrats.
Il ne serait donc pas approprié de fonder la définition du « bon état » en fin de concession sur le niveau des indicateurs suivis contractuellement en phase d'exploitation.
Source : Économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020
L'ART a rappelé au rapporteur que dès 2020, dans ce rapport, elle avait insisté sur l'urgence de procéder à « une définition ambitieuse du bon état de fin de concession pour protéger les intérêts patrimoniaux de l'État ». Comme indiqué dans les développements supra, compte-tenu du laconisme des contrats, cette définition ne pouvait s'inscrire que dans le cadre de l'acception dite du « bon état parfaitement objectivé », supposant la conception d'indicateurs techniques propres à la détermination de l'état réel des infrastructures à l'expiration des concessions historiques puis, sur la base de ces indicateurs, la fixation de cibles exigeantes pour chaque type de biens.
* 73 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.
* 74 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 1ère édition.