EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Hervé Maurey, rapporteur spécial, sur la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons à présent entendre la communication de M. Hervé Maurey, rapporteur spécial, sur la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières, un sujet qui nous intéresse beaucoup.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sur les programmes « Infrastructures et services de transports » et « Affaires maritimes, pêche et aquaculture ». - Je commence par saluer le travail de Marie-Claire Carrère-Gée, avec qui j'ai conduit l'essentiel de cette mission de contrôle.

Pourquoi cette mission de contrôle ?

D'abord, parce que c'est en 2031, dans sept ans, que la première concession d'autoroutes arrivera à échéance. Cela peut paraître assez lointain, mais c'est en ce moment que tout se joue en ce qui concerne la notion, très importante, de bon état, qui figure dans les contrats de concessions, sans y être définie précisément. La valeur du patrimoine autoroutier français est estimée à 194 milliards d'euros ; cela mérite notre attention. La définition du bon état doit être notifiée par l'État aux concessionnaires, tout comme le programme de travaux nécessaires pour arriver à ce bon état, avant le 31 décembre 2024 pour la première concession arrivant à échéance. Nous sommes donc dans un sujet d'actualité.

Ensuite, il faut dès à présent se soucier du jour d'après, lorsque les infrastructures seront rendues à l'État.

Le premier point que je souhaite aborder est la rentabilité des sociétés d'autoroutes. On en a déjà beaucoup parlé, ce sujet a notamment fait l'objet d'une commission d'enquête sénatoriale et d'un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Les deux s'accordent à dire que la rentabilité des concessions devrait être particulièrement importante. Celle de certains groupes atteint 11 % ou 12 %, notamment grâce à des gains importants réalisés sur le refinancement de leur dette avec la baisse des taux d'intérêt. L'Autorité de régulation des transports (ART) a estimé ces « surbénéfices » à 40 milliards d'euros. À mon avis, il est inutile d'épiloguer sur ce point, ou d'envisager une résiliation anticipée, surtout depuis l'avis du Conseil d'État de juin 2023, qui montre qu'un tel projet serait juridiquement hasardeux. En revanche, nous devons tirer les leçons de cet épisode pour l'avenir.

En ce qui concerne la remise en état des infrastructures et la notion de bon état, je voudrais vous faire part de ma très vive inquiétude. Les auditions, notamment celle du directeur général des infrastructures terrestres et maritimes, nous ont montré que l'État se soucie surtout d'arriver à un accord avec les sociétés d'autoroutes pour éviter un contentieux. Cela le conduit à adopter une position qui, de notre point de vue, n'est pas assez ferme. C'est à l'État qu'il appartient de définir le bon état et de notifier le programme de travaux, quitte à prêter le flanc à une contestation devant les juridictions compétentes. Si l'on veut avant tout éviter le conflit, on adopte forcément des positions qui ne sont pas les meilleures garantes des intérêts patrimoniaux de l'État. J'en prends pour exemple le cas des structures évolutives de certains ouvrages, comme les ponts. Elles peuvent être aujourd'hui dans un bon état, mais on sait qu'à court ou moyen terme, elles ne le seront plus - on voit déjà des signes de faiblesse, d'usure, de vieillissement. Sur ce sujet, l'ART et l'État n'ont pas du tout la même interprétation, pour un enjeu, non négligeable, de l'ordre de 1 à 2 milliards d'euros.

J'évoquerai également les investissements de seconde génération.

Il s'agit d'investissements prévus par les contrats de concession, et financés par le péage, comme l'élargissement d'une autoroute de deux à trois voies, mais dont les travaux n'ont pas été réalisés s'il s'est avéré qu'ils n'étaient pas nécessaires. L'idée n'est pas de réaliser des investissements s'ils ne sont pas nécessaires, mais d'évaluer le gain qu'a constitué pour les sociétés d'autoroutes le fait de ne pas les avoir effectués, et de leur demander en contrepartie la réalisation d'autres investissements, ou éventuellement une ristourne. Or, lorsque j'ai évoqué ce sujet avec le directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (Sanef), qui est la première société d'autoroutes dont la concession arrive à échéance, il m'a répondu très franchement que ce sujet n'avait jamais été abordé dans ses discussions avec l'État. Or, selon les estimations, l'enjeu se situe entre 1 et 5 milliards d'euros.

Notre rapport mentionne aussi ce qu'il faudra faire une fois que ces infrastructures auront été rendues - en bon état j'espère - à l'État. Nous excluons l'idée d'une exploitation en régie par l'État, pour plusieurs raisons.

D'abord, l'État n'entretient pas très bien - c'est le moins qu'on puisse dire - son réseau autoroutier non concédé, et il n'entretient pas mieux ses routes nationales. Ensuite, si ce n'est pas l'usager qui paye, c'est forcément le contribuable, qui devrait alors payer aussi pour les usagers étrangers. Si l'on pense à tous les camions qui viennent du nord de l'Europe, de l'Allemagne, il n'y a aucune raison que le contribuable français paie pour eux... De plus, un tel système aurait un mauvais effet sur l'évolution des modes de transport puisqu'il rendrait l'autoroute plus attractive que des modes de transport plus vertueux. Enfin, il priverait l'État de recettes importantes, puisque, ne l'oublions pas, le chiffre d'affaires des sociétés d'autoroutes, c'est-à-dire les péages, fait l'objet d'un prélèvement fiscal de l'ordre de 36 %.

Nous préconisons donc de bâtir un nouveau modèle de concession autoroutière. Il ne faut évidemment pas repartir sur le modèle actuel. En effet, les concessions ont été beaucoup trop longues : la durée de certaines est de 75 ans ! En outre, nous constatons actuellement une forme de surrentabilité. Enfin, le contrôle par l'État de l'exécution de ces concessions est tout à fait insuffisant.

C'est pourquoi il convient de retenir des durées de concession plus courtes, sans doute de l'ordre de 15 à 20 ans au maximum, et prévoir des rendez-vous tous les cinq ans pour faire le point sur la rentabilité et sur le suivi des travaux. Il importera également de réfléchir à la gouvernance de ces concessions. Certains soulignent, par exemple, qu'il ne serait pas absurde d'y associer les régions. Il conviendrait aussi de redéfinir, en amont, le périmètre des concessions, qui gagnerait dans certains cas à être réduit.

Ce nouveau modèle ne doit pas être bâti dans l'opacité, comme cela se fait en ce moment pour la définition du bon état. Il ne doit pas être échafaudé en cabinet ministériel. Il faut procéder à une très large concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, comme les collectivités territoriales, les métropoles, les régions, les entreprises ou les différents professionnels.

Le financement dégagé par les péages devra être affecté, au-delà de ce qui est nécessaire pour la gestion des autoroutes, à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) pour profiter à l'ensemble des mobilités, c'est-à-dire les routes, bien sûr, mais aussi les infrastructures ferroviaires, qui sont dans un état très préoccupant, et que les évolutions budgétaires actuelles ne devraient pas améliorer.

En somme, ce rapport se structure autour de trois orientations. La première est d'obtenir une plus grande exigence dans la procédure de fin de concession. La deuxième est de définir un modèle de gestion des autoroutes profondément réformé. La troisième est de faire en sorte que l'exploitation des autoroutes contribue au financement des mobilités dans leur ensemble, notamment aux enjeux de la transition écologique.

M. Claude Raynal, président. -Pouvez-vous préciser le lien que vous établissez entre le fait que les transporteurs étrangers passent sur une autoroute contribuent à leur financement et le maintien d'un régime de concession ? Un établissement public pourrait aussi prélever un péage...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -C'est un dossier intéressant, avec des enjeux bien identifiés depuis un certain temps. Nous devons aider l'État à préparer au mieux la fin des concessions, et à corriger les éventuelles insuffisances, pour prendre les bonnes décisions. Il est attristant de voir que ce sont, en général, les parties d'autoroute concédées qui sont le mieux entretenues... On aimerait connaître un contre-exemple !

L'an dernier, j'avais soutenu l'idée de mettre à profit une fraction du produit des mises aux enchères de quotas carbone européens pour aider au financement des mobilités. Vos propositions s'inscrivent parfaitement dans le cadre du travail de contrôle et d'évaluation, mais aussi de proposition, de notre assemblée. Vous ne manquerez pas, je suppose, de remettre votre rapport en mains propres au ministre concerné, car il doit être lu le plus rapidement possible pour préparer au mieux l'avenir sur ce sujet très préoccupant.

En tant qu'élu de la région Grand Est, je connais les débats qui s'y tiennent sur la participation des transporteurs aux réseaux autoroutiers par une écocontribution. Le contribuable français ne doit pas être seul à payer, car nos voisins ont une approche différente et sollicitent une contribution qui me paraît juste et de bon sens.

M. Pascal Savoldelli. - Oui, monsieur le rapporteur, l'exploitation des autoroutes doit contribuer au financement des mobilités dans leur ensemble - je pense notamment au fret.

M. Christian Bilhac. -Vous proposez de faire financer l'ensemble des mobilités par les concessions autoroutières. Je crains le saupoudrage... Sur l'autoroute de Montpellier, il passe un camion toutes les quinze secondes à peu près. Sans un financement dédié, avec un objectif clair, nous n'arriverons jamais à la financer. Cela vaudrait mieux qu'une piste cyclable à droite, un couloir de bus à gauche et une ligne de tram ailleurs, ce qui aboutit souvent à du gaspillage.

M. Éric Bocquet. - La commission d'enquête sénatoriale avait tout dit sur le niveau de rentabilité extraordinaire de ces concessions autoroutières. Nous devons nous appuyer sur ses travaux. Dans le Nord, l'autoroute A25 est gratuite entre Lille et Dunkerque : elle est en bon état et remplit parfaitement sa mission.

M. Stéphane Sautarel. -Même si les échéances peuvent paraître lointaines, c'est dès à présent qu'il convient de s'y préparer, de fixer le cadre. Vos préconisations semblent de bon sens. Le premier axe concerne la posture de l'État qui, à ce stade, semble plutôt inquiétante. Je souscris donc à vos recommandations. Le deuxième axe est relatif à la gouvernance, qui me semble essentielle, au niveau des ministères comme des collectivités locales et des professionnels. Il faut un pilotage de l'ensemble de ces concessions et de leur volet financier. Vous souhaitez rendre les concessions beaucoup plus courtes. Vous évoquez une durée de quinze à vingt ans. Je m'interroge sur la soutenabilité de l'engagement d'opérateurs privés sur une telle durée.

M. Thierry Cozic. -Je souhaite revenir sur les options de gouvernance que vous présentez, essentiellement sur le modèle de la concession. Vous dites que le retour en régie serait une fausse bonne solution. Des chiffrages ont-ils été réalisés ? Combien cette solution coûterait-elle ?

M. Michel Canévet. - Le rapporteur a évoqué l'affectation de crédits à l'Afit France, dans le cadre de la revue des opérateurs. Ne serait-il pas opportun de supprimer cette structure ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Vos orientations sont formulées avec beaucoup d'acuité. On est toujours interloqué face au montant de 40 milliards d'euros de profits supplémentaires. Vous insistez sur le fait que des travaux sont dus. Pour un nouveau système concessif, se pose la question du suivi. Dans les deux cas, avez-vous noté une prise de conscience sur le fait qu'il ne suffit pas simplement de définir un contrat et de faire une mise en concurrence, mais que la question du contrôle est une question centrale ? À propos de la surrentabilité, peut-on estimer l'impact réel sur les sociétés d'autoroutes de la taxe sur les infrastructures de longue distance ? Le Conseil constitutionnel l'a estimée conforme à la Constitution. On parle de 3 ou 4 milliards d'euros au cours des prochaines années...

M. Jean-Marie Mizzon. - Merci pour la qualité de ce rapport. Parmi les recommandations que vous formulez figurent un certain nombre d'obligations mises à la charge des concessionnaires. Pourquoi n'en prévoyez-vous pas une en matière de développement du covoiturage ? Sur l'A4, par exemple, que gère la Sanef, quand vous sortez de l'autoroute pour prendre un automobiliste qui souhaite covoiturer avec vous, vous payez plus cher que si vous ne vous arrêtez pas. Si l'on veut favoriser le covoiturage, il faut faire en sorte que le tarif soit linéaire.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial. - C'est vrai qu'il peut y avoir un péage même s'il n'y a pas de concession. Mais dans l'esprit des responsables politiques qui, aujourd'hui, prônent la fin des concessions, cela implique la gratuité pour l'automobiliste. La gestion publique, en général, conduit à augmenter le nombre d'emplois publics ainsi que les dépenses et la dette publiques. Ce n'est donc pas le modèle que nous préconisons. C'est vrai, les autoroutes concédées sont bien gérées. J'irai prochainement présenter ce rapport au ministre chargé des transports.

Monsieur Savoldelli, merci de soutenir notre proposition de faire en sorte que les péages financent l'ensemble des mobilités et l'ensemble des infrastructures, dont le fret. Nos infrastructures ferroviaires sont aussi dans une situation extrêmement préoccupante. J'auditionnais hier matin le président de l'ART dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2025. On voit bien que, malgré tout ce qui est fait actuellement, le réseau continue à se dégrader, parce qu'on ne fait pas assez de travaux. On peut craindre à terme une véritable paupérisation du réseau ferroviaire, sur laquelle, m'a-t-il dit, on ne pourra plus revenir, même si l'on trouvait une mine d'or, parce qu'on n'aura pas la capacité de faire tous les travaux faute d'entreprises et en raison des nuisances générées.

Monsieur Bilhac, dans les années qui viennent, je pense que les sociétés concessionnaires auront moins d'investissements à réaliser que par le passé, puisque les infrastructures sont déjà construites. Certes, la transition écologique exigera des adaptations. Si les camions sont tous électriques, par exemple, il faudra aménager les aires pour qu'ils puissent recharger leur batterie. Les concessionnaires actuels ont beaucoup d'idées pour justifier d'éventuels investissements futurs ; ils parlent d'autoroutes électriques, qui permettraient aux voitures de se recharger en roulant, et évoquent des chiffrages en milliards d'euros... En fait, il est très difficile d'évaluer les investissements qui seront nécessaires dans le cadre de la transition écologique. En tout cas, leur montant sera moins important.

Si l'on maintient les péages au même niveau, il y aura un surplus, et c'est ce surplus que je propose d'affecter à l'Afit France : elle alloue déjà une partie de certains prélèvements au réseau ferroviaire.

Je ne connais pas l'A25, monsieur Bocquet. Sur la surrentabilité, sachez que l'activité autoroutière représente 9 % du chiffre d'affaires de Vinci et 43 % de son résultat. Ces chiffres montrent bien que l'activité autoroutière est l'une des « vaches à lait » du groupe...

En ce qui concerne la gouvernance, il n'y a pas actuellement de suivi satisfaisant. La direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) s'intéresse uniquement aux questions techniques et non aux aspects financiers. Ceux-ci sont regardés à Bercy, mais pas de très près. Le modèle italien a été profondément revu à la suite de la catastrophe de Gênes ; tout a été remis à plat. Une forme de coordination interministérielle a été mise en place, auprès du président du conseil, ce qui permet de mobiliser toutes les compétences de l'État, techniques comme financières, et de sortir d'une logique en silo.

Quinze ans, est-ce trop court ? Je ne le pense pas, notamment au vu d'un certain nombre d'exemples étrangers. Si des investissements lourds ne peuvent pas être amortis sur une durée si courte, on peut prévoir un système de soulte. L'un des inconvénients du partenariat public-privé, c'est qu'il reviendrait à consolider la dette des autoroutes au sein de la dette publique.

Supprimer l'Afit France ? Je propose plutôt de réaliser un audit de l'ensemble des agences. Je ne suis pas sûr que ce soit l'Afit France qui ait les coûts de fonctionnement les plus élevés. Nous évoquons précisément cette question pour ne pas créer une agence supplémentaire chargée de financer l'ensemble des mobilités à partir des excédents des péages.

Monsieur Capo-Canellas, sur le contrôle et le suivi, je pense avoir déjà répondu : ce qui se fait au niveau de la DGITM ne relève que du domaine technique. Il faut une approche plus transversale.

La taxe sur les infrastructures de transport pèserait à hauteur de 450 millions d'euros cette année sur les sociétés d'autoroutes, ce qui est assez peu au regard des enjeux.

Monsieur Mizzon, il faut effectivement des dispositifs qui incitent au covoiturage, et non qui le pénalisent. Nous transmettrons votre remarque aux sociétés d'autoroutes.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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