CONCLUSION

Pour répondre aux défis actuels, tels que la guerre en Ukraine, la transition écologique et le renforcement de la compétitivité européenne ou encore la question migratoire, les citoyens attendent beaucoup de l'Union européenne.

Face aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine et aux autres puissances émergentes, l'Union européenne doit pouvoir faire entendre sa voix au niveau international, affirmer son autonomie stratégique, renforcer sa compétitivité et défendre ses valeurs et son modèle économique et social.

Mais, dans le même temps, il est important de veiller à ce que l'Union européenne respecte la répartition des compétences prévue par les traités et prenne mieux en compte la diversité nationale et les réalités de terrain et qu'elle n'agisse que si elle apporte une réelle « valeur ajoutée » dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

À l'issue de leur travail, les rapporteurs estiment que rendre l'action de l'Union européenne plus légitime, plus efficace et mieux admise par les citoyens, les entreprises et les États contribuerait à assurer la poursuite du projet européen.

Faire preuve d'exigence à l'égard de l'Europe est sans doute le meilleur remède à la défiance.

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Lors de sa réunion du 4 décembre 2024, la commission des affaires européennes a autorisé à l'unanimité la publication de ce rapport d'information.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le 4 décembre 2024 pour l'examen du présent rapport.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Notre ordre du jour est aujourd'hui consacré au projet de rapport d'information, intitulé « Législation européenne : Peut mieux faire ! », que j'ai l'honneur de présenter devant vous avec nos collègues Catherine Morin-Desailly et Didier Marie. L'objet de ce rapport est de faire le point, alors que s'ouvre un nouveau cycle institutionnel au niveau européen, sur ce qu'on peut qualifier de « dérive normative et technocratique » de l'Union européenne et de proposer des remèdes afin de rendre l'action de l'Union européenne plus légitime, plus efficace et plus proche des citoyens. C'est donc un objectif très ambitieux que nous nous sommes fixés, avec mes deux co-rapporteurs, car il s'agit en réalité de rapprocher l'Union européenne des réalités concrètes du terrain ! Trop souvent, en effet, notre commission a regretté, lors de l'examen des projets de textes européens, le décalage, voire le fossé, existant entre la réglementation de Bruxelles et les réalités locales. Je pense, par exemple, à l'interdiction de l'usage du plomb et à son impact pour la réparation des vitraux ou à l'interdiction des huiles essentielles de lavande. Pour préparer ce rapport, nous nous sommes rendus à Bruxelles, le 27 mai dernier, où nous avons rencontré des représentants de la Commission européenne, du Conseil, du Parlement européen, de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, ainsi que des entreprises. Nous avons également échangé à Paris, le 9 octobre dernier, avec le Secrétaire Général des affaires européennes.

Notre projet de rapport est articulé en trois parties : la première, que je présenterai, est consacrée au constat ; la deuxième, présentée par Didier Marie, porte sur les mesures mises en place au niveau européen pour y répondre et visiblement insuffisantes. Enfin, la troisième partie développe les recommandations que nous pourrions faire et vous sera présentée par Catherine Morin-Desailly.

La première partie se résume à trois constats. Tout d'abord, le premier mandat de Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne a été marqué par une intense activité normative de l'Union européenne. Confrontée à une succession de crises, depuis la crise migratoire à la guerre en Ukraine en passant par la pandémie de Covid 19, mais aussi en réponse au défi de la double transition, écologique et numérique, l'Union européenne a été amenée à adopter de nombreux textes ces dernières années : environ 13 000 textes entre 2019 et 2024, contre 5 500 aux Etats-Unis sur la même période. Parmi ces textes, on trouve 515 actes législatifs ordinaires, ce qui représente une hausse d'environ 25 % par rapport à la précédente mandature sous la présidence de Jean-Claude Juncker.

J'en viens au deuxième constat : certains textes, comme celui instaurant un devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, celui interdisant la commercialisation en Europe de produits issus de la déforestation ou encore le règlement sur la gestion des déchets et les emballages, ont imposé de fortes contraintes aux États membres, aux collectivités territoriales et aux entreprises, notamment les PME, qui s'en trouvent disqualifiées dans la compétition mondiale. Je pense par exemple au projet de règlement sur la gestion des déchets et des emballages, qui prévoyait des obligations nouvelles en matière de collecte et de recyclage des déchets, avec notamment un dispositif obligatoire de consigne pour les bouteilles en plastique et les cannettes métalliques, sans tenir compte des efforts réalisés par les États membres et les collectivités locales dans ce domaine. Dans son récent rapport, Mario Draghi fait observer que le produit intérieur brut de l'Union européenne décroche sensiblement en raison d'un ralentissement de sa croissance et de sa productivité. Selon une étude, en effet, les charges administratives de l'UE représenteraient un coût annuel de l'ordre de 150 milliards d'euros, soit 1,3 % du PIB européen. Il faut aussi déplorer les bases juridiques parfois fragiles des initiatives législatives européennes - fondées de manière parfois contestable sur les articles 114, 122 et 352 du TFUE -, une préférence croissante de la Commission européenne pour les règlements plutôt que les directives, pourtant plus respectueuses de la diversité nationale puisqu'elles exigent une transposition par chaque État membre, ainsi qu'un volontarisme exécutif de la Commission européenne se traduisant par un recours abusif aux actes d'exécution ou aux actes délégués. Vous trouverez plusieurs exemples de ces dérives dans le projet de rapport, tirés des nombreuses résolutions européennes, des avis motivés ou des avis politiques adoptés par notre commission.

Dernier constat : si la Commission européenne a une responsabilité éminente en raison de son monopole d'initiative dans le cadre de la procédure législative de droit commun, les autres institutions européennes, en particulier le Conseil et le Parlement européen - en tant que co-législateurs - ont également une part de responsabilité. De même, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) peut contribuer, par son interprétation des règles européennes, à l'extension des compétences de l'Union européenne, heurtant parfois la souveraineté des États. Nous l'avons évoqué la semaine dernière avec le Conseil d'État lors de son audition sur son étude annuelle relative à la souveraineté. On songe par exemple aux jurisprudences de la CJUE sur le temps de travail des militaires ou la conservation des données de connexion à des fins de renseignement ou d'enquête. La multiplication des agences européennes - une cinquantaine employant 12 000 agents -, dont certaines sont pourvues d'un pouvoir réglementaire, soulève aussi des questions en termes de légitimité et de gouvernance.

Notre collègue Didier Marie va vous présenter les mesures déjà prises au niveau européen et leurs limites.

M. Didier Marie. - La préoccupation de « mieux légiférer » au niveau européen n'est pas nouvelle. Ces vingt dernières années, la Commission européenne a pris de nombreuses initiatives en ce domaine. On peut citer notamment l'obligation de présenter une étude d'impact pour toute nouvelle proposition législative, la création d'un comité d'examen de la réglementation - dont nous avons rencontré deux représentants à Bruxelles-, ou encore la règle affichée : « une norme nouvelle, une retirée ». La présidente Ursula von der Leyen s'était également engagée en 2023 à réduire de 25 % la charge administrative pesant sur les entreprises européennes.

Malgré ces mesures, de nombreuses propositions législatives présentées par la Commission européenne - comme la réforme du marché européen de l'électricité ou la simplification de la politique agricole commune (PAC) - n'ont pas été accompagnées d'une étude d'impact ni de retraits de normes à due concurrence. De même, un accord interinstitutionnel « mieux légiférer » a été signé entre les trois institutions européennes en 2016, qui prévoit notamment une étude d'impact pour tout amendement substantiel du Conseil ou du Parlement européen. Cependant, en pratique, il n'est jamais respecté. En outre, lorsqu'elles existent, les études d'impact sont très souvent lacunaires et disponibles uniquement en anglais. Nous avons regretté à de nombreuses reprises l'absence ou la mauvaise qualité des études d'impact et appelé la Commission européenne, dans plusieurs résolutions, à présenter systématiquement une étude d'impact pour toute nouvelle proposition législative.

Le principe de subsidiarité s'impose à toutes les institutions européennes au titre de l'article 5 du traité sur l'Union européenne. Avec son corollaire, le principe de proportionnalité, c'est un gage d'efficacité et de démocratie : il assure que l'action européenne apporte une plus-value par rapport à celle des États membres et qu'elle n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. Comme vous le savez, le traité de Lisbonne a confié un « rôle de gardien » du respect de ces principes aux Parlements nationaux, avec un mécanisme de « carton jaune » voire « orange » ou « rouge » pour alerter les institutions européennes en cas d'entorse à ces principes. Toutefois, ce mécanisme s'est révélé assez décevant en pratique. Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il y a quinze ans, seulement trois textes ont donné lieu à un « carton jaune ». Le Sénat est l'une des chambres les plus actives en matière de contrôle du principe de subsidiarité au niveau européen. Parmi les avis motivés adoptés récemment par notre commission, je mentionnerai notamment le paquet « liberté des médias ». Je rappelle que notre commission avait fait part de ses réserves sur ce texte, notamment au sujet de la base juridique retenue (l'article 114 du TFUE qui porte sur l'harmonisation nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur), du choix de l'instrument (un règlement plutôt qu'une directive), et de la « plus-value » discutable d'une réglementation européenne sur les médias. En particulier, nous avions fait part de nos craintes concernant le pluralisme des médias et l'indépendance des journalistes. Nos réserves ont été entendues pour une fois à Bruxelles puisque, comme nous vous l'avions indiqué, lors de notre réunion du 14 décembre 2023, le compromis trouvé sur ce texte entre le Conseil et le Parlement européen nous paraît mieux respecter l'équilibre entre l'indépendance des journalistes, qui doit être garantie au niveau européen, et les différents modèles nationaux en matière de réglementation des médias.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je voudrais maintenant vous présenter les douze recommandations que nous proposons dans notre rapport.

La première est d'inviter les États membres réunis au Conseil à prendre leur part dans le contrôle du fondement juridique d'une initiative législative européenne. Comme le souligne le Conseil d'État dans sa dernière étude annuelle portant sur la souveraineté, « le strict respect des traités doit toujours être et demeurer la base de toute l'action européenne, à commencer par celle des institutions de l'Union, et d'abord de la Commission, qui en est la gardienne, mais aussi de la Cour, qui est en charge d'en assurer le respect, et bien sûr des États membres ». Or, l'expérience montre qu'il est rare que la question de la base juridique fasse l'objet d'un examen approfondi par les États membres lorsqu'ils examinent une proposition législative au Conseil. Nous suggérons donc de prévoir au Conseil un examen systématique et approfondi de la légitimité juridique d'une initiative législative européenne, avant d'engager sa négociation.

Notre proposition n° 2 est de prévoir d'insérer dans toute législation européenne une « clause bouclier » préservant la compétence des États membres en matière d'ordre public, de sécurité nationale et d'intégrité du territoire, notamment dans les textes traitant de coopération policière et judiciaire., reprenant ainsi une préconisation du Conseil d'État.

Troisièmement, nous recommandons de promouvoir le dialogue entre juges nationaux et européen. Il s'agit là encore d'une recommandation des « Sages du Palais Royal ». L'objectif est que la Cour de justice de l'Union européenne laisse aux juridictions des États membres une certaine marge d'appréciation nationale afin de permettre à ces derniers d'exercer leurs fonctions essentielles.

Notre proposition n° 4 est de privilégier le recours aux directives et limiter le recours abusif par la Commission aux actes d'exécution et aux actes délégués. Les directives sont plus respectueuses de la diversité des États membres puisqu'elles fixent des objectifs à atteindre, tout en laissant une marge de manoeuvre aux États concernant les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Les actes délégués et les actes d'exécution, qui échappent au contrôle des parlements nationaux, devraient être réservés, les premiers, à préciser des éléments non essentiels de la législation et, les seconds, à préciser des aspects techniques, et non politiques.

Cinquièmement, nous proposons d'étendre le champ et améliorer la qualité des études d'impact. Comme notre commission l'a exigé à plusieurs reprises dans différentes résolutions européennes, nous estimons que toutes les propositions législatives de la Commission européenne devraient être accompagnées d'une étude d'impact répondant à certaines exigences de qualité et que cette obligation devrait même s'étendre aux autres documents de la Commission européenne, comme les communications ou les plans d'action, ayant des implications législatives, ainsi qu'aux amendements substantiels du Conseil et du Parlement européen.

Notre proposition n° 6 prévoit une évaluation ex post systématique des actes législatifs. Il serait en effet utile de vérifier systématiquement après l'entrée en vigueur des actes normatifs, si les objectifs visés ont été atteints, ce qui implique d'insérer une clause de rendez-vous dans chaque acte.

Septièmement, nous proposons de réduire la charge administrative pesant sur les entreprises, notamment les PME, en soumettant toute nouvelle initiative européenne à un « test compétitivité » sur le marché mondial et un « test PME » renforcé. Comme le souligne Mario Draghi, alléger le « fardeau réglementaire » pesant sur les entreprises européennes les rendrait plus compétitives sur le marché mondial. Il préconise à cet effet d'introduire un « test de compétitivité » et de renforcer le « test PME » dans les études d'impact, en amont de l'adoption de tout nouvel acte européen.

Notre proposition n° 8 est de faciliter le contrôle du respect du principe de subsidiarité par les Parlements nationaux, en allongeant le délai alloué à ce contrôle et en abaissant le seuil pour le déclenchement du « carton jaune ». Il s'agit ici de reprendre les propositions formulées en 2022 par le groupe de travail sur le renforcement du rôle des parlements nationaux, créé dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (COSAC) sous présidence française du Conseil : porter de huit à dix semaines le délai dévolu au contrôle du respect du principe de subsidiarité et abaisser à un quart des voix le seuil de déclenchement du « carton jaune ».

Neuvièmement, nous proposons d'inciter les États membres au Conseil à examiner la conformité de toute initiative européenne aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, en amont de la négociation. Sans reprendre l'idée de désigner « une Madame ou un Monsieur subsidiarité », qui a été avancée par le Conseil d'État, nous suggérons d'inciter les États membres au Conseil à se montrer plus vigilants par rapport au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, avant même d'entamer la négociation des textes européens.

Notre proposition n° 10 est de rétablir un poste de vice-président de la Commission européenne chargé de la simplification et de la subsidiarité. Comme le propose Mario Draghi, l'objectif de simplification devrait être pris en charge par un vice-président de la Commission européenne or le portefeuille de la simplification a été « rétrogradé » au sein du nouveau collège composé par Ursula von der Leyen. Nous pensons donc utile de le rétablir.

Onzièmement, nous proposons de veiller au respect de la diversité linguistique et de la place du français. Le respect de la diversité linguistique participe aussi d'une meilleure prise en compte de la réalité du terrain. Face à la tendance au « monolinguisme » et à l'usage exclusif de l'anglais au sein des institutions européennes, il convient de défendre et promouvoir le respect de la diversité linguistique et la place du français, comme langue officielle et langue de travail.

Notre proposition n° 12 est de mieux prendre en compte la spécificité des territoires, notamment ultra marins. En raison de leur éloignement géographique et de leurs caractéristiques propres, les « régions ultrapériphériques » - c'est-à-dire les territoires ultramarins - doivent pouvoir bénéficier d'un régime particulier, comme le prévoit l'article 349 du TFUE. C'est trop rarement le cas en pratique, notamment en matière d'énergie, de gestion de l'eau, de traitement des déchets, ou encore en matière de pêche. À notre avis, la Commission européenne devrait procéder à une analyse systématique de l'impact pour les régions ultrapériphériques de toute proposition législative européenne.

Telles sont les douze recommandations que nous vous proposons d'adopter.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Ce rapport nous semble d'autant plus opportun qu'il intervient juste au moment où les institutions européennes reprennent leur fonctionnement normal. Nous avons mené ce travail car, au fil de nos réunions, nous constatons l'afflux de règlements et la complexité normative. Je fais d'ailleurs observer qu'hier, avec notre collègue Karine Daniel et à l'initiative de notre collègue Martine Berthet, nous avons reçu les acteurs locaux de l'Europe en Auvergne-Rhône-Alpes et la discussion a notamment tourné autour de la complexité, en particulier de l'obtention des fonds européens : il s'agit là d'une question connexe au sujet global que nous traitons ici.

Nous avons souhaité, sur le fondement des auditions de très haut niveau que nous avons menées, non seulement vous éclairer, mais aussi vous soumettre des recommandations de nature à rendre l'Europe moins indigeste aux yeux de nos concitoyens et même d'un certain nombre d'élus.

Mme  Mathilde Ollivier. - Je remercie les trois auteurs pour ce rapport très intéressant et pour leurs propositions. J'aimerais formuler plusieurs remarques. Tout d'abord, s'agissant de la proposition n° 2 relative à la préservation du rôle des États membres en matière d'ordre public : c'est, bien sûr, un aspect important mais je voudrais alerter sur la tension qui existe souvent entre, d'une part, le respect de l'ordre public et, d'autre part, les libertés individuelles, de manifestation ou d'expression ; je mentionne à cet égard le cas d'un certain nombre d'États membres que nous connaissons et dont les pouvoirs en place peuvent restreindre la liberté d'opinion à l'occasion de troubles à l'ordre public.

J'en viens à la proposition n° 7 qui recommande de soumettre toute nouvelle initiative européenne à un « test de compétitivité » et un « test PME » renforcé : cela me semble important et une telle démarche est déjà censée figurer dans les études d'impact élaborées par la Commission européenne. Cependant, je ne suis pas sûre que le fardeau réglementaire à l'échelle européenne qui entame plus la compétitivité des entreprises - notamment des PME -que les législations nationales. Pour avoir travaillé sur ce sujet, je rappelle que les PME, lorsqu'elles essayent de grandir et de s'implanter sur le marché européen dans sa globalité, affrontent aussi une vraie difficulté quand elles se heurtent à des législations nationales différentes et doivent s'orienter à travers celles-ci. À cet égard, l'harmonisation au niveau européen, qui a fait l'objet de nombreuses initiatives dans le cadre du marché intérieur, permet également de rendre nos PME européennes plus compétitives à l'échelle mondiale en pénétrant le marché européen dans sa globalité. Certes, il est important de prévoir des « tests de compétitivité » ainsi que des « tests PME » renforcés mais ce n'est pas le nec plus ultra de la démarche de l'Union européenne et il est à tout le moins impératif que ces outils ne soient pas déployés au détriment des normes sociales et environnementales.

Enfin, s'agissant de la proposition n°11 sur le respect de la diversité linguistique et de la place du français, j'attire votre attention sur l'importance du soutien aux écoles européennes. Certes, cela dépasse le cadre du présent rapport mais j'ai été saisie par un certain nombre d'acteurs qui travaillent dans ces écoles européennes et signalent que la place du français y est en recul. Ces écoles accueillent les familles de fonctionnaires européens ainsi que d'autres personnes et j'insiste sur l'enjeu que constitue la promotion des sections françaises dans ces établissement afin que les Français y inscrivent leurs enfants : cela nous permettra, à moyen terme, de maintenir une place importante de notre langue.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Je vous répondrai brièvement, en commençant par notre proposition n° 11 relative à la diversité linguistique : je rappelle qu'à chacun de nos déplacements dans l'Union européenne, la question de l'enseignement du français dans les écoles est évoquée. Tel a été le cas récemment à Chypre où, certes, notre position est contestée mais se maintient à un niveau convenable depuis l'ouverture en 2012 d'un lycée franco-chypriote et la restauration du français comme deuxième langue vivante obligatoire en fin de lycée public.

La prise en compte des PME est une préoccupation que nous partageons avec la délégation sénatoriale aux entreprises : je dialogue souvent à ce sujet avec son président Olivier Rietmann qui m'invite d'ailleurs quand il reçoit des délégations d'entreprises européennes. Il importe de tenir compte des spécificités propres aux PME lors de l'élaboration de la législation européenne afin de ne pas alourdir les contraintes réglementaires qui pèsent sur elles. Dans le même temps, une certaine harmonisation européenne est effectivement souhaitable afin de permettre à nos PME d'accéder sans difficulté au marché intérieur, sans législations trop éloignées les unes des autres. Des initiatives communes sur ce sujet pourraient s'envisager avec la délégation aux entreprises et je rappelle que l'audition que nous organisons en commun d'Enrico Letta sur son rapport consacré à l'achèvement du marché unique aura lieu demain. La délégation aux entreprises ainsi que la commission des affaires économiques y sont invitées et l'occasion sera propice pour soulever la question des PME.

Enfin, concernant la sécurité nationale et l'ordre public - qui reste une compétence des États -, nos propositions ne visent nullement à remettre en cause l'État de droit : nous rappelons simplement qu'il s'agit de respecter les compétences des États membres en tant que telles.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure - Mathilde Ollivier a évoqué le cas des entreprises dont le développement pourrait être entravé par les différences de législations nationales : j'en conviens, mais notre rapport souligne que des règles européennes trop contraignantes peuvent également aller à l'encontre des intérêts de nos propres entreprises. Ainsi, alors qu'il s'agit de leur permettre d'atteindre une masse critique suffisante pour survivre et être compétitives dans le secteur du numérique, nous soulignons que des règles européennes de concurrence appliquées de manière trop stricte sont contraires aux intérêts des acteurs et des entreprises européennes : il est important de le faire observer, tout comme la nécessité d'exiger la symétrie dans l'ouverture des marchés car les nôtres sont largement ouverts tandis que ceux d'États tiers sont souvent plus fermés à nos entreprises. Les règles européennes doivent donc soutenir nos entreprises en se fondant sur la réciprocité.

S'agissant de notre proposition sur la défense de la diversité linguistique et du français, je mentionnerais, à titre d'exemple, le constat que nous avons fait dans le rapport que j'ai présenté à notre commission avec notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ : il est absurde que dans le domaine de la culture et du patrimoine, qui est par définition celui de la promotion de la diversité culturelle - en tout cas en Europe -, l'accès aux différents dispositifs européens ne soit possible qu'en anglais. Nous avions souligné l'absence de traduction française ainsi que dans les langues des pays concernés des informations permettant de solliciter le bénéfice de ces différents dispositifs. Il va sans dire que tout ce qui se rattache à cette exigence de promotion du français et de la diversité linguistique est pertinent et il en va ainsi dans les écoles européennes : cela correspond à l'objectif de notre présent rapport car la possibilité de lire et de pouvoir s'exprimer dans sa propre langue répond aussi à un souci de simplification.

Mme Marta de Cidrac. - Merci à vous trois pour ce rapport que je trouve particulièrement intéressant, surtout en ce moment où beaucoup de questions peuvent surgir sur le fonctionnement de l'Union européenne. Je suis particulièrement sensible à vos propositions 11 sur la diversité linguistique et 12 sur la spécificité des territoires : je souligne que nos Outre-mer sont souvent oubliées dans les débats et la France a également une voix à porter à ce sujet.

Je souhaite vous poser quelques questions pragmatiques. Comment faire pour promouvoir votre rapport et quels vecteurs utiliser pour mettre en avant vos propositions ? Je pense que nous devons essayer de promouvoir ce travail à travers notre diplomatie européenne et peut-être aussi au sein de nos différentes commissions permanentes. Par exemple, je siège à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et le président, dans son propos liminaire, a évoqué la directive « emballages » qui fait partie des sujets ayant un impact éminent sur nos territoires : j'assure un suivi de ce dossier au sein de la commission des affaires européennes mais non au titre de la commission du développement durable qu'il intéresse très directement ; je suis certaine que beaucoup d'entre nous, quelle que soit notre commission de rattachement, estiment qu'il est important que la commission des affaires européennes, par sa compétence transversale, puisse alimenter par son travail de veille européenne chaque commission permanente ?

En second lieu, je voudrais savoir si notre ressenti sur les normes européennes est partagé par d'autres instances parlementaires des États membres. Si tel est le cas - et peut-être y-a-t-il une sorte de parangonnage sur ce thème -, je me demande si le Sénat français pourrait initier un mouvement avec des assemblées d'autres États membres pour promouvoir le type de réflexions que soulève votre travail.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Je réponds brièvement à vos interrogations. Tout d'abord, comment promouvoir notre travail de commission au-delà des outils habituels ? J'ai formulé quelques propositions à ce sujet, notamment pour enrichir les réflexions de notre collègue vice-Présidente du Sénat, Sylvie Vermeillet, chargée par le Président du Sénat d'une mission de réflexion sur l'évolution du travail parlementaire. J'ai notamment précisé que les membres de notre commission, y compris moi-même, étions à la disposition des commissions permanentes pour leur présenter ceux de nos travaux qui peuvent les intéresser. Je compte d'ailleurs sur les membres de la commission des affaires européennes pour souligner auprès de leurs collègues en commission permanente l'intérêt pour celle-ci de renforcer ses relations avec notre commission sur les sujets d'intérêt commun. J'ai également évoqué ce point avec le président du Sénat, Gérard Larcher, à qui j'ai présenté des pistes d'évolution pour notre commission au service d'une influence renforcée du Sénat sur la construction européenne. J'ai toujours eu la volonté de promouvoir une relation étroite et une coopération harmonieuse entre la commission des affaires européennes et les commissions permanentes, d'autant - je le souligne - qu'on est aujourd'hui en train de changer de paradigme politique pour tenter de promouvoir ensemble l'intérêt général en cette période critique pour notre pays.

En second lieu, je confirme que nombre de nos collègues parlementaires des divers États membres partagent notre ressenti concernant les normes européennes. Nos travaux en témoignent et, dans sa présentation, Catherine Morin-Desailly a précisé que ce sujet avait été évoqué à de nombreuses reprises au sein de la COSAC. Je me félicite que nous ayons récemment réussi à faire adopter des amendements - que nous portons depuis deux ans - sur le renforcement du rôle des Parlements nationaux, notamment en matière de contrôle du principe de subsidiarité, dans la contribution finale adoptée à l'issue de la dernière réunion de la COSAC à Budapest fin octobre ; reste à savoir si la Commission ou les autres instances européennes s'en saisiront : je le souhaite et c'est, en tout cas, une volonté que nous affirmons depuis plusieurs années. Tel a été le cas pendant la présidence française sur le fondement des conclusions du groupe de travail que nous avions mis en place et nous avons encore affirmé cette position à l'occasion du travail mené lors de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Toutes ces initiatives prennent en compte la volonté de la plupart des Parlements des États membres de voir évoluer les choses dans le sens que souhaitons.

M. Didier Marie, rapporteur. - Je souhaite à mon tour intervenir brièvement sur le fonctionnement de notre assemblée. Le règlement du Sénat pourrait nous permettre de présenter nos travaux à l'occasion de l'examen de certaines propositions ou certains projets de loi par les commissions qui en sont saisies au fond. Je vais même plus loin : je pense que nous devrions être dotés d'une capacité d'initiative pour saisir les commissions au fond sur tout sujet qui, en raison de sa dimension européenne, aurait un impact sur la législation française. On voit bien que de nombreux projets ou propositions de loi soumis aux commissions au fond sont en réalité, directement ou indirectement, la traduction de politiques européennes ; s'y ajoutent les cas dans lesquels les politiques européennes ont une incidence sur des projets ou des propositions de loi. Dans de telles hypothèses, notre commission pourrait rédiger un rapport, venir le présenter devant la commission au fond et ainsi contribuer à l'acculturation que souhaite Jean-François Rapin, vraisemblablement comme nous tous. On voit bien le décalage entre notre forte implication dans les sujets européens et l'attention plus réduite qu'y accordent certains de nos collègues dans les commissions au fond.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Le dispositif d'intervention de la commission des affaires européennes évoqué par Didier Marie n'est pas éloigné de celui prévu par le Règlement de l'Assemblée nationale. J'ai moi-même proposé au Président Larcher et à la Vice-Présidente Vermeillet d'accroître l'implication de la commission des affaires européennes en séance dans l'examen des textes ou les débats présentant un enjeu européen majeur : à cette fin, il faudrait, selon moi, élargir le champ des projets de loi sur lesquels notre commission peut présenter des observations, champ aujourd'hui limité selon le Règlement de notre assemblée aux projets de loi de transposition, pour l'étendre à tout texte portant « sur un domaine couvert par l'activité de l'Union européenne», sur le modèle de ce qui est prévu à l'Assemblée nationale.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La question de notre collègue est très pertinente : nos travaux ne doivent pas rester entre les murs de notre commission. Nous avons vraiment besoin de les promouvoir au-delà, à commencer par notre propre assemblée. Cela passe notamment par le renforcement des liens entre les commissions au fond et notre commission des affaires européennes. Ces liens sont encore très perfectibles car, au sein des commissions au fond, nous n'avons pas toujours le réflexe d'établir des connexions entre nos travaux et la législation européenne en vigueur ou en négociation ni de nous adresser à la commission des affaires européennes pour proposer de travailler ensemble. Lorsque j'étais présidente de commission de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, j'ai beaucoup oeuvré pour rapprocher cette commission et la commission des affaires européennes, car je considérais, ne serait-ce que s'agissant du secteur numérique, qu'un pan entier de ce champ d'action publique dépendait de la législation européenne. Faute de travail d'emblée partenarial, nous perdons beaucoup de temps. Il faut donc profiter de ce rapport pour montrer, au sein de nos commissions respectives, que nous sommes prêts à intervenir pour informer, tenir au courant de l'actualité européenne, enrichir l'analyse lors des travaux législatifs... Je pense très sincèrement que cette coopération inter-commissions mériterait d'être un peu mieux structurée et organisée, au bénéfice de tous.

 M. Jacques Fernique. - Merci pour votre rapport. Ma question porte sur la fameuse « clause bouclier » que vous proposez d'insérer systématiquement dans chaque nouveau texte de législation européenne, pour préciser que ce texte n'empiète pas sur les compétences des États membres en matière d'intégrité territoriale, d'ordre public et de sécurité nationale. Je me demande si, en pratique, l'adjonction systématique de cette clause constituera une protection aussi efficace que cela car cela revient - si j'ai bien compris - à rappeler le contenu du paragraphe 2 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne. J'y vois une certaine façon d'admettre que ce texte ne va pas de soi et qu'il est donc nécessaire de le rappeler dans chaque législation. De plus, au cas où on ne procède pas du tout à ce rappel ou de façon pas suffisamment détaillée, cela signifierait que la règle ne s'appliquerait pas. Je doute donc un peu que l'idée de la clause systématique puisse vraiment faire avancer les choses et éviter que, quand surgissent des points - et il y en a beaucoup - qui sont problématiques au regard de la distinction entre ce qui relève de la souveraineté européenne et de la souveraineté des États, cela entraine des conflits et des débats. Dans ces hypothèses, il ne suffit pas d'invoquer le texte général ou d'avoir introduit une clause particulière pour que tout s'apaise et que tous les doutes soient levés.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Le rappel que nous préconisons ici participe plus généralement de l'esprit général de notre travail : il nous parait indispensable de rappeler que les articles du traité doivent être utilisés à bon escient. En effet, nous avons constaté à plusieurs reprises que les bases juridiques retenues pour fonder certaines initiatives législatives étaient contestables, la Commission retenant certains articles du traité qui ne semblent pas nécessairement les vecteurs appropriés. Je pense ici, entre autres, au programme européen pour l'industrie de la défense (EDIP - European Defence Industry Programme) ou au texte relatif aux associations transfrontalières. Compte tenu des nombreuses illustrations de telles dérives, il ne me semble pas inutile - et même en réalité bénéfique, dans un esprit d'anticipation -de répéter l'importance de respecter les traités et les compétences des États membres dans l'élaboration de la norme européenne.

 Mme Amel Gacquerre. - Je vous remercie pour vos propositions qui répondent à un sujet important puisque nous sommes souvent interpellés sur la complexité européenne. En lisant le rapport que vous nous avez distribué, il me semble difficile de ne pas faire le lien avec notre propre façon de légiférer et, à ce titre, je trouve particulièrement intéressantes - en pensant à certains projets de loi - les propositions n°5 sur l'amélioration de la qualité des études d'impact et n°6 sur l'évaluation ex post systématique des actes législatifs : il y a peut-être ici des éléments à reprendre pour améliorer la législation française.

Je souhaite surtout vous interroger sur la proposition n°4 qui vise à privilégier le recours aux directives et à limiter le recours abusif par la Commission aux actes d'exécution et aux actes délégués. C'est un sujet que j'ai découvert et approfondi en travaillant avec Michaël Weber sur la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales. On a effectivement l'impression que l'Europe recourt un peu trop souvent aux règlements et pas assez aux directives, ce qui laisse moins de latitude aux États membres. Ce phénomène est-il avéré, chiffré et en évolution ? Vous m'indiquez que des statistiques précises figurent en annexe de votre rapport et je voudrais savoir s'il s'agit d'un phénomène qui perdure malgré les critiques ; quels sont les freins envisageables ?

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Statistiquement, nous avons effectivement constaté une hausse tendancielle des règlements et des actes délégués ou des actes d'exécution européens, comme attesté par les chiffres figurant dans notre rapport. Il est vrai qu'en tant que parlementaires nous sommes un peu frustrés par cette évolution car un règlement ne nécessite pas de loi de transposition qui nous serait soumise pour examen. J'avais demandé à la précédente ministre en charge des Affaires européennes, Laurence Boone, si elle entendait lutter contre cette tendance et elle m'avait fait observer que les entreprises exprimaient souvent une demande contraire, dans la mesure où elles préfèrent bénéficier, à travers un règlement, d'une harmonisation et d'une sécurité juridiques accrues. Par ailleurs, je souligne que les Parlements ne sont pas consultés sur les actes délégués ou les actes d'exécution.

Politiquement, il peut sembler paradoxal de rappeler que certains acteurs économiques ne partagent pas toutes les critiques que nous formulons à l'égard de la hausse tendancielle du nombre de règlements, d'actes délégués ou d'exécution mais, en tout cas, nous constatons cette progression qui constitue une vraie frustration aux yeux des parlementaires que nous sommes.

M. Didier Marie, rapporteur. - Notre discussion sur l'alternative entre directive et règlement renvoie à la question plus large de la construction de la souveraineté européenne versus la souveraineté nationale. Lorsqu'une directive est adoptée, on demande aux États de la transposer, ce qui n'est pas toujours fait dans les délais, et cela soulève des difficultés. Inversement, il arrive que des règlements soient adoptés sur des questions qui relèveraient plutôt d'une directive. Il y a donc une pondération à trouver entre ces deux formes de production de normes.

On peut également remarquer que, pendant la dernière mandature de la Commission européenne, nous avons été confrontés à de nombreuses crises comme la pandémie de Covid-19, la crise énergétique ou la guerre en Ukraine : cela a nécessité des réponses d'urgence qui ont accru le recours aux règlements. Il faut donc trouver un juste équilibre en distinguant bien, d'une part, ce qui relève des grandes orientations et nécessite l'élaboration de directives - qui doivent être transposées pour respecter les particularités nationales - et, d'autre part, les matières qui portent sur l'exécution des décisions des instances européennes : dans ce dernier cas, les mesures prises doivent effectivement être suffisamment précises de telle sorte que chacun puisse s'en saisir sans ambiguïté.

Mme Marta de Cidrac. - J'ajoute qu'il est essentiel de bien distinguer les logiques qui animent, d'une part, le législateur d'un État membre et, d'autre part, les entreprises. Nous devons, en tant que législateur, défendre un intérêt collectif, ce qui nous distingue des entreprises. En effet, les entreprises auront tendance à préférer des règles plus pragmatiques et opérationnelles, tandis que, par définition, nous prenons des décisions qui demandent plus de temps, de recul - et, par moments, de discernement - dans le but de servir l''intérêt collectif. Il est donc important de prendre cette distinction en compte et c'est la raison pour laquelle je trouve que votre proposition tendant à privilégier le recours aux directives est tout à fait pertinente.

M. Didier Marie, rapporteur. - Tout le monde constate aujourd'hui que le fonctionnement de l'Union européenne est trop technocratique, avec une avalanche de normes - nous avons tous en tête bon nombre d'exemples, comme la forme de la banane, etc. - qui soulèvent un certain nombre d'interrogations. Tout d'abord, au sein de la Commission européenne, la relation entre la légitimité politique des commissaires et le poids des directions générales soulève des questions de fond. Les directions générales sont extrêmement puissantes. Ensuite, nous avons rappelé dans notre rapport les dispositions prises pour alléger le poids de la bureaucratie européenne ; le constat est malheureusement qu'elles ne sont pas - ou insuffisamment - mises en oeuvre. Troisièmement, il faut faire attention à ce que notre volonté collective d'alléger le poids technocratique ne se traduise pas par une remise en cause d'objectifs qui, pour leur part, restent légitimes. Dans le même sens, Mme Ursula von der Leyen a tout récemment indiqué à Budapest que l'objectif est de réduire le fardeau bureaucratique sans changer le « contenu correct » des normes européennes. Je fais ici observer qu'un certain nombre de lobbies aimeraient bien profiter d'un « allègement technocratique » pour remettre en cause certaines dispositions adoptées par les institutions européennes - et j'englobe dans ce terme à la fois la Commission, le Parlement, mais aussi le Conseil : il faut donc nous prémunir contre ce risque. Je rappelle que nous nous battons pour que les normes, qui sont aussi des éléments de puissance pour l'Union européenne à l'égard de nos concurrents internationaux, ne soient pas remises en cause ; nous voulons que les normes européennes soient mieux et plus facilement applicables par chacun. Par exemple, s'agissant du devoir de vigilance sur lequel nous avons travaillé à plusieurs reprises, personne ne remet en cause le fondement de l'obligation de déclaration (reporting) qui doit incomber aux entreprises. Ce qui est contesté, c'est le poids administratif que cela peut représenter et il faut donc trouver le bon dosage entre l'objectif souhaité et les modalités de mise en oeuvre. Le même raisonnement s'applique à toute une série de politiques européennes qui permettent de définir, à l'échelle internationale, un socle de normes qui vont dans le bon sens, par exemple en matière de climat, de souveraineté alimentaire ou de santé. S'agissant du Mercosur, nous nous opposons collectivement à cet accord car nous considérons que les normes que nous nous sommes imposées en Europe sont utiles et saines pour l'agriculture, la santé, nos entreprises, etc. : dès lors, nous souhaitons que les autres les appliquent. Ce n'est pas l'inverse : nous ne souhaitons pas remettre en cause tous nos efforts dans le seul but de pouvoir affronter une concurrence sans normes et sans bornes au sein du Mercosur.

Je conclus mon propos en soulignant l'importance de lutter contre la bureaucratie et, à ce titre, la question du poids des directions générales de la Commission européenne est effectivement pertinente. Il faut surtout mettre en oeuvre ce qui est programmé. Or, malheureusement, tel n'a pas été le cas pour ce qui a été annoncé par Mme Ursula von der Leyen au cours de son mandat précédent. Il sera intéressant de suivre les prochaines étapes car celle-ci promet, dans les 100 jours, un texte omnibus qui vise à réduire de 25 % le poids de la bureaucratie européenne, dans l'intérêt des entreprises et des PME. Espérons que cette fois-ci, cette intention sera suivie d'effets.

Mme  Karine Daniel. - Pour pousser le raisonnement encore un cran plus loin, on peut parfois se demander si le législateur national, en surtransposant ou en surinterprétant les normes européennes, exprime non pas son indifférence mais, au contraire, une certaine opposition aux instances européennes en renvoyant la faute sur ces dernières par une sorte de double jeu. Je vous remercie à nouveau pour ce rapport qui est éclairant de ce point de vue et je pense qu'il faut garder en tête ce phénomène pour interpréter la parole publique ainsi que la manière de communiquer sur les questions européennes.

M. Jean-François Rapin, président. - Je fais observer que dans certains États membres, la commission des affaires européennes joue un rôle prééminent dans l'examen parlementaire des sujets européens : elle fixe la position du Parlement sur les propositions législatives européennes après avis des commissions permanentes. J'en ai discuté avec certains de nos collègues d'autres États membres où la commission des affaires européennes est même nommée la « grande commission ».

Nous vous proposons humblement une démarche un peu inverse : vous pourriez, dans vos commissions permanentes respectives, proposer qu'un représentant de notre commission soit entendu sur le volet européen d'un texte en discussion ou vienne présenter son travail sur la dimension européen d'un sujet ressortant de cette commission. Chacun d'entre nous accomplirait cette tâche avec plaisir même si nos agendas sont chargés - et je note qu'ils risquent de s'alléger dans quelques jours...

La commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Je me félicite de ce vote qui récompense notre travail pour vous présenter un rapport équilibré et surtout efficace.

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