D. UN PRÉJUDICE DE COMPÉTITIVITÉ : PLUS OU MOINS VALUE DES RÉGLEMENTATIONS EUROPÉENNES POUR LES ENTREPRISES ?

1. Le constat frappant de Mario Draghi

L'intégration européenne donne aux États membres de l'UE le moyen d'additionner leur puissance en déployant des politiques communes et en recourant à un pouvoir normatif fort. Dans cette perspective, l'intervention réglementaire de l'Union européenne dans le domaine de la régulation des activités économiques et financières trouve sa justification première dans le rapprochement voire l'harmonisation des règles nationales : son objectif est fondamentalement de contribuer à la construction du marché intérieur et de mettre fin au morcellement du marché qui découle des divergences réglementaires entre États membres et cantonne les entreprises sur un marché national étroit qui limite leur croissance.

Toutefois, plus de soixante-cinq ans après la création de la Communauté économique européenne et du fait de l'élaboration de nombreuses règles européennes qui s'en est suivie, Mario Draghi juge dans son rapport que : « La charge réglementaire pesant sur les entreprises européennes est élevée et continue de croître, mais l'Union européenne manque d'une méthodologie commune pour l'évaluer ».

Il cite trois exemples de textes européens qui pèsent aujourd'hui lourdement sur la compétitivité des entreprises européennes : le règlement général sur la protection des données (RGPD), le devoir de vigilance des entreprises et l'interdiction de produits issus de la déforestation. À titre illustratif, des détails sont apportés ci-après sur le deuxième texte mentionné.

Selon BusinessEurope, l'organisation qui représente les entreprises au niveau européen, « entre 2017 et 2022, l'Union européenne a imposé un total de 850 nouvelles obligations aux entreprises, représentant plus de 5000 pages de législation, qui ajoutent une charge supplémentaire pour les entreprises »52(*).

Selon une autre étude, les charges administratives de l'UE représentaient en 2014 un coût annuel de l'ordre de 150 milliards d'euros, soit 1,3 % du PIB européen53(*).

Les rapporteurs se sont entretenus lors de leur déplacement à Bruxelles, le 27 mai dernier, avec Alexandre Affre, représentant de BusinessEurope, et Sophia Zakhari, directrice de SME United, organisation européenne représentant les petites et moyennes entreprises.

Ceux-ci ont mis en avant le poids des charges administratives pesant sur les entreprises européennes résultant des normes européennes et leur impact négatif sur la compétitivité. Ils ont plaidé pour un effort de simplification et une réduction drastique des charges, notamment en matière d'obligations de déclaration (« reporting »).

Cela vaut en particulier pour les 25 millions de petites et moyennes entreprises européennes, qui représentent 99 % des entreprises et qui emploient 88 millions de salariés, mais qui souvent sont dépourvues des capacités suffisantes pour faire face aux charges administratives et dont les spécificités sont souvent ignorées des législations européennes.

On peut mentionner à titre d'exemple la proposition de règlement sur les retards de paiement54(*), qui prévoyait une stricte limitation à 30 jours des délais de paiement, sans tenir compte des spécificités des différents secteurs économiques ni de la situation particulière des PME qu'elle entendait pourtant conforter. Cette situation a conduit le Sénat à adopter une résolution européenne55(*), présentée par les sénateurs Amel Gacquerre et Michaël Weber au nom de la commission des affaires européennes, demandant une meilleure prise en compte des réalités économiques.

Pour autant, Sophia Zakhari, directrice de SME United, a estimé que vouloir exempter les PME d'une réglementation européenne n'était pas une bonne approche. D'une part, cela risque de les exclure du marché unique. D'autre part, cette exclusion est fictive puisque les PME sont intégrées dans les chaînes de valeur des grandes entreprises soumises à la réglementation et devant la répercuter à leur tour. Les PME doivent également, pour accéder aux marchés publics, s'aligner sur les autres entreprises, quand bien même elles seraient exemptées du respect d'une réglementation.

En résumé, les PME ne réclament pas un régime dérogatoire ou une exemption des règles européennes mais une simplification des normes européennes et une meilleure prise en considération de leurs spécificités.

2. La directive relative au devoir de vigilance des entreprises : un but louable, mais une articulation difficile avec la compétition mondiale

Présentée par la Commission européenne le 23 février 2022, la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de développement durable56(*), dite directive CSDD (« Corporate Sustainability Due Diligence »), tend à imposer aux entreprises de mettre en oeuvre des processus visant à prévenir, atténuer ou supprimer les incidences négatives de leurs activités et celles de leur « chaîne de valeur » sur les droits de l'Homme et l'environnement. Faire mieux respecter les droits de l'Homme et l'environnement constitue une ambition louable qui mérite assurément d'être poursuivie mais d'une manière calibrée et réaliste pour ne pas engendrer une perte de compétitivité de nature à mettre en danger les entreprises européennes concernées.

La réforme concerne en effet les entreprises établies dans l'Union européenne (définies selon des critères fondés sur le secteur d'activité, le nombre de salariés et le chiffre d'affaires mondial57(*)) et prévoit qu'une entreprise peut désormais être tenue juridiquement responsable si l'un de ses fournisseurs habituels ne respecte pas les normes du droit du travail ou si ses activités portent atteinte à l'environnement. Les sociétés qui ne respectent pas les règles pourraient se voir infliger des amendes allant jusqu'à 5 % de leur chiffre d'affaires mondial.

Cette proposition a fait naître de fortes inquiétudes parmi les entreprises, particulièrement les PME.

Le MEDEF, dans un communiqué du 8 février 2024, a exprimé de « vives préoccupations » et demandé à « poursuivre les discussions », car la proposition de directive « ne prend pas en compte l'environnement souvent complexe dans lequel les entreprises opèrent. Aucune entreprise, quelle que soit sa taille, n'est aujourd'hui réellement en mesure de contrôler l'entièreté de sa chaîne de valeur ou d'activités. Les impacts opérationnels et financiers de ce texte sur nos entreprises sont difficilement mesurables et de ce fait, n'ont pas été sérieusement évalués par une étude d'impact ». Il considère que l'approche répressive adoptée par le texte expose les entreprises européennes à des risques de sanctions éliminatoires, « entravant sérieusement la compétitivité européenne ». Dans un contexte international où les tensions sont de plus en plus exacerbées, « l'Europe se distingue encore une fois en produisant des normes sans envisager les conséquences concrètes pour ses entreprises ».

La CPME a considéré, pour sa part, dans un communiqué du 13 février 2024, que « la volonté de supprimer les impacts négatifs que certaines activités peuvent générer sur les droits de l'homme, les droits sociaux, l'environnement et le changement climatique est parfaitement compréhensible. En revanche, les modalités pour y parvenir ne sont pas, en l'état, acceptables ». Elle juge que les dispositions incluses dans cette proposition de directive, qui compte près de 500 pages, « imposeraient une très lourde charge administrative aux PME, à rebours de tous les grands discours actuels sur la simplification ».

Les PME, même si elles ne sont pas directement visées, seraient mécaniquement affectées du fait de leur appartenance à une chaîne de valeur et contraintes d'effectuer un « reporting » à la demande de leurs partenaires commerciaux, sous peine d'être évincées des marchés. La CPME demande donc « d'introduire des simplifications et des mesures d'accompagnement en faveur des PME. Il serait totalement incohérent de plaider en faveur de mesures de simplification en France et d'agir à Bruxelles pour complexifier davantage encore la vie des entreprises ».

Dans une résolution européenne58(*), présentée par les sénateurs Christine Lavarde, Jacques Fernique et Didier Marie, le Sénat a approuvé le principe d'une telle initiative législative européenne tout en demandant « de tenir compte des capacités inégales des entreprises ». Le Sénat demandait aussi une clause de révision qui pourrait permettre de prendre en considération les données consolidées des entreprises pour modifier les seuils déterminant les obligations, une définition plus rigoureuse des « activités à fort impact sur les droits de l'Homme et l'environnement », la substitution de la notion de « chaîne d'activités » à celle de « chaîne de valeur » ou encore le choix d'une entrée en vigueur « rapprochée mais progressive ».

Un compromis reprenant ces éléments avait été trouvé entre le Conseil et le Parlement européen, le 14 décembre 2022. Il rendait la réforme applicable aux seules entreprises employant plus de 500 salariés et réalisant - au niveau mondial - un chiffre d'affaires net de plus de 150 millions d'euros (les services financiers étant temporairement exclus des nouvelles obligations), précisait la nature des incidences environnementales couvertes par la réforme ainsi que l'obligation de moyens s'imposant aux entreprises précitées (nécessité d'adopter un plan de transition en matière d'atténuation du changement climatique ; respect du devoir de vigilance posé comme critère d'attribution de marchés publics). Elle confortait aussi leur responsabilité civile et prévoyait des amendes en cas de manquement (d'un montant maximal égal à 5 % du chiffre d'affaires net mondial de l'entreprise concernée).

Cependant, malgré l'adoption de ce compromis, l'opposition contre le texte est demeurée forte, non seulement de la part de certains États membres (Allemagne ; Autriche ; Italie) mais aussi des députés européens des groupes du Parti populaire européen, des Conservateurs et Réformistes européens et Identité et Démocratie. Le principal point de friction portait sur les obligations imposées par la réforme aux petites et moyennes entreprises. Et, au cours du mois de février 2023, les Représentants permanents des 27 États membres ont échoué par deux fois à adopter définitivement cet accord au Conseil.

La présidence belge du Conseil a alors travaillé à un nouvel accord. Ce dernier, entériné le 15 mars 2023 par le Conseil, restreint le nombre d'entreprises concernées et prévoit une entrée en vigueur progressive des nouvelles obligations pour n'appliquer la réforme qu'aux plus grandes d'entre elles, comme le recommandait le Sénat. Il fait aussi disparaître la notion de « secteurs à haut risque » et maintient l'exclusion du secteur financier de la réforme. Malgré cela, neuf États membres, dont l'Allemagne, se sont abstenus lors du vote.

Ce texte a finalement fait l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen le 14 décembre 2023 et a été approuvé par le Parlement européen le 24 avril dernier.

Il n'en demeure pas moins que, selon Mario Draghi, ce texte fait peser de fortes contraintes sur les entreprises européennes. En outre, comme l'a souligné la délégation sénatoriale aux entreprises dans un récent rapport d'information59(*), son articulation avec une précédente directive européenne adoptée le 14 décembre 2022, dite CSRD (« Corporate Sustainability Reporting Directive »), qui concerne la publication de l'information en matière de développement durable, soulève de sérieuses interrogations.

3. Le règlement sur les déchets et les emballages : exemple de chevauchement d'exigences sans égard pour les situations nationales et les petits producteurs

Un autre exemple du préjudice causé par une réglementation européenne trop ignorante des diverses réalités économiques est constitué par la proposition de règlement relatif aux emballages et aux déchets d'emballages60(*). Celle-ci a été présentée par la Commission européenne en 2022 et avait pour objet d'actualiser les normes européennes relatives aux emballages et aux déchets d'emballages pour répondre aux enjeux du « Pacte vert pour l'Europe ». Le texte prévoit de nouvelles exigences pour la mise sur le marché d'emballages ainsi qu'en matière de collecte, de recyclage et de réemploi des déchets d'emballages, afin de réduire la quantité de ces déchets et rendre recyclables tous les emballages produits dans l'Union européenne.

Dans une résolution européenne, le Sénat a estimé que cette proposition était contraire aux principes de subsidiarité et de proportionnalité61(*).

En particulier, le Sénat a :

• déploré le choix d'un règlement, qui « prive les États membres de marge de manoeuvre » et estimé que la base juridique visée, à savoir l'article 114 du TFUE précité, était insuffisante pour fonder seule la nouvelle proposition, en risquant « de remettre en cause des législations nationales plus ambitieuses en matière d'économie circulaire ». Il a ajouté que le texte aurait dû être également basé sur l'article 192 du TFUE, relatif à la politique environnementale, la réduction du nombre d'emballages étant un objectif environnemental avant d'être un moyen de développer le marché intérieur ;

• souligné que la disposition de la proposition imposant aux États membres la mise en place d'un système de consigne pour les bouteilles en plastique et les canettes d'aluminium à usage unique (sauf à ceux qui atteindraient les objectifs de collecte de 90 % par d'autres moyens) ignorait les efforts actuels des États membres et de leurs collectivités territoriales en la matière.

Dans sa réponse en date du 25 juillet 2023, la Commission européenne a justifié simultanément le choix d'un règlement, « instrument juridique idoine », et la référence à l'article 114 du TFUE, pour répondre aux demandes de « l'industrie européenne » qui regrettait « la mosaïque d'exigences nationales » et plaidait « en faveur d'une plus grande harmonisation et d'une réduction de la charge administrative ».

Elle a souligné que le nouveau dispositif devait permettre d'imposer des obligations directes aux opérateurs économiques, d'assurer une plus grande sécurité juridique et de réduire les distorsions de concurrence.

Mentionnant l'analyse d'impact de la proposition, elle a affirmé que ces règles européennes plus strictes permettraient paradoxalement aux États membres de « bénéficier d'une plus grande flexibilité » car elles apporteraient de la clarté.

Enfin, concernant l'imposition d'un dispositif de consigne aux États membres, la Commission européenne est demeurée inflexible, rappelant la dérogation prévue pour les États membres les plus efficaces dans leur collecte et soulignant qu'un « grand nombre de bouteilles en plastique et de boîtes métalliques finiss(ai)ent par être incinérées, mises en décharge voire abandonnées dans la nature. »

Le compromis trouvé sur cette réforme, le 4 mars 2024, par les négociateurs européens en trilogue, toujours fondé sur l'article 114 précité, a bien maintenu le système de consigne obligatoire envisagé pour les bouteilles en plastique et les canettes métalliques (objectif d'une collecte spécifique de ces bouteilles et canettes d'au moins 90 % par an d'ici à 2029). Ce dispositif ne s'appliquera ni aux systèmes nationaux et locaux qui remplissaient déjà l'objectif de 90 % ni à ceux qui doivent atteindre un taux de collecte séparée en 2026.

En se référant aux législations sur les emballages, les transferts de déchets et la directive-cadre sur les déchets, Mario Draghi souligne dans son rapport le « chevauchement des exigences horizontales et sectorielles » et le « coût réglementaire » que subissent les PME à cet égard. Il estime que l'application dans les États membres mène à des règles « profondément divergentes ». Il souligne, entre autres, que les règles relatives au système de responsabilité élargie des producteurs s'appliquent « à tous les producteurs de la même manière, sans tenir compte de leur taille ou de leur impact sur l'environnement ».

4. Le préjudice concurrentiel subi par les entreprises, victimes du hiatus entre la réglementation européenne et la politique commerciale

On pourrait également évoquer ici les distorsions de concurrence créées par des réglementations européennes fondées sur objectifs sociaux ou environnementaux ambitieux, mais trop strictes au regard des pratiques d'États tiers dont on accepte pourtant l'importation de produits au sein de l'Union.

Le sujet est évidemment particulièrement sensible pour le secteur agricole, confronté à des concurrences jugées déloyales, mises en évidence par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de ratification de l'accord commercial global entre l'Union européenne et ses États membres et le Canada62(*) et aujourd'hui au coeur des discussions concernant les négociations en cours avec le Mercosur. Le rapport pour avis du sénateur Laurent Duplomb soulignait ainsi que 41 substances actives phytosanitaires, autorisées au Canada mais pas dans l'Union européenne, sont tolérées dans les produits importés si leurs traces sont inférieures aux limites maximales de résidus (LMR) réglementaires.

Cet enjeu de cohérence entre les normes imposées au sein de l'Union européenne et la politique commerciale se pose également dans le domaine industriel. Comme le souligne Mario Draghi dans son rapport précité, « si les objectifs climatiques ambitieux de l'Europe sont assortis d'un plan cohérent pour les atteindre, la décarbonation sera une opportunité pour l'Europe. Mais si nous ne parvenons pas à coordonner nos politiques, la décarbonation risque d'aller à l'encontre de la compétitivité et de la croissance ».

Le Sénat avait ainsi alerté sur les enjeux industriels, économiques et sociaux du paquet « Ajustement à l'objectif 55 »63(*). Si l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pouvait sembler une bonne idée, soutenue par la France et singulièrement par le Sénat, les modalités de sa mise en oeuvre, qui conduisent notamment en l'état à pénaliser les entreprises européennes exportatrices, ne sont en aucun satisfaisantes.

En dépit de l'adhésion de l'Union européenne et des États membres à l'accord plurilatéral de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les marchés publics, de l'accent mis par l'Union européenne sur l'ouverture des marchés publics au sein des accords commerciaux bilatéraux et régionaux qu'elle conclut ainsi que de ses récentes initiatives visant à permettre aux entreprises européennes de mieux faire valoir leurs droits, notamment par la mise en place de la plateforme Access2Markets et l'adoption du règlement concernant l'instrument relatif aux marchés publics internationaux64(*), de même que de la toute récente jurisprudence protectrice de la Cour de justice de l'Union européenne65(*), on peut aussi rappeler la dissymétrie persistante dans l'ouverture des marchés publics dont souffrent les entreprises européennes, qui bénéficient d'un accès réduit aux marchés publics de certains États dont les entreprises, elles, accèdent bien plus largement aux marchés publics européens.

Le défaut de mise en cohérence des politiques internes et externes de l'Union constitue ainsi une véritable entrave à la compétitivité des entreprises européennes et justifie d'inviter l'UE, comme le fait Mario Draghi, à construire une « politique économique extérieure » et notamment à revoir dans cette optique la politique européenne de concurrence pour l'articuler avec les objectifs de politique industrielle et l'ambition d'autonomie stratégique ; parallèlement, le défaut d`information des Parlements nationaux sur la conduite des négociations commerciales par la Commission européenne soulève une vraie question en matière de contrôle démocratique.

Si l'on critique souvent la surréglementation européenne, c'est parfois aussi l'absence d'intervention législative de l'Union européenne qui est pénalisante pour la compétitivité des entreprises, et plus généralement pour l'Union européenne.

On peut ainsi mentionner l'exemple de l'absence de véritable stratégie de l'Union européenne en matière de services en nuage (cloud).

À ce jour, le projet de certification européenne des services en nuage n'a toujours pas abouti. Les autorités françaises plaident pour y intégrer le critère géographique dans un souci de protection des données, ou du moins pour conserver des critères de souveraineté au niveau national. Ainsi lors d'une rencontre avec Henna Virkunen, Vice-présidente de la Commission européenne, en novembre dernier, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Benjamin Haddad, a rappelé le souhait de la France du développement d'un cloud européen souverain et la mise en place d'un schéma de certification de sécurité dans le cloud (EUCS), permettant d'offrir un très haut niveau de sécurité, notamment vis-à-vis des demandes illégales d'accès aux données.

Notons que lors de son audition devant le Parlement européen en vue de l'investiture du nouveau collège des commissaires, la vice-Présidente Henna Virkunen a semblé éluder un certain nombre de questions sur le cloud européen.

Lors de cette audition, la députée européenne Alexandra Geese (GREENS/EFA, DE) a rappelé que la majeure partie de l'infrastructure cloud était gérée par des entreprises non européennes, donc soumises à des juridictions non européennes, et que les données, même localisées en Europe, ne pouvaient être considérées comme sécurisées. De plus, la part de marché des fournisseurs européens de cloud diminuant rapidement, elle s'est interrogée sur le point de savoir si le « EU cloud » et le « IA development Act » permettraient aux fournisseurs européens de réellement prospérer.

Tout en reconnaissant la grande dépendance de l'UE et le retard de l'UE sur les Etats-Unis qui ne cessait de se creuser, la Vice-présidente exécutive désignée n'a pas répondu directement à la question, expliquant que ces futurs textes européens permettront de fournir une infrastructure de calcul pour les PME dans le domaine de l'IA et de soutenir l'innovation dans le domaine.

De même, le député européen Carlo Ciccioli (ECR, IT) a apporté son soutien au renforcement de l'objectif de souveraineté européenne, qui ne devait toutefois pas, à ses yeux, être un objectif absolu mais prendre en compte les coûts et bénéfices et l'importance de rester ouvert à des partenaires internationaux fiables. Il s'est donc interrogé sur les réflexions de la Commission en matière de cloud souverain et la place réservée à des solutions nationales.

La Vice-présidente exécutive désignée n'a pas non plus répondu directement à cette question, soulignant les enjeux de souveraineté liés au cloud et la nécessité de réduire les risques. Elle a fait part de son intention de travailler avec le Vice-président exécutif désigné Stéphane Séjourné sur les questions de marchés publics en matière de cloud pour les services publics.

De manière générale, en matière de cloud, la part de marché des entreprises européennes est effectivement minime par rapport à celle des entreprises non-européennes. À elles seules, les 3 grandes entreprises du secteur (AWS, Microsoft Azure et Google Cloud), ayant leur siège aux États Unis, capteraient 70 % du cloud français, rendant difficile l'émergence d'un nouvel acteur. En Europe, le marché du cloud serait capté à 13 % par des entreprises européennes et à 72 % par ces 3 grands groupes américains.

En France, l'autorité de la concurrence s'en était d'ailleurs émue en juin 2023 en soulignant la forte concentration du marché.


* 52 BusinessEurope, « How to turn Europe into an SME superpower during the next EU cycle ? », 15 octobre 2024.

* 53 European Parliament Think Tank, « Mapping the cost of non-Europe », 2023.

* 54 COM (2003) 533 final.

* 55 Résolution n° 121 (2023-2024), devenue résolution du Sénat le 14 mai 2024.

* 56 COM (2022) 71 final.

* 57 Selon le texte initial, la réforme était applicable aux entreprises européennes en fonction de deux seuils (500 salariés et 150 millions d'euros de chiffre d'affaires mondial ou 250 salariés et 40 millions d'euros de chiffre d'affaires net mondial en cas d'activité à fort impact).

* 58 Résolution du Sénat n° 143 (2021-2022), devenue définitive le 1er août 2022.

* 59 Rapport d'information n° 327 (2023-2024) du 7 février 2024 présenté par Mmes Anne-Sophie ROMAGNY et Marion CANALÈS au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.

* 60 COM (2022) 677 final.

* 61 Résolution n° 96 (2022-2023), devenue définitive le 24 avril 2023.

* 62 Avis n° 410 (2023-2024), déposé le 12 mars 2024, présenté par Laurent Duplomb au nom de la commission des affaires économiques, sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'UE et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part.

* 63 Résolution n° 124 (2021-2022), devenue résolution du Sénat le 5 avril 2022.

* 64 Règlement (UE) 2022/1031 du Parlement européen et du Conseil du 23 juin 2022 concernant l'accès des opérateurs économiques, des biens et des services des pays tiers aux marchés publics et aux concessions de l'Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l'accès des opérateurs économiques, des biens et des services originaires de l'Union aux marchés publics et aux concessions des pays tiers (Instrument relatif aux marchés publics internationaux -- IMPI).

* 65 Dans son arrêt de grande chambre « Kolin » (affaire C-652/22) rendu le 22 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne, saisie d'une question préjudicielle, a affirmé que, si le droit de l'Union ne s'oppose pas à ce que les opérateurs économiques de pays tiers non couverts par un accord soient, en l'absence de mesures d'exclusion adoptées par l'Union, admis à participer à une procédure de passation d'un marché public régie par la directive 2014/25, il s'oppose à ce que ces opérateurs économiques puissent, dans le cadre de leur participation à une procédure de passation d'un marché public régie par cette directive, se prévaloir de celle-ci et ainsi exiger un traitement égal de leur offre par rapport à celles présentées par les soumissionnaires des États membres et ceux des pays tiers couverts par un accord.

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