QUATRIÈME
PARTIE :
L'INSERTION PROFESSIONNELLE ET LE MAINTIEN
DANS
L'EMPLOI
En parallèle de l'attention portée par la loi du 11 février 2005 à l'amélioration des conditions de cumul entre l'AAH et les revenus du travail, celle-ci s'attache également à renforcer « l'accès de tous à tout »78(*) dans le domaine de l'emploi. Elle modernise pour cela les outils d'inclusion qui préexistants, et pose dans le même temps un principe de non-discrimination des travailleurs handicapés.
I. LE RENFORCEMENT DE L'OBLIGATION D'EMPLOI DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS A PERMIS D'ACCÉLÉRER LEUR INTÉGRATION DANS LE MONDE DU TRAVAIL
A. L'OETH, UNE LOGIQUE RENFORCÉE ET ÉTENDUE
1. Une politique de quota volontariste renouvelée
Inspirés par les mutilations subies par les populations durant la guerre, les législateurs des pays européens se tournent spontanément vers des logiques de quota afin de faire une place dans le monde du travail aux citoyens handicapés. Cette philosophie a longtemps été critiquée par les associations de représentation des personnes en situation de handicap, notamment dans le monde anglo-saxon, lui préférant la logique de non-discrimination, en considérant que l'obligation d'emploi renforçait le stigmate, et soumettait les travailleurs handicapés à la décision d'un État discrétionnaire et intrusif.
En France, une « priorité d'emploi réservée aux handicapés » est mise en place par la loi du 23 novembre 1957, fixée à 3 % des effectifs79(*), elle n'est cependant pas assortie de sanction dans le cas de son non-respect. Par conséquent, c'est la loi du 10 juillet 1987 qui a réellement fixé une obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH), qui ne s'applique alors qu'aux employeurs du secteur privé.
La notion de travailleur handicapé
C'est la loi du 23 novembre 1957 qui apporte pour la première fois une définition du travailleur handicapé : est considéré comme tel « toute personne dont les possibilités d'acquérir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites, par suite d'insuffisance ou d'une diminution de ses capacités physiques ou mentales ». Une commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep), est alors chargée de reconnaître cette qualité de travailleur handicapé (RQTH), mission désormais dévolue aux MDPH.
La RQTH appréhende de façon unifiée les conséquences en termes d'employabilité et de besoins d'aménagements qui peuvent naître de situations différentes : maladie invalidante, accident du travail ou de maladie professionnelle, mutilation de guerre, etc.
Une fois obtenue, la RQTH permet de prétendre à des aménagements d'horaires de travail ou à une adaptation du poste, mais également de bénéficier de certains dispositifs d'insertion professionnelle. Par ailleurs, elle est le critère pris en compte par l'administration dans le contrôle du respect de l'OETH par l'employeur.
Face aux difficultés d'insertion rencontrées par les personnes en situation de handicap, le législateur a donc fixé aux employeurs privés, de manière volontariste et ambitieuse, une obligation d'établir que les travailleurs en situation de handicap représentent au moins 6 % de l'effectif total employé des entreprises de plus de 19 salariés. À défaut, une contribution financière proportionnelle à l'ampleur du manquement à cet engagement doit être annuellement acquittée par l'employeur. Ce mécanisme permet de garantir l'incitativité de la mesure, tout en tenant compte des difficultés de recrutement que pourrait rencontrer un employeur compte tenu de son activité, ou de sa localisation.
La loi du 11 février 2005 est à la fois venue renforcer l'OETH, et en simplifier la mise en oeuvre. Le calcul de la cible d'OETH est en effet opéré sur l'intégralité des effectifs salariés, avec la disparition des « emplois exclus ». De même, l'abandon de la pondération de l'effectif selon la lourdeur du handicap a grandement simplifié la compréhension de l'OETH par les employeurs. En parallèle, elle a imposé une pénalité supplémentaire pour les entreprises n'employant aucun travailleur handicapé, directement ou indirectement.
Les efforts de simplification ont été amplifiés depuis, même si le champ des entreprises concernées à récemment été réduit par la mesure de neutralisation des effets de seuils80(*) au 1er janvier 2020, puisque sont désormais concernées les seules entreprises dont l'effectif moyen annuel a dépassé le seuil de 19 salariés depuis au moins cinq années consécutives.
Le respect de l'OETH, qui s'apprécie au 31 décembre de l'année concernée, est calculé sur la base de la déclaration obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés (DOETH). Auparavant adressée à l'Agefiph, la DOETH est depuis 202081(*) directement générée via la déclaration sociale nominative (DSN) gérée par l'Urssaf, de même que le recouvrement de la contribution due en cas de non-respect de l'obligation d'emploi. Ce transfert a considérablement diminué la charge administrative supportée par les employeurs. Par ailleurs, cela a également permis de fiabiliser la DOETH, qui est obligatoire pour l'ensemble des entreprises dès qu'elles ont un employé.
Enfin, l'OETH n'est pas synonyme de dessaisissement du dialogue social sur la politique sociales menées par l'employeur, puisqu'il peut être mis en oeuvre par application d'un accord de branche, de groupe d'entreprise agréé par l'administration82(*). Dans ce cas l'employeur est réputé satisfaire l'OETH en mettant en place un programme pluriannuel en faveur des travailleurs handicapés, dont le financement doit au moins être égal à la contribution qu'il aurait acquitté à défaut. Cette possibilité d'option pour un plan triennal n'est renouvelable qu'une fois, considérant qu'au bout de six ans l'exécution des plans doit avoir conduit à un respect de facto du critère de 6 % d'emploi.
2. Une extension réussie au secteur public
La loi du 11 février 2005 a étendu l'OETH aux trois versants de la fonction publique, en leur appliquant le même objectif de 6 % des effectifs. Cette extension s'est faite selon les mêmes conditions que l'OETH dans le secteur privé, avec la mise en place d'une contribution annuelle financière en cas de non-respect de l'objectif. Afin d'accompagner les employeurs publics dans l'aménagement des postes de leurs agents en situation de handicap, et pour garantir le fléchage des financements collectés via la contribution financière, la loi a créé un fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP)2 à l'instar de l'association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (Agefiph) pour le secteur privé.
Respect de l'OETH dans la fonction publique
au
31 décembre 2023
Effectifs totaux |
Bénéficiaires de l'OETH |
Taux d'emploi direct |
|
Fonction publique d'État |
2 045 532 |
94 875 |
4,64 % |
Fonction publique hospitalière |
1 005 959 |
56 722 |
5,64 % |
Fonction publique territoriale |
1 716 172 |
118 189 |
6,89 % |
TOTAL |
4 767 663 |
269 786 |
5,66 % |
Il faut noter que la fonction publique a historiquement un taux d'emploi de personnes en situation de handicap relativement plus élevé que dans le secteur privé. Ainsi la commission des affaires sociales constatait déjà en 2001 dans son rapport sur la politique de compensation du handicap83(*) que le nombre de personnes handicapées était de 5,68 % dans la fonction publique hospitalière en 1999 et de 5,12 % dans la fonction publique territoriale, soit presque au niveau de l'OETH. En revanche son rapporteur, le sénateur Paul Blanc, considérait qu'avec 3,07 % de ses effectifs, « la fonction publique de l'État appara[issait] comme la « lanterne rouge » ».
Vingt-cinq ans plus tard, force est de constater que les trois versants de la fonction publiques demeurent de bons élèves en la matière, puisque la moyenne de la fonction publique est de 5,66 %. Il faut par ailleurs noter que les collectivités territoriales, qui étaient déjà les plus engagées, ont vu leur taux d'emploi augmenter de 3,42 points de pourcentage depuis 2006.
Évolution du taux d'emploi direct par
versant
de la Fonction publique
Source : FIPHFP
Plus récemment, la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a modifié certains paramètres de la contribution des employeurs, allant dans le sens d'une plus grande exigence envers la fonction publique d'État et d'une meilleure prise en compte des difficultés spécifiques rencontrées par les travailleurs handicapés vieillissant.
Ainsi, depuis 2021, les déductions de contributions dont bénéficiait l'Éducation nationale au titre des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ont été plafonnées : cet accompagnement nécessite un soutien financier, mais celui-ci ne doit pas préempter les actions concernant les ressources humaines du ministère. Durant leurs auditions, les rapporteures ont pu constater l'existence de plafonnements analogues concernant les forces de l'ordre. Il leur semble que, pour les mêmes raisons que pour les AESH, ces plafonnements doivent être supprimés.
Proposition n° 15 : Aligner les règles de calcul de l'OETH entre le secteur public et le secteur privé, et limiter les déductions de contributions qui fragilisent la lisibilité de l'OETH.
* 78 Exposé des motifs de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005.
* 79 Arrêté du 23 septembre 1963 relatif au pourcentage de bénéficiaires à employer dans les entreprises assujetties à la loi du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs handicapés.
* 80 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
* 81 Loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
* 82 Article 5212-8 du code du travail.
* 83 Rapport d'information n° 369 (2001-2002) de M. Paul Blanc, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 juillet 2002.