II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 5 février 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport d'information de Mmes Marie-Pierre Richer, Chantal Deseyne et Corinne Féret, rapporteures, sur le bilan de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons à présent entendre la communication de Mmes Marie-Pierre Richer, Chantal Deseyne et Corinne Féret à l'issue des travaux de la mission d'information qu'elles ont conduite sur le bilan de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Je vous rappelle que le vingtième anniversaire de cette loi donnera lieu, la semaine prochaine, à un grand colloque au Sénat, au cours duquel l'ensemble des commissions concernées livreront leur vision et leur bilan de cette loi. Marie-Pierre Richer a coordonné ces travaux en sa qualité de présidente du groupe d'études Handicap.

La communication que nous allons entendre constitue donc la contribution de notre commission à ces travaux plus larges. Elle donnera lieu, si vous l'autorisez, à la publication d'un rapport d'information.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Nous sommes très heureuses, à quelques jours de l'anniversaire de la loi du 11 février 2005, de vous présenter les conclusions de nos travaux. Ce texte a été l'aboutissement d'un travail long de dix-huit mois, mené en concertation approfondie avec les associations. Il a suscité, pour reprendre les mots du rapporteur Paul Blanc, « l'immense espoir, pour les personnes en situation de handicap et leurs proches, d'une compensation enfin effective du handicap et d'une intégration pleine et entière dans tous les aspects de la vie sociale et politique ».

Vingt ans plus tard, cinq commissions du Sénat sont mobilisées pour en dresser le bilan, ce qui témoigne de la diversité des thématiques embrassées. Nous nous sommes, pour notre part, intéressées aux dispositions relatives au droit à compensation, aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et à l'emploi.

Tout d'abord, la loi s'est fixé comme objectif de garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie, en donnant une traduction concrète au droit à la compensation.

Cette ambition s'est tout d'abord traduite par la création de la prestation de compensation du handicap (PCH), dispositif aussi innovant qu'ambitieux. Un dispositif innovant, d'abord, car son attribution est entièrement personnalisée. Au sein des MDPH, ce sont des équipes pluridisciplinaires, constituées de professionnels aux compétences variées - médecins, ergothérapeutes, psychologues ou encore travailleurs sociaux -, qui sont chargées d'évaluer les besoins de la personne en tenant compte de ses aspirations et de son projet de vie. Un dispositif ambitieux, ensuite, car cette prestation, qui est attribuée sans condition de ressources, a vocation à couvrir des charges de nature très diverse : aide humaine, aides techniques, aide animalière ou encore aménagement du logement et du véhicule.

Il ne fait nul doute que la PCH, dont bénéficient aujourd'hui plus de 350 000 personnes, dont près de 33 000 enfants, a permis d'améliorer les conditions de vie des personnes handicapées. Elle a été réformée à plusieurs reprises depuis 2005, toujours dans le sens d'une meilleure compensation. Par exemple, en 2021, la « PCH parentalité » a été créée pour financer des aides humaines et techniques pour les parents en situation de handicap. Autre exemple, en 2023, les critères d'attribution de la PCH ont été élargis pour améliorer l'accès à cette prestation des personnes atteintes de troubles mentaux, psychiques, cognitifs ou du neurodéveloppement.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Néanmoins, si nous revenons aux ambitions de la loi de 2005, le bilan de la PCH n'est pas pleinement satisfaisant.

Le premier constat est celui du maintien de la barrière d'âge à 60 ans, alors que l'article 13 de la loi prévoyait sa suppression dans un délai de cinq ans. La situation actuelle est la suivante : une personne dont le handicap est survenu après l'âge de 60 ans n'est pas éligible à la PCH, mais peut bénéficier de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Or il existe, comme vous le savez, des différences de prise en charge entre ces deux prestations. L'APA est attribuée en fonction du degré de perte d'autonomie uniquement, alors que la PCH regarde l'ensemble des besoins de la personne, qui sont intimement liés à son type de handicap et à son cadre de vie. Sur le plan des charges couvertes, l'APA est également moins ambitieuse. Pour les handicaps qui nécessitent une présence quasi continue d'intervenants, elle ne permet pas de financer l'intégralité de l'aide humaine ; et les aides techniques, lorsqu'elles sont coûteuses, ne sont que partiellement couvertes.

Nous avons eu ce débat il y a peu de temps lors de l'examen de la proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et d'autres maladies évolutives graves : le différentiel de prise en charge entre PCH et APA représente une inégalité de traitement peu supportable pour les personnes concernées. Et il faut avoir à l'esprit que, avec le vieillissement de la population et l'allongement de l'espérance de vie, de plus en plus de personnes déclareront un handicap après l'âge de 60 ans.

Il est donc nécessaire de conduire une réflexion globale sur l'articulation des dispositifs de compensation de la perte d'autonomie, qu'elle soit liée au handicap ou au grand âge, et sur les moyens alloués par l'État ou la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Notre deuxième constat, toujours sur la PCH, porte sur le droit à compensation applicable aux enfants. Depuis 2008, les parents d'un enfant handicapé disposent d'un droit d'option entre bénéfice de la PCH et du complément d'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), selon des règles complexes, pour ne pas dire illisibles. Non seulement le droit existant est difficile à appréhender pour les familles, mais aucune des deux options n'est satisfaisante du point de vue de la compensation du handicap. Le complément d'AEEH est forfaitaire, il ne s'adapte donc pas aux spécificités de chaque enfant ; et les critères de la PCH n'ont pas été adaptés aux particularités du handicap chez les plus jeunes. Il nous semble donc impératif de simplifier le dispositif de compensation pour les enfants, tout en le renforçant.

Notre troisième et dernier constat est le suivant : certaines personnes, surtout celles qui présentent un handicap lourd, continuent d'assumer un reste à charge important. D'une part, le niveau de prise en charge des aides techniques n'a connu aucune revalorisation depuis 2006. D'autre part, la PCH ne couvre pas les aides ménagères et les assistants de communication, qui sont pourtant des aides essentielles. Il faut néanmoins reconnaître que des mesures ont été prises pour réduire le reste à charge : en 2024, le niveau de remboursement des frais liés à l'emploi direct d'une aide à domicile a été rehaussé, et comme nous l'a confirmé la ministre la semaine dernière, la mise en oeuvre du remboursement intégral des fauteuils roulants ne saurait tarder.

Pour terminer sur la PCH, nous avons été interpellées par les départements qui en assurent le versement. Ils doivent faire face à la montée en charge constante de cette prestation depuis 2006, dans un contexte budgétaire toujours plus restreint. En parallèle, la compensation assurée par l'État a chuté de 60,4 % en 2009 à 30 % en 2024. Il est impératif que l'État cesse de se désinvestir. À ce titre, la réforme des concours versés par la CNSA aux départements prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 représente une première étape importante.

Mme Corinne Féret, rapporteure. - Le droit à compensation est aussi intimement lié à la problématique des revenus, souvent affectés par les limitations dues au handicap.

Sur ce plan, la loi de 2005 n'apporte qu'une réponse incomplète. Elle permet le cumul de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) avec les revenus du travail, et instaure deux compléments à l'AAH, non cumulables : le complément de ressources, pour assurer un revenu égal à 85 % du Smic net aux personnes très gravement handicapées dans l'incapacité de travailler, et la majoration pour la vie autonome (MVA), une aide mensuelle qui permet aux personnes atteintes de 80 % d'incapacité de financer des dépenses d'aménagement de leur logement.

Les associations que nous avons auditionnées déplorent la suppression, en 2019, du complément de ressources : il s'élevait à 179 euros par mois, soit 75 euros de plus que la MVA, et certaines personnes qui auraient pu y prétendre ne sont pas éligibles à la MVA. Néanmoins, en parallèle, l'AAH a été revalorisée à plusieurs reprises et son attribution a été déconjugalisée. Nous nous souvenons que cette question avait été fortement relayée au Sénat et que suite avait été donnée à une pétition sur ce thème, qui avait recueilli plus de 100 000 signatures.

Toujours est-il qu'en 2025, malgré les dispositifs existants, le handicap reste un facteur de précarité : 25,8 % des personnes handicapées âgées de 15 à 59 ans sont pauvres, contre 14,4 % des personnes de la même tranche d'âge sans handicap.

Enfin, si la thématique de l'offre médico-sociale n'est qu'indirectement traitée par la loi de 2005, il nous a semblé important de l'aborder, car elle conditionne également l'effectivité du droit à compensation.

Comme vous le savez, l'augmentation de l'offre depuis 2005 n'a pas permis de combler les besoins ni d'empêcher les ruptures de prise en charge. Dans certains territoires, les délais d'attente sont très longs et de nombreuses familles restent sans solution. Nous avons tous en tête le sujet des départs en Belgique, mais aussi celui de l'amendement Creton, qui permet aujourd'hui à près de 6 000 jeunes adultes d'être accueillis dans des établissements pour enfants, non sans conséquences sur la qualité de l'accompagnement et l'organisation des établissements concernés.

Nous ne pouvons donc que saluer les plans récemment lancés pour renforcer et transformer l'offre médico-sociale. Le déploiement des 50 000 solutions doit notamment se poursuivre, cibler les territoires les plus en tension et les publics les plus en difficulté. Il est aussi nécessaire de développer l'accueil de jour, d'ouvrir des places en foyer d'accueil médicalisé et en maison d'accueil spécialisée. Enfin, il ne faut pas oublier les solutions de vie à domicile, comme l'habitat inclusif : elles contribuent au maintien de l'autonomie des personnes handicapées et doivent aller de pair avec le renforcement des services d'aide et de soins à domicile.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Le deuxième volet de nos travaux porte sur les maisons départementales des personnes handicapées, qui ont été créées par la loi de 2005.

Les 104 maisons maillant le territoire sont les premiers interlocuteurs administratifs des personnes en situation de handicap, et près de 5,9 millions de personnes bénéficient d'au moins un droit ouvert en MDPH.

Sur le plan de la simplification des démarches, les MDPH sont une réussite. En réunissant en un même lieu la quasi-totalité des démarches relatives aux droits et prestations des personnes handicapées, elles ont mis fin au parcours du combattant qui les précédait. Surtout, le processus d'évaluation des demandes, répondant à une approche par les besoins, permet de garantir la pertinence des droits et prestations attribués. D'après les enquêtes de satisfaction menées par la CNSA, 68 % des usagers sont satisfaits du service rendu par leur MDPH, tandis que 81,6 % estiment avoir pu y exprimer leurs besoins et leurs souhaits.

Pour autant, la simplification des démarches doit se poursuivre. Le formulaire à adresser à la MDPH, d'une trentaine de pages, est mal compris et donc mal renseigné par de nombreux usagers. En fin de processus, les courriers de notification de droits sont inintelligibles et n'exposent même pas les motifs précis de la décision. Une simplification de ces documents s'impose, et ce constat est partagé de tous. L'enjeu de la simplification ne concerne d'ailleurs pas que les usagers : côté personnel, le traitement des demandes implique le maniement de règles et de notions très complexes.

Les pouvoirs publics n'ignorent pas la nécessité de simplifier encore davantage les démarches. Depuis 2019, certains droits peuvent être attribués sans limitation de durée, tandis que la durée d'attribution de l'AEEH a été allongée de sorte qu'elle puisse être ouverte par cycle scolaire. Depuis 2020, les MDPH ont aussi la possibilité de proroger des droits ouverts aux personnes sans nouvelle demande de leur part, si leur situation n'est pas susceptible d'évoluer favorablement. Des marges de manoeuvre existent sûrement encore, et la ministre nous a annoncé la semaine dernière la mise en place d'une « task force » pour réfléchir sur le sujet.

Toutefois, c'est davantage l'augmentation des demandes, combinée au manque de moyens humains, qui compromet la qualité de service des MDPH.

D'abord, l'inflation du nombre de demandes. Celles-ci ont augmenté de 12 % entre 2015 et 2022, tirées à la hausse par l'ouverture de droits relatifs aux enfants et à la PCH. De manière plus générale, il est évident que l'augmentation des demandes est intimement liée aux retards en matière d'accessibilité. Lorsque la cité, les loisirs, l'école ou encore le milieu professionnel sont inaccessibles, les personnes handicapées recourent à des aides dont elles n'auraient pas nécessairement besoin dans un monde parfaitement accessible.

En parallèle, certaines MDPH doivent composer avec d'importantes difficultés sur le plan des ressources humaines. Non seulement elles manquent de moyens humains, mais le taux de rotation des équipes est particulièrement important. Il s'explique en partie par des conditions de travail difficiles, notamment pour les équipes chargées de l'accueil et de l'instruction des dossiers, qui doivent traiter un nombre croissant de demandes et sont exposées à des situations souvent difficiles sur le plan émotionnel. À cela s'ajoute, dans les déserts médicaux, la faible disponibilité des médecins et des ergothérapeutes pour constituer les équipes pluridisciplinaires.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Ces deux enjeux cumulés, hausse des demandes et manque des moyens, concourent à l'allongement des délais de traitement, principal motif d'insatisfaction des usagers. Nous sommes d'ailleurs nombreux à recevoir, dans nos territoires respectifs, des plaintes à ce sujet.

La loi donne 4 mois aux MDPH pour rendre une décision. En 2022, le délai moyen est de 4,3 mois pour les demandes enfants et de 4,5 mois pour les demandes adultes. Mais, vous vous en doutez, cette moyenne cache d'importantes disparités : en fonction des départements bien sûr - certains affichent des délais supérieurs à 6, voire 7 mois -, mais aussi en fonction des droits et des prestations concernés. Par exemple, le délai de traitement moyen pour la PCH est de 5,7 mois, contre 3,3 mois pour les orientations scolaires. Or de longs délais peuvent avoir de lourdes conséquences. Pour les personnes dont le handicap évolue rapidement, la décision rendue peut être inadaptée à leurs besoins. Plus grave encore, certaines personnes peuvent finir par renoncer à leurs droits, la cellule familiale étant alors amenée à se substituer à la solidarité nationale.

En cascade, l'inflation des demandes, doublée de l'exigence de réduire les délais, nuit à la qualité de service. Nous déplorons notamment les conséquences sur le processus d'évaluation des besoins, qui est pourtant central pour établir des plans de compensation pertinents. Entre la difficulté à se réunir et la nécessité d'aller vite, les évaluateurs tendent à privilégier l'approche médicale, à rebours de l'approche pluridisciplinaire prévue par la loi. De plus, l'évaluation des besoins et la prise de décision par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) se font essentiellement sur la base du dossier, laissant peu de place à l'échange avec les personnes concernées et encore moins aux visites à domicile.

L'autre grand chantier concernant les MDPH concerne l'harmonisation des pratiques. Certes, les spécificités territoriales et le principe de libre administration peuvent induire des différences de fonctionnement. En revanche, les discordances observées sur le plan de l'interprétation de la loi nuisent à l'égalité de traitement des citoyens. Ces écarts d'interprétation résultent en grande partie de la complexité du corpus juridique des droits et prestations, dans un contexte où, comme nous venons de l'évoquer, certaines MDPH connaissent un taux de rotation du personnel important. Les associations mettent également en avant la tentation, pour certains départements, d'adapter les plans de compensation à leurs contraintes budgétaires.

Mme Corinne Féret, rapporteure. - Quoi qu'il en soit, il est nécessaire d'harmoniser les pratiques. C'est justement le rôle que confère la loi à la CNSA, qui est plus largement chargée du pilotage national des MDPH. Cette mission n'est pas aisée, puisqu'elle se déploie dans un champ en partie décentralisé. Malgré tout, la CNSA entreprend un certain nombre d'actions pour homogénéiser le fonctionnement et les pratiques des MDPH. Sur le plan des méthodes de travail, elle élabore des référentiels d'évaluation, anime le réseau et soutient la formation des professionnels. Elle vient également en aide aux MDPH en difficulté : entre 2021 et 2024, la mission d'appui opérationnel a accompagné 24 structures. Les résultats sont encourageants, les MDPH ayant dans leur quasi-totalité identifié la source de leurs difficultés et réduit leurs délais de traitement. Concernant les outils de travail, la CNSA accompagne la dématérialisation des demandes. Elle veille également, depuis 2015, à l'harmonisation des systèmes d'information.

En somme, il nous semble qu'à bien des égards le rôle de pilote confié à la CNSA répond à de vrais besoins, à condition que la Caisse dispose de moyens suffisants et qu'elle n'empiète pas de manière indue sur les compétences des départements.

Enfin, en matière d'emploi et d'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, nos auditions ont permis de constater que la dynamique lancée par la loi du 11 février 2005 a conduit à de réels progrès. Cependant, les objectifs ambitieux fixés par cette loi ne sont toujours pas atteints, et les efforts en la matière ne doivent pas être relâchés.

Pour rendre effectif l'accès à l'emploi des personnes en situation de handicap, la loi de 2005 a modifié le mécanisme de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH). Elle l'a renforcé, en pénalisant davantage les entreprises qui n'emploient aucun travailleur handicapé, et en a simplifié la mise en oeuvre pour les employeurs en supprimant la pondération des emplois selon la lourdeur du handicap. Par ailleurs, elle a étendu le périmètre de l'OETH aux employeurs publics, considérant à juste titre qu'ils se devaient d'être exemplaires. Ces derniers sont donc, comme les entreprises, contraints de verser une contribution financière lorsqu'ils n'atteignent pas le taux de 6 % de travailleurs handicapés rapporté à leur effectif total.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Quels résultats pour cette politique de quotas ?

En 2023, le taux d'atteinte directe de l'OETH était de 3,6 % dans le privé, et de 5,66 % dans le public, dépassant même la cible de 6 % pour les collectivités territoriales. Ces chiffres laissent une marge de progression, mais ils sont plus d'un point au-dessus des moyennes de 2006, alors même que les modalités de calcul sont plus exigeantes désormais.

Ces avancées ne doivent pas masquer les difficultés auxquelles font face les personnes en situation de handicap sur le marché du travail : le taux de chômage des bénéficiaires de l'obligation d'emploi (BOE) demeure deux fois supérieur à celui de l'ensemble de la population ; leur taux d'emploi est de 39 %, contre 68 % pour l'ensemble de la population.

Pourtant, la loi de 2005 a multiplié les dispositifs permettant de renforcer l'inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail.

Elle a d'abord érigé une obligation d'aménagement de poste pour les employeurs, traduisant le principe de non-discrimination des travailleurs handicapés de manière concrète. Ces aménagements de postes peuvent passer par un renforcement de l'accessibilité bâtimentaire ou numérique, par des équipements ergonomiques ou même par des dérogations au temps de travail. Bien sûr, ces aménagements représentent une réelle charge financière pour l'employeur. C'est pourquoi des opérateurs de l'État se voient affecter les contributions financières des employeurs ne respectant pas l'OETH, afin de solvabiliser les projets d'aménagements et de formation des entreprises qui embauchent ou maintiennent dans l'emploi des personnes en situation de handicap. La loi de 2005 a créé, à l'image de l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) afin de tirer les conséquences de l'extension de l'OETH au secteur public. En 2023, l'Agefiph et le FIPHFP ont respectivement mobilisé 577 et 111 millions d'euros au bénéfice du maintien dans l'emploi des salariés et des agents publics en situation de handicap.

Un autre chantier concerne plus précisément l'accès à l'emploi des travailleurs handicapés. Là encore, la loi de 2005 a fait preuve d'innovation, en rapprochant les différents acteurs du service public de l'emploi dans l'intérêt des personnes en situation de handicap. Cet objectif s'est trouvé concrétisé dans la récente réforme pour le plein emploi, qui a porté le rapprochement du réseau des Cap emploi et de Pôle emploi, renommé France Travail. Ce rapprochement a, entre autres, permis la création de « lieux uniques d'accompagnement », où des équipes mixtes de France travail et de Cap emploi procèdent à une orientation unique des demandeurs d'emploi en situation de handicap. Cet accompagnement rénové doit aussi permettre de faciliter l'accès des demandeurs d'emploi en situation de handicap aux formations professionnelles, puisque le niveau de formation demeure leur premier frein à l'emploi.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - La loi de 2005 a également eu un fort impact sur les secteurs protégés et adaptés, qui nous semblent être des modèles uniques à préserver.

Les entreprises adaptées, créées sous leur forme actuelle par cette loi, sont tenues d'employer au moins 55 % de travailleurs handicapés, et visent à soutenir le projet professionnel de ces travailleurs. Elles connaissent un grand succès, puisqu'il en existe plus de 800 de nos jours, et qu'elles offrent un positionnement intermédiaire entre le milieu protégé et le milieu ordinaire, permettant ainsi des logiques de parcours progressifs pour certains travailleurs.

La loi de 2005 a par ailleurs porté une réforme des établissements et services d'accompagnement par le travail (Ésat), en mettant en place une garantie de rémunération du travailleur handicapé. Ces établissements sociaux et médico-sociaux qui placent le travail au coeur du projet d'accompagnement des personnes en situation de handicap sont ainsi tenus de financer au moins 5 % de la garantie, qui varie entre 55 % et 110 % du Smic, par leur activité de production - le reste étant abondé par l'État.

Cette mesure a initié un mouvement de rapprochement des droits des travailleurs du milieu protégé de ceux du milieu ordinaire, récemment accentué par la loi pour le plein emploi : complémentaire santé, titres-restaurant, droits syndicaux, etc. Dans cet élan, l'hypothèse de la mise en place d'un « statut de quasi salarié » a récemment été évoquée par les ministres de tutelle de ces établissements. Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a expertisé le scénario d'une garantie de rémunération rehaussée au niveau du Smic. Il ressort de ces travaux qu'une telle évolution aurait un effet assez inégal sur le niveau de vie des travailleurs d'Ésat du fait du caractère différentiel de l'AAH, et qu'elle conduirait plus de 55 % de ces établissements à être déficitaires dès la première année. Par conséquent, nous vous proposons d'appeler le Gouvernement à ne pas envisager d'augmentation de la rémunération des travailleurs d'Ésat sans mettre en oeuvre une réforme globale du système de financement de ces établissements.

Mme Corinne Féret, rapporteure. - En définitive, vous l'aurez compris, le résultat de nos travaux invite, non pas à proposer une nouvelle loi pour le handicap, mais plutôt à continuer de s'emparer des outils et des principes posés par la loi du 11 février 2005.

Celle-ci a permis de nombreuses avancées, mais les efforts ne doivent pas être relâchés, avec toujours la conviction, énoncée dans la déclaration de Madrid, que « ce qui se réalise aujourd'hui au nom des personnes handicapées prendra sens pour chacun dans le monde de demain ».

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je salue le travail de nos collègues. Votre communication sur le bilan de la loi de 2005 nous conduit à constater que des progrès ont été réalisés, mais que des marges de progression sont encore possibles.

Vos propos rejoignent ceux que nous avons entendus hier lors du colloque avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) : il est nécessaire de changer les mentalités. Il faut passer d'une injonction à un réflexe, puis à une normalité. On ne devrait plus s'interroger sur les marges de progression à faire dans les politiques publiques ; il faudrait passer de la démarche inclusive au vivre ensemble, et cela passe par l'éducation et la formation.

Au cours de ces dernières années, j'ai le sentiment que nous avons un peu perdu le sens des priorités. En effet, pour le football amateur, par exemple, dans le cadre de la construction des vestiaires, les communes sont obligées de prévoir des vestiaires pour les arbitres handicapés - les cas sont plutôt rares, alors qu'elles pourraient contribuer à améliorer la mobilité pour l'ensemble des personnes handicapées.

Par ailleurs, je note que la tarification des établissements médicosociaux n'a pas été augmentée depuis des années, ce qui a des conséquences sur leurs investissements.

Enfin, je déplore les temps d'attente insupportables dans certains départements. Un compteur avait été prévu dans chaque MDPH ou maison départementale de l'autonomie (MDA) pour améliorer le temps d'attente. Il était de nature à inciter les départements à faire mieux d'année en année.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Le président Gérard Larcher et le président Philippe Mouiller ont souhaité que le bilan de la loi de 2005 soit transversal, ce qui est inédit. Cela a permis d'organiser des auditions différenciées de plusieurs associations au sein des différentes commissions. Aussi, c'est la commission des affaires économiques qui traite de l'accessibilité des bâtiments.

Nous avons envoyé un questionnaire aux MDPH concernant le temps d'attente. Nous vous faisons part du constat tiré de la trentaine de réponses que nous avons reçues. Toute amélioration est évidemment bienvenue.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - En matière d'amélioration des délais, il faut souligner que la CNSA vient en appui des MDPH par le biais de la mission d'appui opérationnel pour identifier les difficultés et proposer des pistes d'amélioration.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je remercie nos trois rapporteures pour leur rapport, qui est fidèle à la réalité. Dans le cadre du groupe d'études Handicap, la ministre Charlotte Parmentier-Lecocq a évoqué la création de places d'hébergement, les délais d'instruction des dossiers, la question de l'inclusion. À cet égard, je veux saluer l'action du milieu associatif, qui a permis d'obtenir des avancées significatives, intervenant auprès du Gouvernement pour défendre les personnes en situation de handicap.

Je veux vous rendre attentifs au problème rencontré par les élus municipaux ou les présidents d'associations en situation de handicap, qui a été soulevé par le président de la délégation départementale du Pas-de-Calais de l'Association des paralysés de France (APF), M. Stéphane Joly, que j'ai rencontré. Alors qu'il est en fauteuil roulant et vit dans une structure pour personnes handicapées, il n'est pas remboursé de ses frais de déplacement. Si le directeur de la structure d'hébergement ne mettait pas gracieusement à sa disposition un aide-soignant pour l'emmener, il ne pourrait pas assister aux réunions de la délégation départementale de l'APF ni à celles du conseil municipal où il siège. C'est un véritable sujet sur lequel nous devons pencher.

Mme Frédérique Puissat. - Je remercie nos rapporteures de ne pas solliciter financièrement plus encore les départements dans leurs préconisations. Dans nos territoires, les présidents des conseils départementaux nous demandent d'arrêter de voter des lois qu'ils ne peuvent plus appliquer !

Vous n'avez pas évoqué le manque de places dans les instituts médico-éducatifs (IME), notamment pour les enfants. Il manquerait 600 places dans le département de l'Isère. Tout ne relève pas de l'inclusion et ces familles sont dans la détresse.

Mme Annick Petrus. - Je remercie les rapporteures de ce travail remarquable. Je m'inspirerai de leur rapport d'information en tant que co-rapporteur d'une mission sur le handicap en outre-mer, au titre de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Je souhaite mettre en lumière les défis spécifiques rencontrés dans nos territoires pour ce qui concerne l'application de la loi du 11 février 2005. À ce titre, je veux poser une question sur l'inclusion scolaire et l'accompagnement des élèves en situation de handicap.

L'accès à l'éducation des enfants en situation de handicap est encore trop souvent un parcours du combattant en outre-mer. Le manque des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et l'absence de structures adaptées obligent certaines familles à quitter leur territoire pour garantir une scolarité digne à leur enfant. Comment assurer une meilleure répartition des AESH et garantir un accompagnement pérenne et efficace de ces élèves ?

Mme Jocelyne Guidez. - Merci pour ce rapport très intéressant, qui est sans surprise. Même si des avancées ont été réalisées, il faut continuer à progresser.

Si l'on construit de moins en moins d'IME, c'est parce que l'on veut inclure absolument tous les enfants, quels que soient la nature et le degré du handicap. Mon propos va peut-être choquer certains d'entre vous, mais il n'est pas possible de suivre cette logique. Cette inclusion à tout prix a des conséquences sur les enfants, qui ont besoin de bienveillance et d'un suivi adapté ; mais aussi pour les parents et pour les professeurs des écoles qui ne sont pas formés pour cela. Arrêtons avec l'inclusion à tout prix ! Construisons des IME et accueillons nos enfants lourdement handicapés dans des structures bienveillantes !

J'évoquerai également la question de l'emploi des personnes handicapées, qui exige des avancées. On peut employer, sans aucun problème, les personnes mal entendantes, par exemple.

Mme Raymonde Poncet Monge. - N'oublions pas les possibilités hybrides : des enfants peuvent être accueillis durant des demi-journées. Développons les accueils de jour, car ces structures voient leurs moyens diminuer, au prétexte de l'inclusion.

Mme Patricia Demas. - Je remercie également les rapporteurs de leur travail.

Je veux vous alerter sur la question de l'accès aux droits des personnes handicapées qui travaillent. Les bénéficiaires de l'AAH qui souhaitent percevoir la prime d'activité doivent remplir deux formulaires différents, avec des montants sociaux différents à déclarer. Il importe de faciliter l'accès aux droits de ces personnes en simplifiant la base des ressources, car il est plus difficile encore pour une personne handicapée de solliciter une prime d'activité.

Mme Émilienne Poumirol. - N'oublions pas les personnes handicapées vieillissantes, car il y a là un trou dans la raquette. On manque de structures pour ces personnes à partir de cinquante-cinq ans qui ont des problèmes d'autonomie très importants. Je travaille sur un projet de construction d'une telle structure et je me heurte à la lourdeur de la bureaucratie. Comment faciliter la création de ces structures ?

Mme Anne-Sophie Romagny. - Merci pour cet excellent rapport.

Je veux attirer votre attention sur les âges charnières des personnes handicapées. Les parents ne savent pas comment leur enfant handicapé va évoluer à l'âge adulte. On se focalise sur le handicap, mais l'accompagnement des parents est également important, car ils s'interrogent sur l'avenir de leur enfant quand eux-mêmes seront âgés.

J'ai évoqué avec la ministre Charlotte Parmentier-Lecocq la possibilité de dématérialiser les cartes d'invalidité, source d'économies. Toutefois, ne faisons pas d'amalgame avec la dématérialisation des demandes formulées auprès des MDPH.

Mon troisième point de vigilance porte sur les évolutions législatives ou réglementaires. Veillons à ne pas alourdir trop les charges financières des départements ; je pense à la PCH attribuée dorénavant sans condition de ressources.

Mme Corinne Imbert. - Je partage vos propos sur la question des places en IME. La ministre est attentive à la création de places.

Permettez-moi de faire un lien entre la protection de l'enfance et la santé. Certains enfants confiés au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ont un dossier à la MDPH pour des troubles psychologiques plus ou moins graves. Les départements sont confrontés au problème de la sectorisation en psychiatrie. Considérant les difficultés que rencontrent la psychiatrie et la pédopsychiatrie, il faut lever cette contrainte de sectorisation dans l'intérêt de ces enfants.

M. Philippe Mouiller, président. - Pour finir, j'aurais également une question qui me semble importante : quel est le sentiment des personnes, et notamment des associations, que vous avez auditionnées sur la loi de 2005 ?

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Nous l'avons dit en préambule, nous nous sommes cantonnées aux questions relatives aux affaires sociales. Soyez assurés que les autres problématiques sont examinées.

La question des mandats électoraux est traitée par la commission des lois. Notre collègue Marie Mercier a pris en considération cette demande, ainsi que celle de la dématérialisation de la carte d'invalidité. Le colloque nous permettra d'avoir une restitution des travaux des quatre autres commissions qui travaillent sur le bilan de l'application de la loi de 2005.

De la même façon, les questions relatives à l'éducation et aux AESH sont traitées par la commission de la culture.

Les acteurs que nous avons rencontrés estiment que la loi de 2005 est un acte fondateur dans la mesure où, pour la première fois, les élus ont travaillé en collaboration avec les associations. Il faut continuer à cheminer pour obtenir de nouveaux progrès.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Nous avons abordé dans notre rapport d'information la nécessité d'avoir des IME, mais sans nous y attarder, car la loi de 2005 n'en traite pas. Rien ne nous empêche de faire des propositions sur ce sujet.

Des personnes auditionnées nous ont fait part de la souffrance des enseignants, se sentant quelquefois démunis pour prendre en charge des enfants souffrant de handicaps différents et multiples et déplorant le manque de formation.

Certes, les personnes souffrant de handicaps rencontrent des difficultés pour faire une demande de prestations sociales du fait des revenus de référence retenus, mais cela est vrai pour toute personne. Il faut faire un travail de simplification et de convergence afin d'harmoniser les bases, et le déploiement de la solidarité à la source nous semble être une opportunité en ce sens.

Les associations ont reconnu que la loi de 2005 constitue une avancée exceptionnelle, avec la reconnaissance du handicap dans la vie quotidienne, même si elles portent d'autres revendications.

Mme Corinne Féret, rapporteure. - La CNSA dispose d'une cellule de soutien aux MDPH, qui a montré son efficacité. Nous déplorons toutefois qu'elle ne soit pas reconduite à partir de cette année, et qu'elle soit remplacée par la mise à disposition des MDPH d'un kit d'autodiagnostic. On enlève de l'humain là où c'est précisément nécessaire. Démonstration sera faite que rien ne vaut la présence de personnes.

Madame Apourceau-Poly, vous avez raison d'insister sur le rôle des associations. La loi de 2005 a été élaborée avec les associations. Toutes ont reconnu cet atout essentiel, tout en indiquant qu'il fallait poursuivre le travail pour s'adapter à l'évolution de la société.

Madame Petrus, nous avons évoqué la situation des outre-mer dans notre rapport, en insistant sur le fait que la délégation aux outre-mer travaille sur le sujet.

Lors de l'audition avec la ministre Catherine Vautrin, nous avons parlé du vieillissement de la population, mais n'avons pas eu le temps de parler des personnes vieillissantes en situation de handicap ; il faudra y revenir.

Les associations ont eu à coeur de nous faire part de ce qu'elles vivent sur le terrain depuis vingt ans. Elles ne remettent pas en question la loi de 2005, mais estiment que des marges de progrès sont possibles.

M. Philippe Mouiller, président. - Madame Petrus, lors du colloque, nous annoncerons les travaux que vous faites au titre de la délégation aux outre-mer. Lorsque vous aurez terminé vos travaux, nous vous inviterons à nous présenter votre rapport.

Madame Poumirol, peut-être pourriez-vous vous rapprocher de l'agence régionale de santé pour obtenir quelques crédits.

Concernant les problématiques rencontrées par les départements, je vous rends attentifs au fait que les représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF) siègent au sein du conseil d'administration de la CNSA, mais que leur parole n'est pas toujours suffisamment entendue. Nous auditionnerons dans les semaines qui viennent le directeur de la CNSA.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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