N° 374
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 février 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le bilan de la mise en oeuvre de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (vidéoprotection intelligente et sécurité privée),
Par Mmes Françoise DUMONT et Marie-Pierre de LA GONTRIE,
Sénatrices
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
L'ESSENTIEL
La sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024 a été un succès incontestable dont la commission des lois, qui a activement suivi les enjeux liés à la mise en oeuvre de la loi « JOP » du 19 mai 2023, ne peut que se féliciter. Dans la continuité de ses précédents travaux de contrôle, elle a souhaité tirer un bilan de la sécurisation des JOP sur deux aspects précis.
En premier lieu, elle a entendu évaluer la mise en oeuvre de l'expérimentation du recours à la vidéoprotection algorithmique pour la sécurisation des manifestations sportives, récréatives ou culturelles prévue par l'article 10 de la loi « JOP ».
Au terme de ses travaux, elle relève que, du fait des conditions de sa mise en oeuvre, l'expérimentation ne permet pas de porter un jugement définitif sur l'opportunité du recours à la vidéoprotection algorithmique. En particulier, les résultats paraissent trop limités et parcellaires pour justifier la pérennisation de ce dispositif comme son abandon.
Plusieurs éléments plaident en faveur d'une prolongation de l'expérimentation. D'une part, les utilisateurs - préfecture de police, SNCF, RATP, commune de Cannes - ont unanimement salué l'intérêt de ces technologies. D'autre part, le comité d'évaluation indépendant institué par la loi « JOP », dans son rapport remis au Parlement, a conclu que le dispositif expérimental institué par la loi JOP « ne [heurtait] les libertés publiques ni dans sa conception ni dans sa mise en oeuvre ». Le caractère novateur et transformateur de ces nouvelles technologies oblige à une réelle et profonde réflexion. Afin de donner pleinement sa chance à l'expérimentation, plusieurs aménagements pourraient être prévus au bénéfice de sa prolongation, tout en confortant les garanties fondamentales.
En second lieu, la commission a souhaité mener un retour d'expérience du recours massif à la sécurité privée dans le cadre des JOP, avec plus de 200 entreprises et 27 500 agents mobilisés. En cette matière, le bilan s'est avéré tout à fait positif, et prometteur pour l'ensemble de la filière de la sécurité privée. Ce pari ambitieux a été incontestablement réussi.
I. LA VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE : STOP OU ENCORE ?
A. UN CADRE JURIDIQUE CONTRAINT
1. Un encadrement justifié par le caractère innovant du dispositif et les appréhensions qu'il a légitimement pu susciter
L'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique a été instituée par l'article 10 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (loi « JOP »), dans des conditions strictement encadrées. Ces dispositions ont permis de donner un cadre à des pratiques qui avaient cours au sein des opérateurs de transport et des collectivités territoriales, mais dont la légalité était jusqu'alors incertaine.
Comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) l'avait souligné en juillet 2022, « les traitements algorithmiques de détection de comportements suspects ou infractionnels emportent un changement de degré et de nature dans la surveillance à distance de la voie publique » et sont ainsi « susceptibles de modifier la façon dont l'action des services de police influe sur l'exercice par les citoyens de leurs libertés et droits fondamentaux », appelant donc une intervention du législateur.
Les rapporteures insistent sur le changement de dimension que représentent ces technologies, qui appelle une vigilance particulière.
2. Une stricte délimitation de la finalité, de l'objet, des acteurs et de la durée de l'expérimentation
L'expérimentation répond à une finalité unique, directement liée à l'organisation des JOP : la sécurisation des manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l'ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes.
Son objet est rigoureusement défini : l'application de traitements algorithmiques à des images collectées par des systèmes de vidéoprotection ou de drones au moyen d'une technologie d'intelligence artificielle (IA), dans les lieux accueillant ces manifestations et à leurs abords ainsi que dans les véhicules et emprises de transport public et sur les voies les desservant, afin de détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler en vue de la mise en oeuvre des mesures nécessaires par les services compétents.
Ces événements prédéterminés, ou « cas d'usage », ont été précisés par voie réglementaire. Le décret n° 2023-828 du 23 août 2023 en prévoit huit : la présence d'objets abandonnés ; la présence ou l'utilisation d'armes ; le non-respect par une personne ou un véhicule du sens de circulation commun ; l'intrusion d'une personne ou d'un véhicule dans une zone interdite ; la présence d'une personne au sol à la suite d'une chute ; les mouvements de foule ; une densité trop importante de personnes et les départs de feux.
Les services compétents pour recourir à l'expérimentation sont également énumérés limitativement : la police et la gendarmerie nationales, les services d'incendie et de secours, les polices municipales et les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
Enfin, l'expérimentation peut être menée jusqu'au 31 mars 2025, soit moins de deux ans après l'entrée en vigueur de la loi « JOP », une période relativement brève compte tenu de l'innovation qu'elle représente et des formalités préalables à sa mise en oeuvre.
3. Une expérimentation assortie d'importantes garanties juridiques
L'expérimentation est entourée d'importantes garanties légales, qui portent notamment sur :
- les potentialités de la solution technologique utilisée, avec l'interdiction du recours à la biométrie et de la reconnaissance faciale, ainsi que la prohibition de tout rapprochement, toute interconnexion ou toute mise en relation avec d'autres traitements de données à caractère personnel ;
- l'affirmation d'un principe de « primauté humaine », qui veut que les traitements expérimentés demeurent en permanence sous le contrôle des personnes chargées de leur mise en oeuvre et ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle et aucun acte de poursuite (en tout état de cause, ils ne peuvent être utilisés qu'en temps réel) ;
- un monopole de l'État sur la détermination de la technologie utilisée, qui doit satisfaire plusieurs exigences posées par la loi, notamment pour assurer le caractère loyal et éthique du traitement, la traçabilité des signalements ainsi que la possibilité de prendre des mesures de contrôle humain en permanence et de l'interrompre à tout moment ;
- la nécessité d'une autorisation préfectorale préalable à toute expérimentation, pour une durée limitée à un mois renouvelable ;
- des obligations en matière d'information du public ;
- un contrôle de la Cnil des expérimentations menées ;
- une évaluation associant notamment des parlementaires.
Le cadre réglementaire, issu d'un décret en Conseil d'État pris après avis de la Cnil, a prévu des garanties supplémentaires, comme la supervision du ministère de l'intérieur sur l'ensemble de la phase de conception des traitements ainsi que des exigences en matière d'habilitation et de formation des personnels et en matière de conservation des données, de traçabilité des opérations, de droits d'accès et d'effacement des données collectées.
Il a également prévu que l'évaluation soit assurée par un comité présidé par une personnalité indépendante et associe les services utilisateurs ainsi que d'autres personnalités qualifiées désignées notamment par la CNIL ou sur proposition du président.