N° 1253 |
N° 516 |
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ASSEMBLÉE NATIONALE |
SÉNAT |
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CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE |
SESSION ORDINAIRE 2024 - 2025 |
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Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale |
Enregistré à la présidence du Sénat |
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le 3 avril 2025 |
le 3 avril 2025 |
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RAPPORT au nom de L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES sur L'agriculture face au réchauffement
climatique et aux pertes de biodiversité : Compte rendu de l'audition publique du 20 février 2025 et de la présentation des conclusions du 3 avril 2025 par M. Pierre HENRIET, député |
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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Pierre HENRIET, Premier vice-président de l'Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Stéphane PIEDNOIR, Président de l'Office |
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Composition de l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques Président M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur Premier vice-président M. Pierre HENRIET, député Vice-présidents |
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M. Jean-Luc FUGIT, député M. Gérard LESEUL, député M. Alexandre SABATOU, député |
Mme Florence LASSARADE, sénatrice Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice M. David ROS, sénateur |
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DÉPUTÉS |
SÉNATEURS |
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M. Alexandre ALLEGRET-PILOT M. Maxime AMBLARD M. Philippe BOLO M. Éric BOTHOREL M. Joël BRUNEAU M. François-Xavier CECCOLI M. Maxime LAISNEY M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI Mme Mereana REID ARBELOT M. Arnaud SAINT-MARTIN M. Jean-Philippe TANGUY Mme Mélanie THOMIN M. Stéphane VOJETTA Mme Dominique VOYNET |
M. Arnaud BAZIN Mme Martine BERTHET Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP M. Patrick CHAIZE M. André GUIOL M. Ludovic HAYE M. Olivier HENNO Mme Sonia de LA PROVÔTÉ M. Pierre MÉDEVIELLE Mme Corinne NARASSIGUIN M. Pierre OUZOULIAS M. Daniel SALMON M. Bruno SIDO M. Michaël WEBER |
CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 20 FÉVRIER 2025 SUR « L'AGRICULTURE FACE AU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET AUX PERTES DE BIODIVERSITÉ : LES APPORTS DE LA SCIENCE »
L'agriculture, dans ses formes actuelles, contribue au réchauffement climatique.
En 2023, les émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture française s'élevaient à 76,3 millions de tonnes équivalent CO2 (Mteq CO2), soit 20,4 % des émissions françaises. L'élevage représente 60 % des émissions du secteur agricole. L'agriculture est le deuxième poste d'émissions de gaz à effet de serre en France derrière les transports et devant l'industrie1(*).
Plusieurs travaux de l'Office ont souligné l'impact de l'agriculture dans le déclin de la biodiversité2(*).
La note sur le déclin des insectes3(*) constatait que « l'agriculture apparaît comme l'un des moteurs principaux du déclin des insectes, notamment à cause de l'usage excessif de pesticides ».
De même, à l'occasion de l'audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité, plusieurs intervenants ont insisté sur la contribution de l'agriculture - à travers la conversion des milieux naturels et les pollutions qu'elle induit - à l'effondrement de la biodiversité4(*).
D'autres causes sont avancées telles que
la simplification des paysages agricoles, la réduction des habitats
naturels et la transformation des prairies en terres cultivées.
Les pratiques actuelles de fertilisation et de protection des plants auraient
un impact sur 80 % des espèces, à la fois directement et
indirectement par des effets sur les oiseaux et la pollution de
l'eau5(*). Par ailleurs,
les pesticides constituent une menace pour une grande quantité
d'insectes qui rendent des services écosystémiques fondamentaux,
tels que la pollinisation ou l'alimentation de nombreux
vertébrés.
Aujourd'hui, on estime que 17 % des
espèces de faune et de flore sont menacées ou éteintes
en France, et leur risque d'extinction a augmenté de 14 % en
moins de 10 ans6(*).
L'agriculture affecte également la qualité de l'eau par la pollution diffuse qu'entraînent les produits chimiques et les nutriments que sont l'azote et le phosphore7(*). Elle a un impact négatif non seulement sur la qualité du sol en raison d'une gestion non durable des terres, mais également sur la qualité de l'air8(*).
Simultanément, l'agriculture est l'une des principales victimes du dérèglement climatique et de la perte de biodiversité.
Les inondations impressionnantes en Ille-et-Vilaine ainsi qu'en Loire-Atlantique au début de l'année 2025, l'intensité du cyclone Chido en décembre 2024 à Mayotte suivi de la tempête tropicale Dikeledi en janvier 2025 rappellent qu'avec le changement climatique, ces phénomènes météorologiques seront de plus en plus courants et violents9(*), de même que les vagues de chaleur ou encore les sécheresses, les variations imprévisibles de la pluviométrie et la prolifération des parasites et des maladies.
Selon le ministère de l'agriculture, en raison des fortes chaleurs, les céréaliers français ont enregistré en 2024 des volumes de production en baisse de 22 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. Dans le Sud, la vigne a particulièrement souffert en raison du manque d'eau, avec des volumes en baisse de 11 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années. La production d'abricots a, elle, reculé de plus de 30 % par rapport à 2023.
Dans ce contexte, à l'initiative du sénateur Daniel Salmon, l'Office a décidé d'organiser une audition publique pour faire un point sur les apports de la science à l'adaptation des politiques agricoles. Il a désigné deux rapporteurs, Pierre Henriet, député, et Daniel Salmon, sénateur, pour animer cette audition publique qui s'est tenue le 20 février 2025 sous forme de deux tables rondes, dans l'objectif de dresser un état des lieux des apports de la science pour permettre à l'agriculture d'affronter les défis liés au réchauffement climatique et aux pertes de biodiversité.
La première table ronde a présenté des avancées scientifiques prometteuses pour une agriculture performante adaptée au changement climatique et respectueuse de la biodiversité.
La seconde table ronde a mis en avant les modifications à apporter au système de production pour apporter des solutions durables au monde agricole.
Les intervenants étaient :
- Christian Huyghe, ancien directeur scientifique Agriculture d'Inrae ;
- Ené Leppik, fondatrice et directrice scientifique (CTO) d'Agriodor ;
- Corinne Vacher, directrice de recherche à Inrae et directrice adjointe de l'UMR Santé et agroécologie du vignoble, spécialiste du microbiote des plantes ;
- Jacques Sainte-Marie, directeur de recherche à l'Inria, responsable du programme Numérique et environnement d'Inria, co-pilote du Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) « Agroécologie et numérique » ;
- Didier Boichard, directeur de recherche à Inrae, spécialiste de génétique bovine ;
- Marie-Benoît Magrini, chercheur en sciences économiques au département ACT d'Inrae dans l'unité AGIR (UMR Agroécologie, innovations, territoires) du centre Inrae-Occitanie de Toulouse ;
- Mireille Navarrete, directrice de recherche en agronomie à Inrae et directrice de l'unité de recherche Écodéveloppement ;
- Hervé Guyomard, directeur de recherche en économie à Inrae ;
- Thierry Langouët, directeur de l'appui à l'enseignement technique agricole (Eduter) à l'Institut Agro.
I. AFIN DE GARANTIR LA DURABILITÉ DE L'AGRICULTURE, LA SCIENCE OFFRE DES PISTES PROMETTEUSES MÊME SI LEUR MISE EN APPLICATION SE HEURTE À DE NOMBREUX OBSTACLES ET NE PERMET PAS DE RÉPONDRE À TOUS LES DÉFIS DE L'AGRICULTURE
A. LES PRATIQUES AGRICOLES DOMINANTES MENACENT LA DURABILITÉ DE L'AGRICULTURE
1. Le modèle agricole actuel conduit au dépassement de certaines limites planétaires
La vie sur Terre est conditionnée par les interactions entre des processus biologiques, physiques et chimiques. Christian Huyghe a rappelé que les chercheurs du Stockholm Resilience Center (SRC) ont défini en 2009 des seuils au-delà desquels les équilibres naturels terrestres pourraient être déstabilisés et les conditions de vie devenir défavorables à l'humanité. Ces seuils correspondent à neuf limites planétaires10(*).
L'agriculture fait partie des activités humaines qui contribuent au dépassement de certaines de ces limites planétaires, telles que le réchauffement climatique - Jacques Sainte-Marie a rappelé que l'agriculture représente 20 % du bilan carbone de la France - ou l'érosion de la biodiversité. Les pesticides constituent une menace pour de nombreux insectes. Christian Huyghe a cité une étude allemande11(*) selon laquelle 75 % de la biomasse d'insectes ont été perdus dans les zones protégées et près de 95 % dans les surfaces agricoles en Allemagne.
L'agriculture est également largement responsable de la perturbation des cycles de l'azote et du phosphore. Selon les chiffres cités par Christian Huyghe, l'excès d'azote par hectare et par an ramené aux surfaces cultivées s'élève actuellement à 48 kg au niveau mondial, alors que la limite « soutenable » est estimée à 15 kg.
2. L'agriculture est la première victime des déséquilibres naturels engendrés par l'activité humaine
Si l'agriculture contribue au dépassement des limites planétaires, elle est également l'une des premières victimes des déséquilibres naturels qui en résultent et voit sa durabilité remise en cause.
Ené Leppik a illustré les limites du modèle agricole actuel au Brésil. Elle a fait état de la résistance aux pesticides développée par certains insectes comme le papillon Spodoptera Frugiperda, qui entraîne une perte de rendement du soja, tandis que les pesticides utilisés sont phytotoxiques pour plusieurs cultures. Elle a également signalé que dans ce pays, un insecticide devient inopérant entre deux et quatre ans après sa première utilisation, alors que sa mise au point nécessite environ dix ans et coûte 130 millions d'euros.
* 1 Rapport Secten, édition 2024.
* 2 Cf. Jérôme Bignon, Biodiversité : extinction ou effondrement ?, note scientifique de l'OPECST n° 10, janvier 2019 : « De nombreux travaux scientifiques mettent en évidence des pertes de biodiversité considérables et très rapides. La question d'une sixième extinction des espèces est désormais posée. »
* 3 Annick Jacquemet, Le déclin des insectes, note scientifique de l'OPECST n° 30, décembre 2021.
* 4 Florence Lassarade, Réchauffement climatique et biodiversité - Conception, construction et mise en oeuvre de stratégies préventives, rapport n° 181 (2022-2023) fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
* 5 IPBES, Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, 2019.
* 6 Cf. liste rouge des espèces menacées en France établie selon les critères internationaux de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
* 7 OCDE, Qualité de l'eau et agriculture : un défi pour les politiques publiques, Édition OCDE, « Études de l'OCDE sur l'eau », 2012.
* 8 Sur l'ensemble des polluants émis, le secteur agricole représente 94 % des émissions d'ammoniac (trois cinquièmes sont liés aux fertilisants azotés et deux cinquièmes aux effluents d'élevage) ; 55 % des grosses particules émises par les travaux agricoles ; 24 % d'oxyde d'azote causés par les émissions des tracteurs, le chauffage des serres, etc. ;19 % des particules fines PM10 via les labours, les bâtiments d'élevage, etc. ; 6 % des particules fines PM2,5 dus à la récolte des cultures et au brûlage à l'air libre. Source : Citepa, 2024. Rapport Secten : Émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France, 1990-2023.
* 9 Cf. Organisation météorologique mondiale, État du climat en Asie en 2023, 23 avril 2024.
* 10 Les neuf limites planétaires identifiées sont : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles de l'azote et du phosphore, le changement d'usage des sols, les perturbations du cycle de l'eau douce, l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère, l'acidification des océans, l'appauvrissement de la couche d'ozone, l'augmentation de la présence d'aérosols dans l'atmosphère.
* 11 Hallmann et al., « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas », PLoS ONE 12 (10), 2017.