B. LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE OFFRE DES ALTERNATIVES PROMETTEUSES POUR UNE AGRICULTURE ADAPTÉE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET RESPECTUEUSE DE LA BIODIVERSITÉ
1. Des techniques de biocontrôle innovantes : la manipulation des paysages olfactifs et l'utilisation du microbiote des plantes
· La manipulation des paysages olfactifs
Ené Leppik a expliqué comment les paysages olfactifs pouvaient être manipulés pour protéger les cultures des insectes ravageurs. Les organismes vivants évoluent dans des paysages olfactifs formés par une grande diversité de composés organiques libérés dans l'atmosphère à travers le fonctionnement naturel des écosystèmes. Ces odeurs sont essentielles aux insectes pour rechercher de la nourriture, trouver un partenaire ainsi que leur plante hôte ou encore leur site de ponte. C'est la raison pour laquelle les insectes ont développé un système de détection des odeurs extrêmement performant, qui les rend très sensibles aux changements d'odeurs et de signaux sémiochimiques.
Des recherches ont été entreprises sur les odeurs des plantes ayant un effet sur le comportement des insectes. Pour chaque espèce, il existe des odeurs attractives - les kairomones - et des odeurs répulsives - les allomones. Grâce à l'amélioration des performances des machines de détection des odeurs et à la diminution de leur coût de production, il est désormais possible de créer des parfums naturels qui éloignent les insectes indésirables et protègent les cultures.
Ené Leppik a cité l'exemple de la protection des betteraves contre le puceron afin de diminuer les cas de jaunisse, sans utiliser de néonicotinoïdes. En collaboration avec l'Inrae, les odeurs ayant un effet répulsif sur les pucerons ont été identifiées, réduisant ainsi leur capacité à s'alimenter et leur reproduction.
Cette solution présente plusieurs avantages.
D'abord, elle ne nuit pas aux pollinisateurs puisqu'elle cible, pour un type
d'insecte particulier, les récepteurs qui lui permettent de
détecter certaines odeurs. Ensuite, il s'agit d'une approche
préventive et non curative : les insectes ne sont pas tués,
mais dissuadés de coloniser les cultures pendant leur période de
sensibilité.
En outre, cette solution ne crée pas de
résistance puisqu'elle ne favorise pas de sélection
évolutive chez les insectes. Enfin, le coût et la durée de
développement des molécules sont très inférieurs
à ceux d'un pesticide. Selon Ené Leppik, une telle solution
pourrait être utilisée pour 70 % des insectes ravageurs,
à savoir ceux qui sont sensibles aux odeurs et dont on peut manipuler le
comportement.
· L'utilisation du microbiote des plantes
Corinne Vacher a expliqué que les plantes vivent en association avec de très nombreux micro-organismes qui forment leur microbiote. Ces micro-organismes se trouvent autour des racines, sur les racines, à l'intérieur des feuilles et à leur surface, sur les graines, dans les tiges. Ils confèrent d'importantes capacités aux plantes : en faisant barrage aux agents pathogènes, ils garantissent leur santé ; ils augmentent leur tolérance à des stress abiotiques comme la sécheresse, la température, la salinité et améliorent leur nutrition. Ils protègent également les plantes contre certains insectes ravageurs, contribuant ainsi à une agriculture plus durable, moins dépendante des pesticides, plus résiliente face au changement climatique, tout en restant productive.
2. La génomique au service d'une plus grande résistance au changement climatique et aux maladies
Didier Boichard a décrit les progrès réalisés en matière de sélection génomique qui permettent désormais de sélectionner n'importe quel caractère. La génétique pourrait donc être un levier essentiel pour adapter les bovins aux enjeux de demain et assurer une production durable.
Selon lui, l'adaptation au changement climatique passe par des animaux plus thermotolérants à des périodes de plus en plus longues et de plus en plus chaudes. La génétique peut contribuer à répondre à ces défis en favorisant les croisements pour développer des animaux plus résilients.
La génétique est également impliquée dans la réduction des émissions de méthane. Didier Boichard a présenté une technique permettant de prédire les émissions de méthane d'une vache laitière à partir des spectres moyen infrarouge du lait. En effet, les fermentations dans l'estomac de la vache sont à l'origine du méthane et de la composition du lait, qui contient la trace des fermentations à l'origine du méthane.
Pour la quantification du méthane chez les bovins allaitants, une autre technique est en développement à partir de l'analyse des bouses de vache par spectroscopie proche infrarouge.
Didier Boichard a expliqué que la caractérisation du microbiote digestif constitue également une piste prometteuse pour déterminer les quantités de méthane produites et adapter en conséquence la sélection génétique.
La réduction des émissions de méthane peut également être obtenue de manière indirecte, en évitant les émissions inutiles. Didier Boichard a préconisé des mises-bas plus précoces, à deux ans au lieu de trois actuellement, qui permettraient de réduire les émissions de méthane de 10 %. Il a défendu l'amélioration de la longévité afin de diminuer le besoin en élevage de jeunes animaux pour le renouvellement ainsi que la réduction de la taille des bovins. Il a insisté sur la nécessité d'améliorer la santé des animaux dans la mesure où un animal malade n'est pas productif, mais émet quand même du méthane.
À ce sujet, il a fait part des avancées réalisées grâce à la génétique dans le domaine des mammites, des pathologies des pattes, de la paratuberculose et des infections du veau. Il a également évoqué les recherches menées sur la longévité fonctionnelle et sur l'analyse de la réponse immune innée des animaux, qui pourrait leur apporter une protection plus globale.
Didier Boichard s'est inquiété de l'essor des maladies, qu'il s'agisse des maladies actuelles, mais également des maladies nouvelles en provenance des pays du Sud dont la propagation est favorisée par le réchauffement climatique, telles que la MHE (maladie hémorragique épizootique) ou la FCO (fièvre catarrhale ovine). Selon lui, elles ont vocation à devenir endémiques. Il convient donc de construire des outils génétiques pour renforcer la résistance des animaux à ces maladies.
3. Le numérique au service de l'agroécologie
Selon Jacques Sainte-Marie, le numérique pourrait être non seulement un outil d'optimisation, mais surtout un outil de transformation en profondeur de l'agriculture. Il a rappelé qu'un Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) « Agroécologie et numérique » avait été mis en place dans le cadre de France 2030, copiloté par l'Inrae et l'Inria, dont trois axes visent directement le développement de technologies innovantes au service de l'agriculture :
- le premier axe porte sur la caractérisation des ressources génétiques pour évaluer leur potentiel pour l'agroécologie ;
- le deuxième axe vise à concevoir de nouvelles générations d'équipements agricoles ;
- le troisième axe consiste à développer des outils et des méthodes numériques pour le traitement des données et la modélisation en agriculture.
Jacques Sainte-Marie a illustré le rôle du numérique comme outil de transformation de l'agriculture à travers GeoPl@nNet, qui permet d'élaborer des cartographies de biodiversité à une échelle très fine, ou encore de l'intelligence artificielle qui peut fournir de manière très rapide et précise des informations aux agriculteurs.