B. JUSQU'AU JUGEMENT : UN PROCESSUS JUDICIAIRE LONG ET INSATISFAISANT

Les travaux de la mission commune de contrôle ont permis d'établir que la prise en charge des AICS en amont du procès est tributaire de facteurs limitants. Si certains d'entre eux existent pour l'ensemble des procédures pénales et ne présentent pas de particularités notables en matière de violences sexuelles (délais d'audiencement, notamment), d'autres sont spécifiques à de telles infractions ou voient leur poids aggravé par les caractéristiques matérielles ou juridiques des violences concernées (expertises, gestion des détenus en maison d'arrêt, etc.).

La mission a ainsi observé que :

- les délais de jugement des AICS et les modalités de leur gestion avant l'audience peuvent être une source de retards dans la prise en charge médicale, psychologique et sociale de ceux-ci ;

- la conduite des expertises des auteurs, pourtant obligatoires de jure, se heurte à des obstacles pratiques importants ;

- la situation des mineurs - théoriquement plus favorable en raison de la possibilité donnée aux magistrats compétents de mettre rapidement en place des mesures éducatives - comporte, elle aussi, de réelles lacunes.

1. Le stade pré-sentenciel : une étape « clé » de la prise en charge des AICS, pourtant peu tournée vers le soin

Les individus mis en cause pour des infractions à caractère sexuel (ICS) peuvent, entre la fin des investigations et leur convocation devant une juridiction de jugement, être soumis à deux types de statut : ils sont soit placés en détention provisoire dans une maison d'arrêt lorsque cette mesure est indispensable pour répondre à certaines conditions posées par le code de procédure pénale, notamment pour empêcher une pression sur les victimes ou pour éviter le renouvellement de l'infraction18(*), soit laissés libres et placés sous contrôle judiciaire.

Dans les deux cas, cette situation est susceptible de s'inscrire dans la durée : l'engorgement des juridictions a pour effet mécanique d'allonger le temps entre la fin de l'enquête ou de l'instruction et le démarrage effectif du procès, en particulier en l'absence de détention provisoire - puisqu'une telle détention est soumise à des délais stricts avant l'échéance desquels l'individu concerné doit impérativement être jugé, faute de quoi il sera automatiquement remis en liberté. Les délais d'audiencement ont ainsi été unanimement cités par les personnes auditionnées comme un facteur de complexification du traitement des AICS, même si ces délais ne sont évidemment pas propres aux infractions concernées : les « stocks » devant les cours d'assises et les cours criminelles départementales, donc pour l'ensemble de la matière criminelle, sont marqués par un phénomène d'accroissement (3 968 affaires en attente de jugement devant les cours fin 2023, contre 3 544 fin 2022 et 3 246 fin 2021, soit une augmentation de 22 % en deux ans, selon les chiffres communiqués par le ministère de la justice), avec un délai théorique d'écoulement du « stock » qui atteint désormais 16 mois.

Ainsi, bien que la création des cours criminelles départementales ait permis, de l'opinion générale, de réduire le recours à des « correctionnalisations d'opportunité » en matière de crimes sexuels19(*), et en particulier pour les viols, elle n'a pas eu d'effet significatif à la baisse sur les délais, à la fois parce que l'absence de jurés populaires n'engage que des gains de temps résiduels à l'audience et parce que la libération de la parole des victimes a généré une augmentation des plaintes sans proportion avec l'évolution des moyens des juridictions et des services enquêteurs.

En ce qui concerne la matière correctionnelle, donc la commission de délits à caractère sexuel, les tribunaux correctionnels présentent une situation apparemment moins défavorable - comme en attestent les statistiques transmises aux rapporteures sur le jugement des agressions sexuelles. Pour autant, le constat n'est pas satisfaisant :

- premièrement, le délai moyen écoulé entre la date d'enregistrement de la plainte par le parquet et le jugement demeure élevé : il était de 20,2 mois en 2023, globalement stable depuis cinq ans ;

- ensuite, cette stabilité n'a pu être maintenue que grâce au poids accru donné aux procédures dites « rapides » dans les jugements : comparutions immédiates, convocations par procès-verbal du procureur de la République, comparutions à délai différé ou comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC ou « plaider-coupable ») représentaient ainsi 46% des jugements en 2023, contre 41% en 2019 ;

- enfin, les affaires d'agression sexuelle ayant fait l'objet d'une instruction - qui représentaient 22 % des dossiers correspondants en 2023 - souffrent de délais de traitement extrêmement longs et en nette dégradation : 48 mois en 2023, contre 43 en 2019 et 42 en 202020(*).

Plus largement, l'enjeu des délais d'audiencement reflète le paradoxe d'une réponse pénale accrue mais qui demeure comme bloquée au stade pré-sentenciel sous l'effet d'une insuffisance des moyens donnés à la justice.

Le taux de réponse pénale en matière d'ICS :
l'exemple du viol et des agressions sexuelles

La mission a pris connaissance avec intérêt des chiffres transmis par l'administration pour apprécier l'efficacité de la réponse pénale en matière de viol et d'agressions sexuelles.

Selon les statistiques transmises par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, en matière de viol, le nombre des réponses pénales s'est accru de 83 % entre 2015 (3 878) et 2023 (7 114), tandis que le nombre de personnes concernées par une ouverture d'information judiciaire augmentait sur la même période de 80 %. Cela étant, la DACG ajoute que « compte tenu de la longueur des procédures d'instruction, l'accroissement des poursuites ne se traduit que très partiellement par un accroissement des condamnations. En 2023 (données provisoires), 1 315 personnes ont été condamnées pour une infraction principale de viol, soit un accroissement de 29 % par rapport à 2015 (1 021). Cet accroissement s'explique principalement par les condamnations d'auteurs majeurs, en hausse de 45 % au cours de cette période ». L'augmentation des condamnations reste donc inférieure à celle des réponses pénales, ce qui explique largement la tension sur les délais de traitement des dossiers.

La situation est, étonnamment, inversée en matière d'agressions sexuelles, la réponse pénale augmentant moins rapidement que les condamnations (ce qui doit permettre, en théorie, une meilleure tenue des « stocks ») : la réponse pénale a ainsi augmenté de 22 % entre 2015 (8 651 réponses) et 2023 (10 531), et le nombre de poursuites de 25 % (7 065 poursuites en 2015 contre 8 842 en 2023), tandis que les condamnations par les juridictions correctionnelles pour une infraction principale d'agression sexuelle ont augmenté de 36 % sur la même période (6 535 condamnations en 2023).

Source : MCC du Sénat, sur la base des chiffres transmis par la DACG.

Le stade pré-sentenciel est donc une période longue dans le parcours des AICS, bien que leur culpabilité ne soit pas encore établie. En dépit de la nécessaire présomption d'innocence, l'importance de cette étape ne doit pas être sous-estimée : le pré-sentenciel représentera bien souvent, pour les AICS, une part non-négligeable du temps de privation de liberté ou de placement sous supervision par des acteurs judiciaires.

Or, alors que le moment du placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire constitue une phase « clé », la mission n'a pu que constater qu'aucune de ces deux situations n'était favorable à une prise en charge psychologique, psychiatrique et sociale des AICS.

Le placement sous contrôle judiciaire ouvre, certes, la possibilité pour le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention de mettre en place des mesures coercitives, y compris une obligation de soins prévue par le 10° de l'article 138 du code de procédure pénale. Cependant, cette obligation comporte plusieurs limites :

- au plan juridique, elle n'est pas tournée vers la mise en oeuvre de soins liés à la réalité des faits commis, l'individu concerné étant encore, à ce stade du dossier, présumé innocent : de manière révélatrice, le code prévoit que si des « mesures d'examen, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation » peuvent être prévues, elles s'appliquent « notamment aux fins de désintoxication », ce qui atteste qu'elles répondent davantage à l'objectif d'un traitement en urgence de pathologies déjà identifiées ou d'une situation de dépendance qu'à celui d'un démarrage d'une prise en charge psychologique ou psychiatrique. Le même texte instaure, de plus, un régime de communication entre l'autorité judiciaire et les acteurs du soin qui ne semble guère propice à la reconnaissance des faits. En effet, le code prévoit que « les rapports des expertises réalisées pendant l'enquête ou l'instruction sont adressés au médecin ou au psychologue, à leur demande ou à l'initiative du juge d'instruction » et que ce dernier « peut également leur adresser toute autre pièce utile du dossier »21(*) : cette situation est de nature à limiter l'adhésion de l'individu mis en cause au traitement dès lors qu'il a un lien direct avec l'infraction commise, puisque celle-ci se trouve dans le même temps dans la nécessité de préparer sa défense, y compris en niant ou en minorant une partie des faits ;

- en pratique, la possibilité d'avoir accès à des spécialistes pendant la période de contrôle judiciaire se heurte aux obstacles qui existent pour toute prise en charge des AICS en milieu ouvert, et qui tiennent à la fois à la saturation des services compétents et à la réticence de certains professionnels face à la mise en place d'un traitement auprès d'individus qui ne se sont pas inscrits dans le parcours de soins de leur propre initiative - voire qui, parfois, s'y maintiennent contre leur volonté. Ainsi, et comme le relevait Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Île-de-France, lors de son audition par la mission le 5 décembre 202422(*), « le secteur psychiatrique est débordé et ne trouve pas nécessairement sa place dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, peut-être en raison d'un manque de formation, mais sans doute aussi en raison d'un élargissement considérable des missions. Mes collègues [...] sont également fatigués par des obligations et injonctions de soins qui se sont systématisées et qui s'apparentent davantage à des pseudo-mesures de sécurisation sociale qu'à de véritables dispositifs d'incitation à la rencontre et au soin psychique ». Cette situation est aggravée par le sentiment d'une déconnexion entre les caractéristiques des soins à prodiguer et la nature des mesures prononcées par l'autorité judiciaire, notamment dans le temps du pré-sentenciel : « L'engorgement est aussi dû à une quasi-absence de sélection et à la faiblesse de l'évaluation mise en oeuvre pour choisir une prise en charge appropriée des différents profils. De nombreuses décisions de justice se basent désormais sur une obligation ou sur une injonction de soins, avec des durées parfois incroyables : je suis, ainsi une partie de mes patients, depuis cinq ou six ans dans la phase pré-sentencielle, ce qui contribue à congestionner le dispositif »23(*) ;

- matériellement, la gestion des AICS en amont de leur procès est également rendue plus difficile par la saturation - déjà évoquée - des services psychiatriques et psychologiques. Les représentants de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires ont ainsi souligné, dans leurs échanges avec la mission, qu'il était désormais impossible dans le ressort de certains tribunaux de trouver des psychiatres - ou des médecins - acceptant d'être requis dans le cadre d'une procédure pénale24(*), et toute tentative de ciblage des profils prioritaires pour limiter la charge pesant localement sur les professionnels de santé se heurte à des échecs puisqu'une telle initiative suppose, pour les magistrats, de disposer d'expertises psychiatriques ou psychologiques « qui ne sont que très rarement à disposition des magistrats au début de la phase judiciaire »25(*) ;

- enfin, en termes d'efficacité pour la prévention de la récidive, le dispositif semble sous-exploité : au cours de la même audition, Hélène Denizot-Bourdel, responsable médical régional du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, a souligné que les psychiatres de ces structures « remett[aient] une attestation de suivi qui ne fait pas état de la qualité du soin, l'obligation étant en général d'une assez courte durée, d'un à deux ans. Elle est pourtant très utile, à mon sens, car elle permet de démarrer les soins. Dans le Puy-de-Dôme par exemple, elle est particulièrement prononcée en cas d'attaques sexuelles ou de consultation de contenus à caractère pédopornographique ».

Les obligations de soins prononcées en matière d'infractions à caractère sexuel ne s'inscrivent donc pas suffisamment dans la nécessité d'une prise en charge rapide des AICS, pourtant essentielle à leur réinsertion et à la limitation du risque de récidive. Ce constat reste cependant difficile à objectiver : à cet égard, la mission regrette vivement de n'avoir pas pu obtenir, de la part du ministère de la justice, des chiffres permettant de connaître la proportion des dossiers d'ICS dans lesquels l'obligation de soins pendant la période de contrôle judiciaire était appliquée - tout simplement parce que les bases statistiques du ministère ne permettent pas de les connaître, ce qui est à tout le moins préoccupant.

La situation n'est pas plus favorable aux personnes placées en détention provisoire, étant rappelé que celle-ci est la règle pour les infractions les plus graves : comme l'a rappelé la direction nationale de la police judiciaire du ministère de l'intérieur auprès des rapporteures, lorsque le parquet retient la qualification de viol, la détention provisoire du mis en cause - lorsque celui-ci est majeur - est quasi-systématique.

Cette analyse est pleinement cohérente avec les statistiques transmises par la direction de l'administration pénitentiaire, qui attestent de la très forte proportion des prévenus (donc des personnes en détention provisoire, qui n'ont pas encore été condamnées par une juridiction de jugement) parmi les détenus : au 1er octobre 2024, sur 13 130 individus en détention pour au moins une infraction à caractère sexuel, 5 197 étaient prévenus ou condamnés-prévenus26(*), ce qui représente près de 40 % des détenus concernés.

Proportion et nombre d'individus détenus pour au moins une infraction à caractère sexuel au 1er octobre 2024

Catégorie pénale

Nombre de détenus

Détenus pour au moins une infraction à caractère sexuel (AICS)

Effectif

En proportion du total de détenus

Condamnés

55 073

7 933

14,4 %

Condamnés-prévenus

3 509

371

10,6 %

Prévenus

21 049

4 826

22,9 %

Total

79 631

13 130

16,5 %

Source : direction de l'administration pénitentiaire

La mission ne remet pas en cause la nécessité d'un placement en détention provisoire des AICS : à ses yeux, le taux important de prévenus parmi les détenus pour des faits de violence sexuelle traduit, au moins pour partie, la pleine prise en compte de la réalité de cette violence par la sphère judiciaire et la volonté d'assurer une juste répression pénale des individus concernés ; elle reflète vraisemblablement par ailleurs une meilleure conduite des enquêtes dans la mesure où le placement en détention provisoire est d'autant plus probable que la réalité matérielle des faits reprochés à un individu est établie.

Sans que cela remette en cause ce constat, les rapporteures ont toutefois observé que la prise en charge des individus présumés AICS en détention provisoire présentait des failles susceptibles de porter atteinte à l'objectif de lutte contre la récidive.

De manière générale, la surpopulation carcérale en maisons d'arrêt (qui s'établit, à l'heure où ces lignes sont écrites, à environ 160 % de taux d'occupation) n'est que peu compatible avec un accès serein à des soins médicaux ou à des dispositifs d'accompagnement de toute nature permettant de préparer un parcours de réinsertion, et donc de lutter contre la récidive. L'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) a ainsi souligné que, « si globalement en centre de détention on trouve des situations plus favorables, en maison d'arrêt l'accès aux soins est souvent bien plus compliqué », alors même que « tous les AICS détenus passent par la maison d'arrêt, en détention provisoire, parfois pour de longues périodes, et/ou dans les premiers temps de l'exécution de leur peine »27(*).

Les AICS sont, par ailleurs, soumis à des situations disparates selon leur lieu de détention provisoire, les dispositifs proposés en maison d'arrêt n'étant pas uniformes sur l'ensemble du territoire national : la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires a ainsi indiqué aux rapporteures que, bien que certaines associations de contrôle judiciaire aient mis en place des programmes de suivi spécifiques aux AICS, celles-ci n'étaient pas actives dans tous les départements.

Il convient également de souligner que, aux yeux de l'ensemble des personnes auditionnées ou rencontrées par la mission conjointe de contrôle, l'efficacité du dispositif repose sur la participation et l'adhésion de l'auteur, ce qui suppose une reconnaissance au moins partielle de sa responsabilité : cette condition est, par nature, plus difficile à réaliser avant le stade du jugement, et il peut arriver qu'un individu ayant nié les faits avant sa condamnation accepte mieux son statut d'AICS une fois que celui-ci a été établi par une juridiction. Un phénomène de reconnaissance seulement partielle des faits avant la condamnation semble, de même, être observé par la plupart des professionnels compétents, sans qu'il soit possible d'en faire une quelconque estimation quantitative.

Les rapporteures relèvent, par ailleurs, que les initiatives de justice restaurative, possibles « à l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, [...] sous réserve que les faits aient été reconnus »28(*), donc y compris au stade pré-sentenciel, quelle que soit la situation de la personne mise en cause, n'ont pas atteint la volumétrie espérée. Au vu des éléments recueillis par la mission, notamment lors d'une audition consacrée à la thématique de la justice restaurative au cours du mois de février 2025 qui a réuni plusieurs associations dont le travail mérite d'être salué, il ne semble pas que cette possibilité soit particulièrement exploitée en amont de la condamnation éventuelle, même pour les auteurs qui reconnaissent les faits. Toutefois, là encore, les rapporteures n'ont pas pu obtenir de chiffres sur la mise en oeuvre de mesures de justice restaurative en amont du procès pénal et n'ont donc pas été mises en mesure d'apprécier leur éventuel impact sur le traitement des AICS et sur la prévention de leur récidive.

Il convient enfin de rappeler que la place accordée aux soins à ce stade de la procédure pénale reste aujourd'hui trop limitée, dans la mesure où les acteurs juridictionnels restent liés par le principe - que nul ne saurait remettre en cause - de la présomption d'innocence : au-delà de cas marginaux, et contrairement à ce qui a pu être observé au stade de l'exécution de la peine (voir infra), ce principe exclut que l'adhésion aux soins en pré-sentenciel puisse être véritablement prise en compte dans l'appréciation du profil de l'individu mis en cause et, partant, dans celle du risque de récidive. En somme, et comme l'a opportunément résumé la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires auprès des rapporteures, « dans l'hypothèse d'une détention provisoire avant jugement, il ne peut être tiré du refus ou du manque d'engagement de l'intéressé dans les soins qu'un élément défavorable d'appréciation de la personnalité. Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, même lorsqu'une obligation de soins est imposée, très rares sont les cas de révocation de cette mesure et de placement en détention provisoire liés au seul refus de suivre des soins ».

2. Une prise en charge rendue plus complexe par la pénurie d'experts et de professionnels

Le stade pré-sentenciel est également le temps des expertises qui permettent aux juridictions, en vue du procès pénal, de mieux comprendre la personnalité des AICS et les ressorts de leur passage à l'acte. Or, de même que pour les professionnels de la psychologie et de la psychiatrie susceptibles d'intervenir pour prendre en charge les soins à prodiguer aux AICS (voir supra), le manque criant d'experts est une source de lourdes difficultés, a fortiori dans un contexte où, comme les rapporteures l'ont déjà rappelé, l'expertise des AICS est obligatoire avant tout jugement au fond.

Le nombre d'experts psychiatres inscrits sur les listes des cours d'appel est ainsi en diminution constante à tel point, par exemple, que la juridiction de Cayenne n'en dispose plus (voir infra).

Le ministère de la justice affiche sa préoccupation sur ce sujet et apparaît conscient des difficultés liées à l'insuffisance de l'offre médico-judiciaire sans, toutefois, qu'il paraisse possible d'y apporter une réponse pertinente à droit constant.

Le point de vue de la DACG sur l'expertise judiciaire des AICS

Le sujet de l'offre médico-judiciaire en matière pénale a fait l'objet d'un chapitre dédié dans le rapport annuel du ministère public pour l'année 2022.

Toutes les juridictions de France avaient, à cette occasion, indiqué être confrontées à des difficultés en matière d'offre d'experts psychiatres. Elles entraînaient dans certains ressorts un recours massif aux experts hors ressort ou non-inscrits sur les listes d'experts judiciaires, dont la qualité des expertises était jugée moindre.

En 2023, la situation n'avait pas connu d'amélioration, une majorité de parquets faisant état à des titres divers de difficultés pour la réalisation d'expertises psychiatriques et psychologiques sur leur ressort.

Le nombre d'experts psychiatres inscrits sur les listes des cours d'appel est en effet en constante diminution : il est passé de 537 en 2011 à 300 en 2024. Il est particulièrement notable qu'une cour d'appel (Cayenne) et de nombreux tribunaux judiciaires s'étendent sur des ressorts ne comptant désormais plus aucun expert psychiatre.

L'inadéquation entre le caractère très largement obligatoire des expertises en matière d'infractions sexuelles et la rareté pratique de l'offre d'experts psychiatres a des conséquences dommageables importantes.

En matière pré-sentencielle, elle entraîne des délais de procédure rallongés ainsi que de fréquents renvois d'audiences, afin que l'expertise psychiatrique, préalable nécessaire à toute décision de justice, puisse être réalisée. Outre les conséquences sur le fonctionnement des juridictions et les victimes de ces infractions, qui voient l'aboutissement de la procédure rendu plus difficile, cette situation retarde aussi le jugement au fond, donc le cas échéant le prononcé d'une peine permettant de sanctionner l'infraction et de limiter le risque de récidive (par une mesure privative de liberté, une injonction de soins...).

[...] Conformément aux préconisations de la DACG, de nombreux tribunaux ont cherché à susciter des vocations auprès de psychiatres, soit par l'organisation de séminaires et journées de découverte de l'expertise médicale judiciaire ou par des réunions avec des psychiatres et psychologues libéraux et hospitaliers, soit par des courriers-types adressés directement aux psychiatres et psychologues.

Cependant, les difficultés ont des causes structurelles nationales, sur lesquelles l'autorité judiciaire a peu de prise : baisse de la démographie médicale, désaffection des jeunes médecins pour les fonctions de psychiatre, contexte budgétaire ne permettant pas d'offrir aux psychiatres une tarification jugée attractive pour la réalisation d'expertises judiciaires.

Source : DACG

L'insuffisance d'experts psychiatres a été confirmée par la table ronde organisée le 6 février 202529(*) par la mission conjointe de contrôle. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA), rappelait ainsi, au cours d'une déclaration qui mérite d'être extensivement citée :

« Je me dois également de tirer la sonnette d'alarme sur la démographie des experts psychiatres. Aujourd'hui, nous sommes 300 à 320 inscrits sur les listes des cours d'appel. Il y a une quinzaine d'années, nous étions plus de 800 ! La structuration de la pyramide des âges va encore aggraver le problème. L'aspect positif, c'est qu'il y a un effet de concentration et d'aguerrissement. L'aspect négatif, c'est une charge de travail énorme, avec une pression insurmontable. Il importe de former de nouveaux psychiatres experts. Les autorités universitaires commencent à s'intéresser au problème. Ils ont d'ailleurs inclus la psychiatrie légale comme spécialité à part entière au sein de la psychiatrie. Il y a maintenant la pédopsychiatrie, la psychiatrie du sujet âgé, l'addictologie et la psychiatrie légale. La situation va donc s'améliorer, mais il faudra du temps.

« [...] Sur la démographie, plus il y aura de médecins, plus il y aura de spécialistes ; et plus il y aura de spécialistes, plus il y aura de psychiatres. Cependant, il y a un véritable manque en matière de formation à la psychiatrie médico-légale. Les universitaires se sont désintéressés du sujet pendant 50 ans : ils doivent apprendre des experts auprès des tribunaux pour mettre au point les formations. Il faut de surcroît une homogénéisation sur tout le territoire pour que les évaluations ne diffèrent pas selon les ressorts de tribunaux. »

Son confrère Charles-Olivier Pons, expert psychiatre et président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), mettait lui aussi en avant les difficultés rencontrées par la psychiatrie (y compris, d'ailleurs, hors de la seule thématique de l'expertise médico-judiciaire,) avec notamment un mouvement de croissance continue des tâches non-médicales confiées aux psychiatres qui contribuent à la désaffection tendancielle que la profession semble rencontrer auprès des étudiants en médecine. Il soulignait que les missions confiées aux psychiatres dans le cadre de leurs expertises s'apparentent à des « expertises `flash' qui comportent différentes questions : discernement, compréhension du sens de la peine éventuelle, compatibilité de l'état avec une garde à vue », souvent réalisées, en l'absence d'expert disponible, par le praticien qui était de garde pour la journée au moment de la réquisition.

Ces facteurs, réunis, constituent un mélange explosif qui met les experts psychiatres en grande difficulté : à la saturation du côté de la « demande » d'expertises, particulièrement pour ce qui concerne le cadre de l'expertise obligatoire prévu par la loi pour les AICS, répond une pénurie de l'« offre » d'experts, celle-ci étant accentuée par les conditions contestables de délais et de rémunération dans lesquelles sont conduites les expertises.

Cette situation a des conséquences indéniables pour les magistrats et n'est pas sans lien avec la pertinence des éléments qui seront mis à la disposition de la juridiction de jugement pour évaluer la gravité des faits commis ou la dangerosité du profil de la personne mise en cause. La Conférence nationale des procureurs de la République indiquait ainsi aux rapporteures que, « dans un contexte d'exigences légales et de volumétrie conséquente des procédures, [la pénurie d'experts] impose des arbitrages sur la qualité des expertises et les qualifications pénales pour réserver le travail des meilleurs (voire des seuls) experts aux procédures à plus fort enjeu ». Pire encore, « l'obligation légale (article 706-47-1 du CPP, mais aussi expertise des majeurs protégés) peut donc parfois être un obstacle au traitement diligent des procédures de violences sexuelles, voire aux poursuites sous les qualifications les plus graves ».

Ce diagnostic, issu du « terrain », est particulièrement inquiétant. Il paraît, d'ailleurs, partagé par le ministère de la justice lui-même. La DACG s'est ainsi interrogée auprès de la mission sur le caractère obligatoire de l'expertise pour toute la vaste série d'infractions énumérées à l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, indiquant pudiquement - mais clairement - que « si les expertises psychiatriques des mis en cause [...] sont de nature à apporter des éléments permettant à la juridiction de prononcer une peine la plus adaptée possible à la personnalité du condamné ou d'évaluer la compatibilité de cette dernière avec une mesure d'aménagement de peine, participant ainsi de la prévention de la récidive, force est de constater que son caractère obligatoire sur un champ d'application aussi large, sans égards pour les faits de l'espèce et sans laisser de place à l'appréciation du magistrat, n'est pas sans générer de difficultés ».

La même table ronde consacrée à l'expertise a, a contrario, montré que les « ressources » en experts psychologues étaient suffisantes et ne se heurtaient pas aux mêmes limites capacitaires que celles mises en avant pour les psychiatres ; les deux professions rencontrent toutefois des difficultés communes, comme la faiblesse de la rémunération (à titre d'illustration, une déposition aux assises est rémunérée 104 €, quels que soient le temps passé et le nombre d'affaires concernées) ou encore les délais contraints, liés au temps judiciaire, pour traiter un nombre souvent élevé de dossiers.

Il apparaît cependant que les magistrats en charge des expertises (parquets ou juges d'instruction) continuent de privilégier une tradition, sans fondement juridique ou scientifique particulier, faisant des psychiatres la profession de référence pour les auteurs tandis que les psychologues se voient plutôt confier l'examen des victimes. Comme le synthétisait Laurent Layet au cours de la table ronde précitée, « l'idée est répandue chez les magistrats que les auteurs d'infractions doivent être analysés par des experts psychiatres et que les victimes sont plutôt réservées à des experts psychologues. Pourquoi ? Cela n'a aucune base scientifique. [...] L'image du psychologue étant plus douce que celle du psychiatre, on considère qu'il convient de lui confier la victime. Mais il ne s'agit pas de soins. Je pense qu'il faut dépasser ce clivage délétère ».

Les expertises « de crédibilité » des victimes

La vigilance des rapporteures a été attirée sur l'existence d'expertises dites « de crédibilité de la victime », c'est-à-dire d'expertises diligentées pour tenter d'évaluer la sincérité des déclarations de celle-ci. Dès lors, et si l'existence d'expertises pour les victimes peut répondre à un objectif utile (puisque cet exercice permet, par exemple, d'évaluer le préjudice psychologique subi par celles-ci), la pratique de l'expertise « de crédibilité » paraît à l'inverse particulièrement contestable, en particulier lorsque des preuves matérielles sont disponibles.

Interrogée sur cet enjeu, la direction des affaires criminelles et des grâces a rappelé qu'une réflexion avait été engagée à la suite de l'affaire dite « d'Outreau », laquelle avait donné lieu à des expertises ayant pour objet d'évaluer la « crédibilité » de certaines victimes et qui avaient renforcé le crédit accordé aux déclarations d'enfants dont il était subséquemment apparu qu'elles n'étaient pas corroborées par les éléments de l'enquête, et qui avaient plus tard été rétractées.

Le rapport du groupe de travail du ministère de la justice chargé de tirer des enseignements de l'affaire d'Outreau s'était intéressé à ce sujet et il avait noté « qu'au sens médico-légal, la crédibilité est déterminée par la présence ou non chez le sujet examiné de traits de délire, mythomanie, affabulation ou insuffisance intellectuelle. En l'absence de signes cliniques de ces traits, le sujet est estimé `crédible' au sens médico-légal, ce qui n'indique pas qu'il dit la vérité, aucun expert ne pouvant évaluer avec certitude sur la base d'un examen clinique la véracité d'un propos tenu. Il notait que la notion avait pourtant connu, y compris dans le monde judiciaire, un glissement malvenu vers son sens commun, et préconisait en conséquence la suppression du terme de `crédibilité', `sujet à un dévoiement sémantique', des expertises psychologiques et psychiatriques ordonnées à l'avenir30(*). »

Ce constat avait conduit la DACG à préciser dès 200531(*) que, du fait de la « confusion entre crédibilité médico-légale et vérité judiciaire [...] il est indispensable de proscrire le terme-même de crédibilité » dans une expertise judiciaire. Il ne semble, pour autant, pas acquis qu'une telle pratique ait pleinement quitté les tribunaux correctionnels et les juridictions criminelles32(*), qui est encore aujourd'hui dénoncée par plusieurs associations de défense des droits des femmes ou des victimes de violences sexuelles.

Source : mission conjointe de contrôle.

La mission aurait souhaité pouvoir appuyer son analyse sur des chiffres permettant d'évaluer le nombre d'AICS soumis chaque année à la procédure d'expertise obligatoire prévue par l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, ou encore de connaître le nombre de victimes soumises à une expertise psychologique ou psychiatrique. Toutefois, l'analyse des chiffres n'a pas été possible pour la simple raison que les statistiques précitées n'existent pas, le ministère de la justice ne disposant pas d'une base par le biais de laquelle il pourrait avoir accès au nombre d'expertises diligentées par les juridictions.

3. Des mineurs qui, en dépit de dispositions facialement plus favorables, restent dans une situation analogue à celle des majeurs

Le code de la justice pénale des mineurs divise, sauf exception, le procès pénal en deux phases (cette distinction étant couramment appelée la « césure ») : une première audience a d'abord lieu pour statuer sur la culpabilité du mineur et, lorsque celle-ci est acquise, une seconde audience sur la peine, six à neuf mois plus tard, permettant à la juridiction de jugement à la fois d'imposer des mesures éducatives ou coercitives dans l'intervalle, mais aussi de mettre en oeuvre in fine une sanction adaptée au vu, notamment, du suivi accordé aux mineurs pendant la « césure » et de son degré d'adhésion et d'investissement dans les premières mesures auxquelles il a été soumis.

Des dérogations à ce principe (appelées « audience unique » et qui permettent à la juridiction de se prononcer simultanément sur la culpabilité et sur la sanction) sont toutefois opportunément prévues par le code de la justice pénale des mineurs pour ceux d'entre eux qui sont déjà connus de la justice, et qui ont donc déjà fait l'objet d'une évaluation : ce dispositif permet le prononcé rapide d'une sanction tenant compte du profil du mineur mis en cause.

En théorie, cette situation est de nature à garantir une meilleure exploitation de la phase pré-sentencielle, si on l'entend cette fois comme l'étape qui précède le prononcé de la sanction, étant notamment rappelé que les « modules » qui peuvent être prévus pour le mineur pendant cette période permettent de prévoir des mesures de réparation mais aussi, voire surtout, des soins33(*). Comme le résume Benoît Le Dévédec, docteur en droit privé et sciences criminelles auditionné par la mission conjointe de contrôle, grâce à la « césure », « les acteurs de la Protection judiciaire de la jeunesse auront eu une période pour travailler efficacement avec le mineur le sens de la décision de culpabilité. Contrairement au contrôle judiciaire où le mis en cause est présumé innocent et où la véracité de l'accusation est questionnée, la mise à l'épreuve éducative permettra d'avancer sans que ces éléments soient un frein (mais plutôt un élément de réflexion et d'introspection, tout comme la question du discernement) »34(*).

Le droit en vigueur permet également d'impliquer les parents dans cette phase par le biais d'outils d'accompagnement et de soutien à la parentalité, particulièrement utiles lorsque les faits se sont produits dans le cadre familial ; ce point n'est pas à négliger dans un contexte où, selon les deux rapports Les parcours des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse de Marie Romero d'octobre 2022 et d'août 202435(*), la majorité des mineurs mis en cause pour une ICS sont poursuivis pour une infraction qualifiée d'agression sexuelle, commise dans plus d'un cas sur deux au sein de la famille.

Les dispositifs de soutien à la parentalité

Certains terrains ont expérimenté un soutien à la parentalité. Il peut prendre la forme de séances d'entretiens familiaux adossées au travail du groupe, comme par exemple à Nantes (dispositif Guidado), ou de séances de groupe de parole pour la famille comme à Saint-Denis (Jean Cotxtet) ou à Fort de France (UEMO Atlantique nord en Martinique). Ce travail implique de différencier les espaces d'intervention entre le mineur et sa famille, et de soutenir les parents dans leurs compétences éducatives, les accompagner vers l'extérieur, autres que le cadre judiciaire contraint. Au-delà du nécessaire travail sur la parentalité, il en existe un autre propre aux situations de violences sexuelles au sein de la famille (inceste fratrie). Dans ces situations intrafamiliales qui impliquent un mineur auteur, la question fondamentale que se posent les professionnels est de savoir comment faire, pour les aider, accompagner une nouvelle organisation familiale après l'inceste ? Ainsi, des dispositifs d'AEMO proposent un travail spécifique autour de l'inceste fratrie. Ce travail consiste en un accompagnement avec et pour le mineur, à « faire famille autrement après l'inceste », différencier et individualiser les places et fonctions de chacun, réparer les liens familiaux rompus par l'inceste.

Source : contribution de Marie Romero aux travaux de la MCC.

Le traitement des mineurs est également facilité par l'un des outils juridiques qui leur est spécifique, à savoir le recueil de renseignements socio-éducatifs ou RRSE, qui permet une évaluation rapide du mineur AICS (MAICS), dès sa première rencontre avec un éducateur de la PJJ. Il s'agit, selon les rapports précités de Marie Romero, d'une « étape clef du parcours judiciaire du mineur qui permet d'identifier certains points de vigilance propres à ces affaires (isolement social du mineur, état de sidération de l'entourage, mécanismes de `silenciation' autour des faits), et d'orienter sans plus tarder le mineur vers un dispositif de prise en charge spécifique ».

La réponse pénale auprès des MAICS présente, selon la même source, la particularité d'être plus sévère que pour les majeurs. Ainsi, entre 2018 et 2022, environ 9 000 MAICS ont été poursuivis, ce qui correspond à un taux de réponse pénale deux fois plus important que chez les majeurs ; de même, nombre de mesures ont été prononcées au stade pré-sentenciel, avec une majorité de mesures coercitives (comme le contrôle judiciaire, pourtant rare chez les mineurs) face aux mesures éducatives (sur ce terrain, avec une prégnance de mesures malgré tout « englobantes », comme la liberté surveillée préjudicielle). Un mineur sur dix a fait l'objet d'un placement en détention provisoire ou d'une mesure de placement pénal (par exemple en unité éducative d'hébergement collectif ou diversifié, ou en centre éducatif renforcé ou fermé) : parmi les MAICS poursuivis, près d'un tiers a été déferré, cette proportion étant nettement supérieure à celle que l'on trouve pour l'ensemble des mineurs auteurs d'infractions pénales (environ 5 %).

Sans que ce chiffre puisse être mis en relation avec la statistique identique pour les majeurs, puisque cette dernière n'a pas été transmise à la mission et qu'elle ne semble pas exister, les rapporteures constatent que le délai moyen entre les faits et leur révélation à l'autorité judiciaire est élevé pour les infractions qui concernent des auteurs mineurs. Le délai moyen de révélation est ainsi, selon Marie Romero, de deux ans et demi ; la moyenne atteint même sept ans pour les affaires de viols incestueux.

La même source permet d'établir que, en dépit du cadre efficace globalement posé par le code de la justice pénale des mineurs, les délais restent longs entre le début de l'affaire et les poursuites (7,7 mois en moyenne), de même qu'entre les poursuites et le jugement de première instance (deux ans et demi, voire plus de quatre ans en cas de viol, étant rappelé que les délais prévus par le code de la justice pénale des mineurs ne s'appliquent pas en cas d'instruction, donc en cas de crime).

Le cumul entre le délai de révélation et le délai de traitement de l'affaire jusqu'à son audiencement est ainsi particulièrement élevé : plus de cinq ans (65 mois) pour les infractions à caractère sexuel, contre environ deux ans (23 mois) pour l'ensemble des affaires impliquant des mineurs, tous types d'infractions confondues.

S'agissant, enfin, du délai moyen de « suivi pénal » des MAICS, c'est-à-dire de la durée moyenne entre le prononcé de la première décision et la date du jugement, celui-ci s'établit à un an et demi. Par conséquent, certaines mesures éducatives ou répressives peuvent arriver à échéance avant la fin de la procédure pénale, ce qui introduit des ruptures de parcours et des discontinuités préjudiciables à la qualité de la prise en charge - comme au respect accordé par le mineur au cadre fixé par la loi et par l'autorité judiciaire chargée de son application. Ainsi, les rapports précités soulignent que 38 % des MAICS sont majeurs au moment de leur procès (64 % pour les affaires de viol) et qu'ils sont âgés en moyenne de 17 ans au moment de leur condamnation.

Cette distension des délais est, par elle-même, problématique dans un contexte où, « selon les professionnels, les révélations tardives des faits, la longueur des délais de procédure, peuvent avoir un impact sur la prise en charge : sans intervention la plus en amont possible des faits et de leur révélation, la prise en charge risque d'être plus difficile, moins efficiente »36(*). Elle constitue, par ailleurs, un obstacle au repérage des moments propices à la prise en charge, esquivant le double piège d'une trop grande précocité qui n'aurait pas laissé le temps au mineur de comprendre la réalité des faits commis et d'une trop grande tardiveté qui éloigne l'acte de la mémoire de l'auteur mineur, donc d'une temporalité du soin permettant d'« éviter que le mineur s'enferme dans des mécanismes de défense (déni, évitement, banalisation) »37(*).

En dépit de la primauté accordée à l'éducation et au « relèvement moral » du mineur38(*) par la jurisprudence constitutionnelle et par les textes en vigueur, la prise en charge médicale des MAICS demeure, comme celle des AICS majeurs, entravée. Outre les éléments généraux déjà mis en avant (pénurie de professionnels, disparités sur le territoire dans l'accès aux soins...), les mineurs semblent en effet présenter une particularité défavorable qui tient au regard que portent sur eux les professionnels : « la prise en charge des MAICS suscite chez les professionnels qui les accompagnent, un certain malaise, une incompréhension, parfois du découragement face à des mineurs qui ont tendance à s'enfermer rapidement dans des mécanismes de défense (banalisation, évitement à parler des faits, déni de l'éprouvé de l'autre) »39(*). Parallèlement, et alors que la prise en charge psychologique ou psychiatrique des mineurs présente d'indéniables spécificités, les services de santé spécialisés dans la prise en charge des MAICS sont rares ; les structures médicales recevant des mineurs ou les services de pédiatrie, outre leur état global de saturation, paraissent en outre « parfois réticentes » à accueillir des MAICS. Enfin, et peut-être surtout, la moindre maturité psychique des mineurs crée une situation dans laquelle ils ont, plus encore que les majeurs, « beaucoup de mal à aller vers le soin et à y adhérer (réticence, méfiance, évitement) »40(*).

Au cours de son audition par la mission, Marie Romero a par ailleurs indiqué que, en dépit du déploiement de programmes et d'outils visant à lutter contre la récidive des MAICS (à l'image du programme « PACIS »41(*) récemment mis en place par le centre éducatif fermé de Guadeloupe, et qui propose une prise en charge groupale à partir d'une approche cognitive et d'une évaluation structurée autour des facteurs de risque et de protection), les professionnels de la PJJ restaient insuffisamment formés aux problématiques spécifiques des MAICS. Ils pallient cependant cette difficulté par « la construction d'un écosystème partenarial en réponse au manque de visibilité du parcours de prise en charge du mineur auteur, à l'absence de maillage et de connaissances mutuelles entre les différents intervenants, aux difficultés d'accès et d'adhésion aux soins des mineurs en général (et de leurs parents) » et qui implique « un travail coconstruit avec et pour le jeune, en faisant sens pour lui, sa famille, les professionnels » : il s'agit là d'un travail innovant et méritoire auquel la mission ne peut que rendre hommage.


* 18 Article 144 du code de procédure pénale, également applicable aux mineurs dans ses conditions par renvoi vers l'article cité des articles L. 344-4 et L. 344-5 du code de la justice pénale des mineurs.

* 19 De telles correctionnalisations consistaient à juger comme des délits, donc devant une juridiction composée exclusivement de magistrats professionnels, des infractions objectivement constitutives de crimes, notamment par crainte de la réaction du jury populaire lorsque les faits ne correspondaient pas aux clichés populaires sur le viol ou pour des raisons de célérité des procédures.

* 20 Les chiffres cités ont été communiqués par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice.

* 21 10° de l'article 138 du code de procédure pénale, précité. Cette transmission semble, cependant, complexe dans les faits : au cours de la table ronde précitée des représentants des Criavs, organisée par la MCC le 5 décembre 2024, le docteur Hélène Denizot-Bourdel, praticien hospitalier au CHU de Clermont-Ferrand, responsable médical régional du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, soulignait que « Dans le cas d'une obligation de soins, l'auteur vient nous rencontrer en consultation, en centre médico-psychologique (CMP) ou en libéral, et nous expose la situation. Nous devons demander le dossier pénal pour avoir des éléments complémentaires, ce qui n'est pas toujours chose aisée ».

* 22  https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20241202/ddf.html#toc2

* 23 Idem.

* 24 Toujours d'après la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires, ce constat vaut également pour les personnes placées en détention provisoire : en plusieurs points du territoire, les médecins et psychiatres refusent de se déplacer en maison d'arrêt sur mission du tribunal, visiblement pour des raisons essentiellement capacitaires.

* 25 Le sujet spécifique des expertises est abordé plus loin dans le présent rapport.

* 26 Ce qui signifie qu'ils étaient en détention pour une autre infraction que celle pour laquelle ils avaient été condamnés ou qu'ils avaient fait appel de leur condamnation.

* 27 Cette référence au premier temps de l'exécution est liée à des dispositifs d'évaluation qui seront exposés ci-après.

* 28 Article 10-1 du code de procédure pénale.

* 29 Le compte rendu de cette table ronde, dont les propos qui suivent sont extraits, est disponible sur le site internet du Sénat.

* 30 Source : DACG.

* 31  Circulaire du 2 mai 2005 relative à l'amélioration du traitement judiciaire des procédures relatives aux infractions de nature sexuelle.

* 32 Voir, par exemple, les publications de l'association Osez le féminisme.

* 33 Article L. 112-2 du CJPM.

* 34  Article « Mineurs auteurs d'infractions sexuelles : les révolutions du Code de la justice pénale des mineurs sur le discernement et la césure pénale », paru dans la revue Enfances & Psy, 2021/4, n° 92.

* 35 Les éléments qui suivent sont extraits de ces deux rapports, respectivement rendus publics en janvier 2023 et en septembre 2024.

* 36 Rapport précité.

* 37 Idem.

* 38 Selon l'expression employée, pour caractériser le principe fondamental des lois de la République fondant la spécificité de la justice des mineurs, par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, « Loi d'orientation et de programmation pour la justice ».

* 39 Rapport précité de Marie Romero.

* 40 Idem.

* 41 Pour « programme d'accompagnement des adolescents ayant commis une infraction à caractère sexuel ».

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