IV. LA DIVERSIFICATION DES SOURCES DE PROTÉINES DANS L'ALIMENTATION : UN CHEMIN ARDU

A. DU REFLUX DES PROTÉINES ANIMALES AU DÉFI DE LA TRANSFORMATION DES HABITUDES ALIMENTAIRES

1. Le constat d'une modification des habitudes alimentaires des Français
a) L'alimentation, un poste budgétaire en repli

L'alimentation a longtemps été un poste essentiel de dépense des ménages. La loi d'Engel, formulée au milieu du 19e siècle par le statisticien allemand Ernst Engel, disposait que la part du revenu individuel allouée aux dépenses alimentaires diminue au fur et à mesure que le revenu augmente. Cela est vrai à l'échelle des pays : les pays les plus pauvres sont ceux dans lesquels la population consacre la plus grande part de ses dépenses à son alimentation.

Part des dépenses d'alimentation dans les dépenses totales

Source : USDA - Traitement : OurWorldinData

En Europe, d'après Eurostat, la dépense moyenne pour l'alimentation (hors boissons alcoolisées) s'élève à 14,3 %, allant de 8,3 % pour l'Irlande à 24,8 % pour la Roumanie.

La France se situe dans la moyenne européenne avec 14 % des dépenses des ménages consacrées à l'alimentation. La baisse est spectaculaire depuis les années 1960, au début desquelles on dépensait encore 35 % de son budget pour acheter des denrées alimentaires.

En réalité, la dépense correspondante est restée relativement stable en valeur absolue. L'augmentation du revenu des ménages a surtout permis de dégager des marges de manoeuvre pour d'autres postes budgétaires : logement, énergies, loisirs, transports. Les gains de productivité massifs dans l'agriculture et l'essor de la grande distribution ont favorisé une inflation alimentaire faible voire négative, dégageant du pouvoir d'achat pour les ménages dans d'autres domaines que l'alimentation.

Depuis une vingtaine d'années, la part de l'alimentation dans le budget des Français est stable. Le budget alimentaire ne semble pas non plus constituer une variable d'ajustement majeure dans les dépenses des ménages.

Ainsi, le baromètre 2024 de l'observatoire Cetelem114(*), qui collecte des données dans plusieurs pays d'Europe, indique que d'autres postes budgétaires (loisirs, vacances, habillement, biens d'équipements, transports) viennent avant l'alimentation dans l'ordre des restrictions et renoncements à consommer des ménages :

Pour autant, dans l'enquête réalisée pour établir le baromètre 2024, 46 % des Européens relevant de la catégorie des ménages à revenus faibles et 27 % des européens relevant de celle des ménages à revenus élevés déclarent avoir restreint ou renoncé à des achats alimentaires. Dans le contexte d'inflation et de contraintes sur le pouvoir d'achat, une part significative des ménages européens déclare manger moins (42 % des ménages à revenus faibles et même 27 % des ménages à revenus élevés).

L'étude de l'Insee sur les transformations de l'agriculture et des consommations alimentaires115(*) apporte des précisions sur les tendances de la dernière décennie. Elle confirme que, si les dépenses alimentaires des ménages ont augmenté de 10 % entre 2009 et 2019, le revenu a augmenté dans les mêmes proportions. La part de l'alimentation dans le budget global des ménages est donc restée stable.

En revanche, la répartition du budget alimentaire entre catégories d'aliments évolue lentement. Si les dépenses de produits carnés, notamment de viande de boucherie, demeurent le premier poste de dépenses alimentaires (23 %) devant les produits laitiers (15 %) et les pains et céréales (10 %), elles sont en diminution au profit de celles consacrées aux fruits et aux légumes. Entre 2009 et 2019, la part consacrée aux produits carnés et aux produits laitiers dans le budget alimentaire des ménages français a diminué de respectivement 1,8 et 1,0 point.

La diminution des dépenses en produits carnés au cours de la décennie 2009-2019 reflète une baisse des volumes achetés. Parmi les différentes viandes, les volumes de viande de boucherie baissent de 17 %. Seules les quantités de charcuterie et de volailles achetées continuent de croître, respectivement de 6 % et de 5 %.

En se concentrant sur les produits alimentaires sources de protéines, l'étude de l'Insee montre que les ménages français privilégient davantage, pour leurs apports en protéines, les oeufs, la charcuterie, les volailles, les fromages, ou encore les produits « traiteur de la mer » et les conserves de la mer, au détriment de la viande de boucherie fraîche, du jambon, et même du lait et produits laitiers frais ainsi que des produits aquatiques non surgelés.

Une autre étude réalisée par le service de statistique agricole du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Agreste, atteste d'une baisse de la consommation de viande par habitant sur longue période. Elle est passée de près de 90 kg par an et par habitant au début des années 2000 à environ 83 kg en 2023. On observe une substitution des viandes rouges par des viandes blanches : la consommation des viandes de boucherie baisse au profit de la volaille. Selon l'Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair (Anvol), la consommation de volaille a en effet augmenté de l'ordre de 25 % en 15 ans, représentant désormais presque 30 kg par an et par habitant.

La consommation de viande par personne diminue sur longue période116(*)

La consommation des viandes de boucherie baisse tandis que la consommation de volailles augmente

 
 
b) Une population sur-nourrie ou mal nourrie ?

La connaissance fine des consommations et habitudes alimentaires des Français est apportée par l'étude dite « INCA » (étude individuelle nationale des consommations alimentaires) menée par l'Anses en principe tous les 7 ans. Les résultats de la dernière étude « INCA3 » ont été publiés en 2017117(*).

En moyenne, les enfants âgés de 0 à 10 ans consomment environ 1,6 kg d'aliments et de boissons par jour. Cette quantité s'élève à 2,2 kg pour les adolescents âgés de 11 à 17 ans et 2,9 kg pour les adultes âgés de 18 à 79 ans.

En termes d'apports énergétiques, cela correspond à 1 504 kcal/jour pour les enfants de 0 à 10 ans, 1 974 kcal/jour les adolescents et 2 114 kcal/jour pour les adultes.

L'étude INCA3 montre aussi que l'assiette des Français contient une part croissante d'aliments transformés et globalement trop de sel : en moyenne 9 g/j chez les hommes et 7 g/j chez les femmes alors que les recommandations sont respectivement de 8 g/j et 6,5 g/j. Les apports en fibres s'élèvent à 20 g/j en moyenne chez les adultes alors que la recommandation d'apport est de 30 g/j.

Les Français ne sont donc pas « trop nourris » mais plutôt « mal nourris ».

Derrière les moyennes se cachent d'importantes disparités de comportements au sein de la population, notamment en fonction du sexe, de l'âge et de la catégorie socio-économique.

Ainsi, les hommes ont une alimentation bien plus calorique que les femmes, avec une différence de 38 % à l'âge adulte. La contribution à l'alimentation des groupes d'aliments diffère également entre hommes et femmes : chez les adultes, les hommes accordent une part plus importante dans leur ration alimentaire aux légumineuses (+ 84 %), viandes hors volailles (+ 46 %), sandwichs et pâtisseries salées (+ 36 %), charcuteries (+ 35 %), pommes de terre (+ 35 %), fromages (+ 32 %), entremets et crèmes desserts (+ 28 %) et produits céréaliers raffinés (pain, pâtes et autres céréales) (+ 24 %), et les femmes aux compotes et fruits au sirop (+ 77 %), soupes et bouillons (+ 44 %), yaourts et fromages blancs (+ 34 %) et volailles (+ 23 %).

Il existe aussi des disparités sociales : les personnes avec un niveau d'étude ou de revenu plus élevé suivent davantage les recommandations alimentaires (plus de fruits, moins de boissons sucrées), ont un meilleur statut pondéral (moins d'obésité) et pratiquent davantage d'activité physique.

Quelques disparités régionales sont mises en évidence par l'étude INCA3 mais « se limitent le plus souvent à l'échantillon des adultes, laissant supposer une homogénéisation des comportements entre les régions pour les générations les plus jeunes ».

L'étude INCA3 de l'Anses met en avant un autre paramètre lié à la santé alimentaire : l'activité physique, recommandant de promouvoir à la fois l'amélioration de l'alimentation d'un point de vue nutritionnel et la promotion de l'activité physique, en constatant qu'en 2014-2015, 13 % des enfants de 0 à 17 ans et 34 % des adultes de 18 à 79 ans étaient en surpoids et respectivement 4 % et 17 % étaient obèses.

De plus, un tiers des enfants et des adultes présentent un comportement associant inactivité physique et sédentarité.

c) L'évolution des régimes alimentaires
(1) La remise en cause de la viande comme « aliment supérieur »

La culture alimentaire dominante en France fait de la viande un composant essentiel des repas. L'expertise collective de l'Inra de 2016 soulignait ainsi que la viande figurait souvent parmi les « aliments essentiels » aux yeux des consommateurs.

Mais cette perception variait selon les régions, indiquant des « cultures alimentaires régionales ». Par exemple, la viande était l'aliment essentiel le plus cité dans le Sud-Ouest (72 % des répondants) et l'Est (62 %), tandis qu'elle était à égalité avec les fruits et légumes dans le Nord (70 %) et classée deuxième au niveau national (65 % contre 70 % pour les fruits et légumes). Cette hiérarchisation variait aussi selon le sexe, les hommes citant plus souvent la viande en premier (71 %) par rapport aux femmes (59 %). Les produits laitiers étaient les troisièmes plus cités parmi les aliments essentiels au niveau national (48 %).

Plusieurs facteurs viennent remettre en question cette préférence collective pour la protéine animale : la prise de conscience de l'impact environnemental de la consommation de viande, l'impact négatif sur la santé d'une surconsommation de viande, et la sensibilité de plus en plus forte à la condition animale.

Pour autant, une étude menée par l'Ifop pour FranceAgrimer en 2020118(*) portant sur un large échantillon de 15 000 personnes, représentatif de la population française, montrait encore un large attachement à la viande comme élément central de la culture culinaire : 79 % des interrogés pensent qu'en manger est nécessaire pour être en bonne santé, 63 % estiment que le repas est plus convivial avec la viande, et 90 % considèrent que le fait de manger de la viande est compatible avec le respect du bien-être animal.

La tendance à la réduction de la consommation de viande rouge est toutefois entamée, comme le montrent les chiffres de la consommation, en cohérence avec d'autres réponses à l'étude de 2020 : 68 % des répondants estiment qu'en France, on consomme trop de viande, 60 % estiment que le poisson est plus sain que la viande et 56 % que la production de la viande a un impact négatif sur l'environnement.

(2) Une progression modérée des végétariens et végétaliens

Les régimes végétariens regroupent un ensemble de régimes qui diffèrent selon le degré et le type d'éviction des sources animales. On distingue classiquement cinq catégories de régimes :

• Omnivore : consommation indifférente d'aliments d'origine animale ou végétale ;

• Flexitarien : diminution volontaire de la consommation de viande (pas sous pression économique), sans être exclusivement végétariens ;

• Pescetarien : pas de consommation de viande mais consommation de poisson et autres produits de la mer ;

• Végétarien : pas de consommation de viande, poisson, fruits de mer ;

• Végan ou végétalien : pas de consommation de produit d'origine animale (viande, poisson, fruit de mer, oeuf, produit laitier, miel).

Le rapport de l'Afssa de 2007 sur les besoins en protéines estimait la population végétarienne à 0,9 % et végétalienne à 0,4 %. L'étude INCA3 fournit un chiffre plus élevé : 1,8% des adultes (18-79 ans) déclarent suivre un régime végétarien excluant la viande. Parmi eux, 33 % excluent les produits de la mer, 22 % excluent les oeufs, et 15% excluent les produits laitiers.

L'étude de l'Ifop pour FranceAgrimer de 2020 montre que la population végétarienne reste limitée : seulement 2,2 % des Français déclarent ne pas consommer de viande. 74 % se déclarent omnivores et 24 % se considèrent flexitariens :

Le profil sociologique des flexitariens et végétariens doit être regardé avec attention : ces régimes sont plutôt pratiqués par des profils féminins, urbains et de catégories socio-professionnelles supérieures, diplômés au-delà du secondaire. Ils sont également plus sportifs et engagés dans des associations. Les célibataires sont surreprésentés parmi les pratiquants de régimes sans viande, ce qui est en accord avec l'étude de cohorte NutriNet Santé119(*).

Les adeptes des régimes sans viande sont plus jeunes que la moyenne des Français, tandis que les flexitariens sont plus âgés. 46 % des végétariens le sont devenus avant 25 ans.

Enfin, végétariens et végans vivent plus probablement seuls et sans enfant. Il est possible que les individus reviennent à une alimentation non végétarienne une fois qu'ils ont eu des enfants.

Les raisons du basculement vers une alimentation qui réduit voire bannit la viande sont certainement multiples. Le profilage de l'étude montre que 40 % des non-omnivores le sont de manière contrainte, soit financièrement (24 %), soit médicalement (16 %).

Une des hypothèses pouvant être avancée pour expliquer le développement certes encore limité, mais sensible, du choix d'une alimentation sans viande ou avec moins de viande, réside dans le fait que la meilleure accessibilité financière de la viande aurait contribué à la perte de sa valeur sociale. Manger de la viande n'affirmerait plus une position sociale supérieure. À l'inverse, un régime frugal en aliments d'origine animale et particulièrement en viande aurait pu devenir un nouveau marqueur de distinction sociale, notamment pour les catégories de population caractérisées par un niveau d'éducation élevé associé à un capital économique limité. Il s'agirait de l'apparition d'une distinction symbolique pour ces catégories. Cela s'inscrirait dans une tendance du « manger moins mais meilleur ».

L'étude de l'Ifop pour FranceAgrimer de 2020 tente de percer les raisons de l'adoption d'un régime végétarien ou flexitarien. Les réponses des personnes interrogées sont éclairantes :

- les pratiquants des régimes sans viande le font avant tout par souci pour la cause animale. Les « conditions d'élevage et d'abattage » et le fait qu'il est « cruel d'élever des animaux pour les tuer » sont évoqués par plus de 60 % de ce groupe. Cette dernière raison étant la principale pour 30 % d'entre eux. C'est le groupe le plus sensible à cet argument ;

- chez les flexitariens, la motivation première avancée est la santé (62 %), même si l'impact sur l'environnement et la condition animale jouent aussi dans l'équation. La part importante de flexitariens au sein de la population montre une volonté des Français d'abaisser leur consommation de viande ;

- toutefois, la proportion des omnivores reste importante, ce qu'atteste la baisse finalement assez modérée sur longue période de la consommation de viande.

2. Les déterminants complexes des choix alimentaires
a) L'enjeu d'une alimentation saine et durable
(1) La santé, puissant déterminant des choix alimentaires

Se nourrir est au premier niveau de la pyramide de Maslow. Les enjeux quantitatifs, c'est-à-dire disposer de suffisamment de nourriture, ont longtemps primé sur les enjeux qualitatifs.

L'objectif de manger à sa faim étant désormais le plus souvent atteint, la valeur des choix alimentaires se fonde désormais sur d'autres paramètres. La contribution de l'alimentation à la santé des individus devient un critère majeur de choix. En témoigne le développement de la consommation de produits biologiques. Selon le baromètre des produits biologiques en France en 2024120(*), établi par l'Agence bio, 53 % des consommateurs réguliers de produits bio le font pour préserver leur santé. Cette motivation vient devant le goût des produits (37 %) ou la protection de l'environnement (37 %).

Ce souci de la santé par l'alimentation se retrouve dans la réaction des consommateurs à chaque crise sanitaire : ils préfèrent écarter l'achat de produits alimentaires mis en cause dans la crise, en les remplaçant par d'autres jugés plus sûrs.

Mais ce souci de la santé par l'alimentation s'inscrit surtout dans le long terme et pas seulement au moment des crises sanitaires.

La prise de conscience des risques individuels pris en adoptant une alimentation déséquilibrée (obésité, maladies cardiovasculaires, diabète, certains cancers) incite à privilégier des aliments réputés « sains » : fruits, légumes, céréales complètes et à l'inverse à réduire la consommation de produits riches en sucres, sel et graisses saturées. Le thème de la « malbouffe » qui associe des quantités de nourriture excédentaires et des déséquilibres nutritionnels prononcés a pris de l'ampleur. Il conduit à reconsidérer l'intérêt des sources de protéines animales, dont la consommation est globalement considérée comme excessive.

Au-delà de la prévention, l'alimentation est aussi perçue comme un moyen d'améliorer le bien-être général, l'énergie et la concentration, d'où la progression de la consommation de compléments alimentaires, notée dans l'étude INCA3, et le développement du concept d'alicament (aliments qui, au-delà de leurs effets nutritionnels, ont un impact positif sur la santé, comme les produits enrichis en différents nutriments). De ce point de vue, les protéines sont vues positivement, en particulier dans l'alimentation du sportif, mais à condition de ne pas être associées aux autres macronutriments, lipides et glucides, qui sont pourtant présents dans les aliments naturels.

(2) L'environnement : un argument moral

La prise de conscience de l'impact des modes de production de l'alimentation sur l'environnement peut aussi constituer un critère des choix du consommateur.

La motivation environnementale et la motivation liée à la santé peuvent au demeurant se rejoindre, puisque choisir une alimentation moins impactante a pour conséquence de réduire les pollutions diffuses et donc d'améliorer les conditions de la santé environnementale globale.

L'enquête sur les comportements et attitudes alimentaires en France (CAF) menée tous les deux ans par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) atteste d'une aspiration des consommateurs à aller vers une alimentation durable. Une large majorité des personnes interrogées sont sensibles aux garanties écologiques et aux émissions de CO2 des produits alimentaires.

Néanmoins, une comparaison des résultats de l'étude de 2023 avec celle de 2021121(*) montre que les pratiques d'achats durables reculent. Par ailleurs, les travaux du Crédoc montrent aussi que l'aspiration à une consommation durable ne se traduit pas forcément dans les faits. Ils identifient en réalité trois catégories d'attitude à l'égard des préoccupations environnementales dans les achats alimentaires :

- les « engagés » sont ceux qui allient aspirations et actions en faveur de la réduction de l'impact environnemental de leur alimentation. Ils représentent 51 % des consommateurs, et ont un profil plutôt plus aisé que la moyenne ;

- les « empêchés » sont ceux qui manifestent une volonté de s'orienter vers une consommation durable, mais que divers obstacles financiers ou logistiques entravent dans la concrétisation de ces aspirations. Ils représentent 35 % des consommateurs ;

- les « éloignés » sont ceux qui restent indifférents aux questions environnementales, que ce soit par choix, par manque d'information ou par contraintes économiques, reléguant les considérations écologiques au second plan. Les hommes, les 45-54 ans, les ouvriers et les ménages les plus modestes sont surreprésentés dans ce groupe. Ils représentent 14 % des consommateurs.

Les travaux du Crédoc mettent aussi en évidence un décalage entre les discours sur l'environnement et les pratiques individuelles de celles et ceux qui les formulent, en rappelant que, selon le baromètre Sobriétés et Modes de vie de l'Ademe, si 83 % des Français estiment que l'on consomme trop, seulement 28 % estiment trop consommer eux-mêmes.

Le souci de l'environnement ne constitue donc pas forcément un facteur majeur de transformation des habitudes alimentaires, alors que les différentes catégories de protéines ont des impacts environnementaux significativement différents.

b) Des facteurs plus triviaux interviennent dans les choix alimentaires
(1) Le prix, un facteur important du choix des ménages, mais qui joue peu dans les choix d'apports protéiques

Le prix reste l'un des premiers critères de choix pour les achats alimentaires. Les promotions et les prix bas constituent d'ailleurs un levier puissant de communication des distributeurs pour attirer et fidéliser la clientèle.

Les choix d'apports en protéines s'inscrivent donc dans une équation économique. De ce point de vue, les protéines animales sont mal positionnées parce que considérées comme chères. Le rapport de la FAO et de l'OCDE sur les perspectives 2023-2032 n'élude pas le sujet. Il constate ainsi que « les dépenses en viande représentent une part importante du panier alimentaire des pays à revenu intermédiaire et élevé. Compte tenu des fortes pressions inflationnistes et de la baisse du pouvoir d'achat, les consommateurs devraient s'orienter de plus en plus vers des viandes et des morceaux de viande moins chers, et potentiellement réduire leur consommation globale et leur consommation hors foyer ». Il ajoute que « la demande de volaille en Afrique subsaharienne sera principalement tirée par son prix plus abordable que celui du boeuf ».

Publiée début 2025, une étude de FranceAgrimer122(*) s'est intéressée à l'impact du prix sur les choix de consommations de protéines. Elle montre que le prix est le « principal frein apparent aux achats de viande et de poisson », laissant envisager « un positionnement intéressant pour les alternatives protéinées végétales ».

L'étude souligne que les viandes et poissons proposent une large gamme de produits, du moins cher (oeufs, cuisses de poulet, moules) au plus cher (saumon fumé, filet de boeuf, noix de Saint-Jacques) allant de 4 €/kg (oeufs, moules) à 30 à 36 €/kg (saumon filet de boeuf). À l'inverse, les protéines végétales proposent des produits sur une gamme de prix plus basse et resserrée, allant de 2,1 €/kg (légumineuses) à 14,1 € le kg (substituts végétaux à la viande). Cette hétérogénéité des prix rend les comparaisons par catégories de sources de protéines difficile.

Néanmoins, l'étude propose, compte tenu de la composition protéique des différentes catégories (31 g pour 100 g pour l'escalope de veau cuite, 17 g pour 100 g pour une galette de soja, 8,4 g pour 100 g pour une légumineuse cuite) de calculer le prix de la protéine, pour chaque aliment. Le résultat montre des écarts de prix importants ramenés à la protéine achetée. Sans surprise, les légumineuses présentent un prix faible, mais la côte de porc ou les moules se situent au même niveau. En réalité, les écarts de prix à la protéine se situent davantage à l'intérieur d'une même famille (viande, produits aquatiques et même produits végétaux) qu'entre les familles.

L'étude souligne par ailleurs que « les alternatives végétales ont un potentiel concurrentiel important en matière de prix moyen à portion équivalente par rapport aux produits d'origine animale ». Or, elles sont encore peu achetées. D'autres facteurs que le prix rentrent donc probablement en ligne de compte dans l'arbitrage des consommateurs. L'étude en cite plusieurs : « le temps de préparation, le manque de savoir-faire, la fonction d'ingrédients accompagnant les plats carnés ».

Ce constat rejoint celui du baromètre consommateurs 2024 établi par Protéines France et Terres Univia123(*), qui analyse les connaissances, les perceptions et les pratiques des Français vis-à-vis des protéines végétales et des nouvelles protéines : les légumineuses sont identifiées comme l'une des sources les plus riches en protéines par seulement 35 % des consommateurs. 61 % des Français affirment connaître peu les produits à base de protéines végétales. Et seulement 25 % en consomment chaque semaine, malgré de réels avantages en matière de prix.

Prix des protéines

Source : FranceAgrimer

(2) Goûts, habitudes alimentaires et disponibilité de l'offre alimentaire

Les choix des consommateurs de s'orienter vers telle ou telle source de protéines résultent aussi des conditions dans lesquelles ils sont mis en relation avec les produits, de leur disponibilité ou encore de leur facilité d'utilisation.

Professeur des Universités à l'IAE d'Angers et titulaire de la chaire AAPRO (Avantages et acceptabilité des protéines alternatives), Gaëlle Pantin-Sohier souligne « qu'en France, pays d'une grande richesse gastronomique, le goût reste au coeur des préoccupations ». Les protéines doivent donc se trouver dans des produits qui répondent à des attentes gustatives. L'ingénieur agronome et sociologue Éric Birlouez confirme l'importance de la qualité gustative dans les critères d'appréciation de la qualité des aliments124(*). Mais il souligne que « les préférences et les répulsions (ou simplement les non attirances) alimentaires ont d'abord une origine culturelle. Elles présentent aussi de grandes variations selon les personnes, et sont susceptibles de se modifier avec l'âge. Au sein d'une même culture ou d'un même pays, elles peuvent aussi connaître [...] des évolutions au cours du temps. La perception de la qualité gustative d'un aliment n'est donc ni universelle ni figée ».

Or, les préparations alimentaires à base de protéines alternatives aux protéines animales sont souvent considérées comme un peu trop fades, peu appétissantes, alors que les protéines animales et en particulier la viande, surtout quand elle est grillée, apportent des saveurs prisées des consommateurs.

Un premier axe pour favoriser la consommation de protéines alternatives, et notamment de légumineuses, consisterait à élaborer des plats avec des qualités organoleptiques enrichies. Utiliser des épices ou des herbes peut y aider. Les légumineuses peuvent au demeurant être consommées sous diverses formes (grains entiers, purées, soupes, salades, farines pour la pâtisserie). Il faut montrer cette diversité pour éviter la monotonie et toucher un public large

Un autre obstacle à la consommation de protéines alternatives végétales relève des facilités de préparation. Les légumineuses sèches doivent en effet être trempées avant préparation et sont longues à cuire. Proposer des légumineuses déjà trempées, précuites (en conserve, surgelées), des farines de légumineuses, ou des produits transformés à base de légumineuses (pâtes, galettes végétales, houmous...) permet de contourner cette difficulté.

La disponibilité en rayon des produits est aussi un facteur majeur de transformation des habitudes alimentaires. Une offre plus variée et plus complète permettrait de développer la consommation de protéines alternatives. D'importants efforts de marketing et de communication pourraient être nécessaires afin d'attirer de nouveaux consommateurs.

Le poids des habitudes est susceptible de freiner l'adoption de nouveaux aliments. Les protéines alternatives se heurtent à la pesanteur des usages installés dans les familles. La valeur élevée accordée également aux plats traditionnels ou typiques pourrait aussi retarder l'innovation culinaire.

En tout état de cause, le déplacement des sources de protéines vers davantage de protéines végétales est un mouvement qui devrait prendre du temps, la transformation des habitudes alimentaires se faisant plutôt par remplacement d'une génération par une autre, plutôt qu'au sein d'une même génération de consommateurs.


* 114  https://observatoirecetelem.com/barometre-observatoire-cetelem-2024/pour-resister-les-menages-arbitrent-et-renoncent-notamment-sur-lalimentaire

* 115  https://www.insee.fr/fr/statistiques/7728903

* 116 tec : tonnes équivalent carcasse, unité de mesure commune aux viandes.

* 117  https://www.anses.fr/fr/content/inca-3-evolution-des-habitudes-et-modes-de-consommation-de-nouveaux-enjeux-en-mati%C3%A8re-de

* 118  https://www.franceagrimer.fr/Actualite/Etablissement/2021/VEGETARIENS-ET-FLEXITARIENS-EN-FRANCE-EN-2020

* 119 La cohorte Nutrinet Santé est suivie par une l'Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN) rattachée à l'Inserm, l'Inrae, le Cnam et l'Université Sorbonne Paris Nord.

* 120  https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2024/03/Barometre-consommateur-2024-rapport-complet_Agence-Bio_LObSoCo.pdf

* 121  https://www.credoc.fr/publications/achats-alimentaires-les-preoccupations-environnementales-sont-en-recul

* 122  https://www.franceagrimer.fr/content/download/76545/document/SYN-MUL-2025-Prix_Viande_Poisson_Vegetal-2021-2023.pdf

* 123  http://www.proteinesfrance.fr/sites/default/files/2025-01/cp_barometre_consommateur_2024_vf-1.pdf

* 124  https://productions-animales.org/article/view/2419

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