B. UNE ACTION PUBLIQUE QUI DOIT PORTER À LA FOIS SUR LA PRODUCTION ET LA CONSOMMATION DE PROTÉINES ALTERNATIVES
1. Développer la production de protéines alternatives
a) Un objectif d'autosuffisance en protéines végétales pour le bétail
(1) L'élevage français et européen, dépendant de protéines importées
Les productions animales, qu'elles soient issues de ruminants ou de monogastriques, nécessitent de mobiliser des quantités importantes de nourriture. Une partie de celle-ci est fournie sur l'exploitation mais une autre est achetée à l'extérieur. Or, une part significative de ces achats sont effectués hors des frontières de l'Union européenne.
L'UE est en effet dans l'incapacité d'assurer une autosuffisance alimentaire totale de ses élevages. Celle-ci se définit comme le rapport entre les quantités d'aliments nécessaires aux animaux de ferme et les quantités d'aliments destinés à ces animaux produites sur le territoire de l'Union, en neutralisant les imports et exports de matières végétales destinées aux animaux.
La dépendance vis-à-vis de fournisseurs extérieurs est ancienne, liée à l'évolution de la politique agricole commune (PAC). Les États-Unis et l'Europe se sont en effet accordés dès les années 1960 pour faire entrer en Europe des tourteaux oléagineux (notamment le soja) sans droits de douane. Ces tourteaux ont apporté des protéines végétales très compétitives par rapport aux productions européennes. L'embargo américain sur le soja en 1973 a mis en lumière la vulnérabilité de l'Europe, mais n'a pas fondamentalement remis en question cette dépendance, qui s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui, mais avec un panel de fournisseurs plus diversifié, ouvert notamment à des pays d'Amérique du Sud.
La préoccupation de souveraineté alimentaire et l'impératif de maîtrise des chaînes d'approvisionnement impose cependant de revoir cette stratégie et d'aller vers davantage d'autonomie protéique à l'échelle de l'Union européenne.
La réduction de la taille des cheptels pourrait jouer en faveur d'une réduction de la dépendance aux matières premières importées, mais rien n'est moins sûr, si la production d'aliments pour le bétail est plus compétitive hors d'Europe.
En réalité, la conquête d'une plus grande autonomie protéique devrait passer par le développement de productions végétales adaptées sur les plans quantitatifs et qualitatifs au sein de l'Union européenne.
Une étude publiée par l'Académie d'agriculture et l'Institut de l'élevage en 2022125(*) précise qu'en tenant compte des fourrages, le taux d'autonomie protéique dans l'UE atteint 77 %. Mais en ne retenant que les matières riches en protéines (MRP), qui viennent en complément des fourrages (tourteaux, protéagineux, coproduits céréaliers, luzerne déshydratée) ce taux d'autonomie ou d'autosuffisance n'atteint que 45 % pour l'UE et 43 % pour la France.
Cette étude indique qu'en 2018-2019, 16,4 millions de tonnes de tourteaux étaient importées, essentiellement des tourteaux de soja, l'Europe ne comptant pour son approvisionnement local que sur 3,6 millions de tonnes de tourteaux de colza, 1,5 million de tonnes de tourteaux de tournesol et une part négligeable de tourteaux de soja.
Une autre étude sur les stratégies d'alimentation visant à diversifier les sources de protéines utilisées dans différents systèmes de production animale dans l'UE, menée pour le compte de la Commission européenne et rendue publique en décembre 2023126(*) fait les mêmes constats.
Elle précise que si « le marché de l'alimentation animale de l'UE est autosuffisant en fourrage grossier » et si « 90 % des aliments pour animaux à base de céréales sont produits dans l'UE », en revanche, seulement « 37 % des coproduits (par exemple, les farines de protéines) sont produits dans l'UE. Le taux d'autosuffisance est de 23 % pour les tourteaux d'oléagineux et de 3 % pour les tourteaux de soja. » L'étude chiffrait à 14,46 millions de tonnes de protéines brutes (sur un volume de besoin total en protéines brutes de 72 millions de tonnes au total dans l'UE) les importations de graines de soja, de colza, de tournesol et de leurs tourteaux lors de la campagne 2021-2022, représentant un total de 18 millions d'hectares importés compte tenu du rendement moyen de chaque culture.
En France, les élevages de ruminants ne sont autonomes en protéines qu'à la hauteur de 75 %. Le rapport d'information de la délégation à la prospective du Sénat sur l'alimentation durable publié en 2020127(*) pointait d'ailleurs les vulnérabilités de la France vis-à-vis de l'approvisionnement en protéines et demandait le renforcement de la souveraineté protéique.
Autosuffisance en aliments pour animaux de l'UE
Source : Parlement européen d'après les statistiques de la Commission européenne128(*)
(2) Les leviers pour une plus grande autosuffisance protéique en France et en Europe pour l'alimentation animale
L'étude précitée de la Commission européenne suggère de mettre en oeuvre une combinaison de mesures adaptées aux différentes régions de l'UE et aux différents types d'exploitations pour améliorer l'autonomie protéique de l'élevage en Europe.
Un premier levier consiste à intégrer des légumineuses fourragères dans les prairies (par exemple la luzerne). Mais ce type d'action n'est pas toujours possible dans les systèmes intensifs laitiers ou lorsque l'on manque de terres disponibles.
Un second levier consiste à développer en Europe une production de protéagineux et oléagineux ainsi que de soja. Celle-ci est cependant freinée par des rendements variables d'une année sur l'autre et, selon l'étude de la Commission européenne, une « faible compétitivité en termes de profil nutritionnel par rapport aux fèves de soja/farine de soja importées ».
Il est donc indispensable de rendre les cultures de diversification (colza, tournesol, soja et autres protéagineux) économiquement intéressantes par rapport aux céréales (blé, maïs) cultivées sur les terres arables.
Votée en octobre 2023, une résolution du Parlement européen129(*) invitait la Commission européenne à présenter une stratégie globale et ambitieuse de l'UE en matière de protéines, afin d'atteindre une meilleure autonomie protéique des élevages.
Une des voies possibles serait d'étendre l'aide couplée aux revenus des agriculteurs pour culture d'oléagineux (soja, colza, tournesol) qui concerne 1 million d'hectares aujourd'hui, jusqu'à 7,8 millions d'hectares (plafond prévu par les accords de Blair House). Cela correspondrait à environ la moitié des surfaces mobilisées actuellement par les importations actuelles de l'UE en aliments riches en protéines pour animaux.
À l'échelle nationale, la recherche d'une plus grande autonomie protéique de la France n'est pas une politique nouvelle. En 2014, Stéphane Le Foll lançait déjà un plan « protéines végétales ». En 2020, Julien Denormandie lançait une « stratégie nationale sur les protéines végétales » dotée de 100 millions d'euros de crédits.
Cette stratégie vise à doubler en 10 ans la surface agricole semée avec des espèces riches en protéines végétales, passant d'1 million d'hectares en 2020 à 2 millions d'hectares, soit 8 % de la SAU, en 2030.
Dans le cadre de cette stratégie nationale, un programme de recherche opérationnelle dénommé « Cap Protéines » a été lancé sous le pilotage de deux instituts techniques agricoles, afin de multiplier les initiatives et expérimentations et mobiliser le levier technologique.
Les résultats tardent cependant à arriver. Les surfaces semées en France pour produire des matières riches en protéines ne progressent pas voire régressent. Notre pays demeure donc dépendant d'importations massives pour nourrir le bétail.
Le projet « Cap protéines »
Lancé en 2021 et piloté par l'Institut de l'élevage et Terres Inovia, financé à hauteur de plus de 50 millions d'euros par le plan protéines (crédits du plan de relance) et l'interprofession des huiles et protéines végétales Terres Univia, le projet Cap protéines comporte cinq objectifs :
- évaluer et diffuser de nouvelles variétés de légumineuses et d'oléagineux à haute teneur en protéines ;
- accroître la compétitivité et la durabilité des productions oléoprotéagineuses ;
- répondre à la transition alimentaire par des produits locaux, durables et diversifiés ;
- développer l'autonomie protéique des élevages de ruminants ;
- partager les informations du producteur au consommateur.
Associant 330 fermes pilotes et 18 sites d'expérimentation, le projet a permis de réaliser un peu plus de 800 essais par an.
Sa réussite nécessite l'implication de l'ensemble des acteurs de la filière de la nutrition animale.
b) Développer des filières de production de protéines végétales pour l'alimentation humaine
Un autre axe pour développer la production de protéines alternatives concerne l'alimentation humaine. Il convient à la fois de produire plus de protéines destinées à entrer dans le circuit de la consommation courante, et de répondre aux attentes du consommateur sur le plan qualitatif.
Les légumineuses à graines (soja, féverole, lentille, fève, haricot, pois, pois-chiche, lupin) constituent un levier essentiel pour végétaliser l'alimentation. L'observatoire du marché des protéines végétales à destination de l'alimentation humaine OléoProtéines130(*) constate que la production mondiale de légumineuses n'a cessé de progresser depuis les années 1960, passant de 50 à presque 400 millions de tonnes, surtout sous l'effet de l'augmentation de la production de soja, le reste des légumineuses ayant à peine doublé. Sur ce total, l'Europe ne représente que 6 millions de tonnes et la France 1,1 million de tonnes sur 400 000 hectares, un chiffre resté stable ces cinq dernières années.
La progression de la production correspond essentiellement à des besoins en alimentation animale. Les cultures de légumes secs, destinés à l'alimentation humaine demeurent en effet modestes, comme le constatait une enquête du journal Les Échos publiée en 2020131(*), à l'occasion de l'annonce de la nouvelle stratégie nationale des protéines végétales. En France, seulement un quart de la production de légumineuses est destinée à l'alimentation humaine.
Le développement de la production est donc une condition de diversification des apports en protéines, sachant qu'un Français sur deux consomme aujourd'hui des légumineuses et qu'il existe un potentiel de croissance de la demande.
Qu'il s'agisse de viser l'alimentation humaine ou animale, la production de légumineuses se heurte toutefois à des contraintes économiques et techniques.
Ainsi, pour le soja, l'étude de la Commission européenne précitée souligne que l'on est limité « par des conditions pédoclimatiques moins favorables qu'en Amérique du Sud et du Nord, et par un effet d'échelle (taille des parcelles) peu compétitif ». Elle ajoute que « les principaux obstacles restent d'ordre génétique et économique. Pour la question génétique, il serait nécessaire d'investir massivement dans la recherche variétale (cultures orphelines), afin de développer des variétés adaptées au changement climatique et de conquérir de nouveaux territoires. Pour l'enjeu économique, une des solutions pour développer la culture se situerait dans la chaîne de valeur, en indexant son prix sur celui du maïs dans les contrats », ajoutant que « dans l'ouest de la France, par exemple, un rapport soja/maïs de 2,5 serait nécessaire pour offrir aux agriculteurs un prix rémunérateur et attractif et pour protéger les chaînes de valeur d'un abandon de la culture du soja ».
Pour le pois, la féverole et le lupin, utilisables tant en alimentation animale qu'humaine, la même étude constate que la production « peine à décoller malgré les plans protéines successifs. Ces produits ont une composition nutritionnelle intermédiaire en énergie par rapport aux céréales et en protéines par rapport aux tourteaux. Ils manquent donc de polyvalence, qualité essentielle pour les industriels qui ne disposent pas de capacités de stockage illimitées ».
La stratégie de développement de la production de légumineuses pour l'alimentation humaine est peu dissociable de celle pour l'alimentation animale : il convient de leur donner un cadre économique tenable.
Deux leviers complémentaires pourraient aussi être activés pour favoriser la production de légumineuses à destination de la consommation humaine.
Le premier levier est celui du développement des signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) : à ce jour, la lentille verte du Puy et le coco de Paimpol possèdent une appellation d'origine contrôlée (AOC), le haricot Tarbais, la lentille verte du Berry, le lingot du Nord et la mogette de Vendée possèdent une indication géographique protégée (IGP). Le développement de productions enracinées dans un territoire et répondant à un cahier des charges qualitatif pourraient être encouragées par la création de nouveaux labels. Les légumineuses ayant peu besoin de pesticides, le développement de la certification biologique pourrait aussi être envisagé. On peut ajouter que les restrictions de l'Union européenne en matière d'OGM pourraient encourager le développement de variétés conventionnelles de légumineuses capables de se distinguer en consommation humaine des légumineuses importées.
Le deuxième levier concerne la transformation des légumineuses : leur production doit être pensée jusqu'au produit final présenté au consommateur, comme ce qui existe pour les céréales. Ainsi, une filière de transformation doit être encouragée, par exemple pour produire des farines de légumineuses qui deviendront des ingrédients de préparations culinaires plus complexes.
2. Favoriser une diversification des consommations de protéines
a) Les outils de politique publique dans le domaine de l'alimentation
La transformation des pratiques alimentaires peut être orientée par la puissance publique à travers une série d'outils d'incitation ou de contrainte.
(1) L'incitation non monétaire : encourager les bonnes pratiques alimentaires
Le consommateur reste libre de ses choix, mais l'expérience montre qu'il est orienté dans ceux-ci par l'environnement informationnel.
L'éducation et la sensibilisation à une alimentation saine jouent un rôle majeur dans le rapport à l'alimentation. Instaurer les bonnes habitudes alimentaires constitue un enjeu dès le plus jeune âge. Le cadre législatif l'a pris en compte, et le code de l'éducation mentionne qu'une information et une éducation à l'alimentation et au gaspillage doivent être réalisés dans les établissement scolaires132(*).
La France s'est par ailleurs dotée en 2001 d'un référentiel nutritionnel, le Programme national nutrition santé (PNNS), qui en est désormais à sa quatrième édition. Le PNNS recommande de ne pas dépasser 500 grammes de viande rouge et 150 grammes de charcuterie par semaine, d'éviter les boissons trop sucrées et les aliments trop salés, de privilégier les huiles de colza ou d'olive, de manger au moins cinq fruits et légumes par jour, de privilégier les céréales complètes, de manger deux fois par semaine du poisson ou des fruits de mer ou encore de remplacer la viande par les légumineuses. Depuis sa troisième édition, le PNNS recommande aussi d'augmenter son activité physique et de réduire la sédentarité par la pratique de la marche et du vélo.
L'étiquetage et l'information nutritionnelle constituent aussi de puissants instruments de sensibilisation. Ainsi, le nutriscore est un dispositif d'information simplifié visant à permettre au consommateur de se retrouver dans la jungle des informations sur la composition des produits et des labels plus ou moins fiables. Instauré en 2017, le nutriscore note les produits alimentaires de A à E en fonction d'une grille de notation qui favorise les produits à forte teneur en fibre et en protéine, mais pénalise ceux à trop fort apport calorique, à trop forte teneur en sucre, en graisses saturées et en sel.
Le nutriscore est valable au-delà des frontières nationales, puisqu'il est commun à l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Espagne et la Suisse. Il reste cependant facultatif et son affichage sur les produits relève d'une décision volontaire des marques. Environ 60 % d'entre elles l'ont adopté. Il semblerait avoir un effet non négligeable sur les choix d'achats des consommateurs. Selon les études, il améliorerait la qualité nutritionnelle des achats de 4 à 9,4 %133(*). Il a aussi un effet indirect en encourageant les industriels de l'agroalimentaire à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits pour obtenir un meilleur score.
(2) L'incitation monétaire : subventionner les bonnes pratiques et sanctionner les mauvaises
L'orientation par le prix constitue un levier puissant pour modifier les arbitrages des consommateurs. Deux techniques sont possibles dans le domaine de l'alimentation : la subvention et la taxation.
Des aides financières peuvent améliorer l'accessibilité de certains produits. Des chèques alimentaires ciblés sur les fruits et légumes ou des produits frais pourraient ainsi être envisagés. Ce type d'instrument n'est pas mis en oeuvre en France et reste difficile à déployer, même si l'idée d'une sécurité sociale de l'alimentation a pu être mise en avant dans le débat public134(*).
La taxation constitue un levier qui en revanche a connu en France une mise en oeuvre, à travers l'instauration en 2012 de la taxe sur les boissons sucrées non alcoolisées (BSNA) dite « taxe sodas », qui portait en elle une logique de dénormalisation. Son but était d'orienter les préférences des consommateurs vers des choix de boissons moins sucrées, et conduire les industriels à revoir leurs recettes pour réduire les teneurs en sucre.
Plus complexe que le dispositif existant au Royaume-Uni, cette taxe semble n'avoir eu qu'un effet limité. Un rapport de l'OMS publié en 2015135(*) estimait qu'une hausse d'au moins 20% du prix des boissons sucrées était nécessaire pour observer une baisse proportionnelle de consommation. Par ailleurs, il est nécessaire qu'existent des alternatives plus saines et dans les mêmes gammes de prix pour orienter le consommateur dans ses choix.
(3) La contrainte : interdire et sanctionner
La politique publique de l'alimentation peut enfin s'appuyer sur des outils coercitifs, dont certains sont d'ores et déjà mis en oeuvre en France.
Plus radicale que la taxation, l'interdiction de certains produits alimentaires ou ingrédients se justifie par des considérations de sécurité sanitaire. Ainsi, il peut arriver que des additifs alimentaires soient retirés du marché, comme cela a été le cas pour le dioxyde de titane (E171). Suspendu en France depuis 2020, il a été interdit dans les denrées alimentaires par la Commission européenne en 2022, après une réévaluation de l'EFSA, mettant en évidence sa génotoxicité potentielle.
L'interdiction pourrait-elle aller jusqu'à concerner des aliments non pas pour leur toxicité intrinsèque mais dans un objectif de transformation des habitudes alimentaires ? En réalité, ces interdictions pourraient cibler certains publics, ou certaines techniques de commercialisation : ainsi on peut envisager l'interdiction de vente de boissons énergisantes pour les mineurs ou l'interdiction de vente de « sodas géants », de plus d'un demi-litre, dans les fast food, comme cela se fait à New York.
Plutôt que d'interdire la vente d'un produit alimentaire, une autre voie de contrainte consiste à réguler la publicité alimentaire. Les choix des consommateurs sont en effet très orientés par la publicité, comme l'ont documenté de nombreuses études. Les comportements des jeunes sont en particulier très influencés par la publicité.
Certains pays comme le Canada, ont décidé de réglementer et d'encadrer la publicité alimentaire. La France s'est jusque-là contentée d'intégrer des messages sanitaires dans les publicités alimentaires et d'édicter une interdiction de publicité dans les programmes pour enfants diffusés en journée sur les chaînes du service public. Au Royaume-Uni, l'interdiction des publicités en journée (avant 21 heures) pour la « malbouffe », c'est-à-dire les aliments trop gras, trop sucrés ou trop salés, doit entrer en vigueur le 1er octobre 2025.
b) Une stratégie de transition vers les protéines alternatives à construire
(1) Développer l'acceptabilité sociale des protéines alternatives
Le développement de la consommation de protéines alternatives ne sera possible que si elles gagnent la bataille de leur acceptabilité sociale.
Une revue systématique de la littérature scientifique menée par des chercheurs néerlandais et publiée en 2021136(*) visait à identifier les facteurs qui peuvent inciter les consommateurs dans le monde occidental à accepter les protéines alternatives : protéines végétales notamment légumineuses, algues, insectes, cultures cellulaires.
Globalement, les études scientifiques passées en revue montrent que l'acceptabilité sociale des protéines alternatives est bien plus faible que celle de la viande, malgré la prise de conscience des effets négatifs sur la santé des excès de consommation de viande et de l'impact de la production de viande sur l'environnement. Sans surprise, l'acceptation des insectes et de la « viande cultivée » sont les plus basses. À l'inverse, les protéines alternatives végétales sont mieux acceptées que les protéines alternatives relevant des biotechnologies comme la viande de culture, ou relevant de l'élevage d'insectes.
De très nombreux paramètres se combinent. Le goût et la santé constituent des facteurs importants. Mais la familiarité des aliments et à l'inverse, la néophobie alimentaire ont un rôle souvent décisif dans les choix des consommateurs.
La néophobie alimentaire, définie comme le refus de goûter de nouveaux aliments, intervient classiquement comme étape dans le développement de l'enfant à partir de deux ans, mais elle s'estompe ensuite sans toutefois disparaître. Elle explique en partie la stabilité des habitudes alimentaires individuelles.
Enfin, les normes sociales de consommation ne sont pas à négliger dans l'acceptabilité sociale du changement de régime alimentaire : le consommateur est sensible à l'effet de mode et peut être influencé par les leaders d'opinion, qui jouent un rôle de modèle qu'il convient d'imiter.
Une autre étude, plus récente137(*) a constaté que l'acceptabilité sociale des protéines alternatives est plus forte dans les pays du Nord de l'Europe que ceux du Sud de l'Europe, tout en restant globalement modérée.
Le rapport de 2019 du CGAAER précité consacré à la diversification de la ressource protéique en alimentation humaine et animale fait le constat que l'acceptabilité sociale des nouvelles sources de protéine est « non encore acquise en Europe ». Celle-ci pourrait cependant être favorisée par la critique des modes actuels d'alimentation : impact environnemental, excès de consommation néfaste à la santé à long terme, et bien-être animal. L'attention croissante à la condition animale constitue en effet un paramètre de choix de certains consommateurs de ne plus consommer de viande.
L'acceptabilité sociale des aliments alternatifs, notamment des aliments à base de protéines végétales, passe donc par une combinaison d'actions :
- les produits doivent faire l'objet d'une communication valorisante, doublée d'efforts d'image. De ce point de vue, les protéines végétales n'ont pas encore acquis une place équivalente à celle de la viande. Les substituts végétaux à la viande, notamment, peuvent être perçus comme moins naturels et davantage transformés, voire issus d'une ultra-transformation qui est globalement peu attractive pour les consommateurs ;
- il faut ensuite que les produits proposés comme alternatives aux protéines animales aient des qualités intrinsèques et offrent une expérience sensorielle satisfaisante (goût, texture, odeurs). Cela peut être le cas pour des laits végétaux, mais des efforts considérables sont encore à faire sur les substituts à la viande ;
- l'enjeu de praticité d'accès est également important : les produits doivent être disponibles dans les rayons, faciles à préparer (par exemple micro-ondables). Ce caractère pratique s'étend à la connaissance des produits et de leur utilisation : des recettes doivent être diffusées auprès des ménages, dont la culture culinaire reste dominée par des plats à base de viande ;
- enfin, il est nécessaire de créer une familiarité avec ces produits, de les banaliser comme un des éléments habituels du panier standard du consommateur. Phénomène bien connu en psychologie du consommateur et en marketing, l'habitude de consommer un aliment renforce fortement le désir de l'acheter. L'habitude crée une confiance dans le produit, limite les risques, crée un sentiment de confort et de sécurité.
L'acceptabilité sociale des protéines alternatives est donc une bataille qui s'inscrit dans le temps long, et qui mobilise une combinaison de paramètres.
Bien-être animal et choix des sources de protéines dans l'alimentation
Le souci du bien-être animal se fonde sur l'idée que les animaux de ferme ne sont pas des objets mais des êtres sensibles. L'objectif est de limiter autant que possible leurs souffrances.
La prise en considération du bien-être animal a conduit à adopter des normes visant à améliorer les conditions d'élevage, de transport ou encore d'abattage des animaux de ferme.
Or, l'élevage des animaux a pour finalité ultime d'en faire une consommation alimentaire directe sous forme de viande, ou indirecte sous forme de lait et d'oeufs.
Comme l'explique l'Association végétarienne de France (AVF)138(*), le refus de l'exploitation animale qui implique nécessairement de les faire souffrir, même dans de bonnes conditions d'élevage, est une motivation forte des individus choisissant de basculer dans un régime alimentaire végétarien voire végétalien.
Le courant végétarien se fonde largement sur l'idée qu'il n'est pas moralement acceptable de tuer des animaux pour les manger. Le courant végétalien va plus loin. Comme l'explique l'AVF, la production de lait et d'oeufs n'est pas anodine pour les animaux. Elle explique que « la production laitière génère une très grande souffrance animale. Les vaches sont inséminées annuellement afin de donner naissance à des petits, ce qui est une condition nécessaire à la production de lait. Les petits sont retirés à la naissance [...]. La séparation des petits génère une grande souffrance chez les vaches, qui ont un fort instinct maternel ».
La recherche de protéines alternatives répond donc à une motivation éthique. Dans l'étude de l'Ifop pour FranceAgrimer de 2020, le bien-être animal figure comme première cause d'adoption d'un régime sans viande par les végétariens.
(2) Un levier efficace : les menus végétariens en restauration collective
Des menus alternatifs sans viande, sans poissons, crustacés ou fruits de mer sont pratiqués dans les cantines scolaires de plusieurs collectivités depuis quelques années. La loi Égalim de 2018 a donné une base juridique à la mise en oeuvre d'une option végétarienne hebdomadaire en restauration scolaire pour les collectivités souhaitant l'expérimenter139(*). Puis la loi Climat et Résilience de 2021 a fait obligation aux cantines scolaires de proposer un menu végétarien au moins une fois par semaine. Cette obligation est même quotidienne pour la restauration universitaire, la restauration collective de l'État et des entreprises publiques.
La restauration scolaire, qui sert 1,1 milliard de repas par an et concerne les trois quarts des près de 13 millions d'élèves scolarisés qui y déjeunent au moins une fois par semaine, est reconnue comme un lieu essentiel d'éducation à l'alimentation.
La mise en place de menus végétariens avait fait l'objet d'une analyse scientifique confiée à l'Anses. Dans sa note d'appui de 2020140(*) puis son expertise collective de 2021141(*), l'Anses a conclu à la faisabilité des menus végétariens en cantines scolaires, soulignant au passage qui la qualité de l'apport nutritionnel dont bénéficient les enfants dépend aussi grandement des apports hors cantine. Les principales conclusions de l'Anses étaient positives.
Un menu végétarien hebdomadaire en restauration scolaire, dès lors qu'il est équilibré, peut contribuer à la couverture de l'ensemble des besoins nutritionnels des enfants. Il ne peut entraîner, à lui seul du fait de son introduction, de risque de dégradation de la qualité nutritionnelle de leur alimentation.
L'augmentation du nombre de menus sans viande ni poisson ne modifie pas le niveau des apports en nutriments. Il n'est donc pas pertinent de proposer une fréquence maximale de menus sans viande ni poisson.
Les repas végétariens peuvent contenir des oeufs, fromages et matières grasses ajoutées et proposer des céréales et des légumineuses qui sont vecteurs de fibres.
La qualité nutritionnelle des protéines repose sur leur composition en acides aminés et leur biodisponibilité. Afin d'assurer la complémentarité protéique, il est c recommandé de mélanger les sources de protéines végétales issues de céréales et de légumineuses afin de compenser les faibles teneurs en lysine des protéines céréalières.
Il n'y a pas de risque d'apports insatisfaisants en acides aminés essentiels si l'apport protéique est suffisant. Compte tenu de l'apport protéique actuel qui est très supérieur aux besoins des enfants, il est très peu probable que l'introduction de repas végétariens puisse conduire à une inadéquation d'apport en protéines et acides aminés indispensables.
La composante « produits laitiers » des menus proposés dans les cantines contient plus fréquemment du fromage. Cela permet des apports en calcium satisfaisants, mais reste nutritionnellement moins intéressant que les yaourts, car les fromages apportent en outre du sodium et des acides gras saturés. La fréquence maximale de composantes à base de fromage devrait être limitée.
Les plats protidiques sans viande ni poisson sont en majorité à base d'oeufs (d'après une étude de 2018). Il serait donc nécessaire de limiter les composantes à base d'oeufs afin de maintenir la diversité des plats proposés.
La mission d'évaluation de l'option végétarienne dans les collectivités territoriales menée par le CGAAER a conclu en 2023142(*) que « l'introduction d'un menu végétarien hebdomadaire obligatoire dans les cantines scolaires a été perçue dans un premier temps par une partie de la population comme une atteinte portée à la tradition gastronomique française. Aujourd'hui, elle semble avoir fait son chemin et le concept de menu végétarien est désormais assez bien accepté ». En revanche, « la mise en oeuvre d'une offre quotidienne d'un choix végétarien n'est pas sans poser problème et l'expérimentation a rencontré peu d'adhésion ».
La faisabilité de menus végétariens quotidiens a été confirmée par les responsables de restauration universitaire, en particulier le Crous de Paris, qui s'attache à proposer une offre alternative aux protéines animales qui soit qualitative, en formant ses chefs et en variant les menus. Le taux de prise de repas végétariens est globalement en hausse et peut atteindre 25 à 30 % selon les sites. En s'habituant à manger végétarien, les jeunes générations dessinent les contours d'une transformation assez forte des régimes alimentaires.
CONCLUSIONS DE LA PARTIE IV
La réduction de la consommation de viande rouge est une tendance déjà entamée en France, en partie au profit d'autres viandes mais aussi de sources de protéines alternatives à la viande.
Les pratiques végétariennes voire végétaliennes sont encore très minoritaires, faisant de la perspective d'un approvisionnement équilibré en protéines végétales et animales un horizon lointain.
Malgré des atouts en termes de bien-être animal et d'environnement, les protéines alternatives doivent encore relever le défi de l'acceptabilité sociale.
Des politiques publiques visant à informer, communiquer et familiariser le grand public à de nouvelles habitudes alimentaires, notamment dans le cadre de cantines scolaires, sont nécessaires pour faire évoluer les comportements.
* 125 https://idele.fr/detail-article/lelevage-peut-il-se-passer-du-soja-importe
* 126 https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/8a3512f8-198a-11ef-a251-01aa75ed71a1
* 127 https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-476-notice.html
* 128 https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2023/751426/EPRS_BRI(2023)751426_EN.pdf
* 129 https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/fr/procedure-file?reference=2023/2015(INI)
* 130 https://www.terresunivia.fr/fichiers/publications/oleoproteines-edition-2024-3.pdf
* 131 https://www.lesechos.fr/weekend/planete/notre-futur-passe-par-les-legumineuses-1915245
* 132 Article L. 312-17-3 du code de l'éducation.
* 133 https://www.inrae.fr/actualites/nutri-score
* 134 Cohen, Sarah, « Pour une sécurité sociale de l'alimentation », L'Économie politique 104, no 4 (27 novembre 2024): 77-87. https://shs.cairn.info/revue-l-economie-politique-2024-4-page-77
* 135 World Health Organization, Report « Fiscal Policies for Diet and Prevention of Noncommunicable Diseases ». Consulté le 24 mars 2025. https://www.who.int/docs/default-source/obesity/fiscal-policies-for-diet-and-the-prevention-of-noncommunicable-diseases-0.pdf?sfvrsn=84ee20c_2
* 136 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0195666320316809
* 137 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0950329324000764?via%3Dihub
* 138 https://www.vegetarisme.fr/comprendre/ethique/ethique-et-veganisme/
* 139 Article L. 230-5-6 du code rural et de la pêche maritime
* 140 https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2019SA0205.pdf
* 141 https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2020SA0101Ra.pdf
* 142 https://www.vie-publique.fr/rapport/297176-evaluation-de-lexperimentation-de-loption-vegetarienne-quotidienne