PREMIÈRE PARTIE
MALGRÉ DE NOMBREUX ATOUTS, L'EXPÉRIENCE INSATISFAISANTE DES COMP DEPUIS 2023

Les contrats d'objectif, de moyens et de performance (COMP) sont des contrats bilatéraux conclus pour trois ans entre l'État et les établissements d'enseignement supérieur.

Leur principe a été évoqué par le président de la République lors du colloque du 13 janvier 2022 de France Universités. Les COMP ont été présentés en mars 2023, pour être mis en oeuvre dans les mois suivants, selon un déploiement en trois vagues d'établissements.

I. UNE BONNE IDÉE LANCÉE EN HÂTE EN 2023 AVEC UNE FORTE IMPLICATION DU MINISTÈRE

A. LES PRINCIPES DES CONTRATS : UNE AMORCE DE TRANSFORMATION EN PROFONDEUR

1. Une idée à saluer : réintroduire une gestion à la performance dans l'enseignement supérieur
a) Un cadre de départ ambitieux

L'idée générale était celle d'une « nouvelle étape » dans les relations entre le ministère et ses opérateurs. Les COMP devaient être des contrats resserrés sur des priorités de politique publique : la circulaire de présentation de la première vague de contrats indiquait ainsi : « les objectifs du COMP ne couvrent pas l'intégralité des activités de l'établissement mais se concentrent sur la définition et le suivi d'objectifs stratégiques partagés entre le ministère et l'établissement ».

Les COMP contiennent un volet budgétaire, permettant à l'État de participer au financement de certaines des actions contractualisées, à hauteur d'environ 0,8 % de la subvention pour charges de service public (SCSP) des établissements. La nouveauté de ces contrats était de prévoir une conditionnalité des financements, l'absence d'atteinte des indicateurs cibles contractualisés pouvant théoriquement donner lieu à une reprise à l'issue du contrat.

Lors de la conférence de présentation de ces contrats, la ministre Sylvie Retailleau les définissait comme « la partie du contrat d'établissement sur laquelle s'applique le financement à la performance »12(*). Ils étaient donc pensés pour être complémentaires des contrats d'établissement conclus par les opérateurs tous les cinq ans, avec lesquels les COMP étaient appelés à converger.

b) Un accueil positif dans l'ensemble des établissements d'enseignement

Il ressort de l'ensemble des auditions menées par le rapporteur spécial un sentiment de relative satisfaction des établissements sur les COMP. Selon les personnes entendues : « les COMP ont permis de financer un projet crucial pour mon établissement »13(*) ; « le COMP a eu des aspects positifs et en particulier de susciter une réflexion et un dialogue stratégique. C'était une première étape vers quelque chose plus abouti »14(*). D'après la ministre Sylvie Retailleau, « les présidents d'établissement étaient satisfaits du niveau du dialogue ». De fait, si les établissements s'accordent sur les limites de l'exercice, l'impression générale est celle d'une adhésion prudente des établissements.

Selon une formule revenue à plusieurs reprises lors des auditions, la principale vertu des COMP réside dans une forme d'acculturation des établissements d'enseignement supérieur à la performance. Ce mouvement s'appuie également sur les financements des programmes d'investissement d'avenir et France 2030, qui ont déjà impliqué pour les établissements de fonctionner par une logique de projets. À ce titre, et indépendamment des résultats et de ce qu'il adviendra réellement du pilotage à la performance, le rapporteur spécial salue le progrès culturel que ces contrats représentent.

c) Une indéniable plus-value par rapport au dialogue stratégique et de gestion

Depuis 2019, les recteurs disposent d'une marge d'ajustement dans la répartition des financements accordés aux établissements d'enseignement supérieur, dans le cadre du dialogue stratégique et de gestion (DSG).

Si le DSG peut être vu comme une forme de préfiguration des COMP sur certains aspects (place des rectorats, réflexion sur la stratégie de l'établissement...), la comparaison entre les deux exercices atteint rapidement ses limites. Près de 70 % des moyens supplémentaires accordés aux établissements dans le cadre du DSG correspondaient aux dispositifs prévus par la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE)15(*), en particulier sur la création de places dans les formations.

En dehors des créations de places, les montants globaux attribués dans le cadre du DSG sont largement inférieurs aux montants des COMP. Le DSG 2021 a permis d'allouer 68,5 millions d'euros répartis sur 105 établissements et le DSG 2022 a permis d'allouer 103 millions d'euros pour 114 établissements. En 2023, le montant des COMP était comparable à celui du DSG pour 2022, mais pour seulement 17 établissements.

Au-delà des montants totaux, la Cour des comptes constate dans son audit flash sur les COMP16(*) que les financements des COMP sont parfois inférieurs à ceux qui étaient attribués dans le cadre du DSG. Cette situation s'avère cependant rare. Parmi les établissements ayant à la fois participé au DSG et conclu un COMP :

- pour la vague 1, seuls 4 établissements ont moins reçu la première année du COMP qu'ils n'avaient reçu l'année précédente par le biais du DSG ;

- pour la vague 2, seuls 4 établissements ont moins reçu la première année du COMP qu'ils n'avaient reçu l'année précédente par le biais du DSG.

La valeur ajoutée des COMP par rapport au DSG réside notamment, à montants annuels équivalents, dans la vision pluriannuelle sur les financements attribués. France universités salue ainsi la « visibilité budgétaire légèrement améliorée » offerte par la contractualisation.

Surtout, les COMP constituent davantage un outil de pilotage pour le ministère que le DSG, le cadre national étant davantage formalisé. Ils permettent en outre un échange direct avec le ministère, ce qui représente une différence notable avec le DSG (qui donnait lieu à des échanges au seul niveau des rectorats). Les COMP devaient en effet permettre de dialoguer à la fois avec les rectorats et le ministère.

2. Un objectif de revalorisation du rôle des rectorats qui n'a été que partiellement atteint

Lors de la présentation des COMP, le ministère a mis l'accent sur la place des rectorats, premiers interlocuteurs des établissements et interface entre ceux-ci et le ministère en administration centrale. Les COMP devaient ainsi constituer l'axe phare de déconcentration du ministère.

Dans les faits, le rôle des rectorats semble avoir été assez variable d'une académie à l'autre et d'une vague de contrats à l'autre. Leur rôle est cependant resté limité à l'accompagnement des établissements, les arbitrages demeurant exclusivement la compétence de l'administration centrale, bien que les recteurs délégués aient participé aux réunions pré-conclusives du COMP aux côtés de la DGESIP et des établissements. Il est vrai que la relative faiblesse des moyens des rectorats sur l'enseignement supérieur et le dimensionnement des équipes ne leur permettent guère pour l'instant que d'avoir un rôle autre que de « premier niveau ».

En contrepoint, le niveau de la discussion a également pu être limité par le dimensionnement des équipes des établissements. Le rectorat délégué Grand Est indique ainsi : « la demande d'accompagnement sollicitée par les établissements a pu être différente entre ceux disposant d'équipes étant en capacité de prendre en charge une telle mission et les autres, dans des délais qui sont restés contraints sur l'ensemble des vagues »17(*).

Dans la majeure partie des cas, les rectorats ont joué un rôle de conseil auprès des établissements, notamment sur la pertinence des indicateurs choisis. Leur rôle a donc été celui d'un médiateur, ou, pour reprendre l'expression utilisée par la direction générale de l'enseignement supérieur (DGESIP), de « partenaire d'entraînement » du ministère, dont la tâche était essentiellement de s'assurer de la qualité de la copie présentée au ministère et de garantir que les demandes formulées dans le COMP soient réalistes. Certains recteurs délégués ont indiqué ne pas être intervenus dans le choix des indicateurs. Le rectorat de la région Auvergne-Rhône-Alpes indique ainsi : « les interventions se sont faites à la marge, sous forme de conseils lors de la phase d'élaboration des COMP. Il s'agissait principalement de limiter le nombre d'indicateurs ».

Les décisions sont donc restées concentrées au niveau de la DGESIP, qui définit les cibles, les objectifs et les financements associés.

Le rôle des rectorats a en outre été plus ou moins prononcé selon les académies d'une part et la taille des établissements d'autre part.

Les rectorats dans lesquels sont concentrés les plus grands établissements ont ainsi pu avoir un rôle plus limité, la « puissance de frappe » des recteurs délégués n'étant pas toujours à même de faire le poids face aux très grands établissements habitués à dialoguer directement avec le ministère. En outre, concernant l'Île-de-France, il est matériellement difficile de se positionner pour les équipes du rectorat face au très grand nombre d'établissements.

En revanche, les plus petits établissements ont indiqué au rapporteur spécial n'avoir eu que des interactions très limitées avec le ministère en direct, le rôle d'interface des rectorats étant plus important.

L'impression générale qui demeure est celle d'une articulation qui n'est pas toujours lisible, y compris pour les établissements et pour les rectorats. Les cas de rectorats « court-circuités » par l'administration centrale sont revenus à plusieurs reprises au cours des auditions. La DGESIP traite ainsi en direct avec les établissements sur divers domaines, par exemple sur les enjeux liés à la dévolution, alors même que d'autres établissements relèvent la valeur ajoutée des rectorats sur les sujets immobiliers. Certains rectorats ont indiqué ne pas avoir connaissance de la manière dont l'administration centrale élaborait ses arbitrages budgétaires.

3. L'enjeu de l'échelle de la contractualisation

La question de l'échelle des COMP est fréquemment revenue au cours des auditions. Les COMP ont été négociés et signés au niveau des établissements.

Le cas le plus problématique à cet égard est celui des établissements publics expérimentaux (EPE). Le ministère a fait le choix d'un COMP unique par EPE, afin de « mettre en lumière la cohérence d'ensemble entre les différents établissements-composantes et dégager la ligne politique générale »18(*). Si ce choix s'inscrit dans la logique des EPE, il est vrai que le COMP est conclu avec un EPE qui ne pilote pas budgétairement les universités composantes, ce qui n'est d'ailleurs pas sans soulever des interrogations dans la perspective d'une reprise des financements en cas de non-atteinte des objectifs.

Une part des financements du COMP est parfois fléchée vers une ou plusieurs composantes. En outre, les COMP ont été fréquemment déclinés à l'échelle des universités ou établissements composantes, ou, au sein d'une même université, entre les composantes, unités de recherche et directions, par le biais de « COMP internes ». Si cette organisation garantit une cohérence au sein des établissements, il faut néanmoins reconnaître qu'elle ne participe guère à la simplification du pilotage de l'enseignement supérieur.

L'idée d'un « COMP de site » apparaît non dénuée d'intérêts dans certains cas sur le plan théorique. Celui-ci aurait pour avantage d'impliquer directement les organismes nationaux de recherche dans la stratégie de site sur une base pluriannuelle. Son existence se heurterait pour autant à des difficultés majeures : d'une part, de nombreux établissements sont dotés de campus sur différents sites, d'autre part, le COMP est nécessairement conclu avec un établissement disposant de la personnalité morale, ce qui n'est pas le cas de toutes les composantes. Enfin, cette idée semble peu réalisable à court terme, les grands opérateurs nationaux de recherche n'ayant pas nécessairement une vision « site » au travers de leur propre processus de contractualisation avec l'État.

L'échelle de l'établissement n'est donc pas nécessairement la plus adaptée selon l'organisation propre à chacun d'entre eux. Néanmoins, la conclusion de COMP à une échelle « sur-mesure » ne paraît pas non plus optimale en termes de pilotage. Par conséquent, l'établissement reste le niveau le plus pertinent et surtout le plus efficace du point de vue de l'État.


* 12 Sylvie Retailleau, conférence de présentation des COMP, mars 2023.

* 13 Audition de France universités.

* 14 Réponse au questionnaire d'audition de Paris-Saclay.

* 15 Bilan du financement de la loi orientation et réussite des étudiants (ORE), rapport d'information de Vanina PAOLI-GAGIN, n° 790 (2022-2023), déposé le 28 juin 2023.

* 16 Les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) conclus entre l'État et les établissements d'enseignement supérieur, Cour des comptes, mars 2025.

* 17 Réponse au questionnaire du rectorat délégué pour la région académique Grand Est.

* 18 Guide méthodologique de la vague 2.

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