AVANT-PROPOS
La France connaît depuis 15 ans une baisse constante de sa natalité, dont on constate les effets sur le nombre d'élèves scolarisés. La génération 2022 qui entrera en maternelle à la rentrée 2025 compte 143 000 enfants de moins que celle de 2007. Après le 1er degré, la chute des effectifs touche maintenant le collège. Dans quatre ans le lycée sera à son tour concerné.
Dans ce contexte démographique, la révision de la carte scolaire se répète, année après année, et est devenue source de tensions entre l'ensemble des acteurs. Les élus locaux, les enseignants et les parents d'élèves y voient souvent un processus opaque, mené sans concertation et relevant d'une forme de navigation à vue. C'est ainsi que, chaque année en février-mars, les annonces de fermetures de classes suscitent incompréhension et contestation.
Face à ce constat, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport estime nécessaire, pour la meilleure réussite des élèves, que l'élaboration de la carte scolaire résulte d'une réflexion stratégique à moyen terme, ancrée dans la réalité de chaque territoire.
Elle a adopté 6 recommandations visant à définir de manière concertée une politique stratégique éducative territoriale et à en tirer les conséquences tant dans l'accompagnement des enseignants que sur un volet bâtimentaire.
I. « LE DRAME ANNUEL » DE L'ÉLABORATION DE LA CARTE SCOLAIRE
Depuis plusieurs années, les évolutions de la carte scolaire suscitent des tensions très fortes à l'échelle locale en raison des fermetures de classes qu'induit la baisse des effectifs. La récurrence des questions des parlementaires1(*) au Gouvernement tant sur le processus d'élaboration de la carte scolaire que sur les fermetures de classes elles-mêmes ou sur le respect de l'engagement du Président de la République de ne pas fermer d'école sans l'accord du maire témoigne de la sensibilité de cette thématique.
A. UN NOMBRE D'ÉLÈVES EN BAISSE TENDANCIELLE DEPUIS 15 ANS
Le nombre de naissances connait depuis 2010 une forte baisse. Alors qu'en 2006, on dénombrait 829 000 naissances, correspondant à la génération qui a quitté le lycée en juillet 2024, la génération 2022 qui entrera à la maternelle à la rentrée 2025 est beaucoup moins nombreuse puisque seulement 686 000 naissances ont été enregistrées cette année-là.
Cette baisse se répercute mécaniquement sur le nombre d'élèves scolarisés. Le tableau ci-dessous permet de visualiser le nombre d'enfants par génération à différents moments charnières du parcours scolaire.
Année de naissance |
Nb de naissances (milliers) |
Année des 3 ans |
Entrée en CP |
Entrée |
Entrée |
Sortie |
2006 |
829* |
2009 |
2012 |
2017 |
2021 |
2024 |
2010 |
832,1* |
2013 |
2016 |
2021 |
2025 |
2028 |
2014 |
817,4 |
2017 |
2020 |
2025 |
2029 |
2032 |
2018 |
757,3 |
2021 |
2024 |
2029 |
2033 |
2036 |
2023 |
678,3 |
2026 |
2029 |
2034 |
2038 |
2041 |
* hors Mayotte, Source : PLF 2025 avis budgétaire « mission enseignement scolaire ».
1. Une forte baisse du nombre d'enfants à l'école maternelle et élémentaire
Selon les chiffres transmis par la direction de l'évaluation de la performance et de la prospective (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, entre 2017 et 2024, le nombre d'élèves scolarisés au primaire a diminué de 483 400 élèves. Cette baisse est particulièrement marquée pour l'école maternelle et devrait encore s'accentuer dans les années à venir. En effet, le nombre d'enfants nés en 2023 et 2024 qui commenceront l'école à partir de la rentrée 2026 est passé sous le seuil des 700 000 naissances ; on en dénombrait environ 830 000 quinze ans plus tôt.
Entre 2024 et 2029, le nombre d'écoliers devrait ainsi baisser de plus de 560 000. En l'espace de 12 ans, soit moins d'une génération scolaire2(*), un million d'élèves en moins fréquenteront les bancs des écoles maternelle, élémentaire et primaire.
Évolution constatée et prévue
des effectifs d'élèves dans
le 1er degré
entre les rentrées scolaires
2017 et 2029 (Source DEPP)
Si tous les territoires sont concernés par la baisse démographique, à l'exception de Mayotte, le Nord et l'Est de la France sont plus particulièrement touchés.
Les dix départements connaissant la plus forte baisse démographique en pré-élémentaire (2017-2024) - Source : DEPP
2. Un choc démographique qui touche désormais le collège et à moyen terme le lycée
Certains départements connaissent déjà une baisse très forte de leurs effectifs de collège, notamment en Guadeloupe et à la Martinique, avec respectivement près des 4 900 et 3 200 collégiens en moins en l'espace de sept ans.
Les dix départements connaissant la plus forte baisse démographique au collège (2017-2024) - Source : DEPP
À l'échelle nationale, les effectifs du collège étaient jusqu'à présent stables, voire en très légère hausse (+ 0,7 %). La rentrée 2024 marque un tournant : pour la première fois, une baisse a été constatée.
À cet égard, les rapporteurs sont frappés par le manque d'anticipation face à cette réalité. Le discours politique se focalise uniquement ces dernières années sur les écoles, alors que les évolutions constatées dans le primaire se retrouvent mécaniquement au collège quelques années plus tard. Si certains départements, notamment ceux qui connaissent déjà une baisse marquée de leurs effectifs et disposent d'établissements avec de petits effectifs, commencent à engager des discussions portant sur les temps de transports ou encore l'organisation scolaire à l'échelle du bassin de vie, cette démarche reste aujourd'hui individuelle.
Selon les prévisions de la DEPP, les effectifs devraient baisser de 2,7 % entre 2024 et 2027. Cette baisse démographique aura des conséquences directes sur les établissements scolaires. Les rapporteurs rappellent que 110 classes de collège ont fermé entre 2017-2024 dans un contexte de stabilité nationale des effectifs.
Face à l'ampleur de la chute démographique à venir - 200 000 collégiens en moins dans les cinq prochaines années - et même si le Gouvernement venait à vouloir profiter de celle-ci pour améliorer le taux d'encadrement des élèves, des fermetures de classes sont à prévoir. Les rapporteurs rappellent que le maillage des collèges est particulièrement dense : entre 1964 et 1969, 1 150 établissements du second degré ont été construits - « 1 par jour » - du fait de l'explosion du nombre de jeunes à scolariser, la hausse de démographie se trouvant accentuée par le prolongement de l'instruction obligatoire de 14 ans à 16 ans. Entre 1958 et 1973, les effectifs des collégiens et des lycéens ont ainsi presque triplé.
Certains collèges seront fragilisés, notamment les plus petits. On dénombre actuellement 711 collèges de moins de 200 élèves, soit 10 % des collèges. 173 d'entre eux accueillent moins de 100 élèves. Ces collèges de petite taille sont d'ailleurs majoritaires dans trois départements : la Creuse (61 % des collèges), le Cantal (58 %) et la Nièvre (53 %).
Comme l'a indiqué l'un des directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) auditionnés par les rapporteurs : « dans le département, nous avons trois collèges dont on sait qu'ils ne tiendront pas à long terme du fait de la baisse démographique. »
Enfin, d'ici 4 ans, soit à partir de 2028, les lycées seront concernés. Il n'existe à ce stade pas de projections de la DEPP au-delà de 2027. Les projections régionales réalisées par l'INSEE permettent toutefois, de prendre conscience de cette situation. À titre d'exemple, la région Hauts-de-France devrait perdre entre 2028 et 2032 plus de 13 000 lycéens.
Cette baisse de la démographie au lycée est à mettre en regard de l'organisation actuelle de la formation au lycée général et technologique avec des options et spécialités. Comme le souligne le rapport d'inspection sur la réforme du lycée, une taille critique est nécessaire pour garantir la présence d'une diversité des spécialités et options : « la mission a pu identifier l'existence d'une taille critique d'établissement nécessaire pour permettre le plein déploiement de la réforme. Selon les avis de certains secrétaires généraux rencontrés, cette taille pourrait être proche d'une capacité de 950 à 1 000 élèves ou de neuf divisions par niveaux. Pour les lycées d'une taille inférieure, il est très difficile de parvenir avec la seule marge d'autonomie à remplir à la fois l'objectif d'accompagnement des élèves, de financement des dédoublements et de proposition d'une offre d'enseignements optionnels »3(*).
3. Des perspectives sombres laissant craindre a minima une situation difficile pour les prochaines années
Les projections démographiques de l'INSEE estiment une poursuite de la baisse du nombre d'enfants en âge d'aller à l'école primaire, au moins jusque 2032, voire 2040 selon les scénarios, suivi d'une légère remontée entre 2038-2050 : le nombre de femmes âgées de 26 à 36 ans serait sur ces années en légère augmentation.
Projection de la population âgée de
six à dix ans suivant des hypothèses
de
fécondité et de migration (2024-2070, base
100 en 2024)
Source : Rapport de la cour des comptes sur la revue
des dépenses en faveur
de la jeunesse, 2024 -Outil de simulation
« Pyramide des âges » de l'Insee.
Tous les territoires urbains comme ruraux seront touchés par la baisse du nombre d'élèves, même si localement des « îlots » pourraient connaître une stabilité voire une hausse des effectifs scolaires.
Afin de mesurer l'ampleur du phénomène qui va toucher l'éducation nationale, les rapporteurs se sont intéressés à plusieurs notes régionales réalisées par l'INSEE sur les effectifs des collégiens et des lycéens. Celles-ci mettent toutes en avant trois points :
- la chute sera brutale à partir de cette année pour le collège et 2028 pour le lycée. Elle sera particulièrement forte entre 2028 et 2040, avant de ralentir ;
- les effectifs pourraient légèrement remonter à l'horizon 2046 ;
- de fortes disparités à l'intérieur de chaque région sont à attendre, avec des territoires particulièrement concernés.
Exemples de prévisions régionales à l'horizon 2040 et 2050 - notes de l'INSEE
Dans l'Eure-et-Loir, alors que le nombre de collégiens a augmenté entre 2011 et 2021, celui-ci va commencer à baisser à partir de 2025 et de manière continue jusqu'à 2040 : entre 2023 et 2040 le nombre de jeunes en âge d'aller au collège dans ce département pourrait se réduire d'un quart. Cette baisse sera relativement uniforme sur l'ensemble de ce territoire - avec un écart allant de - 25,8 % à Dreux et - 22,6 % à Chartres4(*).
Dans la région Hauts-de-France, ce sont 27 % de collégiens en moins qui sont attendus en 2050, soit près de 3 000 élèves en moins chaque année, avec de très fortes variations selon les territoires : si la baisse ne sera « que » de 22 % dans la communauté d'agglomération d'Amiens ou de 10 % à Lille et dans son agglomération, elle pourrait atteindre 34 % sur le littoral ou le nord de l'Aisne et même 41 % dans la région de Calais, avec 140 collégiens de moins chaque année entre 2023-2050 : dit autrement, c'est l'équivalent de 5 classes de 28 élèves en moins chaque année sur une période de 27 ans à Calais et ses environs5(*).
Sur la même période, la région Hauts-de-France devrait perdre 54 900 lycéens, avec là encore des écarts très importants selon les territoires (- 11 % à Lille contre - 39 % à Calais)6(*).
Enfin, dans la région Centre-Val de Loire, le nombre d'enfants de moins de 6 ans devrait baisser de 10 000 entre 2020 et 2040. Sur la même période, le nombre d'élèves en élémentaire baisserait de 25 000, de 21 000 pour les collégiens, et de 21 000 pour les lycéens7(*).
4. Une évolution de la démographie des enseignants à prendre en compte
Les rapporteurs notent le nombre élevé de départs à la retraite dans les corps enseignants dans les années à venir. D'ici 2030, 31 % des postes pourraient être à pourvoir en raison des départs à la retraite, estimés à 330 000 environ.
Sans anticiper les décisions politiques à venir, cette donnée doit être intégrée à toute réflexion sur l'évolution du maillage territorial des établissements scolaires.
* 1 Sur les seuls six derniers mois, ce sont 22 questions écrites et orales qui ont été posées par des sénateurs de tous les groupes politiques sur le sujet de la carte scolaire.
* 2 Entre 2017 et 2029.
* 3 Évaluation de la mise en oeuvre des enseignements optionnels au sein du nouveau lycée général et technologique, IGÉSR n° 2021-106, juin 2021.
* 4 Insee Analyses Centre-Val de Loire, note n° 105 parue le 4 décembre 2023.
* 5 Insee Analyses Hauts-de-France, note n° 186, 28 janvier 2025.
* 6 Insee Analyses Hauts-de-France, note n° 187, 28 janvier 2025.
* 7 Insee flash Centre-Val de Loire, note n° 83, 12 septembre 2024.