B. UNE PERTE DE CONFIANCE ENTRE LES ACTEURS

1. L'élaboration de la carte scolaire : « un drame annuel qui n'a pas grand sens »

L'ensemble des acteurs rencontrés a mis en avant le moment de tension que constitue l'élaboration de la carte scolaire. Les mots choisis sont particulièrement forts, certains élus locaux allant même jusqu'à parler de « traumatisme de la carte scolaire ». Pour reprendre les propos de Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'éducation nationale, « la France, par son système d'ouverture et de fermeture de classes, s'est mise dans une sorte de drame annuel qui n'a pas grand sens ».

Le conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN), dont le rôle initial est d'être consulté et d'émettre des voeux sur toute question relative à l'organisation et au fonctionnement du service public d'enseignement dans le département (art. R. 235-10 du code de l'éducation) et d'être une instance de dialogue entre les différents acteurs - préfecture, rectorat, collectivités territoriales, personnels de l'éducation nationale et usagers -, est devenu pour la carte scolaire une chambre d'enregistrement des décisions prises par le rectorat. Bien souvent ces dernières années, dans un contexte de baisse démographique et de fermeture des classes, les réunions se caractérisent par des débats houleux lors desquels se succèdent des manifestations d'élus locaux, d'enseignants et de parents d'élèves.

Rôle et composition du conseil départemental de l'éducation nationale8(*)

Le conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN) a vocation à réunir l'ensemble des acteurs locaux de l'enseignement primaire et du collège. Outre le préfet et le rectorat, il comprend quatre maires, cinq conseillers départementaux et un conseiller régional, dix représentants des personnels de l'éducation nationale, dix représentants des usagers.

Le CDEN est l'instance à l'échelle des territoires d'échanges sur le service public de l'enseignement. Il est notamment consulté sur la répartition des charges de scolarisation en école primaire entre les communes à défaut d'accord entre elles (forfait scolaire), et sur les ouvertures et fermetures de classes dans le primaire.

Pour le collège, il est consulté sur la structure pédagogique des collèges du département ainsi que sur les modalités générales d'attribution des moyens en emplois et dotations financières pour le volet pédagogique, sur le programme prévisionnel des investissements dans ces établissements scolaires ainsi que sur les modalités d'attribution des subventions qui leur sont allouées.

Il est également consulté par la Région sur l'organisation et le fonctionnement des transports scolaires.

De nombreux élus locaux rencontrés par les rapporteurs ont mis en avant l'absence de co-élaboration de la carte scolaire et des décisions unilatérales prises par l'éducation nationale. Quand les élus sont associés, c'est davantage en raison de liens personnels qui ont pu être tissés localement avec l'inspecteur de l'éducation nationale (IEN) de circonscription ou le directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) que d'un processus défini. Outre l'inégalité qu'une telle situation peut créer entre les collectivités territoriales, celle-ci est particulièrement fragile et à rebâtir à chaque mutation ou changement d'équipe municipale. À cet égard, France Urbaine souligne la situation particulière de Nantes, où quatre DASEN se sont succédé en cinq ans.

Les élus locaux auditionnés constatent également une évolution des relations avec l'éducation nationale, à l'image des propos d'Éric Lejoindre, maire du 18e arrondissement de Paris : « le dialogue avec la DASEN et le recteur est courtois, mais descendant et strictement informatif » et de souligner le changement de nature des échanges : « avant on discutait de la réalité scolaire de chaque école. Désormais, le dialogue est plus direct et mathématique ».

Cette situation va au-delà de la perte de confiance : c'est une véritable défiance qui s'est installée entre les acteurs.

2. Une situation démographique qui accentue les tensions entre public et privé dans les territoires en déprise démographique

La déprise démographique est venue accentuer les tensions entre les écoles publiques et les écoles privées sous contrat. En effet, les établissements privés sont actuellement moins touchés que les écoles publiques par la baisse démographique : la diminution du nombre d'élèves scolarisés dans l'enseignement privé sous contrat constatée à la rentrée 2024 a été moins forte que celle prévue par la DEPP. Cela est notamment dû à des effectifs meilleurs que prévus en petite section de maternelle ainsi qu'en 6ème, traduisant un attrait qui reste marqué des familles pour ces établissements, dont beaucoup doivent recourir chaque année à des listes d'attente.

Comme le souligne Philippe Delorme, secrétaire général de l'enseignement catholique (SGEC), « cette situation peut créer des tensions, à la fois dans les grandes agglomérations comme Paris, mais aussi dans des territoires ruraux où il n'y a pas la place pour deux écoles ».

À cet égard, les rapporteurs ont recueilli des témoignages de maires qualifiant de glaciales les relations entre les établissements scolaires publics et privés situés sur leur commune en raison de la concurrence pour l'accueil des élèves.

Dans le même temps, le SGEC tient des propos sévères vis-à-vis du ministère de l'éducation nationale qui chercherait à limiter ses capacités de développement en lui imposant d'une part, de maintenir des moyens dans des écoles qu'il avait prévu de fermer pour des raisons de démographie scolaire et de contraintes financières et, d'autre part, en refusant l'ouverture de nouvelles classes ou le conventionnement de nouveaux établissements dans d'autres endroits.

Ces tensions entre école publique et école privée s'expriment également lorsqu'une commune est contrainte de verser le forfait scolaire pour la scolarisation d'un de ses enfants dans une école privée9(*) alors même que l'école publique de son territoire risque de perdre une classe à un ou deux effectifs près.


* 8 Articles R 235-1 et suivants du code de l'éducation.

* 9 Les articles L. 442-5 et L. 442-5-1 du code de l'éducation définissent les modalités de participation des communes à la scolarisation dans une école privée d'un enfant résidant sur leur territoire. Le montant du forfait doit être équivalent au coût des classes correspondantes de l'enseignement public, sans pouvoir le dépasser. Lorsque l'école privée est située dans une autre commune, la contribution est obligatoire lorsqu'elle aurait également été due si cet élève avait été scolarisé dans une des écoles publiques de la commune d'accueil (obligation professionnelle des parents lorsque la commune de résidence n'assure pas directement ou indirectement un service de restauration, présence de la fratrie dans un établissement scolaire de la même commune, raisons médicales, enseignement en langue régionale en cas d'absence d'école dispensant un enseignement de langue régionale sur le territoire de la commune de résidence).

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