II. UN FOISONNEMENT COMPLEXE ET PEU LISIBLE D'OUTILS RÉGLEMENTAIRES
Les outils réglementaires relatifs au bruit des transports ont pour objectif de limiter les risques sanitaires liés à une exposition acoustique trop forte.
Néanmoins, les référentiels applicables divergent des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Une pluralité d'indicateurs est utilisée pour qualifier une même nuisance dans les normes européennes et nationales. Cette situation est source de complexité pour les acteurs et les destinataires de la norme, parfois incapables de se repérer dans ce véritable « maquis » normatif que constitue la politique publique de lutte contre les nuisances sonores.
A. UNE SUPERPOSITION ILLISIBLE D'OUTILS DE CARTOGRAPHIE DU BRUIT ET DE PLANIFICATION DE LA LUTTE CONTRE LES NUISANCES
1. La cartographie du bruit : une utilisation de référentiels divers, source de complexité
Comme le met en avant la juriste Véronique Jaworski, la lutte contre le bruit est par essence complexe puisque le « travail normatif se heurte à l'extrême complexité des problèmes du bruit, qui occupent une position particulière, à la frontière des sciences humaines et des sciences physiques et mathématiques. En effet, les individus ne souffrent pas du bruit, mais des bruits. Aucun pays ni même aucune personne n'a la même perception du phénomène que son voisin »25(*).
Les auditions des rapporteurs ont unanimement souligné cette difficulté à établir une réglementation lisible. La direction générale de la prévention des risques (DGPR) indique ainsi que « la réglementation sur le bruit reste complexe, avec une approche par source de bruit et avec des indicateurs variés (niveau sur une durée, émergence, nombre d'événements) ». Ce constat est partagé par BruitParif qui estime que « la réglementation est complexe pour les riverains, d'autant que les notions d'acoustiques et d'indicateurs de bruit sont compliquées pour des non-spécialistes. Il n'est pas rare de voir des erreurs faites même par des bureaux d'étude lors de la réalisation d'études "bruit" ».
Deux dispositifs majeurs de cartographie du bruit en France coexistent : les cartes de bruit stratégiques (CBS) et le classement sonore des voies de transport terrestre.
Les cartes de bruit stratégiques (CBS) sont un outil de cartographie du bruit répondant à une obligation fixée par la directive européenne du 25 juin 200226(*). En application de l'article 7 de ce texte, il est obligatoire de réaliser une CBS pour toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants et pour tous les grands axes routiers dont le trafic dépasse six millions de passages de véhicule par an, tous les grands axes ferroviaires dont le trafic dépasse 60 000 passages de train par an et tous les grands aéroports situés sur leur territoire.
Le classement sonore des voies les plus bruyantes est un outil de cartographie des voies de transport terrestre. En application de l'article L. 571-10 du code de l'environnement, le préfet recense et classe les infrastructures de transports terrestres en fonction de leurs caractéristiques sonores et du trafic.
Les CBS et le classement sonore des voies ont des champs d'application qui se superposent partiellement : les grandes voies de transports terrestres sont répertoriées dans ces deux outils de cartographie du bruit.
Cette superposition est source d'illisibilité, car les indicateurs de bruit utilisés ne sont pas identiques.
La mesure du bruit dans les CBS s'effectue à l'aide de l'indicateur Lden tandis que le classement sonore des voies s'appuie sur la combinaison des indicateurs LAeq diurne et LAeq nocturne, en application de la circulaire du 25 juillet 1996 relative au classement sonore des infrastructures de transports terrestres, qui fixe la méthodologie applicable.
Le Lden (Level Day-Evening-Night) et le LAeq (niveau équivalent de pression acoustique pondéré à une période de temps T) sont en effet deux indicateurs utilisés pour mesurer les nuisances sonores.
Le LAeq représente le niveau sonore moyen sur une période donnée, en intégrant toutes les fluctuations sonores pendant cette période. Il a pour incidence de lisser les pics de bruit et donc la gêne occasionnée. La distinction d'un LAeq diurne et d'un LAeq nocturne permet de prendre en compte la gêne supérieure causée par le bruit la nuit.
Le Lden correspond au niveau sonore moyen pondéré sur une journée entière, en donnant un poids plus fort au bruit produit en soirée (18 h-22 h) (+5 dB(A)) et durant la nuit (22 h-6 h) (+10 dB(A)) pour tenir compte de la sensibilité accrue des individus aux nuisances sonores durant ces deux périodes.
Ainsi, utiliser une combinaison de LAeq diurne et nocturne ou le Lden répond à un objectif similaire : obtenir un niveau moyen de bruit en tenant compte des spécificités du bruit nocturne. Cependant, il n'est pas possible de comparer les données exprimées en LAeq et en Lden. L'absence de référentiels communs et partagés rend les comparaisons difficiles, voire impossibles, dans certains cas. Ainsi, pour une même infrastructure ferroviaire ou routière, coexistent plusieurs instruments de mesure du bruit, utilisant des référentiels distincts.
Un alignement des indicateurs permettrait non seulement une meilleure cohérence des outils, mais aussi une mutualisation des données : le préfet pourrait, par exemple, fonder le classement des voies bruyantes sur les cartes stratégiques de bruit, et inversement. La convergence des référentiels améliorerait tant la clarté du cadre juridique que la pertinence des réponses apportées aux enjeux de santé publique liés aux nuisances sonores.
2. Classement sonore des voies et PPBE : une cacophonie des outils de planification
Les outils de cartographie du bruit servent de base à des outils de planification visant à limiter l'exposition de la pollution aux nuisances sonores.
a) Le classement sonore des voies : fondement de la lutte contre le bruit des transports terrestres
La cartographie du bruit issue du classement sonore des voies, créée par la loi no 92-1444 du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit, dite « loi bruit », et codifiée aux articles L. 571-9 et L. 571-10 du code de l'environnement est le fondement de l'action publique de lutte contre le bruit des transports terrestres.
En application de l'article L. 571-9 du code de l'environnement, la construction et la modification des infrastructures terrestres bruyantes doivent prendre en compte le bruit. Si des riverains sont exposés à un bruit supérieur à un certain niveau mesuré en LAeq, le porteur de projet est tenu de prendre des mesures limitant le bruit émis par l'infrastructure ou limitant sa propagation (notamment en isolant phoniquement les logements à proximité)27(*).
L'article L. 571-10 du code de l'environnement dispose que sur la base du classement sonore des voies, le préfet de département détermine, après consultation des communes, les secteurs situés au voisinage de ces infrastructures qui sont affectés par le bruit, les niveaux de nuisances sonores à prendre en compte pour la construction de bâtiments et les prescriptions techniques de nature à les réduire. L'article R. 151-53 du code de l'urbanisme prévoit par conséquent que figurent en annexe du plan local d'urbanisme (PLU) le périmètre des secteurs situés au voisinage des infrastructures de transports terrestres, dans lesquels des prescriptions d'isolement acoustique ont été édictées en application de l'article L. 571-10 du code de l'environnement, les prescriptions d'isolement acoustique édictées et la référence des arrêtés préfectoraux correspondants et l'indication des lieux où ils peuvent être consultés.
L'article R. 154-7 du code de la construction et de l'habitation précise que l'isolement acoustique des logements contre les bruits des transports terrestres doit être au moins égal aux valeurs déterminées par cet arrêté préfectoral. L'article R. 462-4-3 du code de l'urbanisme indique que la déclaration d'achèvement des travaux est accompagnée d'un document attestant pour l'opération de construction considérée du respect par le maître d'ouvrage des règles relatives à l'acoustique.
b) Les plans de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE) : des dispositifs non-normatifs
La directive européenne du 25 juin 200228(*) prévoit que, sur la base des CBS, sont réalisés de plans d'action, devenus en droit français les « plans de prévention des bruits dans l'environnement » (PPBE) visant la réduction du bruit (article 8).
Les PPBE sont établis par le préfet, les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale compétente. Ils s'appliquent à l'ensemble des transports : routier, ferroviaire et aérien. Les mesures mentionnées dans les PPBE n'ont cependant pas de valeur normative et leur non-respect n'emporte donc aucune conséquence juridique. BruitParif regrette à cet égard que « les PPBE manquent d'une obligation de résultats et d'objectifs clairs à atteindre » et pointe l'insuffisance de l'évaluation des actions menées. Certaines associations de défense de l'environnement et de représentation des riverains ont exprimé leur déception sur la mise en oeuvre de ces dispositifs.
Ainsi, pour France Nature Environnement (FNE), « 25 ans après la directive de 2002, on commence seulement, lors de la quatrième échéance, à les considérer sérieusement. Les trois échéances précédentes n'ont quasiment pas produit de résultat concret en matière de baisse des nuisances. Pour les grands aéroports, sujet sur lequel les associations se sont le plus mobilisées, on constate plutôt à chaque échéance une augmentation du bruit ! ».
Plusieurs acteurs entendus ont souligné que la France ne respectait d'ailleurs qu'imparfaitement ses obligations en la matière, découlant de l'article 8 de la directive « bruit » du 25 juin 2002.
Par conséquent, elle a reçu une première mise en demeure le 31 mai 2013, suivie d'une mise en demeure complémentaire le 7 décembre 2017, avant un avis motivé de septembre 2023 de la Commission européenne pour ne pas avoir adopté de plans d'action contre le bruit.
Dans son avis motivé, la Commission européenne mettait en avant un retard dans l'adoption des plans d'action contre le bruit en France (les PPBE).
Comme l'a indiqué la DGPR aux rapporteurs, elle relevait ainsi que 19 plans d'actions faisaient toujours défaut pour les agglomérations et 65 plans d'action pour les grands axes routiers alors que ces plans auraient dû être adoptés avant le 18 juillet 2013. Toujours selon la DGPR, « dans la plupart des cas, les plans existaient, mais avaient été mal rapportés », de sorte que, « à date, sur les 84 plans initialement attendus par la Commission dans son avis motivé, 2 PPBE d'agglomérations et 12 PPBE de collectivités gestionnaires de grandes infrastructures routières restent encore à fournir ». Le 24 juillet 2024, la Commission a annoncé son intention de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'un recours en manquement contre la France pour défaut d'adoption de plans d'action contre le bruit conformément à la directive de 2002 sur le bruit.
Cette décision autorise les services à saisir la Cour, mais n'implique pas une saisine automatique de la CJUE. La Commission n'a toujours pas saisi la CJUE. Cette saisine pourrait devenir sans objet dans la mesure où la DGPR a indiqué aux rapporteurs que « sous réserve de la tenue des calendriers affichés par les collectivités concernées, les PPBE devraient pouvoir être fournis d'ici l'été 2025 ».
Cette application incomplète et tardive de l'obligation de réaliser des PPBE est le signe d'une appropriation limitée de cet outil par les acteurs publics, qui y voient un outil de reporting contraignant plutôt qu'un outil stratégique pour les politiques publiques de réduction du bruit. À cet égard, certains acteurs entendus par les rapporteurs, comme l'association CAN Environnement, ont souligné que la concertation était « difficile » et les demandes du public souvent insuffisamment prises en compte.
En dépit de leurs imperfections et du respect seulement partiel par la France de ces obligations, les PPBE restent un outil précieux.
Comme l'a mis en avant le Cerema, « les PPBE sont aujourd'hui les seuls documents réglementaires liés au bruit que les collectivités doivent porter sur leur territoire. Cela a permis une prise de conscience sur la problématique bruit et pousse les gestionnaires de voiries à proposer des actions pour limiter les nuisances. L'ajout de l'obligation d'évaluer les impacts sanitaires lors de la dernière échéance des CBS contribue à une meilleure prise de conscience des collectivités des réels impacts sur la santé (les enjeux sont souvent plus aisément compréhensibles quand ils sont exprimés sous la forme de réduction d'espérance de vie en bonne santé ou de populations exposées à des effets nuisibles (fortes gênes, fortes perturbations du sommeil, etc.), que sous la forme de populations exposées à des niveaux en dB (A)). Cela contribue de plus à la possibilité de monétariser les coûts économiques du bruit, et de communiquer alors en termes de pertes économiques ».
Pour les rapporteurs, il pourrait donc être pertinent de rationaliser la production de PPBE et d'éviter leur juxtaposition sur un même territoire en prévoyant des PPBE communs aux grandes infrastructures et aux grandes agglomérations quand c'est possible. Cette rationalisation pourrait favoriser l'implication des collectivités territoriales, la lisibilité de ces documents et la participation du public. Elle pourrait ainsi permettre d'en faire des outils stratégiques plus efficaces de réduction de la pollution sonore.
Proposition n° 2 : Rationaliser l'élaboration des PPBE pour éviter leur juxtaposition sur un même territoire et en faire un outil stratégique de réduction du bruit et non un simple outil de reporting européen.
L'application de la directive « bruit
» de 2002 par les États membres :
des situations
hétérogènes
En 2023, 25 États membres sont considérés par la Commission européenne comme ayant transposé convenablement la directive, ce qui représente 98 % de la population de l'Union européenne (UE)29(*). Toutefois, en raison de délais de transposition trop longs et de transpositions lacunaires, la Commission avait initié des procédures de recours en manquement à l'encontre de 15 États membres30(*) en vertu de l'article 258 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Grâce à l'effort de certains États membres, la directive a ensuite été transposée avec une meilleure conformité, ce qui a permis la clôture de sept procédures de recours en manquement31(*) et des améliorations dans les transpositions en droit interne des huit autres États membres.
L'exemple de la Grèce est à cet égard significatif. Elle fait l'objet de deux procédures d'infraction concomitantes liées à des manquements aux obligations résultant de la directive sur le bruit.
D'une part, la Commission européenne reproche à la Grèce d'avoir manqué aux obligations d'adoption et de révision de plusieurs cartes de bruit (article 7 de la directive) et plans d'action (article 8 de la directive) pour diverses agglomérations et routes. En outre, certains plans et cartes adoptés ne répondent pas aux exigences minimales fixées par la directive (annexes IV et V de la directive) et ont été adoptés sans consultation du public en bonne et due forme. La Commission européenne a donc envoyé à la Grèce une mise en demeure en 2017, puis une mise en demeure complémentaire en 2020. Depuis, les seules évolutions positives concernent l'aéroport international d'Athènes ; pour le reste, les griefs sont toujours d'actualité, d'où l'avis motivé du 19 avril 202332(*). La Grèce disposait alors d'un délai de deux mois pour y répondre et prendre les mesures nécessaires. À défaut, la Commission européenne pourrait décider de saisir la CJUE.
D'autre part, la Grèce fait l'objet d'une seconde procédure d'infraction pour non-communication à la Commission européenne de toutes les informations pertinentes sur les cartes de bruit stratégiques (article 10 al. 2 de la directive), notamment l'exposition au bruit de la population puisque la réglementation grecque retient des seuils de niveau sonore de 70 Lden (Level Day Evening Night)33(*) et 60 Lnight (Level night)34(*), ce qui ne correspond pas aux standards minimaux de la directive dont la méthodologie est définie à l'annexe I. En conséquence, la Commission européenne lui a transmis une lettre de mise en demeure en octobre 202435(*) : la Grèce disposait d'un délai de deux mois pour y répondre et remédier aux manquements que la Commission a relevés. En l'absence de réponse satisfaisante, la Commission pourrait décider d'émettre un avis motivé.
Source : Sénat, direction de la législation comparée, note sur les nuisances sonores causées par les transports
3. Les plans de gêne sonore (PGS) : un dispositif perfectible
Les plans de gêne sonore (PGS) ouvrent aux riverains se trouvant à l'intérieur de zones exposées au bruit des aéroports le droit de bénéficier d'une aide financière à l'isolation phonique de leur logement. Ce plan est réalisé par le préfet de département.
Ces instruments ont fait preuve de leur efficacité. Selon le DGAC, entre 2004 et 2023, 78 246 locaux de natures diverses (logements, établissements d'enseignement et locaux à caractère sanitaire et social) situés dans un des PGS des 11 plus grands aéroports français ont bénéficié d'une aide à l'insonorisation pour un montant de plus de 777 millions d'euros. Parmi ces locaux, 58 000 se situent en région parisienne.
Logements restant à insonoriser dans les PGS en vigueur
Aérodromes |
Nombre théorique de locaux restant à insonoriser |
Beauvais-Tillé |
73 |
Bordeaux-Mérignac |
1 234 |
Marseille-Provence |
791 |
Nantes-Atlantique |
2 591 |
Nice-Côte d'Azur |
1 719 |
Paris-Charles de Gaulle |
16 866 |
Paris-Le Bourget |
9 194 |
Paris-Orly |
8 773 |
Toulouse-Blagnac |
2 370 |
Total |
43 618 |
Source : DGAC
Il resterait encore environ 45 000 locaux potentiellement éligibles à l'insonorisation pour un montant d'aide approchant 675 M€, dont 27 500 logements en région parisienne. Cependant, paradoxalement, les recettes de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) versées par les compagnies aériennes pour financer l'insonorisation sont supérieures au coût actuel des travaux d'insonorisation à cause d'une demande durablement faible de prise en charge des travaux. Il en résulte un excédent de trésorerie de TNSA estimé à 110,5 millions d'euros.
Excédent de trésorerie de TNSA des aéroports
Montant de trésorerie déduction faite des engagements déjà réalisés au 1er janvier 2025 |
M€ |
Beauvais-Tillé |
0,8 |
Bordeaux-Mérignac |
1,5 |
Marseille-Provence |
5,5 |
Nice-Côte d'Azur |
4,3 |
Paris-Charles de Gaulle* |
65,8 |
Paris-Le Bourget* |
-13,0 |
Paris-Orly |
39,3 |
Toulouse-Blagnac |
6,3 |
Total |
110,5 |
*Trésorerie commune CDG/LBG
Source : DGAC
Cette situation s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, les montants maximums de prise en charge des travaux ont longtemps constitué un frein, car ils n'avaient pas été revus entre 2011 et 2023 en dépit de l'évolution du coût des travaux. Ils ont été augmentés de 25 % le 26 décembre 2023. Dans le rapport d'information sur la modernisation de Nantes Atlantique, le rapporteur Didier Mandelli avait recommandé une hausse de 33 %, plus proche de l'augmentation réelle des coûts. La DGAC a d'ailleurs confirmé aux rapporteurs que les effets de cette augmentation de 25 % « ne se font pas encore sentir, le flux des nouveaux dossiers de demande d'aide est pour le moment sensiblement égal ». Une nouvelle augmentation des plafonds des aides pour les rendre cohérents avec les coûts réels des travaux pourrait être bienvenue. Des augmentations plus ciblées des plafonds de prise en charge seraient par ailleurs souhaitables, notamment pour certains logements atypiques (avec des surfaces vitrées importantes) ou situés dans un périmètre protégé soumis à l'avis des architectes des bâtiments de France.
En outre, l'article R. 571-87 du code de l'environnement prévoit un plafonnement de la prise en charge des travaux à 80 % de leur coût, le reste étant financé par les propriétaires des logements eux-mêmes. En cas de très faibles revenus (12 455 €, pour la première part de quotient familial, majorée de 3 326 € pour chaque demi-part supplémentaire), l'aide est portée à 90 % du montant des travaux. Les travaux sont pris en charge à 100 % uniquement pour les propriétaires bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées ou de certaines aides sociales. Entre 2012 et 2014, avait été mis en place un taux de prise en charge des travaux de 100 %. Selon la DGAC, « le retour d'expérience de la mise en oeuvre d'une telle mesure a montré qu'en l'absence de ressources de financement calibrées au bon niveau, l'afflux de nouvelles demandes dans les services des exploitants pouvait engorger durablement le dispositif et créer une file d'attente de plusieurs années en contradiction totale avec l'objet même de cette politique publique ».
Pour les rapporteurs, la situation actuelle d'atonie des travaux d'insonorisation est en contradiction avec l'objet même de cette politique publique. La DGAC reconnaît d'ailleurs que « le niveau élevé de trésorerie actuellement disponible permettrait cependant, sans doute, d'absorber un regain d'activité ». C'est la raison pour laquelle la FNAM est favorable à un relèvement à 100 % du taux de prise en charge des travaux pour 2 ans. Les rapporteurs estiment qu'il serait cependant plus équitable de définir un nouveau taux de prise en charge pérenne plutôt que temporaire. Un relèvement à 95 % de la prise en charge de droit commun des travaux d'insonorisation serait donc opportun, car elle lèverait le principal frein à la demande d'insonorisation des logements.
Enfin, plusieurs acteurs entendus ont évoqué la possibilité de rouvrir le droit à insonorisation pour des logements insonorisés à une période où les techniques d'insonorisation étaient plus limitées et moins durables. La DGAC a fait part aux rapporteurs de ces réserves sur cette possibilité : « La DGAC et la DGPR s'accordent sur le fait que la seule dégradation, au cours du temps, des qualités d'isolation phonique des installations ne constitue pas un cas pouvant mettre en jeu le dispositif d'aide, et le maintien en l'état relève de l'unique responsabilité du propriétaire au titre de l'entretien de son bien. L'octroi d'aides à des logements ayant bénéficié (pour les mêmes pièces) d'une première aide à l'insonorisation pose en outre des questions d'égalité de traitement. » Pour les rapporteurs, cette analyse est en contradiction avec le principe de pollueur-payeur. En effet, s'il revient à un propriétaire d'entretenir son bien afin d'éviter une dégradation de la qualité de son insonorisation, la détérioration structurelle du dispositif d'insonorisation dans le temps ne s'explique pas par un défaut d'entretien. La pollution sonore aéroportuaire étant durable tandis que l'efficacité des dispositifs d'insonorisation décroît dans le temps, il pourrait être pertinent d'envisager la possibilité de prévoir de façon pérenne une réouverture du droit à insonorisation pour les mêmes logements. Le financement de l'atténuation de l'impact de la pollution doit en effet être strictement corrélé avec sa durée.
En outre, un élargissement de l'éligibilité aux aides à l'insonorisation pourrait être opportun. Ainsi que l'indique BruitParif, « il est fréquent que des secteurs autour des territoires soient concernés par des dépassements de la valeur limite réglementaire de 55 dB (A) selon l'indicateur Lden dans une configuration mais pas dans l'autre et qu'en moyenne sur l'année il n'y ait pas de dépassement et que par conséquent ils ne soient pas éligibles à l'aide à l'insonorisation ». Pour les rapporteurs, le périmètre des PGS pourrait être étendu aux locaux concernés par un dépassement des valeurs réglementaires sur une partie significative de l'année, par exemple plusieurs mois.
Le bruit aérien ayant un impact particulièrement délétère sur la santé des populations exposées la nuit, il pourrait être envisageable d'étudier la possibilité d'intégrer un seuil d'exposition nocturne dans les PGS, plus bas que le seuil actuel estimé en Lden de 55 dB (A).
Certaines situations particulières appellent également des évolutions paramétriques. BruitParif a ainsi mis en avant le cas de riverains exposés au bruit des aéroports de Paris-CDG et du Bourget, qui subissent un bruit cumulé des deux plateformes supérieures aux valeurs réglementaires, mais qui ne l'atteignent pas lorsque l'on comptabilise séparément les vols. Un PGS global de ces deux infrastructures, exploitées par le même gestionnaire aéroportuaire, permettrait de mettre un terme à une situation jugée injuste et incompréhensible par les riverains.
Les différentes zones des PGS sont définies en fonction du bruit mesuré à proximité des plateformes. Cette mission est assurée par les gestionnaires des aéroports. Or, selon BruitParif, « le fait que la surveillance du bruit aérien (réseau de mesure permanent du bruit) soit confiée aux gestionnaires d'aéroports n'est pas de nature à favoriser un dialogue serein entre l'ensemble des acteurs, malgré le cahier des charges à respecter établi par l'Acnusa ». Étudier la possibilité, pour les différentes plateformes, de confier cette tâche à des acteurs indépendants du monde aérien à l'instar des observatoires régionaux de bruit serait opportun. Une telle mesure permettrait de renforcer la qualité du dialogue entre les exploitants aéroportuaires et les riverains.
Proposition n° 3 : Améliorer les politiques d'aide à l'insonorisation en réduisant le reste à charge pour les riverains, en rouvrant ce droit pour les locaux dont le dispositif d'insonorisation s'est dégradé dans le temps et en élargissant le nombre de locaux éligibles.
4. Une prise en compte insuffisante du bruit dans les documents d'urbanisme
Actuellement, le droit de l'urbanisme prend peu en compte le bruit émis par les transports.
Les seules restrictions de l'urbanisme actuellement en vigueur concernent les aéroports via les plans d'exposition au bruit (PEB) réalisés autour des plateformes. Ces outils délimitent des zones à proximité des aéroports soumises à des règles d'urbanisme limitant la construction de logements et d'établissements sensibles (écoles, hôpitaux...).
En revanche, pour les infrastructures de transport terrestre, les règles d'urbanisme sont particulièrement limitées.
À proximité d'une infrastructure de transport terrestre, il est possible de construire n'importe quel type de bâtiment dès lors qu'il est correctement insonorisé. Comme le souligne SNCF Réseau, « le classement sonore n'est pas une règle d'urbanisme mais une règle de construction visant à faire en sorte que les nouvelles constructions situées en secteurs affectés par le bruit soient suffisamment insonorisées pour éviter l'apparition de nouveaux points noirs du bruit ». Ainsi, il n'existe aucune servitude d'urbanisme empêchant la construction de certains types de locaux, BruitParif regrette ainsi que « rien n'empêche de construire au droit de l'A6, du périphérique ou d'une voie ferrée ». Le CGEDD dresse un constat similaire : « Il n'existe paradoxalement aucune restriction de droit à l'occupation de l'espace riverain des voies bruyantes par des immeubles d'habitation ou d'accueil de publics sensibles tels que les enfants. Il est donc possible de construire au voisinage des voies ferrées et des routes à trafic intense, dès lors que les immeubles respectent les normes d'isolation acoustique aux bruits extérieurs. (...) Le silence du code de l'urbanisme sur le bruit des transports terrestres, comparé aux dispositions très complètes qu'il édicte au voisinage des aérodromes, surprend. Il paraît étrange qu'on puisse implanter une crèche ou une nouvelle école le long d'une voie rapide urbaine, sous la seule condition que le bruit à l'intérieur, fenêtres fermées, respecte les valeurs limites édictées par la réglementation ».
Interdire la construction de nouveaux logements et de bâtiments sensibles (crèches, écoles, établissements de santé...) à proximité immédiate des infrastructures de transport terrestre bruyantes, comme c'est le cas actuellement pour le transport aérien, pourrait être opportun.
Une telle interdiction de construction de logements à proximité des infrastructures de transports terrestres les plus bruyantes pourrait inciter les porteurs de projets d'aménagement urbain à développer une approche globale de la question du bruit et à construire des bâtiments moins sensibles vis-à-vis du bruit dans ces zones. La prise en compte des enjeux de bruit dès la conception des projets éviterait d'avoir à mettre en place des mesures d'isolation curatives. L'isolation des bâtiments se dégrade avec le temps et peut de surcroît devenir insuffisante en cas de hausse du bruit émis par l'infrastructure de transport voisine (notamment en cas d'augmentation du trafic). Elle entraîne en outre une exposition au bruit à l'extérieur et fenêtres ouvertes. Comme l'ont souligné de nombreuses personnes entendues aux rapporteurs, en matière de bruit, il vaut mieux prévenir que guérir.
Le CGEDD note dans son rapport précité de 2017 qu'il « a été signalé à la mission des exemples paradoxaux de crèches implantées en ZAC le long d'une voie rapide urbaine, alors que les terrains à l'arrière, jugés commercialement plus intéressants, étaient réservés aux bureaux et aux entreprises. A contrario, les urbanistes et les architectes savent aujourd'hui construire le long des voies bruyantes des immeubles tolérants au bruit (bureaux, hôtels, salles de sport...), dont la façade côté voie est occupée par les espaces les moins nobles (couloirs, cuisines et sanitaires...) et qui jouent vis-à-vis des immeubles à l'arrière le rôle bienvenu d'écrans acoustiques ». Des règles d'urbanisme plus strictes impliqueraient que les logements soient construits « en deuxième rideau » ou en coeur d'îlots.
L'AE souligne ainsi « l'intérêt, voire la nécessité d'approches globales, inscrites conjointement dans les politiques d'aménagement et urbanisme et de transport et mobilités ». La conception de certains projets d'aménagement prenant en compte ex ante la question du bruit « peut permettre de créer des situations qui intrinsèquement exposent moins les populations au bruit ». L'AE a mis en avant auprès des rapporteurs l'aménagement du projet de la ZAC Lyon Confluence pour lequel ces questions ont été prises en compte.
Proposition n° 4 : Prendre en compte le bruit émis par les transports terrestres dans les documents d'urbanisme au même titre que le bruit aérien.
Les documents d'urbanisme et de planification réalisés par les collectivités territoriales peuvent également inclure des dispositions relatives au bruit. C'est par exemple le cas des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), dont l'articulation avec les PPBE a fait l'objet d'une étude du Centre d'information et de documentation sur le bruit (CIDB)36(*) en mars 2019. Ce travail a mis en évidence que la périodicité des documents est assez similaire (réalisé tous les 5 ans pour les PPBE et 6 ans pour les PCAET) et qu'ils comportent tous les deux des phases d'études et de diagnostics sur l'incidence des modes de transports. En outre, compte tenu de la forte imbrication entre pollution sonore et pollution de l'air, l'articulation des dispositifs semble tout à fait opportune.
Outre les PCAET, les collectivités territoriales réalisent de nombreux documents de planification qui ont une incidence sur les transports. À cet égard, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) à l'échelle du bassin de vie via les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) à l'échelle de la Région, les plans locaux d'urbanisme (PLU) à l'échelle communale ou encore les plans de mobilité (PDM) élaborés par les autorités organisatrices des mobilités (AOM). Ce dernier présente un intérêt singulier dans la lutte contre les pollutions sonores dans la mesure où il s'articule autour du double objectif de proposer une offre satisfaisante de mobilité et de protéger la santé et l'environnement (lutte contre les gaz à effet de serre, qualité de l'air, bruit, biodiversité, etc).
Malheureusement, les rapporteurs ont constaté, la quasi-absence d'articulation entre les dispositifs nationaux et les mesures locales. Des concertations, à la maille départementale ou intercommunale, devraient être menées afin de favoriser la cohérence entre les différents documents de planification et les outils de cartographie existants.
Un exemple de superposition des outils : le transport aérien
Pour le seul secteur aérien, trois documents de cartographie et d'actions en faveur de la lutte contre les pollutions sonores peuvent être recensés : plan de gênes sonores (PGS), plan d'exposition au bruit (PEB) et plan de prévention des bruits dans l'environnement (PPBE). Une telle pluralité d'outils pose déjà des difficultés en soi, notamment en matière de lisibilité, mais elles sont exacerbées dès lors qu'un même espace géographique se situe au confluent de plusieurs dispositifs.
Ainsi, selon l'Union des aéroports français (UAF), « La gouvernance des politiques locales de prévention du bruit aérien est complexifiée par la superposition des instances et des outils. À Toulouse, par exemple, le manque de cohérence entre le PPBE de l'aéroport et celui de la métropole, notamment sur le périmètre des populations exposées, remet en question l'efficacité du plan ».
Le cas de l'aéroport Paris-Orly est particulièrement significatif. Situé à 10 kilomètres au sud de Paris, à proximité immédiate de près de sept communes : Orly, Villeneuve-le-Roi, Paray-Vielle-Poste, Wissous, Athis-Mons, Chilly-Mazarin et Morangis. Il est par ailleurs à cheval sur deux départements : Essonne et Val-de-Marne. Enfin, il se situe dans le périmètre de la Métropole du Grand Paris.
Il est ainsi concerné par trois PPBE :
- PPBE de la Métropole du Grand Paris ;
- PPBE de l'aéroport de Paris-Orly ;
- PPBE du conseil départemental du Val-de-Marne.
Or, les orientations arrêtées dans chaque PPBE ne sont pas nécessairement harmonisées entre elles. À titre d'exemple, le PPBE de la Métropole du Grand Paris fixe des objectifs ambitieux en matière d'extension du couvre-feu nocturne, tandis que le PPBE propre à l'aéroport concerné ne prévoit, pour sa part, aucune extension de la période de restriction. Cette divergence révèle un manque de coordination entre les différents niveaux de planification, susceptible de nuire à l'efficacité globale des mesures de lutte contre les nuisances sonores.
* 25 Jaworski Véronique, « Le bruit et le droit ». Communications, 2012/1 n° 90, 2012, p. 83-94
* 26 Directive 2002/49/CE du Parlement européen et du Conseil relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement
* 27 Pour les infrastructures routières : arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures routières et pour les infrastructures ferroviaires : arrêté du 8 novembre 1999 relatif au bruit des infrastructures ferroviaires.
* 28 Directive 2002/49/CE du Parlement européen et du Conseil relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement.
* 29 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre de la directive relative au bruit dans l'environnement conformément à l'article 11 de la directive 2002/49/CE, COM(2023) 139 final.
* 30 Allemagne, Belgique, Chypre, Espagne, France, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie.
* 31 Belgique, Croatie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie.
* 32 Commission européenne, procédures d'infraction du mois d'avril 2023, principales décisions, Environnement et pêche, paragraphe 3, cartes de bruit stratégiques et plans d'action en Grèce : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/inf_23_1808 (consulté le 13 mai 2025).
* 33 La valeur de l'indice de bruit Lden, exprimée en décibels pondérés A (dB (A)), représente le niveau d'exposition totale au bruit au cours d'une journée entière.
* 34 La valeur de l'indice de bruit Lnight correspond au bruit moyen pondéré durant la nuit (22h-6h).
* 35 Commission européenne, procédures d'infraction du mois d'octobre 2024, principales décisions, Environnement et pêche, paragraphe 3, déclarations incombant à la Grèce en vertu de la directive bruit : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/inf_24_4561 (consulté le 13 mai 2025).
* 36 CIDB, 2019 « convergences des actions Bruit, Climat, Air, Énergie pour une planification plus performante ».