B. LE RENFORCEMENT DES CENTRES MÉDICO-PSYCHOLOGIQUES ET LE DÉVELOPPEMENT DES ÉQUIPES MOBILES : DEUX AXES PRIORITAIRES POUR AMÉLIORER L'ACCÈS AUX SOINS

1. L'accès universel au CMP : un modèle à défendre en y affectant les moyens humains nécessaires

Comme évoqué ci-avant, il est impératif de garantir l'accès universel aux centres médico-psychologiques, qui sont au coeur du système de prise en charge des troubles de santé mentale. Le CMP doit redevenir le lieu privilégié de l'accès aux soins psychiatriques et être clairement identifié par les patients.

Sur le plan des moyens, il est indispensable d'allouer plus de personnel médical et non médical à ces structures, en priorisant les territoires les plus en tension et les CMP infanto-juvéniles. Le renfort en IPA PSM serait particulièrement utile, puisqu'il permettrait aux patients en attente d'un rendez-vous médical de bénéficier d'un premier suivi spécialisé.

Dans un récent rapport sur les CMP, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) recommande d'organiser une consultation nationale pour améliorer l'attractivité salariale et fonctionnelle des postes de psychiatres, de psychologues et d'infirmiers163(*).

Les rapporteurs sont néanmoins conscients que le coeur du problème réside, de manière générale, dans le manque de professionnels disponibles. Sans un travail d'envergure sur les enjeux de l'attractivité des métiers du soin et des inégalités territoriales, l'appel à renforcer les CMP en moyens humains restera lettre morte.

Recommandation n° 19 : Augmenter le nombre de professionnels, notamment d'IPA PSM, exerçant en CMP en priorisant les CMP infanto-juvéniles et les territoires où les délais d'attente sont les plus longs (Ministère de la santé)

Sur le plan organisationnel, il est nécessaire de conforter le rôle du CMP comme porte d'entrée dans le parcours de soins, et de clarifier le niveau de compétence des nombreux acteurs susceptibles d'intervenir auprès des patients.

En effet, la multitude d'acteurs nuit à l'efficacité de l'offre de soins : celle-ci est jugée hétérogène et illisible, le parcours est complexe et fréquemment constitué de ruptures de suivi, notamment en pédopsychiatrie, les familles peinant à comprendre l'écosystème de la prise en charge.

La prise en charge des patients atteints de troubles de santé mentale :
un écosystème complexe

La prise en charge de premier niveau repose principalement sur les médecins généralistes et autres professionnels de santé de soins de ville, les psychologues, les professionnels de la santé scolaire, les maisons des adolescents (MDA) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP)164(*).

Plus largement, en ville, l'accompagnement des patients en souffrance psychique repose à la fois sur le secteur médical, le secteur médico-social et le secteur social. Parmi les structures pouvant être amenés à repérer, orienter voire accompagner des personnes en souffrance psychique figurent par exemple les points accueil et écoute jeunes (PAEJ), les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP), les centres de protection maternelle et infantile (PMI) ou encore les centres de réhabilitation psychosociale (CRPS).

La prise en charge spécialisée relève quant à elle de l'hospitalisation en psychiatrie et, en ambulatoire, principalement des centres médico-psychologiques (CMP) adultes ou enfants et adolescents, des hôpitaux de jour (HDJ) et des centres d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP).

Il existe également des soins spécifiques pour les patients présentant un danger pour eux-mêmes ou pour autrui, dispensés au sein des unités pour malades difficiles (UMD) et pour les personnes détenues qui nécessitent des soins psychiatriques en hospitalisation complète, au sein des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).

La délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie a indiqué aux rapporteurs suivre un objectif de gradation des soins, en clarifiant le rôle de chaque acteur dans le parcours de soins. L'objectif est de créer une répartition des tâches plus lisible, pour garantir un parcours cohérent sans ruptures.

Cela passera nécessairement par la mobilisation des acteurs de premier niveau, comme développé dans la deuxième partie du présent rapport. La grande majorité des troubles de santé mentale ne relève pas, en effet, de la psychiatrie spécialisée. Une première ligne solide déchargerait les CMP du « tout-venant », leur permettant de redevenir des structures réactives, flexibles et disponibles sans délai.

De manière plus générale, il apparaît indispensable de conduire un travail sur le positionnement de la psychiatrie dans le vaste champ de la santé mentale, en distinguant clairement ce qui relève du soin psychiatrique ce qui relève du soin psychologique, éducatif ou social. Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) semblent être le bon outil pour cela, puisqu'ils permettent à tous les acteurs - sanitaires, sociaux, médico-sociaux et éducatifs - de dialoguer sur le positionnement de chacun.

Par ailleurs, les rapporteurs ont pu constater que les horaires d'ouverture des CMP, qui correspondent souvent à des horaires de journée classiques du lundi au vendredi, sont peu adaptés aux modes de vie de la population. Un travail de création de permanence d'accueil en urgence et d'aménagement des horaires, couplé à la réflexion sur les moyens humains, serait de nature à améliorer leur accessibilité.

Enfin, la direction générale de l'offre de soins a indiqué aux rapporteurs que la rédaction d'un cahier des charges des CMP était en cours de rédaction, leur fonctionnement n'étant pas précisé au niveau réglementaire.

Si les rapporteurs comprennent la volonté d'établir un référentiel commun pour le fonctionnement des CMP, ils jugent primordial de conserver un équilibre qui permette aux structures de s'adapter aux circonstances locales et de ne pas leur imposer de lourdes modifications organisationnelles dans un contexte de saturation de l'activité.

Recommandation n° 20 : Conduire une réflexion, à l'échelle territoriale, sur la création de permanences d'accueil en urgence et l'aménagement des horaires d'ouverture au sein des CMP (ARS)

2. Favoriser les interventions à domicile

Le virage ambulatoire de la psychiatrie est déjà une tendance amorcée de longue date dans un pays, comme la France, où le nombre de lits d'hospitalisation était historiquement élevé. En 2023, selon les données transmises par la DGOS, la part exclusivement ambulatoire de la file active totale de psychiatrie générale était de 77 % tandis qu'elle s'établissait à 89 % pour la psychiatrie infanto-juvénile165(*).

Pourtant, ainsi que le remarque une mission d'information relative à l'organisation de la santé mentale de l'Assemblée nationale166(*), il semble que la réduction continue des lits d'hospitalisation, n'a toutefois pas été compensée par un développement dans les mêmes proportions de l'ambulatoire.

Parmi les dispositifs ambulatoires de grand intérêt, l'intervention à domicile tient une place à part, qui a eu tendance à être sacrifiée par les difficultés de ressources humaines rencontrées par la psychiatrie et l'engorgement des CMP. Ces visites à domiciles sont pourtant un facteur clef, notamment en sortie d'hospitalisation pour éviter l'isolement du patient, surveiller l'observance des traitements et éviter ainsi une rechute. Le Pr Daniel Zagury, abonde ainsi : « les études sont très claires : plus la présence et l'encadrement sont développés après l'hospitalisation, moins les actes de violence sont nombreux. Ainsi, une étude montre qu'un patient vu toutes les semaines commet quatre fois moins d'actes de violence qu'un patient vu tous les mois ».

a) Le développement des équipes mobiles spécialisés

De nombreux dispositifs d'équipes mobiles fleurissent donc dans les établissements psychiatriques pour mettre en place un suivi des patients en milieu ordinaire.

Comme la DGOS l'a précisé en audition, la notion d'équipes mobiles recoupe beaucoup de formes différentes, selon la finalité du dispositif. Il n'existe pas d'encadrement juridique de cette organisation des services, si ce n'est certaines instructions déterminant un cahier des charges pour un type précis d'équipe mobile, à l'instar des équipes mobiles de psychiatrie de la personne âgée (EMPPA)167(*) ou des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP)168(*). Outre ces deux exemples, il existe donc de nombreux autres dispositifs d'équipes mobiles spécialisées pour une intervention précoce en psychiatrie (EMIP), pour des soins intensifs à domicile, à destination des personnes placées sous main de justice (équipes mobiles transitionnelles -EMOT), à la sortie de détention ou, comme il a été mentionné plus en amont, en faveur des enfants de l'ASE.

Le Gouvernement s'est ainsi engagé, au sein de la feuille de route pour la santé mentale et la psychiatrie, à favoriser le développement des équipes mobiles à destination des personnes âgées en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et plus généralement en établissement social ou médico-social (ESMS)169(*). Dix millions d'euros annuel ont été prévus pour ce déploiement. Selon le bilan du Gouvernement170(*), 32 946 patients de plus de 65 ans ont ainsi été vus par une équipe de psychiatrie en ESMS en 2024, soit une augmentation de 7,7 % en deux ans.

Autre illustration, le centre hospitalier Gérard Marchant a plaidé auprès des rapporteurs pour un soutien dans la durée et un déploiement généralisé des équipes ACT - Assertive Community Treatment - dont « le modèle d'aller vers a fait ses preuves à l'international et en France ». Si cette expérimentation présente des résultats probants, les rapporteurs ont globalement noté un consensus sur l'utilité de l'intervention d'équipes mobiles pour éviter ou réduire les durées d'hospitalisations et diminuer les passages aux urgences.

L'équipe mobile HOME déployée à Toulouse

Depuis janvier 2023, l'expérimentation HOME (Habitat cOMmunautaire soutEnu), porté par le CH Gérard Marchant, dans la région de Toulouse, est conduite sur le fondement de l'article 51 de la LFSS pour 2018.

Ce dispositif accompagne une centaine de personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères et complexes, dont la maladie peut entraîner des hospitalisations fréquentes et prolongées. L'objectif est de proposer une solution alternative en milieu ordinaire grâce à une équipe mobile pluridisciplinaires (psychiatres, infirmiers, travailleurs sociaux, pairs-aidants, psychologues, job coachs, coordinateurs...) proposant un accompagnement global sur le modèle ACT.

La même logique préside aux équipes mobiles SIIS (Suivi intensif pour l'inclusion sociale) déployées à Marseille.

Selon la délégation ministérielle à la psychiatrie et à la santé mentale, les premiers éléments de bilan montrent « une réduction des hospitalisations, une amélioration des conditions de vie et du quotidien des usagers qui bénéficient d'un meilleur accès au logement, à l'emploi et aux aides sociales. La présence régulière des équipes dans leur milieu de vie réduit le sentiment d'isolement et améliore la gestion des crises ».

Source : Délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie, état d'avancement de la feuille de route, p. 79

b) Promouvoir la visite à domicile par des équipes spécialisées ou le CMP autant que possible

Si le modèle des équipes mobiles a donc fait ses preuves, il se heurte toutefois à la question du manque de ressources humaines dans les services de psychiatrie, alors que ce type d'organisation est très consommateur de personnel soignant. Il y a donc là un arbitrage délicat, que plusieurs chefs de services psychiatriques ont exposé en audition, entre favoriser l'intervention à domicile et ne pas trop désorganiser les unités d'hospitalisation déjà en difficulté.

Les rapporteurs ne peuvent qu'espérer que le déploiement des IPA en psychiatrie et santé mentale permette de renforcer les effectifs de ces équipes. Les compétences exercées dans le cadre de la pratique avancée font de la présence de ces professionnels un levier déterminant afin d'assurer la continuité de la prise en charge, en sortie d'hospitalisation, et de faire le relais avec les équipes de soins primaires ou le personnel social et médico-social.

La commission nationale de psychiatrie a également pointé le manque de porteurs de projets et d'ingénierie dans certains hôpitaux induisant une difficulté à répondre aux appels à projets dans le cadre du Fiop. Elle a ainsi plaidé pour un soutien plus important aux établissements sur cet enjeu. De manière générale, il convient que le Gouvernement poursuive les efforts financiers en faveur du déploiement des équipes mobiles.

Recommandation n° 21 : Flécher des financements pérennes en faveur du développement des équipes mobiles (Gouvernement, ARS)

En sus d'un soutien aux équipes mobiles spécialisées, il convient de ne pas négliger la file active en visite à domicile que le CMP est en principe capable d'assumer.

Le Dr Louis Tandonnet a ainsi regretté que les financements de l'ARS soient prioritairement fléchés vers des projets novateurs, notamment dans le cadre du Fiop, quitte à artificiellement qualifier d'innovants des formes traditionnelles d'organisation de soins. En audition, il alertait ainsi les rapporteurs : « désormais, pour obtenir des moyens, il faut innover - ou donner le sentiment à l'ARS d'innover - alors qu'on pourrait juste renforcer les missions des CMP », et de conclure par un trait d'esprit : « au CMP, nous faisons de l'équipe mobile, cela s'appelle... le CMP ! ».

Les rapporteurs rejoignent ces préoccupations ; la priorité donnée au renforcement des CMP doit leur permettre de retrouver leur vocation naturelle à intervenir à domicile, en complémentarité, toutefois, avec l'intervention des équipes mobiles pour des publics spécifiques (en ESMS, personnes en situation de précarité etc.)

c) Favoriser les conditions globales d'une intervention en milieu ouvert

Enfin, les rapporteurs estiment qu'il convient de créer les conditions globales d'une intervention réussie en milieu ouvert. À cette fin, une mobilisation de l'ensemble des acteurs de la santé mentale est nécessaire et dépasse donc largement la simple question des organisations retenues par les établissements psychiatriques.

Par exemple été mentionnée aux rapporteurs la nécessité d'assurer aux équipes intervenant à domicile un soutien possible des forces de police ou de gendarmerie, dans le cas où la situation se compliquerait.

De même, comme il a été rappelé supra, l'importance de l'accompagnement multi-dimensionnel des personnes souffrant de troubles psychiatriques. À ce titre, Frédéric Chéreau a présenté aux rapporteurs le dispositif Logipsy, portée par La sauvegarde du Nord, qui permet à l'intervention de plusieurs professionnels sociaux (une coordinatrice de parcours, un technicien d'intervention sociale et familiale) au domicile de patients atteints de troubles psychiques. La mise en place de ce dispositif se fait notamment par sollicitation d'une équipe soignante afin de sécuriser le maintien du patient dans son logement ou aider à la transition après une hospitalisation.

Le dispositif « Un chez soi d'abord », déployé à hauteur de de 3 175 places fin 2024171(*), répond à la même logique. Il permet aux personnes sans abri et atteints de troubles psychiques sévères, un accès direct à un logement stable, auquel des visites à domicile sont organisées. Certaines initiatives locales s'inspirent de ce modèle dans la mise en oeuvre de leur propre dispositif.

Les rapporteurs ne peuvent qu'encourager les acteurs locaux à se saisir de ces thématiques au sein des CLSM. Dans le cadre des partenariats ainsi noués, un prérequis doit déjà être le partage d'informations - dans le respect du secret professionnel. Pour que les services sociaux puissent intervenir, il convient, par exemple, que les maires soient tenus informés du retour à domicile de patients dont ils sont par exemple à l'origine de l'hospitalisation sans consentement172(*).

Recommandation n° 22 : Mettre en place des partenariats locaux pour soutenir et faciliter le suivi à domicile des patients (conseils locaux de santé mentale)


* 163 Rapport de l'Igas, « Les centres médico-psychologiques de psychiatrie générale et leur place dans le parcours du patient », juillet 2020.

* 164 Les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) sont des établissements médico-sociaux qui ont pour mission d'assurer le diagnostic et les soins des enfants ou adolescents présentant des troubles du développement psychique.

* 165 1 812 185 patients dont 1 397 743 patients vus exclusivement en ambulatoire ; 547 177 patients dont 489 113 vus exclusivement en ambulatoire.

* 166 Rapport n° 2249 (15ème législature) de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, septembre 2019.

* 167 Instruction n° DGOS/R4/2022/244 du 17 novembre 2022 relative aux équipes mobiles de psychiatrie de la personne âgée (EMPPA) intervenant en établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD).

* 168 Instruction n° DGOS/P3/2024/82 du 6 juin 2024 relative à la mise en oeuvre d'une coordination régionale des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP)

* 169 Action 17 bis de la feuille de route et mesure 7 des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.

* 170 Délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie, « Mise en oeuvre de la feuille de route : état d'avancement au 1er mai 2025, p. 68.

* 171 État des lieux de la santé mentale, mai 2025, p. 144.

* 172 Ce manque d'information a par exemple été noté par Edmond Jorda, président de l'Association des maires, des adjoints et de l'intercommunalité des Pyrénées-Orientales (AMF66) et maire de Sainte Marie la Mer rencontré par les rapporteurs en déplacement.

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