EXAMEN EN COMMISSION

I. AUDITION DE M. FRANK BELLIVIER,
DÉLÉGUÉ MINISTÉRIEL À LA SANTÉ MENTALE
ET À LA PSYCHIATRIE

(mardi 26 mars 2025)

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Monsieur le délégué, nous vous entendons à titre principal dans le cadre d'une mission d'information que notre commission a lancée sur l'état de la santé mentale et de la psychiatrie depuis la crise de la covid-19. En effet, depuis cette crise, qui a pu être facteur d'angoisse ou d'isolement pour de nombreux Français, la santé mentale de la population, notamment de certaines catégories, s'est dégradée ; les professionnels semblent difficilement faire face à cette situation. Nos rapporteurs, Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin, ont lancé ces travaux, qui devraient permettre à notre commission de disposer d'une meilleure appréhension de ce phénomène. Nous attendons leurs préconisations avec impatience. Votre regard nous sera particulièrement utile dans ce cadre.

De plus, le Gouvernement a confirmé la volonté de l'ancien Premier ministre, Michel Barnier, de faire de la santé mentale une grande cause nationale en 2025. Votre feuille de route est donc riche, monsieur le délégué, et nous serons également curieux de savoir comment cet engagement gouvernemental se traduit dans vos missions.

Je vais vous laisser la parole pour un propos liminaire. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant, bien sûr, par nos trois rapporteurs.

M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. - Merci beaucoup de votre invitation. Je débuterai mes propos liminaires en rappelant quelques éléments de contexte.

Premier élément de contexte, la crise sanitaire a en effet mis en lumière les problèmes de santé mentale. Ces derniers sont désormais reconnus comme un enjeu prioritaire de santé publique, mais aussi, plus largement, comme un enjeu de société.

Le mal-être de nos concitoyens demeure supérieur à son niveau d'avant la crise sanitaire, sachant que les tendances étaient déjà plutôt haussières sur les indicateurs d'anxiété, de dépression et de troubles du sommeil. À l'intérieur de cette photographie, les études épidémiologiques font apparaître des sous-groupes plus concernés. C'est le cas notamment des jeunes, et vous avez souhaité, je crois, que nous échangions plus particulièrement sur le sujet.

Deuxième élément de contexte, la mission qui m'a été confiée en 2019 s'inscrit dans la suite du lancement de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie, qui a bénéficié, depuis six ans, d'une mobilisation gouvernementale et financière sans précédent. Cette feuille de route a été enrichie en 2021 par les mesures issues des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, avec un engagement des directions d'administration centrale et des agences régionales de santé (ARS).

Je rappelle qu'elle comprend trois axes : promotion d'une bonne santé mentale et prévention ; offre de soins ; inclusion sociale.

Troisième élément de contexte, plusieurs principes directeurs président au déploiement de cette feuille de route, qui appelle des changements de paradigmes importants : la représentation des personnes concernées, leurs droits, la promotion du rétablissement, la construction de parcours coordonnés articulant prévention, soins et inclusion sociale, le développement d'approches pluridisciplinaires et collaboratives dans la mise en place de ces parcours, etc. S'y ajoutent des réformes de fond, certes assez techniques, comme celles qui touchent à la formation des professionnels de santé, au mode de financement ou aux autorisations.

Les résultats de cette feuille de route doivent évidemment s'apprécier à moyen et long termes. Cela ne signifie pas, bien au contraire, qu'il faille ignorer les urgences ou en différer le traitement. Un certain nombre de sujets de préoccupation majeure persistent. Celui des inégalités quantitatives et qualitatives dans l'offre, et de l'inadéquation entre les besoins et l'offre, en est le principal, mais on peut également citer les délais d'attente dans les centres médico-psychologiques (CMP), la saturation des urgences ou encore le découragement des équipes soignantes. Ces difficultés appellent également des mesures.

Il existe pourtant des raisons d'espérer : c'est l'un des messages que je viens porter devant vous aujourd'hui.

Le troisième tour de France réalisé par la délégation, plus particulièrement dédié à l'analyse du déploiement des projets territoriaux de santé mentale (PTSM), a montré que les choses bougent localement, que la dynamique d'innovation est importante dans les trois champs de la prévention, de l'offre de soins et de l'inclusion sociale.

Nous avons recensé ces actions dans un récent rapport disponible sur le site du ministère de la santé. Parmi les chantiers innovants identifiés, on trouve l'effectivité de l'« aller vers » et des dispositifs mobiles, la construction d'une gradation des soins, l'élargissement de l'accès aux soins psychologiques porté par les psychologues, le développement de nouveaux métiers, la mise en oeuvre du grand défi du numérique en santé mentale, l'intégration des pairs aidants professionnels dans les équipes de soins, les mesures d'anticipation en psychiatrie.

Quatrième, et dernier élément de contexte, notre approche ne peut se restreindre à améliorer l'offre de soins - c'est certes nécessaire dans un contexte de forte inadéquation avec les besoins, mais pas suffisant. Il nous faut aussi agir de façon très volontariste sur les déterminants de la santé mentale : violences subies, en particulier dans l'enfance ; situations de migration ; appartenance à des minorités ; précarité financière ; accès au travail, au logement, à la culture ou au sport.

Pour cela, une mobilisation interministérielle est nécessaire, ainsi qu'une mobilisation des collectivités locales et des acteurs économiques. Ce mouvement visant à agir sur les déterminants de la santé mentale a donc progressivement fait évoluer le portage de la feuille de route vers une approche beaucoup plus intersectorielle.

Les vents sont favorables, même si certaines situations restent évidemment très préoccupantes. Il faut maintenant amplifier la politique en faveur de la santé mentale et de la psychiatrie - le fait d'en faire une grande cause nationale le favorise - et donner à cette démarche un nouvel élan.

C'est une mobilisation collective qu'il faut engager en 2025, permettant un réel changement de braquet, avec, en parallèle, l'inscription de la politique en faveur de la santé mentale dans une ambition pluriannuelle clairement affirmée, transversale et interministérielle. Cette mobilisation fait écho à une forte dynamique internationale engagée sur le thème, comme en témoigne la programmation de certains événements par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

M. Jean Sol, rapporteur. - Les acteurs que nous avons entendus dans le cadre de nos travaux mettent en avant une dégradation constante de la santé mentale des filles âgées de 15 à 25 ans, et ce indépendamment de la crise sanitaire. Comment votre délégation prend-elle en compte ce cas spécifique ? Votre mission ayant démarré avant la crise sanitaire, avez-vous également mesuré une amplification des cas sur cette population ?

Plus généralement, nos politiques de prévention et de repérage doivent-elles être ciblées sur les catégories de populations les plus à risque ? Si oui, comment ? Doit-on, au contraire, les penser générales, considérant que les troubles psychiques nous concernent tous ?

Par ailleurs, votre délégation est rattachée au ministère de la santé et de l'accès aux soins. Nombre d'acteurs auditionnés, notamment les ARS, jugent la coopération avec l'éducation nationale insuffisante pour favoriser le repérage et l'accompagnement des jeunes atteints de troubles de santé mentale. Le renforcement du rôle de la santé scolaire figure-t-il parmi vos priorités ?

M. Daniel Chasseing, rapporteur. - Nos auditions ont en effet démontré une dégradation de la santé mentale, surtout chez les jeunes, concomitante à un manque de psychiatres et de pédopsychiatres. Les CMP, qui sont la pierre angulaire de la psychiatrie et, je pense, doivent le rester, sont débordés. Certains modes d'organisation des soins, comme les équipes mobiles, ont fait leurs preuves, permettant d'éviter certaines hospitalisations. Mais pour faire fonctionner tout cela, il faut du personnel. Comment pensez-vous résoudre ce problème ? Considérez-vous possible de renforcer les CMP avec des infirmiers en pratique avancée (IPA) spécialisés en psychiatrie ?

Les psychiatres que nous avons entendus, tout comme la Haute Autorité de santé (HAS), estiment qu'il n'y a pas de vrais parcours en santé mentale. Sur ce sujet, le dossier médical partagé (DMP) et la téléexpertise sont des pistes, mais il faut surtout, pour un meilleur accompagnement, une plus grande coordination avec le médecin généraliste. Celui-ci pourrait, s'il était informé des consultations de psychiatrie ou en CMP, se mettre en rapport direct avec le psychiatre référent. Ce serait un progrès.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Au cours des auditions dont mes collègues viennent de parler, il est ressorti que ni les associations d'usagers, ni les sociétés savantes, ni les associations gestionnaires de lignes d'écoute, ni même les ARS ne semblaient être associées à l'opération consistant à faire de la santé mentale une grande cause nationale en 2025. Ces acteurs craignent, de ce fait, que l'on en reste à une opération de communication - certes utile, du fait des enjeux réels de déstigmatisation des malades. Ils attendent beaucoup plus. Votre délégation travaille-t-elle en ce sens ? Des mesures concrètes sont-elles en préparation ?

Vous avez évoqué une stratégie nationale de prévention et d'accompagnement en préparation - attendue, je crois, pour juin 2025 - qui s'inscrirait dans la suite de la feuille de route, des Assises et de la décision de faire de la santé mentale une grande cause nationale. Qu'apportera cette stratégie ? Nous avons l'impression que les plans successifs ne changent rien à l'insuffisance de l'offre de soins. L'empilement de ces différents plans peut même laisser penser que ceux-ci n'ont pas toujours donné les résultats escomptés.

Enfin, le dispositif Mon soutien psy fait l'objet de critiques de la part de certains psychologues. Ces derniers évoquent notamment un risque de rupture de prise en charge des patients, à l'issue des consultations auxquelles le dispositif leur donne accès. De plus, ce dispositif ne cible que les personnes atteintes de troubles légers à modérés, alors que, compte tenu de l'ampleur des problèmes actuels de santé mentale, on sait que sont à traiter des cas beaucoup plus lourds.

M. Frank Bellivier. - J'ai oublié de signaler que j'étais accompagné par Mme Sylvaine Gaulard, secrétaire générale de la délégation à la santé mentale et à la psychiatrie, et par le Dr. Stéphanie Lafont-Rapnouil, conseillère au sein de la délégation, qui compléteront certaines de mes réponses si elles le jugent nécessaire.

S'agissant de la dégradation de la santé mentale des jeunes, nous disposons d'indicateurs assez fiables, montrant une grande vulnérabilité de ce sous-groupe révélée par la crise sanitaire. Depuis, nous ne constatons pas de dégradation, mais la situation ne s'améliore pas non plus : les indicateurs d'anxiété, de dépression, de troubles du sommeil et d'addiction restent relativement élevés, en particulier chez les jeunes.

Ce phénomène en population générale est à distinguer des constats en population clinique, à savoir : des situations de décompensation dépressive, anxieuse et de troubles des conduites alimentaires chez de très jeunes patients. Or ce phénomène était très rare avant la crise de la covid-19, et nous n'avons que des explications extrêmement partielles pour justifier cet 'accroissement.

Comment y répondre ? L'inadéquation de l'offre de soins dans le champ de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent préexistait à la crise sanitaire - c'était un des points d'alerte signalés dès sa prise de fonctions par Mme Agnès Buzyn en 2017 et ayant conduit au lancement de la feuille de route, avec un ensemble de mesures destinées à la prise en charge des jeunes. Dispositif des 1 000 premiers jours, stratégie multimodale de prévention du suicide, ... : je n'entrerai pas dans le détail, mais tout un pan de politiques publiques a été ouvert pour apporter des réponses à cette catégorie de population.

On vous a signalé une coopération insuffisante entre l'éducation nationale et les ARS, mais le problème est en réalité plus général. Les parcours de soins des enfants et des adolescents sont, par nature, multisectoriels et doivent mobiliser différents acteurs, issus des municipalités, des conseils départementaux ou encore de l'Éducation nationale. Notre troisième tour de France a révélé, dans ce domaine, un paysage assez contrasté, avec des exemples de coopération très réussie entre les ARS et les rectorats, là où, ailleurs, cette coopération patine.

Mais, dans la deuxième génération de projets territoriaux de santé mentale que nous sommes en train de lancer, priorité est donnée à la construction de parcours de soins pour enfants et adolescents, en lien avec les autres acteurs du secteur, et à la mobilisation des intervenants locaux, dans le cadre d'une approche multisectorielle. Cela concerne tout autant l'éducation nationale que l'aide sociale à l'enfance (ASE), la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l'ensemble du secteur médico-social.

La question suivante portait sur les centres médico-psychologiques, le développement des équipes mobiles et l'essor de nouveaux métiers, comme les IPA ayant reçu une mention santé mentale, que nous avons évoqués. Nous continuons à soutenir la formation de ces professionnels, ce qui n'est pas franchement facilité par la démographie paramédicale. Il faut en effet identifier des infirmiers et infirmières prêts à s'engager dans ce parcours de formation, dans un contexte de pénurie importante.

Entre 2020 et 2024, le financement de la psychiatrie, prise au sens des soins en psychiatrie, a augmenté de 42 %. Cet accroissement a en particulier permis de renforcer les CMP adultes et infanto-juvéniles, à l'occasion du Ségur de la santé, puis des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Le manque d'effectivité immédiate de ces renforts témoigne de la difficulté à trouver des ressources humaines, à recruter des infirmiers ou des psychologues au sein de ces structures.

Sur la construction des parcours, la téléexpertise, la coordination et le rôle pivot du médecin généraliste, cette première ligne est en effet en cours de structuration dans le cadre de la dynamique générale de gradation de l'offre.

Le modèle que nous portons aujourd'hui repose, d'abord, sur une offre très accessible pour les troubles les plus fréquents et les moins graves. C'est un peu l'esprit du dispositif Mon soutien Psy, conçu comme un dispositif très captif pour le plus grand nombre. On l'articule fonctionnellement avec le soin conventionnel psychiatrique, qui est l'offre de secteur. Il ne s'agit pas d'une offre « hégémonique », en ce sens que d'autres structures peuvent proposer des soins dans les territoires ; pour autant, la psychiatrie de secteur reste le pivot de l'organisation territoriale. Enfin, un recours est prévu pour les cas les plus complexes et les plus difficiles à stabiliser, que ce soit en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ou en psychiatrie de l'adulte.

Tel est le modèle de gradation qui sera inscrit dans la deuxième génération de PTSM et dans lequel, en effet, la première ligne - celle du médecin généraliste - est tout à fait centrale.

Par ailleurs, nous sommes très en lien avec les différentes associations d'usagers ou de professionnels, lesquelles se sont regroupées, voilà maintenant un an et demi, au sein d'une communauté pour porter le plaidoyer de la grande cause nationale - ce projet de grande cause ne date en effet pas des annonces de M. Barnier, mais a été travaillé de longue date. Les propositions très structurées de ce collectif tout à fait légitime ont fait l'objet d'un document qui vous est peut-être parvenu ; leur programme d'actions pour l'année 2025 est d'excellente tenue et sera présenté au comité de labellisation, en vue de lui donner un maximum de visibilité.

Je vous confirme qu'une stratégie nationale est annoncée pour le mois de juin. Mais j'exprime une forme de désaccord par rapport à l'idée énoncée d'empilement des plans. Depuis ma nomination, j'ai survécu à dix ministres de la santé...

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous aussi !

M. Frank Bellivier. - Il me semble que la feuille de route, ainsi que la mobilisation des administrations centrales et des ARS, ont permis d'assurer une forme de continuité dans le portage de cette politique, dont les résultats, je le répète, doivent s'apprécier dans le temps moyen et dans le temps long.

Je n'ai pas encore d'orientation s'agissant des mesures qui seront annoncées. Mais j'imagine que l'on procédera comme pour les Assises, c'est à dire en enrichissant la feuille de route de 2018, qui n'est pas encore aboutie, ni sous l'angle de la réforme du mode de financement ni sous celui de la réforme des autorisations. C'est important de procéder ainsi - et c'est ce que je défends à chaque renouvellement ministériel - car cette feuille de route est bonne et a déjà porté ses fruits dans de nombreux points du territoire. L'enjeu est désormais de généraliser les innovations, d'organiser la coopération et le partage d'expérience entre territoires. Ce que nous défendons, c'est bien l'accélération et l'amplification des mesures en cours de déploiement, et non forcément des annonces totalement nouvelles.

Un mot sur le dispositif Mon soutien psy : il s'agit d'un dispositif de première ligne, proposant jusqu'à 12 séances d'accompagnement psychologique, pour des situations de souffrance psychique légère à modérée. En moyenne, sur près de 2 millions de consultations réalisées dans ce cadre pour environ 500 000 bénéficiaires, le nombre moyen de séances atteint 4,8. Ce nombre limité montre que le dispositif permet de répondre aux situations concernées. Pour autant, le dispositif n'a pas vocation à répondre aux cas de personnes souffrant d'un trouble psychique envahissant, où la prise en charge appelle des techniques tout à fait spécifiques et peut bien évidemment dépasser les 12 séances. Il s'agit, je le répète, d'un dispositif de première ligne, en lien étroit avec la médecine générale.

Nous travaillons, depuis déjà quelques années, à la construction de la brique suivante : la solvabilisation par l'assurance maladie des modules de psychothérapie spécifiques pour les personnes porteuses d'une pathologie psychique. Pour cette deuxième brique, il sera nécessaire de spécifier les besoins du secteur sanitaire et du secteur médico-social en matière de psychothérapie ; puis de sélectionner les psychologues disposant des expertises nécessaires - donc de créer une forme de nomenclature d'actes requis pour un certain nombre de pathologies psychiques- ; enfin, en lien avec l'enseignement supérieur et la recherche, de créer des cursus de formation de psychologues dits « en santé ».

C'est la démarche qu'il est prévu de construire pour satisfaire ce besoin crucial de l'accès des personnes porteuses d'une pathologie psychique aux modules de psychothérapie pris en charge par l'assurance maladie.

Mme Jocelyne Guidez. - Je souhaite évoquer les troubles du neurodéveloppement (TND). Les jeunes enfants sont diagnostiqués de plus en plus tôt - c'est plutôt une bonne chose -, mais des adolescents et de jeunes adultes sont encore laissés dans la nature et diagnostiqués très tardivement. Étudiez-vous ces cas ? Comment comptez-vous avancer sur le sujet ?

M. Khalifé Khalifé. - Vous avez cité les IPA spécialisés, mais les instituts de formation d'infirmiers en psychiatrie ont été fermés. Comment comptez-vous combler le manque crucial d'orientations qui en découle ?

En matière de parcours du patient, mes remarques sont de trois ordres. J'aimerais mentionner les expériences très positives qui ont été menées sur le suivi à domicile de certaines urgences psychiatriques : elles ont permis d'éviter des hospitalisations. Par ailleurs, que pensez-vous de la sectorisation en psychiatrie, qui est totalement inadaptée ? Enfin, quid de la prise en charge des patients psychiatriques chroniques et vieillissants, qui, dans un secteur dynamique, embolisent des lits. Avez-vous prévu de modifier ce type d'hospitalisations ?

Mme Véronique Guillotin. - Dans le rapport de la mission d'information sénatoriale sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, la santé mentale apparaît comme un axe important, la première cause de décès de la mère dans l'année suivant l'accouchement étant le suicide.

Aux États-Unis, une stratégie nationale prend en compte un repérage précoce des vulnérabilités, une politique des 1 000 jours labellisée, un renforcement de la protection maternelle et infantile (PMI), un retour accompagné et un questionnaire EPDS pour tous les professionnels de santé. Une telle stratégie peut-elle s'intégrer dans la feuille de route ?

L'entretien postnatal précoce, prévu entre la quatrième et la huitième semaine, est normalement obligatoire. Il est réalisé à 15 %. La seule différence qui pourrait expliquer ce faible taux, par rapport à l'entretien prénatal précoce, est l'écart de remboursement - 100 % pour l'entretien prénatal contre 70 % pour l'entretien postnatal. Ne serait-il pas nécessaire de porter ce taux à 100 % ?

Mme Anne Souyris. - Vous dites avoir vu passer dix ministres. Comment la situation a-t-elle réellement évolué au cours de ces années ? J'étais adjointe à la maire de Paris chargée de la santé pendant et juste après la crise de la covid-19, et j'ai tout de même constaté une dégradation certaine, avec, notamment, 40 % de tentatives de suicide en plus chez les jeunes. Comment répond-on à cette urgence, au-delà du dispositif Mon soutien psy ? À cet égard, le fait que les bénéficiaires s'arrêtent au bout de cinq consultations ne signifie pas qu'ils n'ont pas besoin d'un suivi plus important, sachant qu'il y a tout de même des situations intermédiaires entre le trouble léger et la bipolarité. Avez-vous analysé les causes de l'augmentation de ces problèmes de santé ? Votre plan prévoit-il un point spécifique sur les addictions ?

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Parlons santé mentale ! Plus qu'un slogan, c'est une ambition pour notre société. Faire de la santé mentale une grande cause nationale pour 2025 est une bonne chose, car la lecture de certaines études a de quoi inquiéter. Je pense à la conclusion d'une étude de Nightline Europe, réseau de près de trente services d'écoute d'étudiants, qui indique que les jeunes Français sont plus nombreux à évoquer le suicide qu'ailleurs sur le continent. La santé mentale des étudiants peut-elle à terme tuer plus que le virus de la covid-19 ?

M. Jean-Luc Fichet. - Avant d'aborder mes questions, je tiens à signaler que la pénurie actuelle d'antipsychotiques, qui est très sévère, engendre beaucoup d'inquiétude chez les malades.

Je souhaite surtout vous interroger sur la souffrance dans la maladie mentale. Cette souffrance, parce qu'elle n'est presque pas palpable, est très peu reconnue et soutenue. L'environnement ne comprend pas toujours, même souvent, la maladie mentale et cela peut être un facteur aggravant. Sans doute faut-il imaginer d'autres manières d'accompagner les malades, notamment avec des établissements et institutions adaptés pour cela. Mais nous en sommes loin !

Je termine en évoquant, évidemment, la question des déserts médicaux et des grandes difficultés des territoires à répondre aux besoins. Vous l'avez dit : c'est parfait d'accroître les financements de 42 %, mais si on ne peut pas mobiliser les crédits parce que l'on manque de professionnels, cela ne sert à rien !

Mme Corinne Imbert. - Je voudrais centrer mon intervention sur l'accès aux soins pour les enfants et adolescents confiés à l'ASE. Où en sont les expérimentations Santé Protégée et Pégase, qui se sont déroulées dans quelques départements entre 2019 et 2024 ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les orientations qui pourraient possiblement être arrêtées en 2025 ? Eu égard au rôle central du médecin généraliste, du pédiatre ou du psychiatre, comment ces jeunes confiés à l'ASE pourront-ils être accompagnés ?

Je rejoins mon collègue Khalifé Khalifé sur la question des IPA ayant la mention psychiatrie et santé mentale. Combien y en a-t-il ? Combien de personnes pourraient s'engager dans la formation ? Qu'en est-il de sa durée et de son coût ?

M. Frank Bellivier. - Le sujet des TND des adultes n'est pas du tout négligé dans la feuille de route. Notre coopération avec la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement a d'ailleurs été renforcée. Elle se traduit par l'équipement des unités de soins conventionnelles en psychiatrie en moyens de repérage et de diagnostic. La question du passage à l'âge adulte est un autre enjeu important pour la structuration du parcours de ces patients. En tout cas, cette question n'est pas du tout absente de nos travaux.

Ce rapprochement se concrétisera dans la deuxième génération de PTSM. Même si l'on en connaît les raisons, on comprend mal pourquoi les politiques publiques liées aux TND ont été sorties de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie. Il faudra bien que tout cela se rejoigne, notamment au niveau très local, où les structures consultées pour des troubles du neurodéveloppement diagnostiquent des comorbidités psychiatriques, et inversement. Il faut donc, non pas faire en sorte que les professionnels se parlent - c'est le cas -mais formaliser les partenariats.

S'agissant des IPA, j'ai cru entendre une certaine nostalgie des infirmiers spécialisés en psychiatre...

M. Khalifé Khalifé. - Ce n'est pas une nostalgie !

M. Frank Bellivier. - A priori, il n'est pas envisagé de revenir sur cette évolution du métier d'infirmier, reposant désormais sur une formation généraliste, enrichie de spécialisations. En revanche, pour les infirmiers et infirmières s'orientant vers la psychiatrie, sont prévus des modules d'intégration beaucoup plus formalisés et musclés. Je précise que la formation généraliste des infirmiers a aussi son importance dans le champ de la psychiatrie, pour la prise en compte des comorbidités somatiques des malades mentaux.

Par ailleurs, une priorité est affichée, au niveau de la feuille de route, du déploiement des projets territoriaux de santé mentale et du fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie (Fiop), pour les dispositifs alternatifs au passage aux urgences et à l'hospitalisation : équipes mobiles de crise, centres de crise, consultations d'urgence au CMP.

Je ne crois pas avoir le temps de présenter un tableau complet de la sectorisation. J'indiquerai simplement que le secteur est le pivot de l'organisation territoriale des soins spécialisés en psychiatrie, et qu'il n'est pas question de le remettre en question. Néanmoins, l'offre proposée est extrêmement hétérogène, sans que l'on ne comprenne réellement pourquoi. Il faut donc revoir les standards de prise en charge, en les adossant aux recommandations de bonnes pratiques et aux données probantes.

La sectorisation est un système tout à fait vertueux, garantissant une correspondance entre un territoire et une offre. Ce système a simplement dérivé, du fait d'un pilotage insuffisant, et d'organisations et techniques de soins à la main des chefs d'établissements et des chefs de service, sans référence aux données probantes. Les réformes du mode de financement et des autorisations instaurent des outils de pilotage, qui devraient permettre la convergence de l'offre vers des standards de prise en charge. Tout cela est aussi inscrit dans la deuxième génération de PTSM.

S'agissant de la production de données probantes, je vous renvoie au programme que la HAS vient de publier. Dans ce programme ambitieux, est prévu un travail assez soutenu de production de recommandations et de bonnes pratiques pour les disciplines qui nous intéressent.

Des expérimentations tout à fait intéressantes ont par ailleurs cours en matière d'hospitalisations inadéquates. Elles ont vocation à être généralisées.

Enfin, des projets pilotes de prise en charge par des structures médico-sociales de patients hospitalisés depuis plus de 150 jours ont montré qu'en confiant la question du projet et du parcours à des équipes ayant la compétence pour cela - c'est à dire des équipes médico-sociales, qui sont, par exemple, en lien avec des bailleurs sociaux -, on trouve des solutions que le secteur sanitaire n'avait pas trouvées. Quand j'évoquais, en introduction, les approches intersectorielles de construction de parcours, c'est typiquement à ce genre de situations que je faisais référence.

Je n'ai pas beaucoup d'éléments à ajouter au sujet de la périnatalité. Au travers de l'appel à projets de remise à niveau de l'offre en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, l'offre a pu être accrue de manière significative. Je pense que le taux de 15 % de mères bénéficiant de l'entretien postnatal précoce marque un début, mais j'avoue que je n'avais pas dans le viseur la question de solvabilisation.

En tout cas, des marges de progrès existent pour mobiliser l'ensemble des acteurs du parcours périnatal - sages-femmes, pédiatres, pédopsychiatres - afin de toucher un pourcentage plus important de mères, en s'efforçant de viser plus particulièrement les mères ayant des indicateurs de vulnérabilité.

La périnatalité me semble donc avoir été l'un des domaines qui se sont le plus significativement développés au cours des dernières années : au soutien financier apporté par les appels à projets, se sont ajoutés des projets financés par le Fiop, ainsi que le dispositif des 1 000 premiers jours.

J'ai été interrogé sur les interprétations que nous pouvions avoir de la dégradation de la santé mentale des jeunes à partir de la crise de la covid-19. Celles-ci ne sont pas univoques, mais nous pouvons parler d'un ensemble multifactoriel, avec une dégradation de la situation économique des familles et des thématiques comme le contexte de guerre proche ou les préoccupations écologiques qui circulent fortement chez les jeunes. Les périodes de confinement ont par ailleurs été des périodes de forte consommation de réseaux sociaux, lesquels diffusent en boucle des contenus angoissants. Mais le facteur qui me paraît le plus important - facteur corrélé à l'utilisation des écrans -, c'est le dérèglement des rythmes circadiens et les troubles du sommeil. Nous avons enfin des raisons de penser que les indices de violences intrafamiliales se sont accrus pendant la période, liés à l'augmentation de l'addiction chez les parents. S'ajoute à cela la perte des rythmes scolaires, de loisirs et de sociabilité. Enfin, quelques études suggèrent que le virus, qui est neurotrope, ait eu un effet propre dans certains cas.

L'enjeu du traitement des addictions, en particulier de l'articulation entre acteurs de la prévention et de l'offre de soins dans ce champ, figure dans la feuille de route et sera intégré, au niveau local, dans la prochaine génération des PTSM. Il s'agit, évidemment, d'un déterminant très important de la santé mentale, à la fois des patients souffrant de troubles psychiques, qui ont des niveaux de comorbidités addictives très élevés, et de la population générale.

J'en viens aux moyens de répondre à l'accroissement des conduites suicidaires, plus particulièrement chez les jeunes. Nous disposons en France d'une stratégie multimodale de prévention du suicide tout à fait complète. Le numéro 3114, disponible sans interruption, est désormais ouvert aux mineurs - une ouverture qui n'avait rien de trivial sur le plan technique et légal du fait de l'autorisation parentale. De même, bon nombre des plateformes VigilanS, dispositif de prévention de la récidive suicidaire ayant permis une réduction de 38 % de la réitération suicidaire à un an, sont également ouvertes aux mineurs. Les autres lignes d'écoute, dont Nightline, jouent aussi un rôle très important.

S'agissant des chiffres, le numéro 3114 enregistre 300 à 400 appels par jour et le dispositif VigilanS a comptabilisé 41 000 inclusions de suicidants en 2024. L'effet de ces stratégies de prévention est assez massif.

Je souhaite également mentionner la formation au secourisme en santé mentale, dispositif « citoyen » ayant vocation à mobiliser le plus grand nombre. Les modules de formation à destination des jeunes sont en cours de mise au point.

Je n'ai pas d'explication technique à vous fournir quant aux problèmes de production et de disponibilité des antipsychotiques. Je crois que ces problèmes sont en train d'être corrigés et, dans l'intervalle, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a élaboré une recommandation pour guider les prescripteurs dans des prescriptions alternatives.

L'essentiel a été dit sur l'accès aux soins pour les publics vulnérables, en particulier les publics de l'ASE. Ce sujet est considéré comme prioritaire. Au-delà des deux expérimentations Santé Protégée et Pégase, qui seront généralisées en 2026, notre tour de France nous a permis de découvrir d'autres dispositifs dédiés à l'appui aux structures ASE, sous forme d'équipes mobiles. Ces dispositifs, tout à fait probants, ont aussi vocation à être généralisés.

Enfin, ce qui est intéressant dans la formation des IPA, c'est la cinétique constatée année après année : peut-être n'est-elle pas exponentielle, mais elle est encourageante. Elle s'accompagne d'une mobilisation des universités pour ouvrir des formations. Ce mouvement est donc enclenché, avec des retours d'expérience très positifs.

Une limite a été signalée dans ce développement, à savoir l'absence d'accompagnement financier des formations. Ce problème a été réglé : les crédits de remplacement sont désormais alloués aux établissements, qui bénéficient également d'un emploi supplémentaire au retour de formation de l'IPA, afin que celui-ci ne retourne pas dans son poste d'origine, ce qui est incohérent. L'accompagnement s'est donc amélioré.

Mme Annick Petrus. - La santé mentale dans les outre-mer est un sujet à la fois urgent et structurel. Urgent, car la crise de la covid-19 a agi comme un révélateur, accélérant la détresse psychique de nombreuses personnes, en particulier les plus jeunes. Structurel, car cette crise est inscrite dans un système déjà profondément inégalitaire. La réalité dans nos territoires est une offre de soins sous-dimensionnée, des professionnels trop peu nombreux et des conditions d'accès aux soins psychiatriques souvent dégradés.

Dans un éditorial paru en 2022 dans L'Information Psychiatrique, le docteur Stéphane Amadéo rappelle que le nombre de psychiatres pour 100 000 habitants varie entre 7 et 14 dans les outre-mer, contre 22,5 en France hexagonale et jusqu'à 170 à Paris. Cet écart résume à lui seul la profondeur de l'inégalité.

La dispersion géographique, le manque de structures d'hospitalisation, l'éloignement, le coût de l'évacuation sanitaire et l'insuffisance du maillage associatif rendent la réponse encore plus complexe.

Plusieurs territoires ont engagé des dynamiques positives comme la Martinique, avec ses équipes mobiles, ou la Polynésie, avec sa stratégie communautaire. Mais elles sont souvent fragiles, faute d'un soutien pérenne de l'État.

J'en viens à mon territoire : alors même qu'il connaît une grande misère sociale, il doit faire avec des services déstructurés à l'hôpital Louis Constant Fleming et une très grande difficulté en matière de prise en charge. Les personnes les plus aisées peuvent obtenir ailleurs un suivi médical, mais les autres s'enfoncent dans leur maladie. La pédopsychiatrie est quasi inexistante.

L'accompagnement psychologique des jeunes est l'un des angles morts de notre politique de santé. Le Gouvernement prévoit-il une réponse nationale, différenciée, ce qui suppose des moyens, une stratégie de formation locale, l'appui aux associations, le renforcement de la télémédecine et un véritable partage politique interministériel ? La santé mentale n'est pas qu'une affaire de soins, c'est aussi une affaire de cohésion sociale, de justice territoriale et de dignité humaine.

Mme Annie Le Houérou. - Les maires sont très souvent confrontés à des situations de détresse psychologique et de vulnérabilité liées à des pathologies psychiatriques. À l'issue de votre troisième tour de France, vous avez probablement relevé de bonnes pratiques et parlez d'un nouvel élan. Je suis pour ma part très inquiète, car nous manquons de psychiatres et d'infirmiers spécialisés. Quelles sont vos préconisations pour améliorer l'accès aux soins sur nos territoires à court terme ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le rapport de l'OMS du 16 juin 2022 précise que l'impact de la covid-19 sur la santé mentale ne doit pas être sous-estimé. Les confinements stricts et les couvre-feux se sont succédé durant deux ans en France. Nous sommes l'un des pays qui a pris les mesures les plus sévères. La Suisse ou l'Allemagne ont eu des confinements beaucoup plus courts et ont mis en place des pass sanitaires beaucoup plus tolérants. Les pathologies déclenchées ou accentuées par ces politiques nécessitent aujourd'hui une prise en charge sur le long terme, particulièrement pour les plus jeunes.

En mars 2023, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) a publié des chiffres inquiétants sur la surconsommation de psychotropes durant la crise de la covid chez l'enfant, hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Les prescriptions ont explosé durant l'année 2021 : plus 224 % pour les hypnotiques, des somnifères apparentés aux benzodiazépines, et plus 23 % pour les antidépresseurs. Deux ans plus tard, où en sommes-nous sur le nombre de ces prescriptions ? Quel est le risque de dépendance pour les enfants et les adolescents sous traitement ?

Vous l'avez évoqué, une trop forte consommation des réseaux sociaux peut troubler les enfants et les adolescents. Depuis deux ans, nos concitoyens sont de nouveau exposés à une communication anxiogène, cette fois-ci sur le thème de la guerre et de l'effort de guerre. Ces messages répétés ne risquent-ils pas d'aggraver la santé mentale, déjà fragilisée par les années covid, de nos concitoyens, notamment des plus jeunes ? Existe-t-il des chiffres sur les comportements suicidaires, y compris parmi les professionnels de santé ?

Mme Laurence Rossignol. - Nous avons bien compris qu'il existait des dispositifs, des réseaux, des feuilles de route, etc. Mais en vous écoutant, je me suis demandé ce que j'allais bien pouvoir extraire de cette matinée pour les parents qui viennent nous voir et dont les enfants sont atteints de troubles divers ou font des tentatives de suicide ? Toutes ces familles sont démunies face au manque de prise en charge. Personne ne les aide.

La question de la santé mentale, c'est aussi le soutien qu'il convient d'apporter aux familles. À combien évaluez-vous le nombre de lits nécessaires aujourd'hui en France métropolitaine et dans les départements ultramarins pour répondre à la demande en pédopsychiatrie ?

Ma deuxième question est plus facile : la France doit-elle défendre au niveau européen, en particulier devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), l'idée que l'accès aux réseaux sociaux et aux plateformes diffusant des contenus pornographiques est, non pas une question de liberté de création et d'entreprise, mais bien une question de santé publique ? En matière d'accès aux smartphones, il est indispensable de prendre des mesures non pas de régulation, d'incitation ou de formation des parents, mais de stricte interdiction d'accès aux mineurs et de limitation des contenus accessibles dans notre pays.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Vous êtes en poste depuis 2019. Vous avez connu dix ministres de la santé. Vous affirmez que l'heure est à l'accélération. C'est plutôt une bonne nouvelle pour toutes ces familles de jeunes adultes ou d'adolescents souffrant de TND - ils sont la plupart du temps non diagnostiqués - et présentant des pathologies associées, qu'il s'agisse de troubles du spectre de l'autisme (TSA) ou de troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

En secteur rural, nous sommes de plus en plus confrontés à ce genre de problématiques. En tant que maire, je n'ai constaté l'émergence d'aucune dynamique sur mon territoire. Avez-vous des propositions spécifiques pour la ruralité ? Vous évoquez le déploiement massif du secourisme en santé mentale. Je n'en avais pour ma part jamais entendu parler. Existe-t-il un plan de communication auprès du grand public pour ce type de secourisme ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je suis un peu perplexe : j'ai l'impression que plus on parle de santé mentale, moins on avance. Dans le Pas-de-Calais, où j'habite, l'hôpital de Lens n'a plus de pédopsychiatre : 2 500 enfants sont concernés. Les familles ne savent plus comment faire pour trouver un rendez-vous. Dans les territoires sous-denses comme le mien, le site de la caisse primaire d'assurance maladie propose bien un annuaire listant les professionnels, mais celui-ci est toujours indisponible - on se doute bien pourquoi...

Ma collègue a évoqué les difficultés rencontrées en secteur rural : nous avons les mêmes en ville. Sur l'invitation d'Alain Milon, j'ai participé à une matinée : j'ai été atterrée par les chiffres qui nous ont été communiqués. Un jeune adulte sur deux âgés de 16 à 29 ans présente des troubles de dépression en France ! Notre pays compte 6 000 morts par suicide par an, c'est même la première cause de décès chez les jeunes de 15 à 29 ans. Je savais que la situation était grave, mais je ne m'attendais pas à de tels chiffres.

Nous sommes dans la situation du chien qui se mord la queue : comment faire si nous n'avons pas davantage de pédopsychiatres et de psychiatres ? Selon vous, combien faudrait-il former de professionnels pour être au niveau du plan annoncé ? Au cours de nos réunions, l'accent a souvent été mis sur le manque d'innovation en santé mentale, aussi bien en matière de diagnostic que de thérapeutique. Cet aspect est-il pris en compte dans vos préconisations ?

Mme Marie-Pierre Richer. - La semaine dernière, dans le cadre du groupe d'études Handicap, nous avons auditionné des acteurs des groupes d'entraide mutuelle (GEM). Ils sont assez méconnus, mais cette audition a conforté l'idée qu'ils avaient un rôle indispensable à jouer en faveur de la santé mentale et, au-delà, de la psychiatrie. Nous avons eu en face de nous des personnes engagées, qui souhaitent également développer des GEM jeunes. Elles estiment que les GEM ne sont pas assez présents ou représentés dans les PTSM et qu'ils ne sont pas reconnus au sein des ARS. Partagez-vous ce constat ? Comment pouvons-nous mieux les accompagner pour qu'ils prennent toute leur place ?

Mme Marion Canalès. - La France peut-elle continuer à organiser les soins sans consentement, notamment à l'égard des patients mineurs ? Ce dossier est-il étudié ? Fait-il l'objet d'un axe particulier ?

M. Alain Milon. - J'ai assisté hier à la présentation de la campagne tarifaire des ministres Mme Vautrin et M. Neuder : 400 millions d'euros supplémentaires sont mis sur la table pour la psychiatrie, dont 100 millions pour la pédopsychiatrie. Malgré ces sommes relativement importantes, les élus éprouvent une sorte d'angoisse permanente au sujet de la santé mentale de nos concitoyens. Vous avez parlé de la sectorisation : elle date tout de même des années 1970-80. Or certains secteurs sont plus performants que d'autres. Idem pour les PTSM, comme vous l'avez reconnu en introduction. Les conseils locaux de santé mentale (CLSM) existent également depuis plusieurs années maintenant. Je viens de relire un article : ils ne couvrent que 20 millions de nos concitoyens, alors que notre pays compte 70 millions d'habitants. Ma question est donc simple : où sont les freins ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Quel travail de réflexion menons-nous sur un mal bien français, la surprescription de médicaments, des antidépresseurs jusqu'aux psychotropes ? Ce phénomène, qui a connu son acmé pendant la crise sanitaire, était déjà bien présent avant. Notre pays figure parmi les plus gros consommateurs, comme en attestent plusieurs études européennes. Comment appréhendez-vous ce problème, d'autant que cette surconsommation engendre parfois des addictions ?

En France, on prescrit - ne soyons pas dupe, il y a aussi un lobby derrière - faute de soigner. Vous annoncez que le dispositif Mon soutien psy a déjà bénéficié à 500 000 personnes : c'est la preuve qu'au-delà des problèmes d'orientation et de parcours, la solvabilisation est bien un aspect sur lequel il importe de travailler. Pourquoi ne conventionnons-nous pas les psychologues ? Consulter ces professionnels devrait pouvoir faire l'objet d'un remboursement.

La surprescription s'explique aussi par la pénurie de professionnels. Nous avons attendu que la situation soit dramatique pour prendre le problème au sérieux. Pendant des décennies, la psychiatrie - avec la gériatrie et, dans une moindre mesure, la pédiatrie - a été le parent pauvre de la médecine : la remontée sera forcément lente. Que comptez-vous faire pour réduire ce problème et faire en sorte que nous ne restions pas le plus mauvais élève en Europe ?

M. Frank Bellivier. - Les outre-mer concentrent en effet plusieurs des facteurs de vulnérabilité que j'ai évoqués en introduction. Pour avoir suivi la manière dont se déployaient les projets territoriaux de santé mentale en outre-mer - Martinique, Guadeloupe, Guyane et Mayotte -, je peux dire que ces territoires ont su développer des modes organisationnels très communautaires, susceptibles malgré tout d'apporter des réponses.

Je pense, en particulier, à la mise en place des médiateurs en santé mentale en Guyane, qui peut être très inspirante. J'ai évoqué dans mon propos liminaire la mobilisation des nouveaux métiers : c'est à ces dispositifs de première ligne que je faisais référence. La télémédecine, qui s'est développée sur l'ensemble du territoire national, me paraît également devoir constituer une bonne solution pour les outre-mer.

Quoi qu'il en soit, ces réponses spécifiques sont plutôt apportées par les organisations locales. Je crois d'ailleurs beaucoup à la créativité et à la mobilisation des acteurs des PTSM, plus encore dans les territoires ultramarins. Pour faire face à la pénurie de soignants, organisation et coopération entre les différents secteurs pour des parcours continus sont un élément crucial.

En tout état de cause, nous nous efforçons de soutenir ces territoires particulièrement vulnérables : le volet outre-mer est présent dans chacune des actions de notre feuille de route. Nous veillons également à ce que les instruments financiers de soutien à l'innovation bénéficient aussi aux territoires ultramarins.

La question suivante portait sur la mobilisation des collectivités territoriales. Nous sommes à un moment de l'histoire où les élus, notamment des municipalités - je fais référence à l'appel de Nantes, qui constitue une évolution assez intéressante -, ont manifesté un intérêt et ont identifié le rôle qu'ils pouvaient jouer dans la construction des PTSM.

Au-delà de l'appel de Nantes, la mobilisation des élus s'incarne évidemment dans les conseils locaux de santé mentale, dont nous soutenons fortement le déploiement, en lien avec le Centre collaborateur français de l'Organisation mondiale de la santé (CCOMS) pour la recherche et la formation en santé mentale de Lille. Pourquoi seulement 20 millions de nos concitoyens sont-ils concernés par un CLSM ? Tout simplement parce que la dynamique d'installation est à la main des élus. Nous faisons de la publicité, nous encourageons les initiatives des conseils locaux de santé mentale, mais nous ne pouvons pas massifier la démarche, même si la cinétique de création me paraît plutôt bonne. Pour que cela fonctionne, il faut que ce soit une initiative de l'élu local.

J'en viens aux pénuries de personnel et à l'attractivité des métiers. La réponse que nous pouvons apporter à cette problématique tient dans la gradation des soins et la qualité de ces soins. Les soignants quittant l'hôpital font état d'une perte de sens de leur métier ; ils restent beaucoup plus quand ils travaillent dans des organisations vertueuses. Il faut donc améliorer les organisations et la qualité, mais également encourager la coopération entre le secteur sanitaire et les autres secteurs.

S'agissant de la consommation de psychotropes, je voudrais indiquer publiquement que l'interprétation donnée par le rapport du HCFEA est très approximative et que les conclusions manquent de sérieux. L'accroissement de la consommation de psychotropes en France est réel. Mais sans analyse plus détaillée, on aura du phénomène une compréhension erronée, comme c'est le cas dans ce rapport.

Il faut commencer par distinguer la catégorie des benzodiazépines, véritable cancer français. Nous connaissons les déterminants de la prescription de ces produits : c'est un phénomène systémique, ancien, connu, contre lequel nous essayons de lutter. Dans un contexte de dégradation de la santé mentale, ce cancer se propage évidemment dans la population générale, comme chez les jeunes. Or nous avons toutes les raisons de penser que ces prescriptions sont inappropriées.

Pour comprendre le phénomène lié aux antidépresseurs, avec des prescriptions parfois également inappropriées, il faut s'intéresser à l'épidémiologie des troubles anxieux et dépressifs, qui sont une indication connue et validée pour ces médicaments, y compris chez les adolescents. Il n'existe probablement pas de distorsion entre l'accroissement de la prévalence de ces troubles et celui de la prescription des antidépresseurs. Les conclusions du rapport me semblent donc hâtives pour cette catégorie précise.

Les antipsychotiques et régulateurs de l'humeur font l'objet de prescriptions très spécialisées et je ne vois pas comment un médecin généraliste en viendrait à prescrire de tels médicaments à un adolescent. Il me semble donc abusif d'envisager ces prescriptions comme inappropriées, et l'on sait que, depuis la crise de la covid-19, nous enregistrons des états de décompensation, en particulier chez les jeunes. Là encore, je ne crois pas à une forte distorsion entre l'augmentation de la prescription de ces médicaments et celle de la prévalence des troubles.

Le HCFEA fait également ses choux gras avec les prescriptions de méthylphénidate, qui, selon lui, exploseraient. Mais, au moment où l'on déploie autant d'efforts pour diagnostiquer les troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, ne faut-il pas considérer cet accroissement de prescriptions comme une bonne nouvelle ?

Mme Laurence Rossignol. - Comment expliquez-vous l'augmentation de tels troubles chez les enfants ?

M. Frank Bellivier. - Il y aurait peut-être, selon les études épidémiologiques, une hausse des cas. Mais ce qui augmente surtout, c'est l'accès aux soins, et c'est une bonne nouvelle !

J'ai été interrogé sur les conduites suicidaires des professionnels de santé, dont on sait depuis longtemps qu'ils font partie des professions les plus à risque. La santé mentale des soignants fait l'objet de beaucoup d'attention et les hôpitaux sont en train de déployer le secourisme en santé mentale pour améliorer le repérage, y compris au sein de cette population. Il existe enfin des dispositifs qui lui sont dédiés, comme la campagne « En parler, c'est déjà se soigner ».

Concernant le nombre de lits nécessaires en pédopsychiatrie, certaines régions n'étaient en effet pas dotées en lits. Des correctifs ont été apportés dans le cadre de l'appel à projets de remise à niveau de l'offre en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Cela étant, je ne suis pas certain - sauf dans certaines régions et notamment en pédopsychiatrie - que, pour résoudre l'inadéquation entre l'offre et les besoins, il faille forcément ouvrir des nouveaux lits, notamment du fait de la priorité que l'on souhaite donner aux prises en charge ambulatoires et communautaires. Le recours à l'hospitalisation, en comparaison d'autres pays européens, demeure excessif, ce pourquoi nous cherchons à développer des dispositifs alternatifs, que les représentants des patients et des familles appellent d'ailleurs de leurs voeux.

La feuille de route « écrans » prévoit une interdiction de consommation d'écrans en dessous d'un certain âge, et une sensibilisation des parents à la régulation de la consommation d'écrans de leurs enfants. J'ignore si une politique nationale peut intervenir sur des systèmes sur lesquels il me semble que nous n'avons pas la main, mais je ne suis pas spécialiste de ce sujet.

Mme Stéphanie Lafont-Rapnouil, conseillère à la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie. - En complément, la stratégie de protection de l'enfant face aux écrans est menée au niveau européen sur le sujet de la régulation, et en particulier des algorithmes. Des travaux sont en cours et un sommet aura lieu en Pologne en mai sur ce sujet. La délégation générale de la santé et le haut-commissariat à l'enfance sont mobilisés.

M. Frank Bellivier. - Sur l'accès aux soins des enfants et des adolescents en ruralité, lors de notre tour de France, nous avons repéré des initiatives intéressantes pour mieux couvrir les besoins des territoires ruraux. Certaines maisons des adolescents ont des équipes mobiles pour couvrir les besoins éloignés des centres urbains et ce dispositif a vocation à se généraliser. La future instruction sur les PTSM s'articulera par ailleurs avec la feuille de route du mal-être agricole qui se déploie chez les adultes et qui aura un effet, par ruissellement, sur la situation des enfants et des adolescents en ruralité. Dans la construction de ces parcours enfants et adolescents qui seront prioritaires dans la prochaine génération de PTSM, la mobilité et l'aller-vers dans les territoires ruraux font partie des réponses que l'on promouvra.

Le secourisme en santé mentale est un dispositif citoyen qui nous vient d'Australie, dont les modules de formation ont été validés par l'association PSSM France. Nous soutenons le déploiement du secourisme en santé mentale depuis plusieurs années. Cela consiste à former nos concitoyens au repérage, à encourager la prise de parole sur des situations de souffrance psychique, et à opérer à une médiation de la personne qui ne va pas bien vers les ressources qui aident. Ce sont des personnes ressources dans des communautés, par exemple en milieu professionnel ou au sein d'un quartier, qui sont en capacité de faire ce repérage et cette médiation. Ce dispositif rencontre un vrai succès : il existe près de 200 000 secouristes aujourd'hui. Un module à destination des jeunes a vocation à se développer en coopération avec l'éducation nationale.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Et tout cela en 2025 ? La ruralité, l'aller-vers, le secourisme en santé mentale... vous annoncez des choses, mais à quel horizon ?

M. Frank Bellivier. - Le secourisme en santé mentale se déploie depuis trois ans et nous prévoyons de poursuivre son développement. La ruralité sera traitée dans la prochaine génération de PTSM. Comme je l'ai indiqué, la reformulation de l'offre s'inscrit dans le temps long.

Les MDA ont été assez fortement renforcées et vont continuer à l'être. Concernant le suicide chez les jeunes, j'ai déjà mentionné l'ouverture de la stratégie multimodale de prévention du suicide aux mineurs. Au travers du déploiement des formations en compétences psychosociales en lien avec l'Éducation nationale et du secourisme en santé mentale, nous espérons opérer une meilleure prévention du suicide en général et en particulier chez les jeunes. Nous restons, malgré le pic de la crise de la covid-19, dans une tendance baissière : il y avait 12 000 morts par an il y a une quinzaine d'années et nous sommes aujourd'hui à 9 000, notamment grâce aux effets de cette stratégie multimodale.

Nous sommes membres du « fan club » des GEM : nous les soutenons beaucoup et contribuons à la création de nouveaux GEM. Cette communauté porte une parole extrêmement importante et nous les associons à nos groupes de travail. Ils sont en train de faire un tour de France pour dresser un bilan des GEM et j'aurai moi-même un déplacement en juin au GEM de Lannion.

Nous sommes engagés dans un accompagnement des établissements pour réduire les soins sans consentement, le recours à l'isolement et à la contention. Ce sujet est difficile compte tenu de l'hétérogénéité du recours à ces pratiques. Certains territoires les utilisent très peu voire pas du tout, et d'autres y ont massivement recours. Nous en faisons donc avant tout un enjeu de doctrine, de formation et d'accompagnement des équipes soignantes. Les alternatives au recours à l'hospitalisation (centres de crise, équipes mobiles de crise) visent justement à éviter qu'une situation qui s'acutise se termine en hospitalisation.

L'organisation de secteur a progressivement dérivé et propose aujourd'hui un paysage illisible de l'offre pour les patients, les familles comme pour les soignants.

Nous ne conventionnons pas les psychologues car ce n'est pas une profession de santé, et qu'il s'agit d'une profession très hétérogène.

Mme Raymonde Poncet Monge. - On pourrait conventionner, par exemple, les psychologues cliniciens.

M. Philippe Mouiller, président. - Ce n'est pas le débat de notre matinée. Nous vous remercions beaucoup, Monsieur le délégué ministériel, d'avoir répondu à nos questions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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