C. LES JEUNES SUBISSENT LES EFFETS DES CRISES ET DE LA POROSITÉ ENTRE LE MONDE RÉEL ET LE MONDE VIRTUEL

1. Les effets d'hystérèse de la crise du covid-19

Comme l'ont montré les études et les rapports publiés sur ce sujet, la détérioration de la santé mentale des jeunes a connu une forte accélération avec la crise du covid-19.

Cette période a profondément bouleversé le quotidien et les habitudes de vie des jeunes. Ils ont été exposés à l'angoisse d'être contaminé ; ont vécu plusieurs mois en dehors des murs de l'école avec parfois pour conséquence un décrochage scolaire ; ont pâti du recul des interactions sociales et de l'activité physique et, dans le même temps, ont augmenté leur temps d'exposition aux écrans et d'utilisation des réseaux sociaux.

Le temps de connexion à internet chez les 15-24 ans

En janvier 2024, 84,7 % des 15-24 ans, soit 6,6 millions de jeunes, se sont connectés à internet chaque jour. En moyenne, les 15-24 ans passent 3h50 par jour sur internet, dont 3h34 sur leur téléphone mobile. Les réseaux sociaux représentent 58 % de leur temps quotidien passé sur internet. Plus de 8 sur 10 (81,3 %) d'entre eux s'y sont connectés chaque jour en janvier 2024.

Source : Médiamétrie, Audience Internet Global, France, Janvier 2024

Or, l'issue de la crise du covid-19 ne s'est pas traduite par un « retour à la normale » : certains changements directement attribuables à la crise du covid-19, comme le temps passé devant les écrans et le recul de l'activité physique, se sont ancrés dans les habitudes des jeunes avec des conséquences néfastes sur leur état de santé, sur le plan mental comme sur le plan physique. Les jeunes éprouvent en effet une difficulté croissante à s'inscrire dans le fonctionnement général de la société, à établir des liens sociaux non numérisés et à projeter un parcours de vie.

2. L'incidence établie des réseaux sociaux
a) L'usage des réseaux sociaux contribue à la détérioration de la santé mentale des jeunes

Malgré la difficulté à isoler et donc à mesurer les effets des réseaux sociaux, l'ensemble des acteurs auditionnés par les rapporteurs jugent qu'ils contribuent à la dégradation de la santé mentale des jeunes et particulièrement à celle des jeunes filles.

Selon une étude de l'organisation mondiale de la santé (OMS)48(*) menée auprès de jeunes âgés de 11, 13 et 15 ans, l'utilisation problématique des réseaux sociaux - associée à des symptômes semblables à ceux de l'addiction - est en forte augmentation chez les adolescents, passant de 7 % en 2018 à 11 % en 2022. Les filles rapportent des niveaux plus élevés d'utilisation problématique que les garçons (13 % contre 9 %).

La même étude indique que ces jeunes « font état d'un bien-être mental et social plus faible et d'une consommation plus élevée de substances psychoactives » et que cette tendance, si elle se poursuit, « pourrait avoir des conséquences considérables sur le développement des adolescents et sur les résultats sanitaires à long terme. »

En outre, l'usage des téléphones a tendance à amplifier les situations de harcèlement, qui dépassent désormais le cadre scolaire et s'immiscent jusque dans la chambre de l'enfant ou de l'adolescent.

Selon une enquête statistique menée en 2023, 5 % des écoliers déclarent avoir reçu « souvent » ou « très souvent » des messages insultants ou menaçants le concernant de la part d'un ou plusieurs élèves sur un téléphone portable ou sur les réseaux sociaux (14 % en incluant les élèves ayant répondu « parfois ») ; et 1 % des collégiens et 1 % des lycéens déclarent que « souvent » ou « très souvent », des photos ou des vidéos intimes de lui ou d'elle circulent sans son accord sur un téléphone portable ou sur les réseaux sociaux (2 % des lycéens indiquent « parfois » pour cette atteinte)49(*).

Ainsi, l'association Suicide Écoute a indiqué aux rapporteurs que la recrudescence des appels de jeunes pour idées suicidaires est notamment portée par la hausse des phénomènes de harcèlement via les réseaux sociaux.

b) Les jeunes filles sont particulièrement touchées par ce phénomène

Le fait que la dégradation de santé mentale des jeunes femmes de moins de 25 ans ait débuté au milieu des années 2010 fait des réseaux sociaux l'un des principaux suspects : c'est à ce moment que leur usage s'est fortement développé, entrant dans l'intimité des jeunes.

Or, les femmes de moins de trente ans représentent la tranche d'âge qui utilise le plus les réseaux sociaux : près de 50 % d'entre elles consultent les réseaux sociaux au moins une fois par heure, contre 16 % en population générale50(*).

Selon la Drees, la fréquence de consultation des réseaux sociaux est fortement associée aux difficultés psychosociales chez les jeunes filles.

Cette vulnérabilité sur les réseaux sociaux s'explique notamment par leur exposition aux contenus de bodyshaming (stigmatisation de l'apparence des corps et de certains critères physiques), au revenge porn (ou « vengeance pornographique », qui consiste à mettre en ligne un contenu sexuellement explicite, sans le consentement de la personne concernée) et aux challenges toxiques (défis dangereux lancés sur les réseaux sociaux).

Certaines vidéos vont jusqu'à encourager explicitement les troubles alimentaires, l'automutilation et le suicide. En novembre 2024, sept familles françaises ont annoncé avoir porté plainte contre le réseau social TikTok car leurs filles adolescentes, qui avaient été exposées à de tels contenus, ont développé des troubles psychopathologiques allant, pour deux d'entre elles, jusqu'au suicide.

3. Un monde anxiogène, un avenir source d'inquiétude

Tout comme en population générale, les troubles anxieux et dépressifs chez les jeunes sont également encouragés par le caractère anxiogène du contexte écologique et géopolitique.

Comme l'a récemment démontré une étude portée par l'Agence de la transition écologique (Ademe), l'impact de l'éco-anxiété sur la santé mentale des Français, et plus particulièrement des jeunes, est réel.

La notion d'éco-anxiété

L'éco-anxiété peut être définie comme la détresse mentale face aux enjeux environnementaux, et ne doit être confondue avec la prise de conscience des enjeux environnementaux ni avec l'engagement dans la transition écologique.

Les formes les plus aiguës d'éco-anxiété se manifestent par des ruminations permanentes quant à la crise environnementale et à ses conséquences existentielles, des symptômes affectifs intenses, tels que l'inquiétude, la peur et l'anxiété, le sentiment de ne pas en faire suffisamment pour la planète et pour les cas les plus extrêmes un isolement social, une difficulté à dormir et à vivre sereinement.

Source : Étude de l'Observatoire de l'éco-anxiété (2025)

Selon cette étude, 5 % des Français sont très fortement éco-anxieux au point de devoir bénéficier d'un suivi psychologique et pour 1 % d'entre eux, soit environ 420 000 pesonnes, il existe un risque sévère de basculer vers une psychopathologie (dépression réactionnelle ou trouble anxieux). Si l'éco-anxiété touche toutes les catégories sociodémographiques, les 25-34 ans et les 15-24 ans sont les deux premières tranches d'âge les plus éco-anxieuses51(*).

En outre, les acteurs auditionnés par les rapporteurs ont, à plusieurs reprises, mentionné l'impact du contexte géopolitique sur la santé mentale des jeunes. Les conséquences du dérèglement climatique, les guerres en Ukraine et au Proche-Orient et, en France, l'instabilité politique favorisée par la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024 contribuent, selon eux, à la constitution d'un climat angoissant. Ce constat est partagé par SOS Amitié, qui relève par exemple, dans sa contribution écrite, que « la guerre en Ukraine, a généré beaucoup d'appels, surtout au début du conflit. Le climat sur le sol national est aussi évoqué, les grands événements également ».

Ces événements, qui participent à la morosité ambiante et donnent aux jeunes le sentiment d'un lendemain plus difficile que pour la génération qui les a précédés, expliquent en partie la difficulté qu'ils éprouvent à se projeter vers l'avenir : 55 % des 16-24 ans se disent inquiets pour leur avenir52(*).

À ce contexte national et international s'ajoutent des difficultés liées aux trajectoires individuelles. Au cours de leur audition, les professionnels de la santé scolaire ont tout particulièrement insisté sur les difficultés rencontrées par les élèves sur le plan de l'orientation professionnelle.

Les choix d'orientation s'accompagnent en effet d'une pression scolaire élevée, les collégiens et lycéens devant se décider très tôt. Selon les représentantes des infirmières scolaires auditionnées, le rapport de la société et des familles avec l'école est de plus en plus difficile car la réussite scolaire a des conséquences sur tout le parcours de vie et que de nombreux élèves manquent d'un interlocuteur humain pour préparer leurs décisions d'orientation.

Cette pression s'exerce plus intensément sur les lycéens, qui sont particulièrement sujets au stress lors de la période des candidatures sur Parcoursup. Là encore, les jeunes filles semblent plus fortement impactées : elles internalisent davantage les contraintes quant à leur choix de carrière et à la conciliation de leur vie professionnelle avec une future vie de famille53(*).

Enfin, l'angoisse liée à l'avenir est parfois doublée de situations familiales difficiles voire violentes. Le nombre d'actes commis dans la catégorie « coups et blessures intrafamiliaux » a augmenté de 41 % entre 2020 et 202354(*), et de nombreux mineurs subissent des violences sexuelles (dans leur enfance, 13 % des femmes et 5,5 % des hommes ont subi des violences sexuelles)55(*), ce qui contribue à l'apparition de troubles de santé mentale.

4. Le rôle des substances addictives

La consommation de substances addictives participe également à la dégradation de la santé mentale des jeunes.

Selon la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), les addictions et les troubles de santé mentale sont intimement liés et s'alimentent mutuellement (les addictions peuvent favoriser l'apparition d'un trouble et, inversement, l'apparition d'un trouble peut pousser à la consommation de drogue, vue comme une échappatoire). Il existe par exemple des liens très forts entre la consommation de cannabis et l'entrée dans la psychose, et les patients atteints de psychoses présentent souvent des comorbidités addictives56(*).

Or, une part non négligeable de jeunes est exposée à la consommation de drogues, et ce dès le collège. D'après l'étude EnCLASS précitée, en 2022, 5,3 % des collégiens de 4ème et de 3ème déclarent avoir expérimenté le cannabis, un chiffre qui atteint 16,2 % pour les élèves de 2nde, et 31,2 % pour les élèves de terminale. L'usage du cannabis est plus fréquent chez les jeunes déscolarisés (16,5 % de consommateurs réguliers)57(*).

Pour les rapporteurs, il est indispensable de prendre toute la mesure de cet enjeu en renforçant le volet addictologie de la feuille de route psychiatrie et santé mentale.

Recommandation n° 1 : Renforcer le volet addictologie de la feuille de route psychiatrie et santé mentale, sous l'angle des comorbidités réciproques (Gouvernement, ARS).


* 48 Bureau régional de l'OMS pour l'Europe. Boniel-Nissim, Meyran, Marino, Claudia, Galeotti, Tommaso, Blinka, Lukas, Ozoliòa, Kristîne et al. (ý2024)ý. Enquête sur le comportement des enfants d'âge scolaire en matière de santé.

* 49 Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, Premiers résultats statistiques de l'Enquête harcèlement 2023, Document de travail n° 2024-E02, Février 2024.

* 50 Drees, Enquête EpiCov (Épidémiologie et conditions de vie sous le Covid-19), Études et résultats n°1340, juin 2025.

* 51 Étude « Écoanxiété en France : État des lieux, Seuils de préoccupation clinique, Variables déterminantes », Observatoire de l'Eco-anxiété en partenariat avec l'Ademe, Mars 2025.

* 52 Source : audition de la Caisse nationale d'assurance maladie (chiffres 2022).

* 53 Source : audition de la direction générale de la santé.

* 54 Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), Géographie de la délinquance à l'échelle communale en 2024, Interstats Analyse n°74.

* 55 Dossier de presse de la campagne nationale de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, septembre 2023.

* 56 Source : audition de la Drees.

* 57 Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), Enquête sur la santé et les consommations

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