B. LA SANTÉ MENTALE DE LA JEUNESSE S'AGGRAVE DE MANIÈRE SPECTACULAIRE

1. Une hausse des troubles anxieux et dépressifs particulièrement marquée chez les jeunes, et plus encore chez les jeunes femmes
a) La dégradation de la santé mentale des jeunes

La dégradation de la santé mentale est particulièrement forte chez les adolescents (11-17 ans) et les jeunes adultes (18-24 ans). Selon les études récentes, cette dégradation trouve sa source au milieu des années 2010 et se poursuit depuis la fin de la crise du covid-19, dont les effets amplificateurs ont été largement documentés. Elle s'apprécie au prisme de différents indicateurs.

En 2024, les risques de troubles anxiodépressifs touchent près de 30 % des jeunes âgés de 11 à 24 ans38(*) et un quart des lycéens déclare avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois39(*).

Évolution des troubles névrotiques et de l'humeur entre 2015 et 2022

Source : Data pathologies, calculs Sénat

En outre, depuis 2021, selon un constat partagé par les acteurs hospitaliers auditionnés par les rapporteurs, le nombre de passages aux urgences et d'hospitalisations de mineurs pour des motifs de tentative de suicide, scarification, crises graves et sevrage suite à l'usage de toxiques continue d'augmenter. De manière plus générale, le suicide est la première cause de mortalité entre 15 et 35 ans40(*).

Les lignes d'écoute sont également de plus en plus sollicitées : entre 2022 et 2024, le nombre d'appels à SOS Amitié liés à des idées suicidaires chez les jeunes de moins de 25 ans a progressé de 15 %41(*).

Les jeunes adultes de 18 à 24 ans sont 62 % à se sentir régulièrement seuls, contre 44 % des Français en général. En outre, 90 % des jeunes de cette même tranche d'âge déclarent être touchés par différentes formes de difficultés sur le plan psychologique (pleurs, épisodes de stress, problèmes de sommeil, états dépressifs et pensées suicidaires)42(*).

Enfin, en cohérence avec ces différents constats, de plus en plus de jeunes se voient prescrire des médicaments psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques, somnifères, etc.) : en 2023, 936 000 jeunes de 12 à 25 ans ont bénéficié d'un remboursement à ce titre soit 18 % de plus qu'en 201943(*).

Évolution des prescriptions de traitements antidépresseurs
ou régulateurs de l'humeur entre 2015 et 2022

Source : Data pathologies, calculs Sénat

Le mal-être des enfants et des adolescents s'exprime également par la progression des refus scolaires anxieux.

Si aucune donnée statistique n'est produite par le ministère de l'Éducation nationale sur ce sujet, les rapporteurs ont été alertés par les médecins scolaires sur l'augmentation du nombre d'élèves concernés. À titre d'exemple, en Essonne, entre 2016 et 2023, les demandes d'accompagnement pédagogique à domicile, à l'hôpital ou à l'école (Apadhe) liées aux refus scolaires anxieux ont augmenté de 115 %44(*).

b) Une dégradation particulièrement importante chez les filles et les jeunes femmes

Parmi les jeunes, la dégradation de la santé mentale affecte tout particulièrement les filles et les jeunes femmes.

D'une part, la prévalence des troubles de santé mentale légers à modérés est plus élevée chez les jeunes de sexe féminin.

Sur la période 2018-2022, la prévalence du risque de dépression a augmenté de 24,2 % à 30,9 % chez les filles (collégiennes et lycéennes) et de 13,4 % à 21,4 % chez les garçons. En 2022, 25 % des filles déclaraient avoir déjà eu envie de mourir, contre près de 10 % des garçons45(*). En cohérence avec ce constat, la hausse de la prescription de traitements antidépresseurs ou régulateurs de l'humeur concerne davantage les filles et les jeunes femmes.

Évolution, par sexe, des prescriptions de traitements antidépresseurs
ou régulateurs de l'humeur entre 2015 et 2022

Source : Data pathologies, calculs Sénat

D'autre part, les comportements suicidaires sont en nette augmentation et touchent davantage les adolescentes et les jeunes femmes.

Entre 2017 et 2023, les taux annuels d'hospitalisation à la suite d'un geste auto-infligé (tentative de suicide ou automutilation) ont fortement progressé chez les filles et jeunes femmes de 10 à 14 ans (+ 70 %), de 15 à 19 ans (+ 46 %) et de 20 à 24 ans (+ 54 %). En 2023, 519 jeunes femmes de 15 à 19 ans sur 100 000 ont été hospitalisées pour ce motif, contre 333 pour 100 000 en 201546(*).

2. Une survenance de plus en plus précoce des troubles de santé mentale

La dégradation de la santé mentale touche également les enfants de moins de 11 ans qui manifestent, de plus en plus tôt et parfois dès la maternelle, des troubles de santé mentale à des degrés divers.

S'il n'existe pas d'étude permettant d'objectiver la dégradation de la santé mentale des enfants sur les dix dernières années, pour combler ce vide informationnel suite à la suite de la crise du covid-19, un suivi épidémiologique de la prévalence des problèmes de santé mentale chez les plus jeunes a été mis en place par Santé publique France. Les premiers résultats de l'étude « Enabee », menée auprès des enfants de 3 à 6 ans et de 6 à 11 ans, ont été publiés en décembre 2024.

S'agissant des enfants âgés de 3 à 6 ans, l'étude révèle que près d'un enfant sur douze (8,3 %) est concerné par au moins une difficulté de santé mentale (difficulté émotionnelle, oppositionnelle et/ou d'inattention avec ou sans hyperactivité).

La prévalence des difficultés de santé mentale atteint 13 % parmi les enfants âgés de 6 à 11 ans et recouvre une diversité de troubles et de degrés de sévérité. Plus précisément, dans cette tranche d'âge, 5,6 % des enfants présentent un trouble émotionnel (anxiété ou état dépressif), avec une prévalence plus élevée chez les filles ; 6,6 % présentent un trouble oppositionnel et 3,2 % présentent un trouble de déficit de l'attention, ces deux derniers troubles étant plus fréquents chez les garçons.

En tout état de cause, au regard des témoignages portés à la connaissance des rapporteurs au cours des auditions, les indicateurs relatifs au bien-être et à la santé mentale des jeunes enfants se sont dégradés ces dernières années :

- les gestionnaires de lignes d'écoute ont affirmé recevoir un nombre croissant d'appels de la part d'enfants - près de 3 200 appels d'enfants de moins de 14 ans à SOS Amitié en 2024, contre 500 en 2019 ;

- selon l'Union syndicale de la psychiatrie, parmi les enfants âgés de 9 à 12 ans, on observe une augmentation des idéations suicidaires sans passage à l'acte, conduisant à une hausse des demandes de consultations ; la demande de soins en pédopsychiatrie étant également portée à la hausse par les comportements violents chez les 10-14 ans ;

- les centres départementaux de l'enfance et de la famille (CDEF) ont souligné que les troubles de santé mentale apparaissent de plus en plus tôt chez les enfants qu'ils accompagnent, y compris chez les moins de trois ans.

Par ailleurs, la prescription de traitements antidépresseurs ou régulateurs de l'humeur a augmenté de 61 % chez les moins de 14 ans entre 2015 et 2022, et de 5 % pour les traitements anxiolytiques47(*).


* 38 Baromètre Santé publique France, 2024.

* 39 Étude Mentalo (Inserm), 2024.

* 40 Source : Santé publique France.

* 41 Observatoire SOS Amitié des souffrances psychiques, 2025.

* 42 Sondage de l'Ifop, « Les Français et la solitude », janvier 2024.

* 43 Cnam, Propositions de l'Assurance maladie pour 2025, rapport au ministère chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits de l'Assurance maladie au titre de 2025, juillet 2024.

* 44 Source : audition de représentants des médecins scolaires (Syndicat national des médecins scolaires et universitaires - Union nationale des syndicats autonomes et Syndicat général de l'Éducation nationale - Confédération française démocratique du travail).

* 45 Santé publique France (2024). La santé mentale et le bien-être des collégiens et lycéens en France hexagonale. Résultats de l'Enquête nationale en collèges et lycées chez les adolescents sur la santé et les substances (EnCLASS) 2022.

* 46 Observatoire nationale du suicide, sixième rapport, février 2025.

* 47 Source : Data pathologies, calculs Sénat.

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