B. UN PATRIMOINE IMMOBILIER HÉRITÉ DU PASSÉ DANS UN ÉTAT DE DÉGRADATION INDIGNE

1. « Un cordonnier particulièrement mal chaussé »

À sa création, le Cerema a hérité d'un parc immobilier aussi vaste que vétuste qui cumule aujourd'hui une série de problèmes. Sur les 180 bâtiments du Cerema (240 000 m2), datant pour la plupart des années 1970 voire avant, 170 sont en très mauvais état.

La vétusté de nombre d'emprises du Cerema n'offre pas de conditions de travail décentes aux personnels qui y travaillent, exposés notamment à des amplitudes thermiques très inconfortables. La performance énergétique catastrophique de nombreux bâtiments du Cerema, assimilables à des « passoires thermiques », génère des surconsommations d'énergie massives tout comme les coûts qu'elles induisent pour le budget de l'établissement. Les bâtiments de l'opérateur sont également très peu adaptés aux personnes en situation de handicap. Par ailleurs, du fait de son ancienneté, le patrimoine immobilier de l'opérateur est concerné par la présence d'amiante. Enfin, l'ampleur du parc immobilier dont il a hérité à sa création n'est plus calibré pour les effectifs actuels du Cerema. Avec une moyenne de 32,8 m2 par agent, sa sous-densité le place très loin des standards recommandés par la direction de l'immobilier de l'État (DIE).

Les laboratoires d'essais, dont certains ont été visités par le rapporteur au cours de ses déplacements, représentent 37 % de la surface bâtie du Cerema et présentent un degré de vétusté particulièrement flagrant. L'établissement souligne qu'ils « n'ont pas pu être modernisés, faute de moyens, à hauteur des enjeux et des exigences imposées par notre niveau d'expertise. Des actions ponctuelles ont été menées pour assurer le strict cadre réglementaire obligatoire des essais, et ces surfaces demandent à être repensées en termes d'environnement maitrisé, d'acoustique, de conditions de travail et de secours électrique »67(*).

Le rapporteur observe que cette situation peut, à certains égards, être considérée comme un comble pour un opérateur qui fait figure de référence en matière d'expertise relative à la performance énergétique des bâtiments. Si les partenaires du Cerema s'en tenaient à l'état des bâtiments dans lesquels l'opérateur les accueille, ce qui fort heureusement n'est pas le cas, ils pourraient légitimement être animés de quelques doutes.

Les organisations syndicales entendues par le rapporteur ont notamment souligné ce paradoxe qui peut tout de même, d'après elles, fragiliser la crédibilité de l'opérateur. Le représentant de l'une d'entre-elles soulignait à ce titre que « la question de la légitimité de l'opérateur peut être amenée à se poser lorsqu'il ne peut pas lui-même rénover ses bâtiments quand bien même cela constitue l'une de ses compétences » ; la situation est la même « lorsqu'un client reçu au Cerema constate des trous dans la chaussée des voies d'accès à ses locaux ».

Le CGDD, tutelle métier de l'établissement, confirme que les travaux immobiliers qu'a été en capacité de réaliser le Cerema à ce jour sont très loin du compte et ont principalement consisté à répondre à des situations d'urgence susceptibles de menacer la sécurité des personnels : « le parc immobilier du Cerema est vétuste. Les opérations courantes et travaux ponctuels jusqu'en 2021 n'ont permis qu'un maintien en état d'usage très relatif pour pallier les situations d'insécurité pour les occupants »68(*).

2. Entre les enjeux de cessions et de rénovations, un système actuel qui tend à rendre l'équation impossible pour le Cerema

Ayant fait le constat de la sous-densité de son patrimoine immobilier, le Cerema souhaite n'en conserver pour ses propres services qu'environ la moitié. C'est dans cette perspective qu'il a proposé un schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) dans lequel il prévoit de concentrer ses activités sur 90 bâtiments.

Dans le cadre de la préparation de ce schéma, l'établissement a identifié sept sites devant faire l'objet de travaux de rénovation en priorité. Il s'agit des sites de Bron/Lyon, Aix-en-Provence, Rouen, Trappes, Toulouse, Nancy et Saint-Médard-en-Jalles/Bordeaux, soient les sites de production les plus importants du Cerema, disposant des plus grandes surfaces de bâti occupées (plus de 6 000 m2).

Les étapes et le calendrier prévisionnel du programme de rénovation de ces sept sites sont prévus par le Cerema de la façon suivante :

- diagnostic du parc en 2022 ;

- faisabilités et valorisation en 2023 ;

- établissement des programmes en 2023 et 2024 ;

- études en 2025 et 2026 ;

- réalisation des travaux entre 2026 et 2030.

Par ailleurs, l'établissement prévoit un programme de rénovation (un projet de « gros entretien renouvellement » ou « GER ») plus progressif, pour un coût annuel moyen de 2,2 millions d'euros, dans le but de maîtriser la dégradation du reste de son parc immobilier « avec des opérations anticipées à fort retour sur investissement, par exemple des remplacements de production de chaleur ou des opérations d'étanchéité et d'isolation des toitures assorties de mise en place de panneaux photovoltaïques »69(*).

D'ici à 2030, le coût total cumulé des travaux immobiliers prioritaires identifiés par le Cerema représenterait près de 100 millions d'euros avec des pics de dépenses attendus entre 2028 et 2030.

Besoin d'investissements immobiliers identifiés par le Cerema d'ici à 2030

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

Dans son SPSI, le Cerema a également réalisé un exercice théorique d'évaluation du coût que représenterait la remise en état de l'intégralité de son parc immobilier actuel afin notamment de le rendre conforme aux normes réglementaires prévues par le décret tertiaire. Ce coût avoisinerait les 400 millions d'euros.

Compte tenu de sa situation et de ses perspectives financières actuelles, le Cerema n'a pas les moyens de financer par lui-même les rénovations les plus urgentes de son patrimoine immobilier. Pour cela, il envisage de recourir à plusieurs leviers.

Il souhaiterait premièrement pouvoir financer une part de ces travaux par la valorisation d'une partie de son patrimoine. Outre des revenus de location, il souhaiterait pouvoir récupérer des revenus de cession que l'État percevrait de la vente de certains éléments du patrimoine aujourd'hui occupé par le Cerema.

Deuxièmement, le Cerema, soutenu en ce sens par le CGDD, a sollicité à l'État l'allocation d'une subvention spécifique pour la rénovation de son patrimoine immobilier sur la période s'étalant entre 2026 et 2030. En cumul sur la période, la subvention demandée atteindrait environ 49 millions d'euros (voir graphique ci-après).

Enfin, troisièmement, une fois son SPSI approuvé, le Cerema entend candidater à des appels à projets de la direction de l'immobilier de l'État (DIE).

Subventions demandées par le Cerema pour financer la rénovation
de ses sept implantations identifiées comme prioritaires

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

Le projet de SPSI du Cerema a été présenté en conseil d'administration en mars 2024 et le CGDD a indiqué au rapporteur en soutenir pleinement les principes : « le CGDD s'est positionné en accord avec les grands principes de la stratégie présentée dans ce document SPSI : maintien du maillage territorial, rationalisation du parc immobilier en accord avec les indicateurs de la DIE, engagement urgent des travaux sur des sites prioritaires »70(*). Cependant, le rapporteur a été informé que ce SPSI fait l'objet de réserves substantielles de la DIE qui ne l'a toujours pas approuvé.

Dans le même temps, la direction du Cerema, estime qu'au titre de cessions déjà réalisées pour un total de 6,5 millions d'euros, la DIE aurait dû lui reverser 50 % des revenus de cession, soit environ 3,2 millions d'euros. Plus généralement, la mobilisation de 50 % du produit des cessions futures pour financer la rénovation des bâtiments qui seraient conservés par le Cerema est un élément central du modèle de financement envisagé par l'établissement. Pourtant, cette affectation ne serait pas garantie, le ministère en charge de l'écologie réclamant de pouvoir disposer de ces sommes.

Dans un tel contexte, le rapporteur observe que l'opérateur ne disposerait d'aucune incitation à optimiser son parc immobilier. Il constate que la situation est aujourd'hui paralysée, aggravant la dégradation des conditions de travail des personnels de l'établissement. Il est impératif que les tutelles de l'établissement et la DIE parviennent à débloquer cette situation au plus vite comme le CGDD l'a assuré au rapporteur dans ses réponses écrites : « comme la DIE, le CGDD fera le maximum pour soutenir l'établissement dans la mise en oeuvre de sa stratégie immobilière ».


* 67 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.

* 68 Réponses du CGDD au questionnaire du rapporteur.

* 69 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.

* 70 Réponses du CGDD au questionnaire du rapporteur.

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