B. L'ENJEU DE MESURER DE FAÇON EXHAUSTIVE LE COÛT COMPLET DES PRESTATIONS DÉLIVRÉES PAR LE CEREMA

La logique interne inhérente au modèle économique dual du Cerema, qui s'appuie à la fois sur des activités « socles » financées par la subvention pour charges de service public que lui verse chaque année le budget de l'État, et sur des activités commerciales destinées à être rémunérées par leurs bénéficiaires, suppose que l'opérateur dispose d'une comptabilité analytique très fine permettant d'établir une séparation rigoureuse entre les deux sphères. Parfois qualifié de « muraille de Chine », ce principe doit prévenir les phénomènes dits de « subventions croisées » par lesquels l'État ou les clients commerciaux de l'établissement seraient amenés à co-financer de manière détournée des activités qui ne relèvent pas de leur sphère.

En l'occurrence, plus précisément, l'État, et en particulier le ministère chargé des comptes publics, souhaite avoir la garantie que la SCSP du Cerema ne soit pas indirectement employée à financer des activités de nature commerciale à destination des collectivités ou d'autres partenaires du Cerema. Cette exigence indispensable est un principe élémentaire du bon usage des deniers publics. Pour être suffisamment robuste et crédible, une telle garantie ne peut passer que par une comptabilité analytique fine et rigoureuse permettant d'assurer une véritable étanchéité entre les deux composantes du modèle économique de l'opérateur.

Or, en 2021, le rapport précité du CGEDD et de l'IGA faisait le constat qu'une telle garantie n'existait pas : « la mission constate qu'a` ce jour la politique financière de l'établissement vis-a`-vis de ses clients collectivités locales n'apparait pas assez clairement. Pour obtenir 11,3 millions de recettes en 2020, il a fallu mobiliser 7 millions de dotation, contre 4,4 millions en 2019 pour 10 millions de recettes. Le Cerema considère que les 7 millions sont a` comptabiliser sur une base pluriannuelle. Il conviendra dans l'avenir, indépendamment de l'éventuelle évolution du cadre juridique, de mieux distinguer en termes de plan d'affaires les recettes attendues sans mobilisation de la dotation de l'établissement de celles nécessitant des cofinancements ».

Les tarifs des prestations commerciales du Cerema sont votés chaque année par son conseil d'administration. Ils sont établis en fonction du coût de revient complet journalier de l'établissement par grandes catégories d'agents : A +, A, B et C. Il est à noter que les collectivités adhérentes se voient appliquer un rabais de 5 % sur ces tarifs pour tenir compte du temps administratif « économisé » en raison du système de quasi-régie.

Dans le cadre des coopérations avec d'autres acteurs publics, le Cerema applique en 2025 les tarifs qui figurent dans la grille ci-dessous.

Grille tarifaire 2025 pour les coopérations du Cerema
avec d'autres personnes publiques

(en euros par jour)

Catégorie de personnel

Coût de revient complet journalier

A + (expert de haut niveau)

1 383 euros

A (ingénieur - chargé d'étude)

937 euros

B (technicien supérieur)

676 euros

C (technicien d'essais)

586 euros

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

Pour les prestations d'études, quelque soient les marchés et les clients concernés, la grille tarifaire est établie selon un prix de vente journalier défini par famille de fonctions type. Les tarifs en vigueur en 2025 sont présentés dans la grille ci-après.

Grille tarifaire 2025 pour les prestations d'études du Cerema

(en euros par jour)

Famille de fonctions type

Prix de vente journalier hors taxes

Expert de haut niveau

1 450 euros

Directeur de projet - directeur de recherche

1 400 euros

Chef de projet - chargé de recherche

1 000 euros

Ingénieur d'études senior

950 euros

Ingénieur d'études - chargé d'études

750 euros

Technicien supérieur - assistant d'études

650 euros

Technicien d'essais - projeteur

600 euros

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

D'après le Cerema et au regard d'études comparatives réalisées tous les ans avec les grilles des bureaux d'études privés, ces tarifs correspondent aux « standards de prix » du marché.

Afin d'améliorer la transparence du coût et des modalités de financement de ses différentes prestations, le Cerema a développé en 2021 une première forme de comptabilité analytique à partir d'un outil appelé Nova (voir encadré si-après). Destiné à suivre plus précisément le coût des activités de l'établissement, cet outil renseigné par les agents a été étendu à tous les personnels en 2025.

Présentation par le Cerema de sa nouvelle comptabilité analytique Nova

Une comptabilité analytique a été mise en place en 2021, à laquelle tous les agents sont désormais soumis, qui permet un suivi rigoureux des projets afin d'améliorer l'efficacité et la transparence des interventions.

Le suivi analytique de l'activité du Cerema inclut l'organisation matricielle de l'établissement, qui nécessite d'intégrer deux dimensions pour piloter les projets, tant au service des collectivités que de l'État : le portefeuille du secteur d'activité et l'échelle d'intervention (nationale, régionale). L'activité projets est suivie selon les 4 modalités d'intervention et des domaines thématiques.

Cette démarche repose sur l'outil Nova, une « solution logicielle de gestion de portefeuille de projets », qui fait l'objet d'une amélioration continue.

Depuis 2021, l'établissement mesure grâce à Nova :

- le nombre de jours travaillés sur projet par an par agent actif et par domaines d'activité ;

- la répartition des projets régionaux/nationaux ;

- répartition des projets par nature de financements tiers / mixte /SCSP ;

- l'activité croisée, c'est-à-dire les temps passés pour des projets d'autres directions.

Depuis 2024, la comptabilité analytique intègre une nomenclature budgétaire par destination permettant un suivi précis des recettes et des dépenses par destination avec une structuration en trois niveaux :

- activités (ex. production, recherche, diffusion des connaissances) ;

- domaines (ex. expertise territoriale, normalisation) ;

- secteurs (ex. mobilité, infrastructures).

Ce système apporte des données comparables à une comptabilité analytique, permettant une meilleure anticipation budgétaire, une optimisation des ressources et ainsi un pilotage plus fin.

Depuis le 1er juillet 2024 (pour une pleine opérationnalité au 1er janvier 2025), mise en place du suivi généralisé des temps :

- qui complète et prolonge la comptabilité par projets mise en place en 2021 ;

- et qui concerne désormais 100 % des agents du Cerema, y compris ceux des directions supports.

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

Jusqu'à aujourd'hui, cet outil ne permettait cependant d'analyser qu'une partie limitée de l'activité de l'établissement. Ainsi, les résultats qu'a pu consulter le rapporteur ne portaient que sur les « projets » conduits par le Cerema, c'est-à-dire les activités de recherche, les essais et mesures en laboratoires, les expertises techniques ou les formations. Ils ne valorisaient pas à ce stade les activités d'appui à la production (développement commercial, animation réseaux locaux, montage de projets et facturation) ou encore les fonctions support (ressources humaines, finances, secrétariat général, services informatiques, communication).

Alors que l'évaluation exhaustive des coûts complets des activités réalisées par l'opérateur est une exigence très forte de sa tutelle financière dans le cadre des négociations budgétaires, il est essentiel que le Cerema affine sa comptabilité analytique. Il s'agit notamment de mesurer avec la plus grande précision possible le coût complet de ses activités commerciales pour pouvoir le comparer avec les ressources propres qu'il perçoit à ce titre. Cet élément constitue un enjeu de transparence et de crédibilité essentiel pour le Cerema vis-à-vis de sa tutelle financière. Susceptible d'objectiver les équilibres du modèle économique dual de l'opérateur, il semble être un préalable incontournable à la définition par l'État d'un cadre stratégique de long terme et soutenable financièrement pour l'établissement.

Cet enjeu paraît avoir été pris en compte par la tutelle métier de l'établissement. En effet, le CGDD a indiqué au rapporteur travailler avec le Cerema sur un projet de comptabilité analytique plus performant qu'aujourd'hui. Il souligne par ailleurs que « le contrat d'objectifs et de performance en cours de renouvellement prévoit que l'établissement s'appuie sur l'outil de comptabilité analytique pour assurer une plus grande transparence sur les différents flux de financement de ses missions auprès de la tutelle et de ses partenaires »74(*).

Recommandation n° 5 : développer et généraliser à l'ensemble des activités de l'établissement une comptabilité analytique plus fine, permettant d'identifier le coût complet exhaustif des différentes prestations réalisées par l'opérateur.

Au-delà de la question de la couverture du coût complet des prestations commerciales du Cerema par ses recettes tarifaires, il existe aujourd'hui un différentiel estimé par l'établissement à environ 40 millions d'euros par an entre le coût des activités qu'il délivre aux collectivités et les ressources propres qu'il perçoit de leur part. Cela signifie qu'au moins 20 % de la SCSP du Cerema sont aujourd'hui dirigés vers le financement de prestations aux collectivités. En effet, en 2024 alors que le total des dépenses engagées par le Cerema au titre de ses activités destinées aux collectivités avoisinerait les 60 millions d'euros, les prestations commerciales rémunérées par les collectivités n'ont rapporté que 21 millions d'euros à l'opérateur.

D'après le Cerema, cet écart aurait trois origines principales :

- les cofinancements à la charge de l'opérateur dans le cadre du déploiement de grands programmes nationaux et des sollicitations de l'ANCT ;

- les cofinancements de projets exploratoires (réutilisation des eaux usées, gestion du trait de côte, résorption des décharges littorales, etc.) ;

- le coût de l'animation territoriale au profit des collectivités (journées techniques, webinaires, formations, entretien - conseil, etc.).


* 74 Réponses du CGDD au questionnaire du rapporteur.

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