DEUXIÈME
PARTIE
BASCULEMENT VERS LES COLLECTIVITÉS :
LE CEREMA EN
QUÊTE D'UN NOUVEL ÉQUILIBRE
I. HISTORIQUEMENT ESSENTIELLEMENT TOURNÉ VERS LES SERVICES DE L'ÉTAT, LE CÉRÉMA S'ORIENTE DE PLUS EN PLUS VERS LES COLLECTIVITÉS
A. PRÉVUE DÈS LA CRÉATION DU CEREMA, CETTE ÉVOLUTION S'EST ACCÉLÉRÉE DEPUIS 2018
De par les missions qui étaient, à l'origine, réalisées par les organismes fusionnés lors de la création du Cerema, avec pour prédominance les domaines des infrastructures de transport, les interventions de l'établissement étaient essentiellement orientées vers les services de l'État. Ainsi, comme le notait le CGEDD et l'IGA dans leur rapport de 2021 précité, « jusqu'en 2018, l'activité du Cerema était quasi exclusivement orientée au profit de l'État puisque 90 % de ses prestations répondaient aux commandes des administrations de deux ministères », à savoir les ministères chargés de la transition écologique et de la cohésion territoriale.
Cependant, l'objectif du développement progressif des activités du Cerema pour le compte des collectivités lui est consubstantiel dans la mesure où, comme précisé supra, cet objectif constituait l'une des justifications à l'origine de la création de l'établissement. Si peu d'évolutions ont permis d'avancer vers cet objectif au cours des premières années d'existence du Cerema, une impulsion notable a été engagée à partir de 2018, dans un contexte plus général de réformes et de redéfinition des orientations stratégiques de l'établissement. Cette nouvelle dynamique a notamment été permise par une révision profonde des modalités de programmation des activités de l'établissement pour le compte des directions d'administrations centrales qui s'est matérialisée par la fin des droits de tirage de ces dernières sur la subvention pour charges de service public du Cerema (voir infra).
Depuis, y compris pour des raisons budgétaires, afin de développer les ressources propres de l'établissement dans la perspective de compenser la diminution de la subvention annuelle que lui verse le budget de l'État, cet accroissement du volume d'activité du Cerema vers les collectivités a été très encouragé par ses tutelles. À ce titre, cet objectif occupait également une place centrale dans la réforme structurelle conduite par l'établissement dans le cadre du programme Cerem'Avenir.
Cependant, au-delà des aspects purement budgétaires, ce tournant du Cerema vers les collectivités est une évolution cohérente dans un contexte où, tendanciellement, les collectivités sont amenées à jouer un rôle toujours plus majeur dans des politiques d'aménagement du territoire rendues elles-mêmes plus complexes par les enjeux d'adaptation au changement climatique. Pour relever ces nouveaux défis, les collectivités ont de plus en plus besoin d'un accompagnement et d'une expertise de haut niveau, qu'aujourd'hui seule une capacité d'ingénierie publique de taille critique et mutualisée semble pouvoir leur fournir de manière efficiente.
L'inflexion de l'activité du Cerema vers les collectivités a été formalisée en 2021 dans les documents stratégiques de l'établissement, à savoir son projet stratégique 2021-2023 et son contrat d'objectifs et de performance 2021-2024.
Cette bascule progressive peut notamment se mesurer par l'évolution des ressources propres issues de la commercialisation par l'établissement de prestations pour le compte des collectivités. Ainsi, les ressources propres issues des collectivités ont plus que doublé en six ans, passant de 9 millions d'euros en 2018 à plus de 21 millions d'euros en 2024.
Évolution des ressources propres annuelles
perçues par le Cerema
sur le segment des collectivités
(2018-2024)
(en millions d'euros)
Source : Commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
Historiquement, parmi les collectivités, les départements, de par leurs compétences en matière routière, sont les principaux clients du Cerema. Cependant, si les sommes versées par ces derniers pour rémunérer des prestations réalisées par l'établissement ont progressé régulièrement ces dernières années, pour atteindre 8,6 millions d'euros en 2024, leur part relative dans le total des ressources propres du Cerema provenant des collectivités, si elle demeure prépondérante, est plutôt orientée à la baisse au bénéfice notamment des groupements de communes.
Évolution par type de collectivité
des ressources propres annuelles perçues
par le Cerema
(2020-2024)
(en millions d'euros)
Source : Commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
Cette évolution est corrélée à celle de la décomposition par domaines d'intervention de la valeur des prestations délivrées par le Cerema aux collectivités, une évolution qui traduit la contraction de la part relative du secteur historique des infrastructures de transport au bénéfice de domaines plus émergents tels que la mobilité et la gestion des risques naturels (voir infra).
En cohérence avec le positionnement stratégique du Cerema sur l'expertise de haut niveau dans un rôle d'appui aux services d'ingénierie de « premier niveau » des collectivités qui ont les moyens d'en être dotées, les cibles les plus naturelles de l'opérateur sont dorénavant les régions, les départements, les métropoles et autres groupements de communes de plus de 50 000 habitants.
La bascule du Cerema vers les collectivités s'observe aussi dans l'évolution du nombre de collectivités qui contractualisent chaque année avec l'établissement. Ainsi, en 2024, 515 collectivités ont contractualisé avec le Cerema, dont la quasi-totalité des régions et des départements, contre 347 en 2018. En 2024, le Cerema a ainsi produit 2 314 prestations à la demande directe des collectivités.
Évolution du nombre annuel de
collectivités
ayant contractualisé avec le Cerema
(2018-2024)
Source : Commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
Le secteur des infrastructures de transport demeure le principal domaine d'intervention de l'établissement auprès des collectivités, en premier lieu au bénéfice des départements. Il représente ainsi 40 % des ressources propres que le Cerema perçoit de la part des collectivités. Cependant, si le montant des prestations consacrées à ce secteur continue de progresser (+ 2 millions d'euros par an entre 2020 et 2024), sa part relative diminue quant à elle puisqu'elle atteignait encore 57 % en 2020.
En revanche, comme l'illustre le graphique ci-après, les domaines de l'aménagement et de l'ingénierie territoriale, des mobilités ou de l'environnement et des risques ont vu à la fois leur valeur et leur part relative s'accroître de manière substantielle ces dernières années. Le dynamisme de ces domaines d'intervention dans les ressources propres du Cerema témoigne du fait que, dans un contexte marqué par les enjeux de transition écologique, les collectivités ont des besoins d'expertise de plus en plus prégnants dans ces secteurs.
Évolution par domaine d'intervention des
ressources propres annuelles
perçues par le Cerema auprès des
collectivités (2020-2024)
(en millions d'euros)
Source : Commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
Concernant le domaine des mobilités, le Cerema observe ainsi « une demande croissante pour l'accompagnement des nouvelles mobilités, notamment le développement des cheminements piétons, des pistes cyclables et des lignes de covoiturage ». S'agissant du secteur de l'environnement et des risques, il constate « une augmentation des sollicitations sur la gestion de l'eau et la prévention des inondations »19(*).
Il est également à noter qu'outre les prestations délivrées par le Cerema à la demande directe des collectivités et à leurs frais, l'établissement fournit aussi des prestations de conseil et d'accompagnement dans le cadre de programmes nationaux initiés par l'État pour le compte des collectivités. À ce titre, le Cerema pilote la mise en oeuvre du programme « ponts » mais il participe également à d'autres programmes nationaux tels que par exemple le plan national de résorption des décharges littorales.
Le Cerema contribue aussi à la mise en oeuvre de plusieurs programmes portés par l'agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) tels que par exemple les programmes petites villes de demain, action coeur de ville ou encore territoires d'industrie. Dans le cadre d'une convention signée avec l'ANCT, le Cerema contribue chaque année, sur son propre budget, au financement de ces programmes ainsi qu'à des sollicitations ponctuelles de l'agence, à travers la fourniture aux collectivités de prestations. Le Cerema finance pour moitié le coût de ces prestations. L'autre moitié lui est remboursé par l'ANCT.
Coût annuel pour le Cerema des prestations
qu'il délivre aux collectivités
sur demande de
l'ANCT20(*)
(en euros)
Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
Par ailleurs, le Cerema assure une animation technique territoriale pour une sensibilisation, une acculturation et un accompagnement des acteurs locaux sur ses domaines d'intervention. Par cette animation technique le Cerema s'emploie à « affirmer sa présence sur les territoires et à diffuser connaissances et méthodes aux techniciens des services déconcentrés et des collectivités mais également de plus en plus aux élus »21(*).
Enfin, d'autres activités du Cerema, notamment en matière de capitalisation et de diffusion de connaissances, de publications de référentiels et autres guides pratiques, si elles ne sont pas directement adressées aux collectivités, peuvent également leur être utiles en particulier si elles portent sur des compétences qu'elles assument.
* 19 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.
* 20 Le montant très significatif constaté en 2022 s'explique par le lancement de grands programmes nationaux par l'ANCT.
* 21 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.