B. DE NOUVEAUX REPÈRES À TROUVER ET UNE FIDÉLISATION À CONSTRUIRE
1. Le corps social du Cerema doit apprendre à fonctionner dans un nouveau cadre et au sein de nouveaux équilibres
Le nouveau modèle du Cerema est porteur de transformations importantes pour son corps social et ses personnels qu'il est essentiel de ne pas sous-estimer, d'autant qu'elles succèdent à de nombreuses et profondes évolutions qu'a connu l'établissement depuis sa création. Lors de ses échanges avec les organisations syndicales représentatives, le rapporteur a pu mesurer la prégnance de ces transformations.
Le virage progressif vers les collectivités d'un établissement qui consacrait auparavant quasi exclusivement ses activités aux services de l'État ne va pas de soi, en particulier dans un contexte de forte contraction de ses moyens financiers et de ses effectifs. Alors que les services de l'État réclament un maintien du niveau et du volume de prestations, les personnels du Cerema, y compris pour des raisons budgétaires, sont incités à accroître leurs actions pour le compte des collectivités.
Le nouveau modèle économique du Cerema, qui accompagne son virage vers les collectivités, suscite aussi parfois une forme d'inconfort chez certains personnels. En effet, les missions de service public dites « socles » que l'établissement accomplit pour le compte de l'État sont financées par son propre budget puisqu'en pratique celui-ci est essentiellement abondé par la subvention annuelle qu'il perçoit du budget de l'État. Budgétairement, ces activités sont ainsi perçues comme des dépenses de l'établissement qu'il convient de maîtriser. En revanche, les prestations délivrées aux collectivités à leur demande sont rémunérées par ces dernières et assimilées budgétairement à des recettes qui améliorent la situation financière du Cerema et qu'il convient de développer.
L'activité des personnels du Cerema et le sens qu'ils lui attachent sont nécessairement affectés par ces enjeux. Lors de ses échanges avec les syndicats, le rapporteur a observé qu'il semblait subsister parfois un certain flottement et des incertitudes, notamment en termes de priorisation des activités pour le compte de tel ou tel destinataire. Une telle situation est compréhensible dans la phase de transition actuelle mais elle devra être résolue dans les meilleurs délais à travers un travail de pédagogie renforcé quant aux évolutions du modèle de l'établissement et des consignes managériales très claires quant aux nouveaux fonctionnements, aux nouveaux repères et aux nouveaux équilibres que ces évolutions impliquent pour le corps social, l'enjeu étant de préserver le sens que les personnels, pour l'essentiel très investis et passionnés, associent à leur travail.
2. Une relation de confiance avec les collectivités adhérentes à préserver et à faire fructifier
La dynamique actuelle des adhésions témoigne de la bonne réputation du Cerema auprès des collectivités et de la confiance qu'elles placent en la qualité de ses prestations et de son expertise. Le défi qui s'annonce désormais pour l'opérateur sera de faire vivre cette relation de confiance, de la cultiver et de ne pas décevoir les attentes placées en lui. Pour cela il lui faudra parvenir à fidéliser ses adhérents en répondant à leurs besoins avec le niveau de qualité qui caractérise aujourd'hui les services qu'il rend.
Le Cerema en a conscience et considère à ce titre que « la nécessité de fidéliser les collectivités devient un enjeu stratégique ». En effet « l'adhésion des collectivités au Cerema étant limitée à une période de quatre ans, il est crucial de leur démontrer, tout au long de cette période, la valeur ajoutée de l'expertise fournie afin d'assurer leur réengagement à l'issue de ce cycle »34(*).
Or, dans un contexte de contrainte significative des moyens, notamment humains, de l'établissement, prospecter tant de nouveaux clients et viser un tel accroissement d'activité sans remettre en cause profondément les missions qu'il réalise par ailleurs pour ses partenaires historiques, principalement les services de l'État, apparaît en soi comme une forme de défi.
Certains s'inquiètent quant à la capacité véritable de l'opérateur, dans les circonstances actuelles de tension sur ses effectifs, à pouvoir répondre efficacement et dans des délais raisonnables aux besoins des nombreuses collectivités qui ont déjà adhérées et qui vont adhérer dans les mois et les années à venir à la quasi-régie. Une des craintes parfois exprimée est que, faute de moyens suffisants, l'opérateur doivent se résoudre à délivrer des prestations « au rabais » ne répondant pas au standard d'excellence qui est aujourd'hui associé à ses expertises. Une telle perspective si elle venait à se réaliser, serait extrêmement dommageable pour l'établissement et risquerait de fragiliser son principal capital, à savoir son « image de marque » aujourd'hui incontestée.
Si dans les années à venir l'établissement n'était pas en mesure de répondre à l'attente placée en lui par les nombreuses collectivités adhérentes, le nouveau système produirait de la déception et, dans un « scénario noir », pourrait in fine aboutir à un phénomène de « retour de bâton » qui entacherait la réputation de l'opérateur. Pour conjurer le risque d'une telle issue, et alors que les effectifs de l'établissement restent l'objet d'une très forte contrainte, certains en viennent à considérer qu'il serait peut-être plus prudent de plafonner le nombre d'adhésions. La direction du Cerema a elle-même conscience de cet enjeu et, alors qu'elle envisageait à l'origine parvenir à 2 000 adhérents, elle n'en viserait plus que 1 500 à 1 800.
Cette situation pose nécessairement la question des moyens humains de l'établissement. Sur ce sujet, le rapporteur appelle l'État à la cohérence et à ne pas donner des injonctions contradictoires au Cerema. On ne peut pas lui demander, d'une part, d'augmenter son volume d'activité auprès des collectivités, notamment pour accroître le montant de ses ressources propres, tout en maintenant le niveau de prestations destiné aux services de l'État, et, d'autre part, de poursuivre la réduction de ses moyens humains. Une telle équation est manifestement insoluble. Le CGDD, tutelle métier du Cerema, souligne à ce titre que « le déploiement de l'activité de l'établissement pour les collectivités nécessite des moyens humains et techniques à la hauteur des ambitions ». Aussi, ajoute-t-il qu'aujourd'hui « forte des orientations ministérielles promouvant une accentuation de son appui aux collectivités et à leurs groupements, la tutelle demande de conserver à l'établissement les moyens humains et techniques à la hauteur des enjeux et ambitions de la nation en matière climatique »35(*).
La direction du budget reconnaît désormais que la réduction continue des effectifs de l'opérateur est peut-être sur le point d'atteindre un point de rupture. Elle estime en effet que « de nouvelles diminutions drastiques du plafond d'emplois pourraient nuire au développement de la quasi-régie et des activités du Cerema »36(*).
Au-delà de ces questions de volumes d'effectifs, faire fructifier le lien de confiance qui existe aujourd'hui avec les collectivités adhérentes suppose une adaptation de l'offre de services du Cerema et de son positionnement qui ne sont pas sans conséquences sur son personnel et induisent de développer et mettre en pratique de nouvelles compétences. Le Cerema souligne à ce titre que la transformation qu'il traverse passe notamment par « une évolution de la culture interne, avec des agents capables non seulement d'apporter une expertise technique, mais aussi d'accompagner les élus et les techniciens dans la mise en oeuvre de projets complexes ». Pour répondre aux attentes de ses adhérents, l'établissement pourrait même devoir s'aventurer sur des terrains nouveaux pour lui comme les enjeux d'acceptabilité locale des projets d'aménagement pour lesquels il est sollicité : « un autre défi important réside dans l'acceptabilité sociale des projets. Le Cerema ne peut pas se limiter à un simple accompagnement technique. Il doit aussi aider les collectivités à convaincre et fédérer autour des transitions qu'elles engagent, notamment en facilitant le dialogue et en prenant en compte les préoccupations citoyennes »37(*).
L'opérateur a également tout intérêt à développer de nouveaux outils propices à structurer et à inscrire dans le temps son partenariat avec les collectivités adhérentes. La conclusion de conventions-cadres pluriannuelles apparaît par exemple comme un bon moyen de fidéliser les collectivités et d'instaurer une relation de confiance inscrite dans la durée. Ce nouveau cadre partenarial est développé par le Cerema depuis son changement de statut. Ainsi, depuis 2023, l'établissement a-t-il conclu 46 conventions de ce type avec 16 communes, 16 groupements de communes, 11 départements et 3 régions.
Ce type de conventions semble présenter des avantages réciproques pour les deux parties. Si elle assure à la collectivité que ses besoins d'expertise prioritaires pourront être couverts à moyen terme par le Cerema, elle permet aussi à l'établissement de disposer d'une visibilité pluriannuelle accrue sur son activité, lui permettant notamment d'optimiser l'allocation de ses moyens, ainsi que sur ses ressources prévisionnelles. Le rapporteur soutient le développement de cette pratique vertueuse.
Les avantages des conventions-cadres conclues entre les collectivités et le Cerema
Ces conventions permettent d'établir des plans de charges prévisionnels, ce qui aide à la planification des ressources humaines et matérielles nécessaires pour mener à bien les projets. Cela assure une meilleure gestion des ressources et une allocation efficace des budgets. En ayant des engagements financiers clairs et définis à l'avance, les conventions offrent une certaine stabilité financière. Cela permet de sécuriser un volant de recettes, facilitant ainsi la gestion financière à moyen et long terme.
Ces conventions renforcent les relations entre les parties prenantes, favorisant une meilleure coordination et coopération pour la mise en oeuvre des politiques publiques et des projets d'intérêt commun.
Les conventions cadres encouragent l'innovation en permettant le développement de projets pilotes et de démonstrateurs technologiques. Cela favorise l'expérimentation et l'adoption de nouvelles technologies et approches. Elles permettent de capitaliser sur les connaissances et les compétences acquises, favorisant ainsi le transfert de technologies et de savoir-faire vers d'autres projets et territoires.
Enfin, les conventions cadre offrent un cadre flexible pour ajuster les actions et les priorités en fonction de l'évolution des besoins et des contextes locaux.
Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
* 34 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.
* 35 Réponses du CGDD au questionnaire du rapporteur.
* 36 Réponses de la direction du budget au questionnaire du rapporteur.
* 37 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.