N° 841
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur l'aide médicale d'État,
Par M. Vincent DELAHAYE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
I. UN DISPOSITIF GÉNÉREUX ET INCHANGÉ DEPUIS 2020
A. UN DISPOSITIF INCHANGÉ DEPUIS 5 ANS MALGRÉ LES PROMESSES GOUVERNEMENTALES
1. L'AME recoupe 4 dispositifs
Le dispositif principal est l'AME de droit commun, créée par la loi du 27 juillet 19991(*). Elle permet la protection de la santé des personnes étrangères vivant en France depuis au moins trois mois consécutifs en situation irrégulière et dont les ressources ne dépassent pas un plafond de 862 euros mensuels en 2025.
L'AME de droit commun s'applique également aux « ayant-droits » du bénéficiaire (conjoint, enfants mineurs et majeurs à charge, ainsi qu'une personne unique à charge, vivant depuis 12 mois consécutifs avec la personne bénéficiaire de l'aide).
Pour les étrangers en situation irrégulière ne pouvant bénéficier de l'AME de droit commun, une prise en charge au titre de « soins urgents » est prévue, sans condition de résidence, dès lors que le pronostic vital est engagé.
Deux autres dispositifs s'y ajoutent : l'AME humanitaire, accordée au cas par cas par le ministère chargé de l'action sociale, et l'aide médicale pour les personnes gardées à vue.
Le cas spécifique des demandeurs d'asile
Les demandeurs d'asile bénéficient après trois mois de résidence en France de la protection universelle maladie (PUMa). Toutefois, lorsque la demande est déboutée, c'est-à-dire dans 54,3 % des cas en 2024, ils n'ont plus droit à la PUMa et ne peuvent demander que l'aide médicale de l'État. Ainsi, 14 % des bénéficiaires de l'AME seraient des demandeurs d'asile déboutés.
Il serait plus cohérent de faire bénéficier les demandeurs d'asile de l'aide médicale de l'État, donnant une vision plus transparente de la dépense en termes de santé. Un tel système est par exemple utilisé en Allemagne.
2. Une absence de réforme pourtant promise par deux gouvernements successifs
Une réforme de l'aide médicale de l'État avait été annoncée par le Gouvernement en 2023, à l'occasion du vote par le Sénat de la transformation de l'AME en Aide médicale d'urgence au cours de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration2(*). Dans ce cadre, le gouvernement avait chargé MM. Evin et Stefanini de réaliser une mission concernant l'AME, en moins de trois mois. Depuis la remise du rapport en décembre 2023, aucune réforme n'a été mise en oeuvre, ce qui est très regrettable.
B. DES BÉNÉFICIAIRES MAL CONNUS
Les bénéficiaires de l'AME sont à |
Près de |
et |
des hommes. |
ont entre 20 et 39 ans |
ne bénéficieraient de l'AME que depuis un an. |
Les bénéficiaires de l'AME sont particulièrement concentrés dans certains départements très urbains : à Paris (13,6 % des bénéficiaires), en Seine-Saint-Denis (12,7 %), dans l'Essonne (4,2 %), dans les Bouches-du-Rhône (4,7 %) et le Rhône (3,6 %), ainsi qu'en Guyane (8,3 %).
C. UN SYSTÈME FRANÇAIS GÉNÉREUX PAR RAPPORT À SES VOISINS EUROPÉENS
Le Danemark et la Suisse ne prennent en charge gratuitement que les soins urgents et demandent une participation financière pour le traitement des maladies infectieuses, la prévention et les frais liés à la grossesse.
La plupart des pays (Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Italie) limitent davantage qu'en France le panier de soins remboursé pour les étrangers en situation irrégulière par rapport à celui des assurés sociaux mais sont plus généreux que le Danemark et la Suisse.
Certains pays (Espagne, Belgique), prennent en charge pratiquement l'ensemble des soins dont bénéficient les assurés sociaux pour les étrangers en situation irrégulière.
II. UN COÛT ÉLEVÉ D'1,3 MILLIARD D'EUROS POUR L'ÉTAT
A. UNE HAUSSE DE 68 % DES DÉPENSES EN 10 ANS
Pour l'année 2024, le coût total réel de l'AME, toutes AME incluses, est de 1 386,8 millions d'euros, soit une hausse de 15,5 % par rapport à 2023, et de 67,6 % en 10 ans, représentant 543 millions d'euros.
Évolution des dépenses réelles d'AME entre 2012 et 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Les dépenses d'AME sont toutefois plus élevées que celles qu'affiche le budget de l'État. En effet, d'une part, l'État ne prend en charge qu'une partie de l'AME pour soins urgents, à hauteur d'une dotation forfaitaire, le reste du coût étant pris en charge par l'Assurance maladie.
Par ailleurs, malgré la formulation très explicite de l'article L. 253-2 du code de l'action sociale et des familles, les dépenses de l'aide médicale de l'État de droit commun n'ont pas été prises en charge intégralement par l'État. L'AME étant une dépense de guichet, si l'État ne programme pas suffisamment de crédits budgétaires pour financer l'intégralité des dépenses d'AME de droit commun, il crée une dette à l'égard de la Sécurité sociale.
Or, en particulier en 2024, le décret d'annulation du 21 février 20243(*) a supprimé près de 50 millions d'euros de crédits au titre de l'aide médicale de l'État (AME). En conséquence, l'État a contracté une dette inédite à l'égard de la CNAM, de 185,1 millions d'euros.
Une telle situation n'est pas acceptable : une budgétisation des dépenses réelles d'aide médicale de l'État est indispensable.
Au total, les dépenses de l'ensemble des AME dans le budget de l'État se sont élevées à 1,16 milliard d'euros en 2024, et ont augmenté de 40 % en 10 ans. Les dépenses d'aide médicale de droit commun se sont élevées à 1,088 milliards d'euros en 2024.
B. DES DÉPENSES DES BÉNÉFICIAIRES DE L'AME INFÉRIEURES À CELLES DES ASSURÉS SOCIAUX
La dépense moyenne de l'AME s'élève en 2023 à 2 396,4 euros par bénéficiaire, un montant en hausse de 3,2 % par rapport à 2015, mais inférieur à celui de l'ensemble de la population française.
Près de 60,8 % des dépenses sont constituées de prestations hospitalières, tandis que les produits de santé ne représentent que 12,7 % des dépenses et les soins de ville 26,5 %.
Évolution de la consommation annuelle
moyenne dans la population totale
et par bénéficiaire de
l'AME
(en euros)
Source : commission des finances d'après la DREES
C. UNE HAUSSE DES DÉPENSES ESSENTIELLEMENT MAIS PAS UNIQUEMENT LIÉE À L'AUGMENTATION DU NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES
La hausse des dépenses de l'AME est notamment liée à la progression du nombre de bénéficiaires ces dernières années. Ils étaient 465 744 bénéficiaires au 30 septembre 2024, soit une multiplication par 2 entre 2011 et 2024.
Évolution du nombre de
bénéficiaires de l'AME de droit commun
entre 2011 et
2024
(en nombre de bénéficiaires)
Source : commission des finances d'après la DSS
Au total, depuis 2020, il est possible d'estimer que l'augmentation du nombre de bénéficiaires a entrainé une hausse de 243 millions d'euros de dépenses d'AME de droit commun, sur un total de 426,6 millions d'euros.
Effet de l'augmentation des
bénéficiaires d'AME de droit commun
sur la hausse des
dépenses entre 2020 et 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après la DSS
La hausse du nombre de bénéficiaires explique pour partie seulement l'augmentation tendancielle des dépenses d'AME.
III. UNE NÉCESSITÉ : MAITRISER LES DÉPENSES D'AME
A. AXE 1 : LUTTER CONTRE L'IMMIGRATION ILLÉGALE
Il apparait relativement avéré que le nombre d'étrangers en situation irrégulière présents sur le sol français est en hausse depuis au moins 4 ans. Le nombre de bénéficiaires de l'AME a augmenté de 26,3 % entre 2020 et 2024, les interpellations d'étrangers en situation irrégulière de 37 % et le nombre de demandes d'asile de 69,4 % à la même période. Le nombre d'étrangers en situation irrégulière pourrait être de 900 000 personnes, dont la moitié aurait recours à l'AME. Lutter contre les flux de l'immigration illégale constitue la condition essentielle de maitrise des dépenses d'AME.
B. AXE 2 : REDÉFINIR LES DROITS OUVERTS AU TITRE DE L'AME
1. Revoir les conditions d'accès à l'AME
Le bénéfice de l'AME est accordé quel que soit le motif de l'irrégularité du séjour de la personne concernée, y compris aux personnes se trouvant en situation irrégulière à la suite d'un retrait de titre de séjour pour motif d'ordre public. 5 852 personnes en 2024 sont éligibles à l'aide médicale de l'État en 2024, alors qu'elles sont jugées comme constituant une menace pour l'ordre public. Une telle situation n'est pas acceptable : il serait important que les personnes concernées par un refus ou un retrait de titre de séjour pour motif d'ordre public ne puissent être éligibles à l'AME de droit commun.
2. Revoir la définition des soins pris en charge
Actuellement, sont explicitement exclus de la prise en charge au titre de l'AME : les cures thermales, l'assistance médicale à la procréation (PMA), les médicaments dont le service médical rendu est faible ou encore les frais relatifs aux examens de prévention bucco-dentaire.
Il serait pertinent de se rapprocher du système mis en oeuvre en Allemagne, qui représente une solution « médiane » entre les systèmes danois et suisse et le système espagnol.
En Allemagne, par rapport à la France, sont notamment exclus totalement du panier de soins pris en charge les programmes de soins programmés pour les maladies chroniques, sauf si leur non réalisation entrainerait une aggravation critique de l'état de santé de la personne. Sont soumis à autorisation préalable de la caisse primaire d'assurance maladie notamment les traitements hospitaliers non urgents, la rééducation physique ou encore la psychothérapie.
Il est assez difficile d'évaluer l'ampleur des économies représentées Toutefois, les soins de suite et de réadaptation, les hospitalisations à domicile, la psychiatrie et les dépenses des cliniques privées, représentent 338 millions d'euros.
Contrairement au dispositif allemand, il serait préférable de conserver les dépenses de prévention dans le panier de soins pris en charge par l'AME.
Enfin, les personnes bénéficiant de l'aide médicale de l'État depuis moins de neuf mois ne peuvent recevoir certains soins qu'après un accord préalable de la caisse d'assurance maladie. De 2021 à 2024, seulement 32 demandes d'accord préalable ont été émises.
Il est étonnant que cette obligation ne concerne que les personnes bénéficiaires de l'AME depuis moins de neuf mois. Ce dispositif devrait être étendu pour ces mêmes soins à tous les bénéficiaires d'AME, conformément à l'amendement adopté au Sénat lors du vote du projet de loi de finances pour 2025.
C. AXE 3 : UNE GESTION DE L'AME ENCORE PERFECTIBLE POUR ÉVITER LA FRAUDE
Les contrôles a priori conduits par les CPAM sont efficients, et conduisent à un taux de refus de dossier d'AME en augmentation, passant de 8 % des dossiers en 2016 à 13,7 % en 2024.
Évolution du nombre de dossiers frauduleux et du montant du préjudice subi entre 2019 et 2024
Source : commission des finances d'après la CNAM
Un programme national de contrôle est mis en oeuvre depuis juin 2019 afin de vérifier la stabilité de la résidence en France des assurés et bénéficiaires de l'AME, sur la base de requêtes dans les bases de données détectant les multi-hébergeurs, de l'exploitation des signalements d'organismes et d'échanges avec les consulats.
* 1Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle.
* 2 Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.
* 3 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.