B. LE SOUTIEN PUBLIC À LA RECHERCHE AÉRONAUTIQUE CIVILE PEUT ÊTRE DIVERSIFIÉ EN MOBILISANT DES INSTRUMENTS D'AIDES EN FONDS PROPRES ET EN CONSOLIDANT LES AIDES DE L'UNION EUROPÉENNE

1. La création d'un instrument de soutien en fonds propres dédié à la filière aéronautique est un levier de consolidation des startups industrielles du secteur

Le secteur de la construction aéronautique connaît, comme l'ensemble des secteurs économiques, un phénomène de création de nouveaux acteurs économiques innovants (startups) qui ont pour objectif de créer de la valeur en renouvelant les modes de production ou les modèles économiques existants.

Plusieurs interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs dans le cadre de ce contrôle ont insisté sur la distinction à opérer entre deux catégories de startups dans la filière aéronautique. Premièrement, les startups aéronautiques technologiques ayant pour objet le développement d'une nouvelle solution ou brique technologique en vue de son intégration dans les grands programmes industriels actuels ou à venir79(*). Deuxièmement, les startups aéronautiques industrielles ayant pour objet d'adopter un modèle d'intégrateur et d'avionneur en mesure d'organiser leur propre chaîne de valeur (supply chain) ayant des composantes externes et internes en vue de produire, à l'échelle industrielle, des aéronefs80(*).

Les conditions d'accès aux capitaux propres diffèrent selon la catégorie de startup concerné. En effet, les startups aéronautiques technologiques ont des besoins en capitaux limités à la phase de développement et de démonstration de leurs briques technologiques. Le marché actuel de la levée de fonds, et en particulier les fonds d'investissements dédiés aux technologies de rupture (fonds « Deep Tech »), permettent de répondre aux besoins de capitaux propres de ces entreprises qui dans certains cas bénéficient également des investissements des fonds de capital-risque internes (corporate VC) des grands groupes de la filière dont notamment Airbus81(*) et Safran82(*).

En revanche, les enjeux industriels associés à la conduite d'un programme de construction d'un aéronef impliquent de mobiliser un niveau élevé de fonds propres pour les startups aéronautiques industrielles. La DGAC et le SGPI ont indiqué aux rapporteurs que les besoins d'investissements pour développer, certifier et construire les infrastructures industrielles d'usinage d'aéronefs atteignaient un ordre de grandeur d'un milliard d'euros. Les instruments d'intervention en capitaux propres de la puissance publique financés par le plan France 2030 et mis en oeuvre par la Banque publique d'investissement (Bpifrance) ne sont pas adaptés à ce type de besoins.

En particulier, si le plan France 2030 finance des véhicules d'investissements généralistes en matière industrielle, il n'a pas prévu à ce stade le financement d'un fonds thématiques dédiés aux startups aéronautiques industrielles. De tels instruments ont pourtant été créés dans le secteur des métaux critiques83(*) et, plus récemment, dans le secteur agricole84(*).

Au regard des spécificités technologiques et réglementaires du secteur de l'aviation civile, et en particulier des processus particulièrement longs et complexes de certification en matière de sécurité qui augmente le risque externe associé à ces investissements, les rapporteurs estiment qu'il serait pleinement pertinent de constituer un instrument en fonds propres dédié aux startups aéronautiques industrielles. Ce nouvel instrument pourrait par surcroît être créé à enveloppe constante pour le plan France 2030 dès lors que l'intégralité des aides en fonds propres du plan n'ont pas été programmées.

Recommandation n° 5. Accélérer le développement des startups aéronautiques industrielles en créant un instrument thématique d'investissement en fonds propres financé par France 2030 (SGPI).

2. Les aides de l'Union européenne à la recherche aéronautique civile peuvent être consolidées en réaffirmant le caractère stratégique de cette filière industrielle et en segmentant les aides de l'Innovation Fund

Les aides publiques à la recherche aéronautique civile octroyées par l'État français sont complétées par des dispositifs de soutien financés directement par le budget de l'Union européenne.

Depuis 2007 et la mise en oeuvre du septième programme-cadre pour la recherche et l'innovation (7e PCRI) pour la période 2007-2013, le Conseil de l'Union européenne a créé85(*) un partenariat public-privé (Joint Undertaking) chargé de piloter les aides co-financées par l'Union européenne en matière de recherche aéronautique civile. Depuis 2021, pour la mise en oeuvre du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 et du 9e programme-cadre pour la recherche et l'innovation (9e PCRI) « Horizon Europe », le programme « Clean Aviation » (2021-2027) a succédé aux programmes « Clean Sky 1 » (2007-2013) et « Clean Sky 2 » (2014-2020). Le programme « Clean Aviation » dispose d'un budget pluriannuel de 4,1 milliards d'euros pour sept ans, dont 1,7 milliards d'euros financés par le budget de l'Union européenne (programme « Horizon Europe »).

Financement des programmes de soutien de l'Union européenne
à la recherche aéronautique civile

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Les partenariats publics-privés (JU86(*)) pluriannuels successifs financés par l'Union européenne fonctionnent sur le principe d'un cofinancement et d'un copilotage des aides entre la Commission européenne, les États-membres de l'Union et les entreprises membres du partenariat. Les projets de recherche et développement (R&D), qui doivent être présentés par des consortiums respectant des règles spécifiques en matière de répartition géographique de leurs membres, sont sélectionnés à travers un mécanisme d'appels à projets (Calls) en tenant compte de leur qualité technique et de leur cohérence avec la feuille de route technologique (Strategic Research & Innovation Agenda) fixée par le partenariat CAJU87(*).

Pour la période 2021-2027, la feuille de route technologique (SRIA88(*)) du partenariat CAJU est centrée sur trois axes : le développement des technologiques du futur SMR ultra-frugal ; le développement d'un avion à hydrogène ; le développement d'un avion régional hybridé. Les programmes cofinancés par le partenariat CAJU doivent notamment permettre de réaliser des essais en vol des démonstrateurs de moteurs non-carénés (programme RISE mené par Safran) et de pile à combustible hydrogène (programme ZEROe mené par Airbus).

Il est également à relever que les programmes aidés par le partenariat CAJU sont complémentaires des projets soutenus à l'échelle nationale à travers le guichet Corac.

Les rapporteurs remarquent enfin qu'au regard de la position centrale de la filière aéronautique française sur le continent européen, les taux de retour de la France au sein du partenariat CAJU sont particulièrement élevés et atteignent 31 % entre 2021 et 2024, ce qui place la France en tête des États-membres en matière de perception des aides du partenariat CAJU.

En vue de la présentation en juillet 2025 par la Commission européenne de sa proposition de cadre financier pluriannuel (CFP), les États-membres entrent actuellement dans une phase de pré-négociation relative au prochain budget pluriannuel qui devrait couvrir la période 2028-2034. Dans ce contexte, les rapporteurs insistent - dans le domaine du soutien public à la recherche aéronautique civile - sur deux objectifs pour les autorités françaises dans le cadre de ces négociations.

En premier lieu, le maintien d'un programme dédié au soutien à la recherche aéronautique civile est déterminant pour garantir un soutien durable du budget de l'Union européenne à la filière industrielle française et européenne des fabricants d'aéronefs et de leurs sous-traitants. Le maintien d'un instrument dédié à la recherche aéronautique civile devra être concilié avec les intentions de la Commission européenne qui a annoncé sa volonté d'une part de créé un Fonds européen pour la compétitivité regroupant l'ensemble des aides financées par l'Union européenne « de la recherche à la fabrication en passant par l'expansion et le déploiement industriel » et d'autre part d'assouplir « les rigidités inhérentes au cadre financier pluriannuel »89(*).

Le maintien d'un partenariat public-privé (JU90(*)) spécifique en matière de recherche aéronautique civile, successeur du programme « Clean Aviation », permettrait de maintenir une sanctuarisation des aides à la recherche aéronautique civile et de faire obstacle à un risque de marginalisation de la filière dans les soutiens publics financés par le budget de l'Union européenne.

Ce maintien d'un partenariat spécifique défendu par les rapporteurs rejoint les réserves formulées par la commission des affaires européennes du Sénat dans un récent avis politique relatif à la préparation du cadre financier pluriannuel (CFP) post-2027 qui formule expressément des réserves sur la proposition de « fusionner l'ensemble des programmes dédiés à la recherche et l'innovation »91(*).  

En second lieu, l'affirmation du caractère stratégique de la filière aéronautique civile européenne permettrait de consolider le soutien apporté par l'Union européenne aux avionneurs et à leurs sous-traitants. En effet, comme il a été rappelé, l'Union européenne dispose grâce au groupe Airbus du premier groupe mondial de construction d'avions commerciaux. L'industrie aéronautique représente par suite l'une des filières de haute technologie les plus prospères au sein de l'Union européenne et représente en 2023 un chiffre d'affaires de 119 milliards d'euros et 387 000 emplois dans l'Union européenne92(*).

Malgré ce poids économique déterminant, la construction aéronautique ne fait pas partie, à la différence de l'industrie automobile ou de la sidérurgie, des secteurs industriels expressément mentionnés comme étant stratégiques dans la « Boussole pour la compétitivité »93(*), adoptée par la Commission européenne en janvier 2025. Or, cette feuille de route a pour objet de mettre en oeuvre les recommandations du rapport sur l'avenir de la compétitivité européenne remis en septembre 2024 par Mario Draghi94(*). Les acteurs de la filière aéronautique auditionnés par les rapporteurs à l'occasion de ce contrôle leur ont fait part de leur incompréhension vis-à-vis de cette omission, qui fragilise la position du secteur en vue des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel.

Les rapporteurs, qui estiment que les fleurons industriels de l'Union européenne doivent être préservés et que la Commission européenne ne saurait se borner à désigner comme stratégiques les secteurs traversant des difficultés économiques, font remarquer que la construction aéronautique pourrait en conséquence être intégrée à la « Boussole pour la compétitivité » à l'occasion de sa prochaine mise à jour et que ce secteur devrait en tout état de cause être regardé comme stratégique dans le cadre des négociations sur le futur cadre financier pluriannuel.

Recommandation n° 6. Défendre le caractère stratégique de la construction aéronautique à l'échelle européenne en maintenant un programme sectoriel dans le futur cadre financier pluriannuel (CFP) et en intégrant ce secteur à la « Boussole pour la compétitivité » lors de sa prochaine mise à jour (Commission européenne, RP UE).

Parallèlement aux différents instruments d'aides publiques sectorielles, dont notamment les aides dans le domaine de la recherche aéronautique civile préalablement décrites, l'Union européenne a institué depuis 2019 un « Fonds pour l'innovation » (Innovation Fund) qui fait partie des instruments financiers financés par les recettes perçues par l'Union européenne lors de la vente des quotas d'émission du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE)95(*).

Les aides de l'Innovation Fund sont gérées directement par la Commission européenne qui a confié le déploiement de ces aides à l'Agence exécutive européenne pour le climat, les infrastructures et l'environnement (CINEA96(*)). Ces aides ont pour objectif de soutenir des projets industriels d'innovation au service de la transition écologique. Elles sont octroyées sous forme d'appels à projet publiés par la Commission européenne.

Les aides de l'Innovation Fund ont représenté 6 milliards d'euros entre 2021 et 2023. La Commission européenne estime le montant total de ces aides à 40 milliards d'euros pour la période 2020-2030, en se fondant sur une estimation du prix des quotas d'émission de 75 euros par tonne de dioxyde de carbone (CO2).

Les projets d'innovation dans le domaine de l'aéronautique civile peuvent être éligibles aux aides de l'Innovation Fund, comme en témoigne l'aide d'un montant total de 95 millions d'euros obtenues en octobre 2024 par la startup française Aura Aéro pour développer son activité de développement d'un aéronef régional hybride-électrique.

Pour autant, les rapporteurs relèvent également que le taux de retour par habitant de la France pour les aides de l'Innovation Fund atteint seulement 7,5 euros pour la période 2021-2023 soit près de deux fois moins que le taux de retour par habitant moyen au sein de l'Union européenne qui est de 13,4 euros97(*).

Ils notent à ce titre qu'un levier de renforcement, à budget constant, des aides à la recherche aéronautique civile à l'échelle européenne serait de segmenter les aides de l'Innovation Fund en prévoyant la mise en place d'un appel à projet sectoriel dédié au secteur de la construction aéronautique. Alors que la Commission européenne organise déjà des appels à projet thématiques dans le cadre de l'Innovation Fund, par exemple dans le secteur des batteries pour les véhicules électriques, la création d'un appel à projet dédié à l'aéronautique serait justifiée par les enjeux associés au maintien d'une industrie aéronautique européenne innovante et par la contribution du secteur du transport aérien aux recettes du SEQE-UE à travers son volet SEQE-UE « Aviation ».

Recommandation n° 7. Diversifier le financement du soutien à la recherche aéronautique civile à l'échelle européenne en créant un appel à projet sectoriel dédié à la construction aéronautique dans le cadre de l'Innovation Fund (Commission européenne, RP UE).


* 79 Par exemple, la startup Turbotech développe des turbomoteurs innovants pour l'aviation légère et les drones.

* 80 Par exemple, la startup Aura Aero développe des aéronefs bas-carbone dont notamment le programme ERA d'avions régionaux à propulsion hybride électrique (en cours de certification).

* 81 Airbus Ventures.

* 82 Safran Corporate Ventures.

* 83 Le fonds « Métaux critiques » a été créé en avril 2023.

* 84 Le fonds « Entrepreneurs du vivant » a été créé en avril 2024.

* 85 Règlement (CE) n° 71/2008 du Conseil du 18 décembre 2007 portant création de l'entreprise commune Clean Sky.

* 86 Joint Undertaking (JU).

* 87 Clean Aviation Joint Undertaking (CAJU).

* 88 Strategic Research & Innovation Agenda (SRIA).

* 89 Commission européenne (communication), 11 février 2025, COM(2025) 46 final, La voie vers le prochain cadre financier pluriannuel.

* 90 Joint Undertaking (JU).

* 91 Sénat, commission des affaires européenne, 12 juin 2025, Avis politique relatif à la préparation du cadre financier pluriannuel (CFP) post-2027, au rapport de Mme Florence Blatrix Contat et Christine Lavarde, point 57.

* 92 Données de l'ASD (Aerospace, Security and Defence Industries Association of Europe) pour le secteur de l'aéronautique civile.

* 93 Commission européenne (communication), 29 janvier 2025, Une boussole pour la compétitivité de l'UE, COM(2025) 30 final.

* 94 M. Draghi, septembre 2024, The future of European competitivness.

* 95 Les recettes du SEQE-UE financent également notamment le Fonds de modernisation géré par la Banque européenne d'investissement (BEI).

* 96 European Climate, Infrastructure and Environment Agency (CINEA).

* 97 Projet de loi de finances pour 2025, annexe générale (jaune), Relations financières avec l'Union européenne.

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