EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 9 juillet 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Jean-François Rapin, Laurent Somon et Thomas Dossus, rapporteurs spéciaux, sur le soutien public à la recherche aéronautique civile.
M. Claude Raynal, président. - Nous terminons nos travaux par la communication de M. Thomas Dossus et de M. Laurent Somon, rapporteurs spéciaux du programme « Investir pour la France de 2030 », sur le financement public de la recherche aéronautique civile. M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », a également participé à ce contrôle budgétaire mais n'a malheureusement pas pu être présent aujourd'hui.
M. Thomas Dossus, rapporteur spécial. - Nous vous présentons, aux côtés de Laurent Somon, les résultats du contrôle conjoint que nous avons mené avec notre collègue Jean-François Rapin sur les aides publiques à la recherche aéronautique civile.
La politique de soutien à la recherche industrielle dans ce secteur est financée à la fois par un programme budgétaire de la mission « Investir pour la France de 2030 » et par un programme budgétaire de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Au-delà des questions d'opportunité soulevées par ce double financement, qui seront détaillées par mon collègue, il nous a semblé souhaitable de pouvoir mener un contrôle budgétaire conjoint pour être en mesure de porter une appréciation sur cette politique publique dans son ensemble.
Je commencerai par rappeler les enjeux essentiels représentés par la décarbonation du secteur aérien d'un point de vue environnemental - en insistant sur la dimension énergétique de cette décarbonation - avant de laisser mon co-rapporteur présenter les voies que nous avons identifiées pour consolider et diversifier le soutien public dans ce domaine de recherche appliquée.
En premier lieu, il faut rappeler les ordres de grandeur d'émissions de gaz à effet de serre (GES) représentées par le transport aérien. À l'échelle mondiale, il existe un consensus pour estimer que le transport aérien représente entre 2 et 3,5 % des émissions de GES.
Pour autant, ces émissions sont très inégalement réparties selon les régions du monde et les populations concernées : rappelons que seulement 10 % de la population mondiale prend l'avion chaque année et que, en 2018, 1 % de la population mondiale était responsable de 50 % des émissions de l'aviation.
En se restreignant aux émissions sur le territoire français et en adoptant les conventions de calcul de l'administration française, les émissions du secteur ont atteint 27,4 millions de tonnes d'équivalent CO2 en 2024, soit environ 7 % des émissions sur le territoire national.
Il est également à relever que ces émissions sont concentrées dans les vols internationaux qui représentent 81 % des émissions du secteur, dont 50 % pour les vols internationaux long-courriers, c'est-à-dire couvrant une distance supérieure à 3 500 kilomètres.
Ce bref rappel des ordres de grandeur en jeu ne signifie pas pour autant que le secteur aéronautique ne tient pas compte des enjeux de transition pour lutter contre le changement climatique.
Il faut rappeler ici que le secteur du transport aérien fait partie des secteurs dans lesquels, en application de la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021, une feuille de route de décarbonation a été établie conjointement par les acteurs de la filière et les administrations compétentes.
À l'occasion de l'établissement de cette feuille de route, publiée en mars 2023, l'État et l'administration ont établi une trajectoire de décarbonation du secteur par le progrès technologique qui prévoit de réduire les émissions du secteur de 88 % sur le périmètre des vols internationaux au départ de la France.
Cette feuille de route de décarbonation de l'aérien identifie quatre leviers technologiques qui constituent le cadre méthodologique des différents projets de recherche et technologie (R&T) soutenus par la puissance publique dans le secteur.
Les deux premiers leviers technologiques concernent l'efficacité énergétique des vols. Il s'agit, d'une part, de produire des avions plus sophistiqués qui consomment moins de carburant en étant plus légers ou en disposant d'un moteur plus efficace. D'autre part, les émissions peuvent être réduites en améliorant les instruments de gestion du trafic aérien.
Les deux autres leviers technologiques concernent la transition énergétique des aéronefs. En effet, les avions actuels utilisent le kérosène, c'est-à-dire une énergie primaire intense en émissions de GES.
La transition vers une autre source d'énergie primaire constitue donc une voie majeure de décarbonation du secteur. Le premier levier énergétique de décarbonation concerne le développement d'un avion à hydrogène, ce qui suppose néanmoins de répondre à des défis technologiques et logistiques encore très difficiles à surmonter.
Le second levier énergétique de décarbonation concerne la diffusion des carburants d'aviation durables, ou SAF (Sustainable Aviation Fuel) selon leur acronyme anglophone, qui sont des carburants compatibles avec la motorisation actuelle, mais qui présentent des émissions de GES très faibles lors de leur utilisation.
Ce dernier levier a particulièrement retenu notre attention dans la mesure où il représente, selon le périmètre retenu, entre 49 % et 58 % du chemin à parcourir dans les trajectoires de décarbonation construites par la filière.
Le règlement européen « Refuel EU aviation », adopté en 2023, constitue un dispositif central dans la stratégie de décarbonation du secteur aérien : son objectif consiste à accélérer le déploiement des SAF en fixant des objectifs d'incorporation croissants pour les fournisseurs de kérosène et les aéroports européens. À partir de 2025, le taux d'incorporation de SAF exigé est de 2 % ; cette proportion augmentera régulièrement pour atteindre 6 % en 2030, 20 % en 2035, 34 % en 2040, 42 % en 2045, puis 70 % en 2050.
L'Union européenne a également défini un sous-mandat d'incorporation spécifique pour ce que l'on appelle les « e-SAF », de 0,7 % en 2030 jusqu'à 35 % en 2050, soit la moitié des carburants d'aviation durables requis. Pour comprendre le chemin à parcourir, voici quelques ordres de grandeur. Sur la base d'une consommation énergétique de 30 mégawattheures (MWh) d'électricité par tonne d'e-SAF produite, la substitution complète du kérosène fossile utilisé aujourd'hui à l'échelle mondiale demanderait près de 10 000 térawattheures (TWh) d'électricité, soit l'équivalent de près de vingt fois le parc nucléaire français actuel. Si l'on se concentre sur la France, il faudrait, pour remplacer l'ensemble du kérosène consommé dans notre pays, 200 TWh d'électricité, soit 40 % de la production électrique nationale : l'équivalent de vingt réacteurs nucléaires serait donc exclusivement dédié au remplacement du kérosène.
Pour autant, les nombreux interlocuteurs industriels que nous avons interrogés nous ont répondu que leurs travaux se concentraient exclusivement sur la compatibilité des futurs avions avec les SAF.
Il est légitime que les avionneurs et motoristes se concentrent sur cet objectif. Pour autant, au regard de l'importance desdits SAF dans les trajectoires de décarbonation du secteur, il nous a semblé important d'insister sur la nécessité, pour l'ensemble de la filière, de s'approprier les défis liés au développement d'une filière de production de SAF en France et à la sécurisation de l'approvisionnement en SAF.
Les ordres de grandeur - qu'il s'agisse de la hausse du trafic aérien, des besoins induits par la trajectoire des mandats d'incorporation de carburants alternatifs du règlement européen ou de la faiblesse actuelle de la filière de production des SAF - fragilisent la crédibilité de la trajectoire de décarbonation de l'aviation civile. C'est pourquoi nous avons intégré au rapport les recommandations nos 3 et 4, qui prévoient de compléter la politique de recherche aéronautique civile par un exercice de planification mené au sein de la filière, pour établir une feuille de route de sécurisation de l'approvisionnement en carburants d'aviation durables.
M. Laurent Somon, rapporteur spécial. - Monsieur le président, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de notre collègue Jean-François Rapin. Nous avons souhaité mener ce contrôle et rédiger un rapport en commun, puisqu'il s'agissait de la recherche et du soutien à l'investissement en aéronautique civile.
Je reprends la présentation en insistant sur le niveau élevé de structuration de la filière industrielle de la construction aéronautique, et en livrant notre appréciation sur les aides à la recherche actuellement déployées.
En premier lieu, il faut insister sur la qualité du dialogue qui existe actuellement entre les acteurs industriels de la filière aéronautique et l'administration chargée de mener notre politique industrielle, qui est en l'espèce la direction générale de l'aviation civile (DGAC).
La qualité de ce dialogue est largement liée à une instance spécifique, créée en 2008 dans le sillage du Grenelle de l'environnement : le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac). Cette instance de dialogue État-filière, sans réel équivalent dans les autres secteurs industriels, est un lieu d'échange et de concertation qui permet de réunir régulièrement, en présence de l'administration, les principales parties prenantes du secteur, dont notamment les grands intégrateurs - Airbus, Dassault, Safran, Thalès -, mais aussi les représentants des petites et moyennes entreprises (PME) du secteur, des équipementiers, des opérateurs aéroportuaires et des compagnies aériennes.
Cette capacité de réunir l'ensemble des acteurs de la filière représente un avantage stratégique majeur pour l'État dans le cadre de sa politique industrielle, puisqu'il permet d'orienter cette stratégie vers des priorités partagées par l'ensemble de la filière.
Par conséquent, si le principal guichet d'aide publique à la recherche de la filière, appelé « guichet Corac », est bien géré de manière souveraine et autonome par la DGAC, l'administration peut tenir compte, dans le processus d'attribution des aides aux projets de recherche, de l'alignement de ces projets avec les priorités de la filière.
Ce mécanisme d'alignement et de synchronisation des projets de recherche entre les différents acteurs du Corac est un levier majeur d'efficacité des aides publiques qui a été salué par tous nos interlocuteurs, qu'ils représentent des acteurs industriels ou administratifs.
Cette brève présentation m'amène aux deux remarques principales que nous avons formulées sur les aides du « guichet Corac ».
En premier lieu, sur la forme, la procédure actuelle de financement des aides du guichet Corac est une anomalie budgétaire qui n'est pas justifiée par la nature de ces aides. En effet, depuis 2021, le guichet Corac a été financé par trois programmes budgétaires différents : le programme 190, rattaché à la mission « Recherche et enseignement supérieur » ; le programme 362, rattaché à la mission « Plan de relance » ; et le programme 424, rattaché à la mission « Investir pour la France de 2030 ».
Pour autant, ces aides sont gérées comme un tout par l'administration, qui emploie les crédits indépendamment de leur programme de financement. Ce schéma de financement multicanal, qui constitue un écart avec les règles applicables au budget de l'État, méconnaît à la fois le principe de spécialité budgétaire applicable aux dépenses du budget général et le principe de non-substitution applicable aux aides du plan France 2030.
Cette anomalie budgétaire a deux conséquences néfastes qui pourraient être évitées. D'une part, elle impose à l'administration, de manière complètement artificielle, de catégoriser les aides selon leur mode de financement - soit par le programme 190, soit par le programme 424 -, ce qui représente un coût de gestion entièrement évitable. Elle impose également à l'administration de superposer deux strates administratives non coordonnées en appliquant la comitologie du plan France 2030 à une partie des aides, alors même que le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) n'intervient pas dans leur déploiement.
D'autre part, elle prive le Parlement de son droit de regard annuel sur les crédits finançant une politique publique. Pour l'exercice 2025 par exemple, seulement 21 % des crédits du guichet Corac ont fait l'objet d'un vote annuel, le reste des crédits étant reportés depuis des années antérieures dans le cadre du plan France 2030. Il faut d'ailleurs relever que ces reports ont été effectués dans une relative opacité, puisqu'ils excèdent de 33 % le montant qui avait été annoncé au Parlement au moment du vote du budget.
En second lieu, sur le fond, nous constatons que l'État s'est révélé incapable de tenir l'objectif de 300 millions d'euros par an de soutien à la recherche aéronautique civile.
Il faut d'abord souligner que cette cible est dégradée par rapport à l'objectif initial de 450 millions d'euros établi pour suivre la trajectoire technologique de décarbonation à l'horizon 2030, puis à l'horizon 2050.
Il faut ensuite tenir compte du fait que la filière industrielle se situe dans un moment crucial qui correspond à la préparation du programme du futur avion court et moyen-courrier ultra-frugal, qui est un impératif pour maintenir sa compétitivité dans la décennie à venir.
En 2024 et en 2025, les aides du guichet Corac ont été sous-calibrées avec un montant annuel moyen de 283 millions d'euros, soit 17 millions d'euros en dessous de la cible.
Au regard de l'importance du maintien d'une filière aéronautique compétitive et de l'impératif d'accompagner les donneurs d'ordre et les sous-traitants dans leur montée en compétence industrielle et technologique, nous proposons, avec la recommandation n° 1, de réaffirmer notre attachement au respect de la cible annuelle de 300 millions d'euros de soutien public.
Nous serons donc attentifs à ce que cette cible soit atteinte en 2026 à l'occasion des débats budgétaires de l'automne, afin que les efforts nécessaires de redressement de nos comptes publics ne se fassent pas au prix de la fragilisation de nos filières d'excellence industrielle.
Permettez-moi de vous faire part de l'exposé de notre collègue Jean-François Rapin.
Au-delà des différents programmes budgétaires du budget général qui soutiennent la recherche aéronautique civile, nous nous sommes également intéressés aux dispositifs d'aide qui existent à l'échelle de l'Union européenne pour financer la recherche appliquée dans le domaine de l'aéronautique civile.
Nos travaux sur ce point nous ont conduits à formuler dans le rapport à la fois le constat qu'il existe actuellement un dispositif sectoriel efficace et parfaitement complémentaire avec le dispositif national, et un avertissement relatif à la nécessaire vigilance de la France dans ce domaine. En effet, notre pays a vu grandir les entreprises parmi les plus performantes et les plus compétitives au monde dans le domaine de la construction aéronautique : nous devons donc nous battre, au niveau de l'Union européenne, pour que ce secteur reste une priorité dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) qui entrera en vigueur après 2027.
En premier lieu, il faut rappeler le caractère original et efficace du dispositif actuel. Depuis 2021, les aides à la recherche aéronautique civile à l'échelle de l'Union européenne sont pilotées par une structure ad hoc, le partenariat public-privé « Clean Aviation », qui prend le relais des deux partenariats précédents, « Clean Sky 1 » puis « Clean Sky 2 ».
Ce mécanisme de partenariat public-privé permet de soutenir des projets de recherche et d'innovation de grande ampleur au service de la transformation du secteur aéronautique civile, au premier rang de laquelle l'atteinte de ses objectifs technologiques pour respecter la trajectoire de décarbonation.
Il permet également de combiner les sources de financements avec, pour la période 2021-2027, un montant d'aide total de 4,1 milliards d'euros, dont 59 % sont financés directement par les industriels et 41 % sont financés de manière complémentaire par le budget de l'Union européenne, au travers du programme-cadre pour la recherche et l'innovation (PCRI) « Horizon Europe ».
Comme nous l'ont expliqué les responsables administratifs et industriels, la Commission européenne et les membres du programme Clean Aviation mènent un travail de concertation préalable afin que les projets de recherche soutenus par le programme soient complémentaires des projets soutenus à l'échelle nationale. Par exemple, le fait que le guichet Corac finance peu de projets dans le domaine de la gestion du trafic aérien s'explique par l'existence d'un volet important de financement à l'échelle européenne dans ce domaine.
Il faut également souligner que le programme Clean Aviation présente la particularité d'être un dispositif d'aide européenne pour lequel la France bénéficie d'un bon taux de retour, ce qui est assez rare pour être souligné. En effet, pour la période 2021-2024, la France a réussi à obtenir des aides du programme Clean Aviation pour un montant atteignant 31 % des aides distribuées. Cela fait de la France le premier pays bénéficiaire des aides de ce programme.
Ces résultats encourageants justifient que nous restions mobilisés pour défendre le maintien d'un instrument spécifique de soutien à la recherche aéronautique civile, au-delà de 2027.
Notre attention a été attirée sur plusieurs signaux négatifs dans le cadre de ce contrôle. Tout d'abord, les acteurs de la filière estiment que l'absence de mention du secteur aéronautique dans la « boussole pour la compétitivité » présentée par la Commission européenne en janvier 2025 est de nature à fragiliser la position de ce secteur industriel.
Nous partageons la surprise qu'ont exprimée nos interlocuteurs et il est incompréhensible que le secteur aéronautique civile ne soit pas clairement affiché comme un secteur stratégique par la Commission européenne, alors même qu'il s'agit d'un secteur industriel à haute valeur ajoutée dans lequel figure le premier groupe mondial, Airbus, qui est un groupe européen.
Ensuite, les premiers éléments de communication de la Commission européenne sur le prochain CFP sont relativement flous sur la structuration du prochain budget pluriannuel, et évoquent notamment la fusion de l'ensemble des programmes d'aides économiques au sein d'un « fonds pour la compétitivité ». La commission des affaires européennes a récemment eu l'occasion d'exprimer son scepticisme sur ce projet au travers d'un avis politique relatif à la préparation du CFP, adopté le 12 juin dernier et rapporté par les sénatrices Christine Lavarde et Florence Blatrix Contat.
Pour ces différentes raisons, nous avons souhaité intégrer au rapport une recommandation expresse sur le maintien, au sein du futur CFP post-2027, d'un instrument de soutien sectoriel dédié à la recherche aéronautique civile.
Le maintien d'un tel instrument sera en effet la meilleure preuve du caractère stratégique de la filière, au service de la prospérité et de la compétitivité de l'Union européenne.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Ce travail synthétise bien une problématique concrète liée à la transition écologique : comment accompagner la transformation d'un secteur industriel tel que celui de l'aéronautique, à la fois en gérant les problèmes actuels et en s'assurant du respect d'une trajectoire d'avenir ?
Une telle démarche ne paraît envisageable qu'à l'échelle européenne, en tâchant d'articuler le mieux possible les différents niveaux de décision et de responsabilité. À cet effet, il convient tout d'abord de coordonner les efforts ; ensuite, de consolider l'avance historiquement prise par l'Europe - plus précisément par la France et l'Allemagne - en continuant à nous inscrire dans une trajectoire de décarbonation.
Il est profondément regrettable de constater que nous n'arrivons pas à respecter ladite trajectoire, la France créant elle-même de la complexité alors qu'il faudrait disposer d'un outil de pilotage commun.
Vous avez énuméré les difficultés, dont un manque de lisibilité. Quelles sont, selon vous, les chances de pouvoir remédier à ces dysfonctionnements ?
M. Michel Canévet. - Comment la recherche aéronautique militaire pourrait-elle concourir au développement de la recherche civile ? Des synergies sont-elles envisageables ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Selon les chiffres de 2023, les émissions de GES du secteur ont été inférieures à celles de 2019 et il faudra accompagner cette nouvelle révolution du transport aérien, après la dernière mutation d'ampleur qu'a été sa démocratisation.
Si l'on en croit la feuille de route, il subsisterait 10 % à 12 % d'émissions résiduelles, un point sur lequel il faudrait questionner les industriels.
Je rejoins par ailleurs le rapporteur général lorsqu'il critique la superposition des normes et des échelons entre le niveau français et l'échelon européen. S'y ajoute une taxation assez lourde qui est perçue par le secteur comme n'alimentant ni la recherche ni la décarbonation.
Concernant les SAF, le Président de la République avait annoncé que 200 millions d'euros y seraient consacrés lors de sa visite au Bourget en 2023, mais seule la moitié de cette somme a été apportée dans les faits.
Enfin, je rappelle que le Sénat avait voté un amendement que j'avais présenté : ce dernier portait sur l'incorporation des SAF et prévoyait un crédit d'impôt plafonné à 50 millions d'euros. J'attire l'attention du rapporteur général quant à la nécessité de faire preuve de vigilance sur ce point, car Bercy entend retirer cette disposition alors même qu'elle n'est pas encore mise en oeuvre.
M. Claude Raynal, président. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail et souhaite formuler plusieurs observations et propositions de correction.
Tout d'abord, le maintien d'un objectif de 300 millions d'euros est essentiel, car le Corac est l'un des rares systèmes intégrateurs dont le fonctionnement est satisfaisant : à l'inverse, les deux grandes entreprises industrielles du secteur des satellites ne parviennent pas à établir des programmes communs et à intégrer l'ensemble des prestataires.
Dans le cadre du Corac, la filière détermine les grandes orientations en accord avec l'État et les entreprises de taille moyenne bénéficient en général de fonds pour s'adapter. Ce système est vertueux et considéré comme tel par l'État comme par les entreprises, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Ce soutien public doit donc être maintenu pour une filière dont nous sommes le leader mondial - elles ne sont pas si nombreuses...
Je suis plus perplexe sur la recommandation n° 2 et la simplification des circuits de financement. À l'heure actuelle, l'État, qui ne dispose que de peu de moyens, s'appuie sur l'enveloppe de France 2030 pour compléter son financement. Si ce n'est certes pas glorieux, il faudrait aussi éviter que la simplification préconisée débouche sur une diminution du financement.
Concernant la recommandation n° 4, j'ajouterai, au sujet de la création d'un format « Corac SAF », une précision sur le fait que la création de ce format restera sans effet sur l'enveloppe d'aides publiques distribuées à travers le guichet Corac. J'estime en effet que le soutien à la filière des SAF ne devrait pas s'effectuer au détriment du reste du programme, et qu'il est essentiel de mentionner la recherche de financements complémentaires, notamment alors que parallèlement, les taxes sur l'aviation ne cessent d'augmenter et qu'une partie de leurs recettes pourraient être utilisées à cet effet.
Je m'interroge sur la recommandation n° 5 : vous évoquez une accélération du développement des start-up aéronautiques industrielles en créant un instrument thématique d'investissement en fonds propres « financé par France 2030 ».
Le plan France 2030 est un instrument de décarbonation du tissu économique et de soutien à l'innovation. Pouvez-vous me confirmer qu'il peut financer des aides en fonds propres, c'est-à-dire des prises de participation, à travers ses opérateurs comme Bpifrance ?
M. Thomas Dossus, rapporteur spécial. - Bpifrance est bien un opérateur de France 2030 qui mobilise des fonds du plan France 2030 pour procéder à des prises de participation dans le cadre de fonds thématiques voire, dans certains cas, de « fonds de fonds ».
M. Claude Raynal, président. - Dans ce cas, il me semble nécessaire de faire figurer Bpifrance afin de clarifier la recommandation. Actuellement, dans le domaine de l'aéronautique, les aides en fonds propres poursuivent un objectif de renforcement de la filière, c'est-à-dire des sous-traitants, afin de s'assurer que la supply chain sera capable de suivre la montée en charge du secteur.
M. Thomas Dossus, rapporteur spécial. - Cette filière est structurée d'une manière efficace, avec un partenariat public-privé dont le fonctionnement donne - pour une fois - satisfaction. Contribuant effectivement au budget de l'État au travers d'un certain nombre de taxes, le secteur a besoin de stabilité et d'un appui pour financer la recherche afin de réaliser des économies d'énergie.
Néanmoins, nous avons observé que le volet relatif à l'énergie n'est pas aussi bien structuré que l'ensemble de la filière, d'où la volonté, au travers de la recommandation n° 4, d'associer les énergéticiens au sein de du Corac : ces derniers ne fournissent pas, pour l'instant, les efforts nécessaires au respect de la trajectoire. Pour autant, notre objectif est bien de créer une nouvelle instance de dialogue et non de réorienter les aides à la recherche aéronautique civile. La création d'un format « Corac SAF » n'a ni pour objet ni pour effet de réduire l'enveloppe des aides à la recherche aéronautique civile octroyées par le guichet Corac.
Comme l'a indiqué le rapporteur général, il importe de s'en tenir à la trajectoire fixée, car nous risquons de nous heurter à de fortes contraintes financières si nous nous en éloignons. Il est donc temps de lancer l'alerte quant à la cadence de production des carburants alternatifs et de renforcer la structuration de la filière par le biais de cette recommandation n° 4.
Au rythme actuel, je nourris de sérieux doutes quant à la crédibilité de cette trajectoire, ces carburants alternatifs en étant encore à un stade plus théorique que pratique. Je suis d'ailleurs favorable au fait de rendre plus visible le rapport entre les recettes générées par la fiscalité sectorielle et les aides publiques en faveur de la production de SAF. Selon moi, la fiscalité écologique serait rendue plus acceptable si l'État soutenait clairement la production de SAF.
Rappelons, enfin, que la filière est concurrencée par des pays étrangers qui n'hésitent pas à subventionner très largement la recherche et leurs avionneurs, dont les États-Unis et la Chine, cette dernière montant en puissance. Il importe donc de maintenir un soutien équivalent pour cette filière d'excellence, mais qui est confrontée à de réelles inconnues dans sa trajectoire de décarbonation.
M. Laurent Somon, rapporteur spécial. - Monsieur Canévet, les grands opérateurs industriels tels qu'Airbus n'accordent plus la priorité aux projets de recherche qui ne concernent pas le futur avion court et moyen-courrier ultra-frugal - notamment ceux qui portent sur les hélicoptères - compte tenu de la nécessité de développer ce futur avion programme et de faire face à la concurrence chinoise qui se profile.
Pour autant, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) remplit la fonction d'opérateur dual en couvrant les domaines militaire et civil : certains aspects, tels que l'acoustique, présentent un intérêt pour les deux secteurs, et les synergies existent.
M. Capo-Canellas a évoqué la question des 10 % à 12 % d'émissions résiduelles, dont le traitement dépendra de l'avancement de la recherche sur le moteur à hydrogène. Une décarbonation totale sera envisageable si nous parvenons à développer, à terme, un moteur de ce type. Comme l'a indiqué le président d'Airbus, le projet n'est pas abandonné, mais les échéances ont été reportées.
Par ailleurs, nous avons été étonnés que les SAF ne soient pas intégrés dans le Corac, la moitié des efforts de décarbonation reposant sur les carburants. Nous ne comprenons donc pas pourquoi les énergéticiens ne participent pas à cette instance, d'où notre recommandation n°4. Il s'agit donc bien d'ouvrir le dialogue en y intégrant les énergéticiens, et non de réduire les aides à la recherche aéronautique civile en ajoutant des objectifs aux aides du guichet Corac.
Les moteurs actuels permettant déjà d'incorporer des SAF, mais la production de carburants ne suit pas, et les compagnies aériennes ne sont pas incitées à les incorporer si cela ne leur permet pas d'être compétitives. Un coup de pouce tel que celui qui a été accordé aux compagnies aériennes pour intégrer davantage de SAF est donc indispensable, les exonérations devant permettre d'engager une production industrielle, puis une baisse de prix garantissant une compétitivité suffisante.
Pour en revenir aux moyens financiers, il faut bien tâcher d'atteindre un montant de 300 millions d'euros de soutien public annuel si l'on entend atteindre les objectifs de décarbonation de l'aéronautique civile.
Je serais en revanche plus dubitatif concernant l'hypothèse d'affectation d'une partie de la fiscalité sectorielle. Comme l'a rappelé M. Capo-Canellas, l'annonce du Président de la République relative à un soutien à l'utilisation des SAF à hauteur de 200 millions d'euros n'a été tenue qu'à moitié : mieux vaudrait respecter les engagements pris, ce qui permettrait d'éviter d'avoir à rechercher des financements supplémentaires en alourdissant la fiscalité.
Je terminerai par un sentiment personnel : ne faudrait-il pas resserrer le périmètre de France 2030 sur des objectifs prioritaires, afin de se concentrer sur des secteurs d'avenir tels que l'aéronautique civile ?
M. Claude Raynal, président. - Je vous propose donc de procéder aux ajustements rédactionnels appelés par nos échanges.
La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux ainsi ajustées et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.