EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 1er octobre 2025 sous la présidence de M. Stéphane Sautarel, vice-président, la commission a entendu une communication de Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial, sur l'exentsion de la capacité d'accueil des centres de rétention administrative.

M. Stéphane Sautarel, président. - Nous allons entendre maintenant une communication de Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration », sur l'extension de la capacité d'accueil des centres de rétention administrative (CRA).

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - Lorsque j'ai choisi, il y a quelques mois, de consacrer mon contrôle budgétaire à la rétention administrative, j'avais pleinement conscience de la sensibilité du sujet. La rétention touche en effet à la fois aux libertés individuelles, à la politique migratoire et à la sécurité publique.

Tout au long de ce travail, j'ai donc veillé à adopter une approche rigoureuse, tant dans l'analyse des données disponibles, que lors des auditions et des déplacements sur le terrain.

C'est sur cette base que j'ai déposé, il y a quelques mois, la proposition de loi relative à l'information et l'assistance juridiques en rétention administrative et en zone d'attente, et que je vous présente aujourd'hui les conclusions de mon rapport.

Je commencerai par rappeler ce qu'est la rétention administrative. Il s'agit d'un lieu fermé, gardé par des policiers, où l'autorité administrative - en pratique, le préfet - peut placer, pour une durée maximale de 90 jours, et 180 jours pour les profils terroristes, des étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'une mesure d'éloignement. La rétention administrative ne vise pas à punir. Elle a pour seule finalité de maintenir l'étranger à disposition afin de permettre son éloignement, sur la base le plus souvent d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Comme vous le savez, la loi du 11 août 2025 visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, dans sa version adoptée par le Parlement, prévoyait de porter la durée maximale de rétention de 90 à 180 jours pour un certain nombre de profils dangereux, mais le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions. Je le regrette, d'autant que je rappelle que le droit européen prévoit une durée maximale de rétention de droit commun de 6 mois, pouvant même être portée à 18 mois dans certains cas. L'effectivité des éloignements en pâtira.

En 2024, un peu plus de 30 000 personnes ont été placées dans un centre de rétention, dont plus de 16 000 en métropole. Quelque 96 % de ces personnes étaient des hommes, et plus de la moitié provenaient du Maghreb - 32 % d'Algérie, 12 % de Tunisie et 11 % du Maroc. Dans les outre-mer, les ressortissants comoriens représentent une part prépondérante, du fait de l'activité soutenue du centre de Mayotte.

J'en viens à mes principaux constats.

Le premier est le plus central. Il est factuel : la rétention administrative est l'outil le plus efficace pour exécuter les décisions d'éloignement.

Certes, le taux d'éloignement à l'issue d'une rétention reste encore insuffisant. En 2024, environ 54 % des personnes placées en rétention ont effectivement été éloignées ; pour la seule métropole, le taux est de 39 %. Ce chiffre s'améliore par rapport à 2023, mais il demeure trop faible.

La moitié de l'ensemble des éloignements forcés exécutés en 2024 ont toutefois eu lieu après une rétention et ce, alors même que seule une très faible proportion des étrangers en situation irrégulière et visés par une mesure d'éloignement sont placés en rétention.

La rétention administrative s'impose donc comme l'outil le plus efficace de la politique d'éloignement, même si des marges de progrès subsistent pour en renforcer l'efficacité.

Mon deuxième constat porte sur l'évolution profonde du profil des personnes retenues. Depuis 2022, la rétention n'est plus décidée seulement en fonction du risque de fuite et de la probabilité d'un éloignement rapide : elle tient désormais compte de la menace que représente l'étranger retenu pour l'ordre public.

Cette évolution a profondément modifié la rétention administrative. En métropole, les profils relevant de la catégorie des « troubles à l'ordre public » représentaient 86 % des personnes retenues en CRA en 2024, contre seulement 7,3 % en 2021.

Ce changement a eu des effets structurels. D'une part, il a contribué, parallèlement à d'autres facteurs, à l'allongement de la durée moyenne de rétention, passée de 17,5 jours en 2019 à 34,5 jours en 2024. Cela s'explique par le fait que cibler les profils les plus problématiques peut conduire à placer en rétention des personnes plus difficilement éloignables, notamment du fait de leur nationalité ou de leur parcours criminel. D'autre part, ce ciblage a nécessité une sécurisation accrue des centres et a augmenté la pression sur les policiers chargés de la surveillance.

Pour autant, je crois que ce choix est le bon. Dans un contexte où les capacités de rétention sont limitées, il est sage de placer en priorité les personnes les plus problématiques, afin qu'elles quittent effectivement le territoire et qu'elles ne puissent pas, entre-temps, troubler gravement l'ordre public. En outre, ce recentrage ne s'est pas traduit par une chute du taux d'éloignement. Ce dernier est resté proche de celui constaté avant 2022 et repart même à la hausse depuis 2024.

Mon troisième constat a trait à la saturation persistante des capacités d'accueil.

La France dispose aujourd'hui de 27 centres de rétention, représentant un total de 2 187 places théoriques, soit environ 80 places par centre en moyenne. La capacité en métropole a progressé d'environ un tiers depuis 2017, et le taux d'occupation est aujourd'hui de 92,3 %, un niveau très élevé.

En dépit de ces améliorations, le parc demeure insuffisant. Plus de 3 600 demandes de placement en rétention formulées par les préfets ont ainsi été refusées en 2024, faute de place, sans compter celles qui n'ont même pas été déposées pour cette même raison. L'État se voit donc contraint de réserver la rétention aux situations les plus problématiques, alors même qu'elle est l'outil le plus sûr pour exécuter les éloignements.

Sur la base de ces constats et dans le cadre actuel applicable à la politique migratoire, je propose plusieurs axes d'amélioration.

Il faut d'abord étendre les capacités. La loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur avait fixé l'objectif de 3 000 places en CRA, initialement pour 2027. Compte tenu des obstacles fonciers et immobiliers, cet objectif a été décalé à 2029, avec l'ouverture échelonnée de 8 nouveaux centres. C'est un investissement non négligeable mais nécessaire, de l'ordre d'environ 300 millions d'euros d'ici à 2029, selon mes calculs, auxquels s'ajouteront 35 millions d'euros par an pour le fonctionnement une fois les 3 000 places disponibles, hors effectifs de police.

Pour contenir ce coût et accélérer la montée en charge, je préconise un recours accru aux installations modulaires, moins chères et plus rapides à déployer, à la substitution de certaines missions de policiers actifs par des personnels administratifs ou réservistes, et à une externalisation plus large des tâches non régaliennes, afin de concentrer les policiers sur la surveillance et les escortes.

Mais augmenter les capacités ne suffit pas, il faut aussi améliorer l'efficacité de chaque placement. Cela passe d'abord par une identification plus rapide et plus fiable des personnes retenues. L'absence de documents d'identité, leur destruction par les personnes ou l'usage d'alias freinent en effet les procédures. La très récente loi du 11 août 2025 a permis, sous conditions, le relevé d'empreintes et la prise de photographies sans consentement. C'est un progrès, mais nous devons aller plus loin en donnant aux services les moyens d'investigation nécessaires - y compris, sous contrôle du juge, l'exploitation des données téléphoniques - et en améliorant l'interopérabilité de leurs systèmes d'information.

Il est également nécessaire de lever les blocages liés à la délivrance des laissez-passer consulaires (LPC), notamment avec certains pays du Maghreb. L'obtention des LPC doit à ce titre constituer un objectif assumé de la politique diplomatique et consulaire à l'égard des pays étrangers, y compris dans la politique d'attribution de visas, de titres de séjour et d'aide au développement.

Sur le plan opérationnel, les demandes de laissez-passer auprès des consulats doivent être davantage centralisées auprès de l'unité centrale d'identification de la police aux frontières, dont l'efficacité a été démontrée pour les pays déjà concernés.

Il est par ailleurs nécessaire de simplifier les procédures juridictionnelles. Aujourd'hui, le juge judiciaire doit intervenir trois fois pour porter la rétention à 90 jours - c'était quatre avant la loi du 11 août 2025. Je propose de réduire ce nombre à deux, pour autoriser, quand les conditions sont réunies, une prolongation directe de 30 à 90 jours. Le recours à la visioconférence doit également être généralisé pour limiter les déplacements coûteux et chronophages des retenus, des magistrats et des escortes de police.

Il est également temps de réformer les modalités de l'assistance juridique des retenus, aujourd'hui confiée par l'État à des associations dans le cadre de marchés publics. Ce système présente de graves limites, parmi lesquelles une tendance à des recours systématiques de nature à emboliser encore davantage la justice, l'hétérogénéité des pratiques entre associations et entre centres, un coût redondant avec l'aide juridictionnelle, et parfois même des positions militantes. Je recommande, conformément à la proposition de loi que j'ai déposée et que le Sénat a adoptée il y a quelques mois, de confier l'information juridique à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), déjà présent en CRA, tout en maintenant bien sûr le droit au recours à un avocat et le droit de visite des associations humanitaires.

Il convient en outre de donner aux policiers les moyens d'assurer leurs missions en centre de rétention. Cela passera par une hausse des effectifs pour accompagner l'augmentation des capacités des centres, mais également par une meilleure formation et une plus grande valorisation des affectations en CRA dans leur carrière.

Un enjeu majeur réside enfin dans notre capacité à anticiper les éloignements pour éviter des rétentions longues et coûteuses.

En 2024, 27 % des placements concernaient des sortants de prison. Or trop souvent, les démarches de fiabilisation de l'identification des personnes et de demande de LPC ne sont engagées qu'à la libération de prison, réduisant les chances d'éloignement dans les délais légaux de la rétention. Ces démarches doivent impérativement être engagées dès la période de détention, tandis que doit être organisé un partage d'informations fluide entre préfecture, police aux frontières, administration pénitentiaire et magistrats, afin que l'éloignement puisse intervenir immédiatement après la détention ou après une rétention courte.

Par ailleurs, l'aide au retour volontaire doit être davantage proposée et utilisée en rétention administrative et en détention. Elle coûte moins cher qu'un éloignement forcé et peut éviter certains blocages consulaires, ce qui renforcerait l'efficacité des éloignements.

En conclusion, la rétention administrative n'est pas parfaite, mais elle demeure de loin le moyen le plus efficace de faire appliquer les décisions d'éloignement dans un contexte où un certain nombre de personnes refusent de s'y conformer spontanément. Mes recommandations sont donc d'augmenter les capacités, de simplifier les procédures et de rendre le dispositif plus performant pour concilier effectivité des décisions d'éloignement de l'État, protection de l'ordre public et respect des droits des personnes retenues.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les recommandations formulées par notre collègue visent notamment à rationaliser les procédures, à éviter d'emboliser la justice et à maîtriser les coûts, ce qui doit être un objectif pour de nombreuses politiques publiques. Je la remercie de l'objectivité et de la sérénité avec lesquelles elle a présenté ses conclusions. Celles-ci rendent possible une discussion apaisée sur ce sujet qui fait souvent l'objet de polémiques.

Mme Nathalie Goulet. - Je remercie notre rapporteur spécial pour le choix courageux de ce sujet de contrôle et pour la sérénité avec laquelle elle a mené ses travaux. Sans doute faudra-t-il que les rapporteurs spéciaux des différents contrôles budgétaires travaillent ensemble à la traduction budgétaire des actions de renforcement de la coordination entre les différents services, car certaines actions pâtissent de la structuration du budget en missions budgétaires.

Mme Christine Lavarde. - Je remercie à mon tour le rapporteur. Dans quelle mesure les coûts qu'emportera l'augmentation des capacités d'accueil des CRA, et de manière générale, les coûts afférents à l'immigration irrégulière, pourraient-ils être réduits par une politique plus affirmée d'aide au départ volontaire ?

M. Pascal Savoldelli. - S'il est utile, ce contrôle m'interroge sur son champ, qui me semble aller bien au-delà des simples questions budgétaires - comme le précédent contrôle que l'on a examiné ce matin - et correspond à un sujet qui me paraît toutefois limité par les positions politiques, notamment de notre rapporteur, qui n'a du reste pas caché que ce travail s'inscrivait dans la continuité de sa proposition de loi. Bien que le présent rapport n'aborde pas cette question, vous êtes par exemple nombreux à souhaiter que le délai de rétention soit porté de 90 à 180 jours, mes chers collègues.

Je tiens par ailleurs à pointer la contradiction entre les recommandations nos 5 et 8, et sur le fond, j'estime que la gestion de la rétention doit relever exclusivement des forces de police, car l'entrée de personnels privés dans de tels lieux me paraît impensable.

De même qu'il avait voté contre la proposition de loi du rapporteur spécial, mon groupe votera contre ce rapport.

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - Le coût de la rétention étant notable, il nous faudra voir ce qui est effectivement proposé dans les prochains projets de loi de finances. Je tiens par ailleurs à signaler qu'au-delà des sujets budgétaires et des freins immobiliers, l'augmentation du nombre de places présente des implications en termes de ressources humaines. Des effectifs manquent d'ores et déjà au sein des CRA, et nous aurons besoin d'environ 1 700 agents supplémentaires d'ici à 2027, selon mes informations.

Par ailleurs, des expérimentations sont actuellement menées au sein de plusieurs CRA afin d'évaluer les conditions dans lesquelles des missions non régaliennes peuvent être confiées à des agents qui ne sont pas des policiers. Les résultats sont concluants. Cela permettra de limiter le besoin en effectifs, tout en laissant aux policiers les missions principales dans les CRA.

Les missions qu'emporte la rétention étant par ailleurs très différentes de celles qui leur sont traditionnellement confiées sur la voie publique, les forces de police doivent être davantage accompagnées en termes de formation, tandis que leur passage en CRA doit être mieux valorisé dans leur carrière. Il n'y a donc pas de contradiction entre les recommandations nos 5 et 8, mon cher collègue.

En outre, il faut effectivement encourager les départs aidés, aussi bien en détention qu'en rétention. Une telle politique présente des avantages notamment du point de vue du coût - la rétention coûte beaucoup plus cher que l'éloignement aidé - et de celui de l'éloignement lui-même. En effet, lorsque le départ est volontaire, la coopération du pays dont l'étranger est ressortissant pour l'attribution d'un LPC n'est pas nécessaire. En outre, les départs aidés peuvent permettre à des étrangers de retrouver une vie normale dans leur pays d'origine, même si le risque existe que certains d'entre eux utilisent une partie de l'aide financière qui leur est versée pour revenir illégalement sur notre territoire. Il faut trouver un bon équilibre, notamment dans le montant versé.

Il faudra par ailleurs en effet intégrer le budget de la police aux frontières dans la prise en compte du budget global des CRA lors de l'examen des projets de loi de finances. Je salue au passage le travail que vous avez réalisé avec Rémi Féraud sur la délivrance des visas, ma chère collègue Nathalie Goulet.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - J'estime qu'il convient sans doute de préciser la rédaction de la recommandation n° 5, en précisant qu'il s'agit plutôt « d'appuyer » les effectifs actifs de police pour certaines missions « non régaliennes », plutôt qu'en assurer la substitution. Nous nous prémunirions ainsi contre toute erreur d'interprétation.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je souhaitais intervenir dans le même sens.

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - Je suggère d'ajouter « précisément définies » après « certaines missions ». En revanche, l'autre correction que vous proposez ne me paraît pas opportune, car elle irait dans le sens d'une inflation des effectifs.

Il en est ainsi décidé.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial ainsi modifiées et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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