EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 1er octobre 2025 sous la présidence de M. Stéphane Sautarel, vice-président, la commission a entendu une communication de MM. Stéphane Fouassin et Georges Patient, apporteurs spéciaux, sur le soutien de l'État à l'investissement des collectivités ultramarines.
M. Stéphane Sautarel, président. - Nous allons entendre maintenant une communication de MM. Stéphane Fouassin et Georges Patient, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Outre-mer », sur le soutien de l'État à l'investissement des collectivités ultramarines.
M. Stéphane Fouassin, rapporteur spécial. - Cette année, Georges Patient et moi-même avons souhaité conduire une mission de contrôle sur les dispositifs de soutien de l'État à l'investissement des collectivités locales ultramarines, qui sont propres à ces territoires. Je précise d'emblée que notre mission ne portait pas sur l'ensemble des outils mobilisés par l'État pour venir en aide à ces collectivités, comme la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou le fonds vert - ils ne relèvent pas de notre mission -, mais bien sur les dispositifs transitant par la mission « Outre-mer ». À l'issue de ce contrôle, nous proposons onze recommandations contribuant à l'amélioration des dispositifs en vigueur.
En préambule, je tiens à rappeler que les collectivités locales ultramarines sont soumises à des besoins très importants en matière d'investissement, besoins auxquels elles ne peuvent répondre seules. Les dépenses d'investissement représentent ainsi, dans les départements et régions d'outre-mer, 1 519 euros par habitant, alors qu'elles ne s'élèvent qu'à 1 155 euros par habitant dans l'Hexagone. Plus précisément, les régions dépensent 822,5 euros par habitant, les départements et le bloc communal respectivement 75 euros et 622 euros par habitant. Cet effort significatif vise à concrétiser la convergence économique des territoires ultramarins, dont le niveau de richesse n'a pas encore rattrapé celui de l'Hexagone.
Pour autant, les recettes d'investissement des collectivités sont insuffisantes pour réaliser l'ensemble des infrastructures nécessaires. Les dépenses de fonctionnement sont en effet plus contraintes que dans l'Hexagone, en raison notamment du coût de la vie et des charges de personnel, ces dernières étant particulièrement élevées en vertu des suppléments de rémunération que perçoivent les fonctionnaires ultramarins. En conséquence, le taux d'épargne brut de ces collectivités est significativement plus faible que dans le reste de la France : celui du bloc communal s'élève ainsi à 11,7 %, contre 16,3 % dans l'Hexagone.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - L'État consacre une partie de ses ressources à soutenir l'investissement des collectivités locales ultramarines : selon nos calculs, il était question de 862 millions d'euros en 2023. Les dotations d'investissement, telles que la DSIL ou encore la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), qui ne sont pas spécifiques aux outre-mer, représentent 8 % de ces dépenses, soit une part minoritaire de l'effort. En réalité, 62 % du soutien de l'État à l'investissement local ultramarin transite par des outils propres à ces territoires périphériques.
Par ailleurs, l'État dispose du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), qui lui permet de soutenir les personnes publiques effectuant des investissements dans des équipements publics collectifs, c'est-à-dire les collectivités locales pour l'essentiel. En 2025, la dotation du FEI atteint 102 millions d'euros, un montant en hausse par rapport à 2017, mais en nette baisse par rapport à l'an dernier - la dotation s'élevait alors à 160 millions d'euros.
L'action n° 09 du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » permet de financer une bonification des prêts accordés par l'Agence française de développement (AFD) aux collectivités ultramarines pour des projets répondant à des critères précis en matière sociale et environnementale. Il s'agit d'un outil particulièrement efficace : à partir d'un budget de bonification des prêts de 38,1 millions d'euros en 2024, ce sont ainsi 542,7 millions d'euros qui ont été prêtés aux collectivités d'outre-mer. La limite de ce dispositif tient bien entendu à ce que certaines collectivités ne disposent pas d'une situation financière suffisamment favorable pour recourir à ce type d'instrument financier, lequel ne peut pas constituer l'unique soutien de l'État à l'investissement local ultramarin.
Enfin, les contrats de convergence et de transformation (CCT) représentent 45 % des dépenses de soutien de l'État aux collectivités ultramarines. Dans les territoires d'outre-mer, les CCT ont succédé aux contrats de plan État-région qui avaient été signés pour la période 2015-2020. Une première génération de CCT a été mise en oeuvre entre 2019 et 2023, pour un montant total de 4 milliards d'euros, hors contrat de développement de la Nouvelle-Calédonie. La deuxième génération de ces contrats de convergence et de transformation, qui porte sur la période allant de 2024 à 2027, représente un budget global de 3,23 milliards d'euros, dont 1,89 milliard d'euros de l'État. Les collectivités ont financé les CCT à hauteur de 37,4 % entre 2019 et 2023, et le feront à hauteur de 40,9 % entre 2024 et 2027. Cette contribution soutenue des collectivités à l'effort de contractualisation est à saluer.
Les financements de l'État en faveur des CCT proviennent de dix-huit programmes budgétaires différents, dont le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » - celui-ci représente 40 % du total de ces financements -, ou encore le programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale » qui finance les établissements du second degré à Mayotte.
Les CCT reposent sur des priorités en matière d'investissement qui doivent donc correspondre à un plan de convergence établi en concertation entre État et collectivités, ainsi qu'à des projets d'infrastructures clairs et à une maquette financière bien précise.
M. Stéphane Fouassin, rapporteur spécial. - Si ce soutien de l'État à l'investissement local ultramarin est à saluer, il a tout de même des défauts qui doivent être corrigés.
Tout d'abord, la répartition géographique des investissements semble déséquilibrée. Ainsi, les Guyanais ne percevront, entre 2024 et 2027, que 1 949 euros par habitant via les contrats de convergence et de transformation, contre, par exemple, 12 832 euros à Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore 3 649 euros par habitant à Saint-Martin. Une telle répartition pose question.
Par ailleurs, les taux d'engagement et de consommation des crédits consacrés à l'investissement local ultramarin pourraient être plus élevés. Ainsi, le taux d'engagement des crédits des CCT atteint 77 % fin 2023 : un tel effort est certes honorable, mais il pourrait être encore plus important. Le taux de consommation des crédits, quant à lui, est de 48,6 %. Plus particulièrement, la Martinique et la Polynésie française ont rencontré des difficultés pour engager et consommer l'ensemble des crédits dédiés à l'investissement dans ces contrats de convergence et de transformation. Aussi, l'ensemble des projets contractualisés dans le cadre des CCT n'ont pu être réalisés : sur 801 projets inscrits, seuls 63 ont été achevés.
Des obstacles conjoncturels - je pense notamment à la crise sanitaire - expliquent ces difficultés. De plus, le plan de relance a créé un effet d'éviction au détriment des crédits des CCT. Certaines filières, notamment le secteur du BTP, ont de ce fait rencontré des difficultés en matière d'approvisionnement.
Le dispositif de contractualisation en outre-mer est également confronté à des difficultés plus structurelles. Ainsi, le très grand nombre d'opérations engagées a engendré d'importants problèmes en matière de gestion administrative ; l'efficacité du dispositif pâtit en outre de l'existence d'une pluralité de sources de financement, partagées entre dix-huit programmes budgétaires, ainsi que de celle d'une multitude d'agences de l'État - je pense notamment à l'Office français de la biodiversité (OFB) ou à l'Agence nationale du sport (ANS). Le manque de maturité de certains projets a aussi pu faire obstacle au décaissement des fonds.
De nombreuses personnes que nous avons auditionnées ont par ailleurs relevé l'existence de problèmes liés au manque d'ingénierie locale.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Un certain nombre d'améliorations peuvent être apportées aux dispositifs de soutien de l'État dédiés à l'investissement local ultramarin. Il est fondamental d'impliquer davantage les collectivités locales dans les décisions d'octroyer des subventions d'investissement.
Dans certaines collectivités comme la Guyane ou les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution, aucun plan de convergence n'a été défini, alors même que ce sont des plans de cette nature qui doivent servir de base à l'élaboration des contrats de convergence et de transformation. En pratique, pour négocier chaque CCT, des mandats de négociation comportant déjà une liste très précise de projets, définie par les différents ministères lors d'une réunion interministérielle, sont transmis aux préfets peu avant la date butoir de signature des contrats.
Une très faible marge de manoeuvre est laissée aux collectivités pour s'écarter du mandat de négociation. Les élus locaux sont pourtant les mieux placés pour sélectionner les projets les plus importants pour le développement de leurs territoires. Il serait souhaitable de leur laisser une plus grande place dans la négociation des projets financés via les CCT.
Par ailleurs, le fonds exceptionnel d'investissement, tout comme les prêts de l'AFD bonifiés par l'État, devraient servir à financer prioritairement des projets répondant aux priorités d'investissement identifiées par les élus locaux lors de la rédaction des projets de convergence dans chaque territoire. Ainsi, les projets financés pourraient davantage répondre aux attentes locales.
Dans le cadre des CCT, la multiplicité des financements constitue une source de complication administrative supplémentaire. Elle limite la fongibilité entre les crédits afférents aux divers projets, ce qui diminue les marges de manoeuvre des préfectures. Ces dernières ont actuellement recours aux crédits du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » de la mission « Outre-mer » pour compléter les financements manquants aux projets qui se révèlent être matures plus rapidement que prévu. Il pourrait donc être pertinent de réunir certains des financements des CCT en un programme budgétaire unique au sein de la mission « Outre-mer », lequel serait à la main des préfectures, et ce afin de permettre une plus grande fongibilité des crédits.
En outre, l'organisation de réunions plus fréquentes au niveau local entre préfectures et collectivités contribuerait à améliorer le suivi des projets.
Enfin, l'amélioration de la consommation des crédits en faveur de l'investissement local ultramarin implique de rationaliser davantage les aides à l'ingénierie locale. Actuellement, un grand nombre d'entités - je pense en particulier à la Banque des territoires, à l'Agence française de développement, ou encore au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) - disposent de dispositifs de soutien à ce type d'ingénierie. Il peut s'avérer complexe, en particulier pour les établissements publics de coopération intercommunale, de faire appel à l'un ou l'autre de ces dispositifs. Créer un guichet unique d'ingénierie, centralisé par la préfecture, permettrait aux collectivités de recourir plus facilement à l'un de ces outils. Un tel dispositif a déjà été déployé avec succès en Guadeloupe, pour ne citer que cet exemple.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nos collègues pointent du doigt la récurrence des problèmes rencontrés par les territoires ultramarins, la difficulté à y atteindre les objectifs fixés, en insistant sur le trop faible niveau de sollicitation de l'échelon local. C'est un constat que nous faisons, hélas, trop souvent et dans de trop nombreuses circonstances.
Nos collègues indiquent notamment que seuls 63 des 801 projets inscrits dans les CCT se sont concrétisés entre 2019 et 2023 : cela me rappelle les écarts que l'on a pu observer dans certains départements, en Meurthe-et-Moselle en particulier, entre crédits de paiement (CP) réellement consommés et autorisations d'engagement votées.
Ils réclament une simplification des outils utilisés par l'État pour soutenir les territoires : c'est un objectif qui rejoint les conclusions du rapport réalisé par notre collègue Christine Lavarde au nom de la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, présidée par Pierre Barros. En outre-mer comme dans l'Hexagone, l'existence d'une multitude d'acteurs complique l'élaboration des projets et ralentit la mise en oeuvre des chantiers engagés. C'est la raison pour laquelle je suis, moi aussi, en faveur d'une rationalisation du soutien de l'État à l'investissement ultramarin.
Je salue l'approche des rapporteurs spéciaux : il me semble primordial aujourd'hui, dans le contexte de crise budgétaire que nous connaissons, de préconiser avant toute chose une meilleure consommation des crédits, et ce afin d'assurer une plus grande efficacité de la coopération entre État et collectivités et de rétablir la confiance à l'égard des décideurs publics.
M. Stéphane Sautarel, président. - Je ne peux à mon tour que souscrire à l'analyse de nos deux rapporteurs spéciaux.
M. Stéphane Fouassin, rapporteur spécial. - J'insiste sur le fait que l'une des raisons pour lesquelles le taux de concrétisation des projets est aussi faible réside dans la lourdeur des projets eux-mêmes, qu'il s'agisse de chantiers de rénovation de bâtiments ou de la réalisation d'infrastructures d'importance. J'espère sincèrement que la situation se sera sensiblement améliorée l'an prochain.
Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - S'agissant des territoires ultramarins, il importe moins de parler des dépenses que d'évoquer la façon dont les crédits sont consommés. Il faut faire évoluer la manière de dépenser dans nos territoires et mieux accompagner les collectivités ultramarines dans leurs projets d'investissement.
En outre-mer, les frais de fonctionnement sont souvent beaucoup trop élevés et, par suite, empêchent tout investissement significatif. Cela handicape les collectivités, qui ne peuvent pas engager seules des projets pourtant essentiels aux territoires et aux habitants.
Par ailleurs, nous constatons en outre-mer, à l'exception notable de La Réunion, un trop faible recours aux crédits européens. Il s'agit pourtant d'une option intéressante dans le contexte budgétaire actuel pour inscrire les territoires ultramarins dans une dynamique de développement et y favoriser l'emploi.
M. Jean-François Rapin. - Permettez-moi de rappeler que Georges Patient et moi-même avons commis un rapport, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, sur cette problématique consternante du manque de mobilisation des crédits européens en outre-mer.
Il manque à nos territoires ultramarins une véritable reconnaissance des institutions européennes, du moins dans les textes. L'inscription de la spécificité de ces territoires permettra, si elle est correctement anticipée, un meilleur accès aux fonds européens. Sauf exception, le recours à ces crédits est actuellement très insuffisant, probablement en raison à la fois d'un manque d'ingénierie et du manque d'implication de nos autorités nationales. Nous sommes, quoi qu'il en soit, très attentifs à cette question au sein de la commission des affaires européennes.
M. Pascal Savoldelli. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour la qualité de leur contrôle budgétaire. Si je salue leur expertise, je tiens à insister sur deux points : d'abord, il convient de trouver des solutions permettant de mobiliser plus facilement et plus largement l'ingénierie locale, et ce bien sûr dans respect du principe de libre administration des collectivités territoriales ; ensuite, il faut reconnaître que l'affaiblissement des services publics et la moindre place faite à l'État dans les territoires entravent la mise en oeuvre des projets d'investissement.
Cela étant, nous voterons en faveur des recommandations de nos rapporteurs spéciaux.
M. Laurent Somon. - Je suis pleinement d'accord avec Micheline Jacques et Jean-François Rapin sur la trop faible mobilisation des fonds européens en outre-mer. Je souhaiterais citer l'exemple du port de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie : celui-ci n'a pas pu bénéficier des programmes de financement de l'Union européenne, car le texte législatif qui devait instituer l'éligibilité de ce type d'infrastructure ne comportait pas de référence au port de Nouméa dans ses annexes... Il convient d'être attentif à ce genre de détail, en amont de l'élaboration des textes réglementaires et financiers, pour éviter des oublis terriblement nuisibles à nos territoires ultramarins.
La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.