B. RECOMMANDATIONS : RÉÉCRIRE L'ÉQUATION POUR ENCOURAGER L'ENVIE DE MATHÉMATIQUES ET DE SCIENCES
La délégation souhaite délaisser la rhétorique autour du « manque de confiance en soi » et de « l'auto-censure » des filles, qui fait peser sur les filles la responsabilité de leur moindre choix d'une orientation scientifique et oriente les solutions sur un changement de comportement des filles, qu'il s'agirait d'encourager à oser.
Ainsi que le soulignait Clémence Perronnet, sociologue des sciences, lors de son audition « l'absence de confiance en elles des filles n'est pas la cause de l'absence d'orientation vers des filières scientifiques, mais plutôt la conséquence de ce qu'elles vivent lorsqu'elles s'intéressent aux sciences et des remarques sexistes qui leur font comprendre qu'elles n'ont pas leur place dans ce secteur »76(*).
Non seulement la rhétorique autour de l'auto-censure évite de creuser les causes profondes du manque de confiance en elles des jeunes filles, en lien avec les stéréotypes et biais de genre précédemment évoqués77(*), mais elle n'interroge pas les raisons légitimes qu'ont les jeunes filles de se détourner des mathématiques et des sciences. En effet, les filles n'ont pas nécessairement une vision positive de ces disciplines ni des métiers scientifiques, qu'elles associent à des métiers non seulement masculins, sexistes et donc potentiellement dangereux, mais aussi à des métiers abstraits et austères, dont elles ne perçoivent pas le sens.
La délégation souhaite donc changer d'angle de vue et, plutôt que de chercher à changer les filles, encourager l'envie de mathématiques et de sciences chez toutes et tous.
1. Plutôt que de changer les filles, changeons l'enseignement et la perception des sciences
a) Faire évoluer l'enseignement des mathématiques et des sciences
Alors que seules 42 % des filles, contre 59 % des garçons, déclarent aimer les mathématiques en classe de quatrième78(*), il importe de se pencher sur la façon dont cette discipline est enseignée, sur le contenu des programmes et sur les méthodes pédagogiques.
La délégation soutient tous les ateliers concrets de type Mains à la pâte, qui permettent aux élèves de manipuler, expérimenter et ainsi découvrir les mathématiques et les sciences autrement. Elle recommande également de renforcer les partenariats des collèges et lycées avec les maisons des sciences afin de développer cette approche expérimentale et participative.
Dans le cadre du plan Filles et mathématiques, la ministre Élisabeth Borne a annoncé la mise en place de classes à horaires aménagés Mathématiques et Sciences en quatrième et troisième. Ces classes devront comporter la moitié de filles. La délégation soutient cette proposition, dont il conviendra d'évaluer l'efficacité, en particulier en suivant la cohorte des élèves jusqu'à la terminale afin de vérifier si l'intégration dans ces classes augmente la probabilité de poursuivre un cursus scientifique poussé.
La ministre Élisabeth Borne a également communiqué autour de la rénovation du contenu et des méthodes de deux enseignements - l'enseignement des sciences numériques et technologiques (SNT), obligatoire en seconde générale et technologique, et la filière technologique « sciences et technologies industrielles et du développement durable (STIDD) » - dans le but de donner davantage envie aux élèves, et en particulier aux filles, de s'orienter vers les filières STIM.
Faire évoluer l'enseignement des mathématiques et des sciences suppose aussi de rapprocher les enseignants de professionnels travaillant dans la recherche ou dans l'industrie, afin de leur donner des exemples de mises en application concrètes et actuelles des disciplines qu'ils enseignent, qu'ils pourront ensuite mobiliser pour leurs élèves. Cela permettra également aux enseignants de mieux conseiller leurs élèves dans leur choix d'orientation grâce à une meilleure connaissance des métiers.
Au-delà de la salle de classe, la participation des filles à des concours et clubs mathématiques et scientifiques, sur le temps périscolaire, doit être encouragée. Ces activités peuvent être l'occasion pour les élèves de découvrir d'autres facettes de l'utilité des mathématiques et des sciences. Ainsi, lors d'un déplacement dans la Meuse79(*), une professeure du collège Pierre et Marie Curie de Bouligny, qui fait partie du réseau des collèges La Main à la pâte, a souligné auprès des rapporteurs les multiples bénéfices qu'avait eu le concours C'est génial pour ses élèves, qui avaient notamment pu visiter une école d'ingénieurs.
De multiples initiatives se développent aujourd'hui, proposant une autre approche des sciences et des technologies, y compris hors du temps scolaire. Ainsi, l'initiative Girls can code propose des stages gratuits d'initiation à l'informatique destinés aux collégiennes et lycéennes, en non-mixité.
Enfin, l'évolution du rapport des élèves filles aux mathématiques peut également passer par une augmentation de la proportion de femmes parmi leurs professeurs. Si les femmes représentent 51 % des professeurs de mathématiques au collège, elles ne représentent plus que 37 % des professeurs de mathématiques au lycée, 24 % en première année de CPGE scientifique, 21 % en deuxième année de CPGE scientifique et même 18 % en classe étoile. Elles ne représentent également que 21 % des lauréats de l'agrégation en mathématiques, contre 47 % dans les autres disciplines.
S'il est nécessaire d'améliorer le niveau des élèves en mathématiques et en sciences et de combler l'écart de résultats entre filles et garçons, cet effort de montée en niveau ne suffit pas. Comme l'a souligné Elyes Jouini, « le paradoxe norvégien montre qu'il ne suffit pas d'améliorer les résultats des filles en sciences pour influencer leur choix d'orientation. Même lorsqu'elles excellent en sciences, elles restent souvent très performantes en lettres, ce qui leur laisse davantage de choix. Or, en raison de l'environnement et des stéréotypes persistants, elles se dirigent préférentiellement vers les filières littéraires. »80(*) Il faut donc donner envie aux filles de s'orienter vers les filières scientifiques, et pour cela mettre en valeur leur intérêt et leur finalité.
b) Mettre en valeur l'utilité des mathématiques, des savoirs scientifiques et des métiers qui mobilisent ces compétences
Tous les interlocuteurs rencontrés par la délégation ont insisté sur l'intérêt, tant personnel que collectif, des études scientifiques, ainsi que sur la nécessité de davantage mettre en avant cet aspect qui n'est souvent pas évident pour les élèves et leurs familles. La valorisation de l'intérêt mais aussi des implications sociales des études scientifiques est d'autant plus primordiale que les filles, en raison de leur socialisation, expriment davantage que les garçons la recherche d'un métier qui ait du sens.
Ainsi que l'exposait Denis Choimet, président de l'Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques, lors de son audition : « alors que l'utilité, l'intérêt et le sens des études médicales sont évidents pour tous, il faut présenter aux élèves les atouts multiples, bien que non évidents, des études à forte composante mathématiques »81(*).
En effet, les métiers scientifiques, y compris les métiers à forte composante mathématiques, qui peuvent paraître abstraits et lointains, sont en réalité très variés et sont bien souvent au coeur des enjeux de société et des défis de demain, tels que ceux de la transition écologique et de la transition numérique. Il importe de davantage mettre en avant cette utilité sociale des métiers scientifiques et de reformuler les définitions des métiers d'ingénieur et de chercheur, qui sont présentées aux élèves, lors d'interventions dans les établissements scolaires, lors des forums des métiers ainsi que sur les plateformes Onisep et Parcoursup.
Comme l'expliquait Fatima Bakhti lors de son audition : « un ingénieur c'est quelqu'un qui utilise des compétences scientifiques, mathématiques et techniques mais également des qualités humaines, telles que la capacité à travailler en équipe, pour apporter des réponses concrètes à des problématiques réelles » 82(*).
De même, Kumiko Kotera, astrophysicienne et chercheuse, affirmait lors de son audition : « Il me semble impératif de réexaminer la notion traditionnelle du chercheur, du physicien solitaire, enfermé dans son bureau et sortant des équations de son esprit. La science, telle que je la pratique, est avant tout une véritable joie collective. Nous formons un groupe de personnes qui se retrouvent aux quatre coins du monde, échangeant des idées et faisant résonner nos cerveaux ensemble. Concrètement, nous nous posons des questions scientifiques, des énigmes. Nous les posons sur la table, et nous nous réunissons pour partager nos idées. C'est un processus stimulant et enrichissant. Ce n'est pas tout, bien sûr, mais c'est ce qui nous motive chaque jour. »83(*)
Dans le même esprit, Elisabeth Richard, directrice des relations avec la société civile chez ENGIE, membre du HCE et membre du comité de direction de Femmes@numérique, relevait devant la délégation84(*) que parler de métiers de la décarbonation, des énergies renouvelables et de la protection de l'environnement est plus attractif que de parler de métiers industriels et que, devant ce constat, des entreprises industrielles comme Engie travaillent pour changer leur image et se rendre plus attractives auprès des nouvelles générations et en particulier des jeunes femmes.
Changer la présentation faite des études et métiers scientifiques se révèle très efficace. Ainsi, comme l'a mis en avant la sociologue Marianne Blanchard auprès des rapporteures85(*), le choix, fait par l'Université de Berkeley à la fin des années 2000, de nommer un parcours en informatique « Beauty and Joy of Computing » s'est avéré particulièrement opportun puisque ce parcours a attiré dès sa création une moitié de filles parmi ses élèves.
Il importe également d'expliquer aux jeunes l'intérêt personnel qu'ils peuvent tirer de carrières scientifiques. Ainsi que le relevait Sylvie Retailleau lors de son audition86(*), les études et carrières scientifiques sont porteuses d'ascension sociale, et ce beaucoup plus facilement que les études littéraires. En outre, comme le rappelait l'ancienne ministre et astronaute Claudie Haigneré devant les rapporteures87(*), les filles sont attendues dans les métiers scientifiques, il y a des débouchés pour elles.
Par ailleurs, il importe de ne pas isoler les mathématiques des autres matières et de montrer leur utilité dans un grand nombre de domaines, y compris relevant des sciences sociales. Lors de son audition, Marianne Blanchard a ainsi témoigné du nouvel intérêt que ses doctorantes en sociologie ont manifesté pour une formation accrue en mathématiques lorsqu'elles ont pris conscience de l'importance de la maîtrise des statistiques dans cette discipline.
Au vu de l'utilité des mathématiques dans de nombreuses disciplines, de nombreux interlocuteurs de la délégation ont plaidé pour le maintien d'un enseignement de mathématiques obligatoire au sein du tronc commun jusqu'à la terminale.
Un tel maintien permettrait de revenir sur l'anticipation, de plus en plus précoce, des choix d'orientation. L'astrophysicienne et chercheuse Kumiko Kotera déclarait elle-même : « Si, au lycée, j'avais eu à faire un choix concernant la poursuite ou non des sciences, je ne sais honnêtement pas ce que j'aurais fait. Je pense que j'étais trop jeune pour prendre de telles décisions avant le lycée. Je ne savais pas ce qu'était véritablement la science. Le lycée, pour moi, a été une période extrêmement riche, qui m'a permis de mûrir et de comprendre le monde. C'est pourquoi je tiens à partager un message, qui est d'ailleurs largement soutenu par les professionnels de ma discipline : au lycée, la science ne doit pas être une option, elle doit faire partie du tronc commun. Cela permettrait aux filles de ne pas être confrontées à un choix biaisé dès le départ, imposé par la société. »88(*)
À ce stade, ce n'est pas le choix fait par la ministre de l'Éducation nationale qui a privilégié l'organisation d'une nouvelle épreuve anticipée de mathématiques pour les élèves de première générale et technologique dès juin 2026. Les résultats de cette épreuve, qui portera soit sur le programme de l'enseignement commun de mathématiques, soit sur celui de l'enseignement de spécialité mathématiques, pour les élèves ayant choisi cette spécialité, seront intégrés au dossier Parcoursup des élèves. Une telle réforme semble de nature à valoriser l'importance accordée aux mathématiques jusqu'en classe de première.
Mélanie Guenais, maîtresse de conférences au laboratoire de Mathématiques d'Orsay de l'Université Paris-Saclay et coordinatrice du collectif Mathématiques&Science, déplorait devant la délégation89(*) le fait que la réforme du lycée, en imposant aux élèves de terminale de choisir uniquement deux spécialités, amenait des élèves à abandonner les mathématiques sans nécessairement l'avoir souhaité. Elle recommandait donc d'ouvrir la possibilité de garder trois disciplines de spécialités scientifiques en terminale, sans perte de contenus.
c) Faire connaître les métiers et les études scientifiques dès le collège et poursuivre au lycée
S'il s'agit de souligner l'utilité sociale et l'importance des métiers d'ingénieurs et de scientifiques pour les défis de demain, il importe tout d'abord de les faire connaître aux élèves, et ce à un stade suffisamment précoce de leur scolarité pour qu'ils puissent faire les choix pertinents pour y accéder. En effet, il est impossible de se projeter dans un métier que l'on ne connaît pas.
Or, selon Jean Hubac, chef du service de l'accompagnement des politiques éducatives de la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO)90(*), les élèves de collège ne connaissent qu'une dizaine de métiers.
Il est donc nécessaire de davantage informer les élèves, de faire entrer dans les établissements scolaires des personnes représentant la diversité des métiers et de permettre aux élèves de se rendre dans des entreprises et structures pour y découvrir de façon concrète les métiers, par le biais de sorties scolaires, de stages ou de programmes d'immersion.
L'Académie des sciences mène diverses initiatives afin de présenter les métiers scientifiques aux filles. Elle travaille à la rédaction d'un ouvrage intitulé Les femmes (et les filles) dans les sciences, qui sera distribué dans tous les collèges afin de sensibiliser de façon large à la place des femmes dans les sciences et donner un éclairage sur la question des carrières des femmes scientifiques, tant du point de vue des blocages que des opportunités.
Le premier volet du Programme Tech pour toutes, lancé en 2023 et piloté par l'Inira, qui prévoit d'accompagner 10 000 jeunes femmes vers des études supérieures dans le numérique d'ici 2026, a quant à lui pour objectif de faire découvrir les métiers de la tech et du numérique aux lycéennes et étudiantes en prépa, à travers de la documentation, ainsi que des stages et immersions. Ce programme pourrait être élargi afin de cibler également les élèves de troisième, qui doivent elles aussi effectuer un stage.
Les ingénieures et scientifiques rencontrées par les rapporteures lors de leur déplacement au Centre de Meuse/Haute-Marne de l'Andra ont témoigné de l'utilité des stages : pour la première fois cette année, elles ont organisé un parcours d'accueil de plusieurs stagiaires de seconde, pendant quinze jours, et ont alors pris conscience du fait que les élèves ne connaissaient pas la diversité des métiers scientifiques, découvraient que les sciences pouvaient servir à des domaines variés et étaient intéressés par l'utilité concrète pour l'environnement de ce type de métiers.
La délégation souhaite donc que les instituts de recherche et les entreprises du secteur scientifique soient davantage incités à prendre des filles pour des stages de troisième et de seconde et à élaborer des programmes d'accueil leur permettant de prendre la pleine mesure de la diversité et de l'intérêt des métiers possibles dans ce secteur.
Il importe de présenter les métiers des sciences mais aussi les parcours permettant d'exercer ces métiers dès le collège, faute de quoi les élèves ne choisissent pas les bonnes options au lycée.
Denis Choimet, président de l'Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques, a ainsi insisté lors de son audition91(*) sur l'utilité d'expliquer aux élèves moins bien informés la nécessité de faire le choix de la spécialité mathématiques au lycée en raison de sa complémentarité avec les autres disciplines scientifiques et de son importance pour les métiers scientifiques, qui en font notamment un pré-requis à l'entrée en CPGE scientifique.
Les établissements d'enseignement supérieur doivent être encouragés à nouer des liens avec les établissements scolaires du premier et du second degré et à proposer des programmes de mentorat ou d'accueil de jeunes filles afin de faire connaître leur formation de façon incarnée et attractive.
Certaines initiatives sont portées par des associations - telles que l'association Pégase qui intervient dans des écoles primaires et des collèges pour éveiller les plus jeunes aux filières scientifiques - et d'autres directement par les universités et écoles d'ingénieur - qui peuvent ainsi obtenir le label Cap Ingénieuses.
Ainsi, l'Université de Lorraine a mis en place deux dispositifs originaux :
· le dispositif des « étudiants ambassadeurs » qui se rendent dans les lycées ;
· le dispositif « un jour à l'université » qui permet à des lycéens de venir passer une journée à l'université durant les petites vacances scolaires.
L'initiative de l'école mathématiques Les Cigales propose à des lycéennes de seconde et de première une immersion gratuite, en pension complète, d'une semaine au Centre international de rencontres mathématiques sur le campus de Luminy d'Aix-Marseille Université. Cette initiative a essaimé et est désormais proposée, sous des formes diverses : les fourmis par l'APMEP à Lille, les mouettes savantes par l'Université de Rennes, les cigognes par l'Université de Strasbourg ou encore les lionnes par l'association Séphora Berrebi en Ile-de-France.
CentraleSupélec a quant à elle mis en place des « summer camps » à destination d'environ 150 lycéennes et lycéens - avec une parité des élèves, venus de toute la France - présentant de bons résultats scientifiques. Ces lycéens sont accueillis sur le campus, pendant une semaine début juillet, à l'issue de leur année de seconde. L'objectif de l'école est de leur fournir des informations sur les classes préparatoires et sur les différentes formations proposées par l'école, dont ces lycéens n'auraient pas eu connaissance par ailleurs.
L'École polytechnique organise également, sur son campus durant l'été, des camps scientifiques à destination de collégiens et lycéens, avec des critères sociaux et de parité. Des actions de tutorat et de mentorat sont également menées auprès de collégiens et lycéens par des étudiants et des enseignants chercheurs de l'école, avec une attention particulière portée aux jeunes filles. Enfin, les étudiants de première année se rendent dans des collèges et lycées au cours de leur stage, souvent accompagnés d'un ancien élève. La directrice générale Laura Chaubard a témoigné des effets positifs que ces initiatives, qui atteignent environ 25 000 élèves par an, ont à l'échelle individuelle : « Nous observons de belles histoires à l'échelle individuelle. Dans les deux dernières promotions, plusieurs jeunes femmes et jeunes hommes issus de milieux peu propices à la poursuite d'études scientifiques ont bénéficié de ces programmes de tutorat et de mentorat. Ils ont ensuite intégré l'X, Télécom Paris, l'ENS ou d'autres écoles de rang comparable. Ils nous font part de l'impact considérable que ces stages et ces rencontres ont eu dans leur décision de poursuivre des études scientifiques. »92(*)
Pour autant, ainsi qu'elle le reconnaît, il convient de réellement évaluer ce type d'initiatives, avec un suivi des cohortes accompagnées, alors qu'aujourd'hui « les progrès ne sont guère significatifs en ce qui concerne la féminisation des carrières scientifiques ».
Si ces initiatives, nécessairement d'ampleur limitée, sont positives, elles doivent cependant s'accompagner de campagnes d'information de plus grande envergure, à destination de l'ensemble des collégiens et collégiennes, et des lycéens et lycéennes.
Il importe de faire connaître les métiers et études scientifiques non seulement aux élèves mais aussi aux enseignants.
Ainsi Centrale Supélec a accueilli une cinquantaine de professeurs afin de leur présenter les classes préparatoires et les métiers d'ingénieurs. Lors d'un questionnaire de sortie, la direction de l'école a constaté que ces professeurs connaissaient peu ces programmes avant cette journée d'accueil et n'étaient donc pas en mesure de fournir des informations appropriées aux élèves. De telles initiatives pourraient être généralisées, en lien avec les rectorats.
Recommandation n° 8 : Faire connaître les études et métiers scientifiques aux collégiennes et lycéennes et mettre en valeur leur utilité sociale, en actualisant la présentation des métiers et formations sur les plateformes Onisep et Parcoursup, en menant des campagnes de communication, en finançant des clubs et stages scientifiques et en soutenant des programmes d'immersion dans l'enseignement supérieur ou en entreprise à destination des élèves mais aussi de leurs professeurs. |
2. Valoriser des rôles modèles féminins accessibles et les faire venir dans les établissements scolaires
a) Bien choisir les rôles modèles féminins présentés aux élèves
Diverses études soulignent l'efficacité de la mise en avant de rôles modèles féminins pour diminuer la prévalence des stéréotypes associés aux métiers scientifiques mais également augmenter le nombre de filles s'orientant vers des filières scientifiques.
Une étude93(*) a ainsi évalué le programme « For Girls in Science » de la Fondation L'Oréal, qui propose des interventions d'une heure de rôles modèles féminins en classe de seconde générale ou technologique et en classe de terminale scientifique : parmi les 25 % d'élèves avec les meilleurs résultats en mathématiques au bac, 37 % des filles des classes ayant bénéficié de l'intervention d'un rôle modèle féminin se sont orientées vers une CPGE scientifique, contre 24 % dans les classes témoins. À l'inverse, aucun effet significatif n'est relevé sur les garçons ; l'effet mimétisme est notable. Le programme réduit donc d'un tiers l'écart filles-garçons dans l'accès aux CPGE scientifiques parmi les élèves les plus performants. Et ce seulement après une intervention d'une heure.
Cette même étude relève que les effets du programme sur les choix d'étude dépendent du profil des rôles modèles qui sont intervenues en classe, au parcours desquelles les élèves doivent pouvoir s'identifier, ainsi que du contenu de leur intervention, plus efficace lorsqu'elle ne met pas l'accent sur la sous-représentation des femmes dans les filières scientifiques.
Constatant qu'il manquait un échelon intermédiaire entre les lycéennes et les femmes scientifiques avec des carrières abouties, le programme Jeunes Talents France L'Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science, en partenariat avec l'Académie des sciences, sélectionne des jeunes chercheuses talentueuses, qui, au-delà de la dotation qu'elles reçoivent, ont vocation à un rôle d'ambassadrices de la science auprès des lycéens et des lycéennes, notamment dans le cadre du programme Pour les Filles et la Science.
Les interlocuteurs rencontrés par les rapporteures ont tous insisté sur l'importance de recourir à des rôles modèles intermédiaires, accessibles, auxquels les élèves peuvent s'identifier, à la fois parce que ce ne sont pas des femmes trop exceptionnelles ou des génies, et parce que ces femmes ont un parcours de vie dans lesquels les élèves peuvent se retrouver.
Ainsi que le relevait Patrick Flandrin physicien, directeur de recherche au CNRS, lors de son audition, « la représentation des femmes scientifiques dans les manuels peut être caricaturale, insuffisante ou restreinte à des figures emblématiques comme Marie Curie. Il est important de montrer que l'on peut avoir des femmes de science « exceptionnelles », mais il ne faut pas que ces exceptions, qui peuvent être trop impressionnantes, finissent par dissuader. »94(*)
Confirmant ce constat que « tous les modèles féminins de réussite en science ne sont pas des bons rôles modèles », la chercheuse Isabelle Régner a apporté, devant la délégation95(*), des précisions sur les caractéristiques d'un bon rôle modèle : « La littérature en psychologie sociale et cognitive a démontré, depuis plus de cinquante ans, les conditions nécessaires à l'efficacité des modèles de réussite. Un modèle, qu'il soit scientifique ou d'un autre domaine, ne sera pertinent que s'il permet aux personnes ciblées de s'identifier à lui. Il doit être adapté aux cibles auxquelles il s'adresse, qui doivent percevoir des éléments de similitude entre elles et le modèle. Le modèle doit être atteignable et doit aussi, dans sa façon de présenter sa réussite, infirmer le stéréotype qui essentialise la compétence ou l'incompétence du genre auquel il appartient : un bon modèle est donc un modèle qui a réussi par le travail et l'effort. »
Afin de favoriser l'identification des jeunes filles, les cinq grands critères suivants doivent guider la sélection du rôle modèle intervenant auprès de celles-ci :
· similitudes avec les jeunes filles concernées, du fait de l'origine sociale, territoriale ou culturelle ;
· relative proximité en âge : privilégier des étudiantes, doctorantes, jeunes chercheuses ou jeunes ingénieures, voire même des lycéennes ayant opté pour des spécialités scientifiques ;
· performances scolaires passées relativement proches du public cible afin que le parcours du modèle paraisse, et soit objectivement, accessible ;
· présentation de sa réussite comme le résultat de travail et d'efforts et non de compétences mathématiques ou scientifiques qui seraient innées ;
· capacité à rendre son parcours et son métier enthousiasmants.
b) Développer des partenariats avec des associations, des entreprises et des structures de l'enseignement supérieur au sein des établissements scolaires, avec le soutien des collectivités territoriales
De nombreux établissements scolaires développent des politiques partenariales avec des associations et entreprises qui proposent de faire venir des élèves dans leurs structures, de mener des interventions au sein des classes ou encore de mettre en place des tutorats ou des mentorats.
Ces partenariats sont précieux et doivent être encouragés. Pour autant, il est ressorti des auditions une difficulté à cartographier l'ensemble des partenariats et une grande disparité entre établissements. Le rectorat ainsi que la région, acteur clé dans la formation, ont un rôle à jouer dans l'établissement et le renforcement de ce type de partenariats alors que l'Éducation nationale est encore peu ouverte aux entreprises.
Dans ce cadre, la région Grand Est a demandé à des associations de se regrouper afin de créer un parcours « Elles + sciences = grand Est », lancé en février 2025, afin de mener des sensibilisations et un accompagnement des élèves de la maternelle jusqu'à l'insertion professionnelle.
Le plan Filles et Mathématiques annoncé par la ministre Elisabeth Borne prévoit que, chaque année, de la troisième à la terminale, un réseau d'associations, d'étudiants ou de branches professionnelles, soit mobilisé par les chefs d'établissement, en lien avec les régions, pour que des femmes, rôles modèles, puissent présenter leur parcours à des jeunes filles. Ces rencontres sont expérimentées dans des académies volontaires depuis la rentrée 2025, et seront généralisées en 2026.
De nombreuses associations de promotion de la mixité dans les sciences existent, que la délégation tient à saluer ici, sans prétendre à l'exhaustivité : Elles Bougent, Femmes Ingénieures, Femmes et Science, Femmes et Mathématiques, Industri'Elles, Femmes@Numerique, Women and Girls in Tech, mais aussi des associations étudiantes et des associations d'alumni propres à chaque école ou université.
La délégation soutient les nombreuses initiatives déjà en place et préconise de mieux les cartographier et les coordonner sous l'égide du rectorat et de la région, afin d'atteindre l'ensemble des territoires, et en particulier les établissements scolaires ruraux.
Elle recommande également la mise en place de campagnes de communication sur les femmes scientifiques sur les plateformes scolaires type Parcoursup, sur la plateforme Onisep, dans les médias consacrés à l'orientation ainsi que dans les médias et sur les réseaux sociaux consultés par les jeunes.
Recommandation n° 9 : Organiser des campagnes de communication et des interventions dans les établissements scolaires autour de jeunes femmes scientifiques constituant des rôles modèles à la fois inspirants et accessibles. |
3. Se donner les moyens de promouvoir l'égalité filles-garçons dans les établissements scolaires et les choix d'orientation
a) Former l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale aux enjeux d'égalité et les impliquer dans cette démarche
Encourager l'envie de mathématiques et de sciences chez les filles exige également de créer un environnement propice, qui ne les dissuade pas de s'intéresser à ces disciplines et aux métiers qui mobilisent ces savoirs.
À cette fin, il est essentiel de former l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale - enseignants, chefs d'établissements, conseillers principaux d'éducation, inspecteurs, psychologues, etc. - à l'égalité filles-garçons, à la déconstruction et la lutte contre les stéréotypes, ainsi qu'aux façons de prévenir et agir face aux comportements sexistes, au harcèlement, aux violences sexuelles et à leurs conséquences.
Afin d'impliquer les personnels, la délégation souhaite que soient systématiquement assignés aux recteurs, directeurs académiques et chefs d'établissement des objectifs portant sur l'égalité filles-garçons et sur la mixité dans l'orientation scolaire, en particulier l'orientation des filles vers les filières scientifiques. Les statistiques sexuées pertinentes doivent être inscrites au sein des tableaux de bord Archipel et faire l'objet d'un suivi par les chefs d'établissement et les rectorats, dans le cadre du dialogue de gestion des lycées ainsi que du dialogue avec les enseignants et avec les parents.
En 2022, une lettre avait été adressée à l'ensemble des recteurs par le ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, Pap Ndiaye, afin d'atteindre la parité dans les spécialités mathématiques, physique-chimie et mathématiques expertes et de tendre vers la parité pour les autres enseignements (Sciences de l'ingénieurs - NSI - numérique et sciences informatiques). Nous en sommes toujours loin.
Comme précédemment évoqué, le plan Filles et mathématiques, annoncé par la ministre Elisabeth Borne en mai 2025 sur la base du rapport Filles et mathématiques précité96(*), comporte plusieurs mesures visant à former, sensibiliser et impliquer tous les personnels de l'Éducation nationale face aux stéréotypes et biais de genre et pour rapprocher les filles des mathématiques et des sciences :
· sensibilisation de deux heures aux biais de genre pour tous les personnels dès la rentrée 2025 ;
· plan de formation pluriannuel à la prévention des biais de genre et des stéréotypes dans l'apprentissage des mathématiques, avec, dès la rentrée 2025, une formation d'au moins une journée pour l'ensemble des professeurs de mathématiques de collège (24 000) et de lycée général et technologique (12 000) ;
· affichage d'une charte de lutte contre les stéréotypes dans les salles des professeurs ;
· objectifs cibles, intégrés dans les objectifs des chefs d'établissement, afin d'obtenir, d'ici 2030, 30 000 filles supplémentaires qui choisissent la spécialité « mathématiques » et la gardent en terminale, soit 5 000 filles de plus par an dès la rentrée 2025, ce qui représente en moyenne 2 filles supplémentaires par établissement chaque année.
La délégation se félicite de ces annonces, dont elle suivra avec attention la concrétisation.
La formation des professeurs aux enjeux d'égalité doit désormais franchir un palier supplémentaire et être accélérée, afin de toucher tous les professeurs en poste. Les académies doivent déployer des plans de formation permettant de toucher l'ensemble des enseignants, avec une priorité donnée dans un premier temps aux professeurs de mathématiques.
C'est ce qu'a mis en place l'Académie d'Amiens, qui dispose, depuis la rentrée 2023, d'un plan de formation de tous les professeurs de mathématiques à l'égalité filles-garçons, avec quatre piliers : objectiver la situation, pour susciter une prise de conscience ; déconstruire les mécanismes à l'oeuvre grâce aux apports de la recherche ; expliquer l'importance de cet enjeu pour l'Éducation nationale ; donner des pistes d'action concrètes pour agir.
La sociologue Marianne Blanchard a témoigné97(*) de son expérience lors des formations qu'elle assure à l'Inspé de Toulouse auprès des enseignants stagiaires du second degré : cette formation suscite des prises de conscience, mais également des réticences très fortes, appuyées sur l'idée que les garçons sont plus forts en mathématiques. Le chemin est donc encore long à parcourir.
Comme le préconise le rapport Filles et mathématiques précité, afin de renforcer sa légitimité auprès des professeurs et son appropriation par ceux-ci, la formation à la pédagogie égalitaire dans les disciplines scientifiques et technologiques doit s'appuyer sur les acquis de la recherche et privilégier des observations croisées de classe.
En outre, pour inciter les professeurs de mathématiques à se former à la pédagogie égalitaire dans le cadre de leur formation continue, le suivi d'une telle formation pourrait devenir un pré-requis pour le passage au grade « hors classe » ou pour une candidature à un poste en CPGE.
Ainsi que l'a exposé Jean Hubac, chef du service de l'accompagnement des politiques éducatives de la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), lors de son audition98(*), l'ensemble des professeurs - et pas uniquement ceux de mathématiques - doivent être formés à l'égalité filles-garçons et être sensibilisés à la question spécifique des biais de genre en mathématiques dans la mesure où les propos tenus par les professeurs de matières littéraires ont des effets sur la façon dont les élèves se projettent sur un cursus en mathématiques.
Cette formation globale est d'autant plus importante pour les professeurs principaux, qui sont amenés à conseiller les élèves dans leur orientation. Or, Laure Etévez, responsable du groupe Femmes & Mathématiques de l'Association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public (APMEP), a déploré, lors de son audition99(*), la plus faible proportion de professeurs de mathématiques professeurs principaux en terminale depuis la réforme du bac.
Développer une culture de l'égalité au sein des établissements scolaires suppose de s'en donner les moyens financiers et humains.
Or les politiques d'égalité filles-garçons dans l'Éducation nationale reposent aujourd'hui largement sur le volontariat et le volontarisme des acteurs, comme le relève le rapport IGÉSR -IGF « Filles et mathématiques » précédemment évoqué :
· la DGESCO ne compte qu'un seul équivalent temps plein sur cette thématique ;
· les référents académiques égalité filles-garçons n'ont pas de décharge nationale et l'animation académique de la politique d'égalité filles-garçons ne fait pas l'objet d'une déclinaison systématique au niveau des unités éducatives (dialogue de gestion, fiche d'objectifs, évaluation d'établissement...) ;
· les référents égalité filles-garçons en établissement sont censés bénéficier d'une formation et impulser une dynamique mais ils ne bénéficient pas d'une indemnité pour mission particulière.
Il apparaît donc primordial de doter les référents égalité filles-garçons de moyens dédiés. En particulier, les référents égalité au sein des établissements doivent pouvoir bénéficier de formations spécifiques, de décharges d'activité, ainsi que d'une rémunération sous forme de prime.
Plus globalement, il s'agit de favoriser la construction d'un environnement bienveillant alors qu'aujourd'hui encore l'école n'est pas neutre et continue à propager des stéréotypes. Il existe, depuis 2022, un label égalité filles-garçons des établissements scolaires qui a permis de labelliser 1 100 établissements, soit 10 % des établissements. Cette démarche, qui permet d'impliquer l'ensemble de la communauté éducative et des élèves d'un établissement, doit se poursuivre. Des moyens doivent être prévus au sein de la DGESCO afin d'appuyer cette labellisation.
Recommandation n° 10 : Former l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale à la prévention et la lutte contre les stéréotypes et biais de genre, avec une priorité donnée aux enseignants de mathématiques et en s'appuyant sur les acquis de la recherche et les observations croisées de classe. |
b) Transmettre une culture de l'égalité aux jeunes, en agissant aussi sur les garçons
Lors de son audition100(*), la sociologue Marianne Blanchard a mis en avant les risques que pouvaient comporter des discours expliquant la faible proportion de filles dans les sciences uniquement par les stéréotypes de genre dont sont victimes les filles, diluant les responsabilités, d'autant que ces discours insistent généralement sur le caractère inconscient des stéréotypes. Elle estime que de tels discours occultent les causes de l'existence de ces stéréotypes et font oublier les autres dynamiques, d'inégalités sociales mais aussi de violences sexistes et sexuelles, et la nécessité de travailler également avec les garçons.
Ce constat rejoint celui fait par Jérôme Courduriès, professeur des universités en anthropologie, chargé de mission « égalité de genre et lutte contre les violences sexuelles » à l'université Toulouse-Jean Jaurès : « Ce qui est en cause, c'est tout particulièrement l'éducation des garçons, la socialisation masculine et plus généralement une représentation des identités de genre. Au lieu du modèle de masculinité conquérante et séductrice, il nous faudrait privilégier le modèle d'une masculinité plurielle. Au lieu d'identités de genre stéréotypées et hiérarchisées, il nous faudrait privilégier le respect d'identifications d'identités de genre diverses. Dans ce domaine, les libertés et les droits acquis par certaines ou certains ne retranchent rien aux libertés et droits des autres, bien au contraire. »101(*)
La délégation en est convaincue : transmettre une culture de l'égalité impose de s'adresser tant aux filles qu'aux garçons.
Il s'agit en premier lieu de s'efforcer de développer chez les garçons des dispositions considérées comme féminines, telles que l'empathie, le soin des autres, le soin de son environnement ou la coopération, et d'éviter qu'ils ne développent des comportements sexistes et violents. En outre, comme le soulignait Marianne Blanchard, plutôt que d'inciter les filles à développer des dispositions considérées comme masculines, telles que le goût pour la compétition, la prise de risque ou le contrôle des émotions, peut-être pourrait-on remettre en cause le caractère intrinsèquement positif de celles-ci.
Cet objectif est en phase avec les principes de l'enseignement à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), dont le nouveau programme est entré en vigueur à la rentrée 2025. La délégation sera vigilante à la mise en oeuvre effective des trois séances annuelles d'EVARS sur la base de ce nouveau programme.
Il est également essentiel que tous les établissements scolaires appliquent une politique de tolérance zéro vis-à-vis des propos sexistes, notamment ceux mettant en cause les compétences des filles, et a fortiori des comportements sexistes et violents.
Par ailleurs, s'il est essentiel d'ouvrir les horizons des filles, il convient également d'interroger l'orientation massive des garçons vers les sciences et la technique, et le délaissement par ceux-ci des métiers de la santé, du social, de l'aide à la personne ou de l'enseignement. La progression de l'égalité femmes-hommes impose de rétablir un équilibre dans les choix offerts aux garçons comme aux filles.
Cette question renvoie à la hiérarchie des savoirs, des métiers et des modèles de réussite, sur laquelle il convient aussi de s'interroger.
Ainsi qu'en témoignait Mélanie Guenais, en se fondant notamment sur des discours prononcés par des étudiantes lors de la cérémonie de remise de diplôme de l'ESPCI, de nombreuses jeunes filles appellent aujourd'hui à déconstruire des modèles de réussite « façonnés par des hommes dans des contextes historiques et sociaux où les femmes étaient exclues par défaut ». Elles s'interrogent aussi sur « des modèles de réussite qui mènent à un effondrement » et « considèrent que le changement passe également par leurs choix de secteurs d'engagement ».102(*)
Au-delà de la nécessité de valoriser des métiers scientifiques porteurs de sens, pour que les jeunes filles s'engagent dans ces parcours, il est également impératif de mieux valoriser les métiers dits du care, à la fois pour les femmes qui s'orientent massivement vers ces métiers essentiels et pour attirer davantage d'hommes dans ce secteur.
Plus globalement, la délégation rejoint les analyses du rapport de France Stratégie précité103(*), qui relève que « les stéréotypes ne sont pas que des représentations mentales mais se nourrissent des inégalités observées », que « ces préjugés se forgent non seulement dans l'imaginaire collectif mais aussi dans l'observation du quotidien, en particulier chez les enfants » et que « par conséquent, changer les représentations implique aussi de réduire les inégalités entre femmes et hommes ».
Recommandation n° 11 : Transmettre une culture d'égalité aux jeunes, en abandonnant l'idée de changer ou encourager les filles et en agissant davantage sur les représentations et attitudes des garçons. |
c) Assurer les filles de leur légitimité et de leurs compétences
Alors qu'aujourd'hui les filles continuent à subir des biais de genre négatifs tout au long de leur apprentissage des mathématiques et des sciences, il s'agit de les convaincre de leur légitimité et leurs compétences pour s'orienter vers des filières scientifiques.
Cela peut passer par une meilleure transparence quant à leurs résultats. En effet, les filles, même parmi les meilleures élèves, sous-estiment leur position dans la distribution des notes. Des expérimentations ont prouvé que le fait de leur fournir des informations objectives permet de réduire cet écart et d'augmenter leur probabilité de candidater à des formations sélectives comme les CPGE104(*).
En outre, il s'agit de les convaincre qu'ainsi que le déclarait Marianne Blanchard, « pas besoin d'être un génie en mathématiques pour suivre des études scientifiques »105(*).
Enfin, il s'agit d'expliquer aux filles que leur présence est recherchée dans les filières scientifiques mais aussi, plus globalement, de « dégenrer » l'orientation. Pour cela, pourrait être envisagée l'instauration de bonus sur Affelnet et sur Parcoursup pour les filles et garçons formulant des voeux d'orientation dans des formations où l'un des sexes représente moins de 30 % des étudiants. D'autres mesures visant l'enseignement supérieur sont développées dans la suite de ce rapport106(*).
d) Sensibiliser tous ceux qui accompagnent les élèves dans leurs choix d'orientation, y compris les parents
Au-delà des appétences et souhaits exprimés par les élèves eux-mêmes, de nombreux acteurs jouent un rôle dans les choix d'orientation : familles, enseignants, chefs d'établissement, psychologues de l'Éducation nationale, camarades de classe, etc.
Il est essentiel de convaincre l'ensemble de ces acteurs de ce qu'affirmait si clairement Sylvie Retailleau lors de son audition : « les compétences nécessaires dans les métiers des sciences et des technologies n'ont rien à voir avec le genre »107(*).
De nombreux interlocuteurs de la délégation ont insisté sur la nécessité de se donner les moyens de mettre en place un véritable service public de l'orientation et de former les psychologues de l'Éducation nationale - qui ont remplacé les conseillers d'orientation - et les directeurs de centres d'information et d'orientation (CIO) aux enjeux d'égalité femmes-hommes.
Il est également nécessaire de renforcer et actualiser les connaissances qu'ont les professeurs et chefs d'établissement des études et métiers scientifiques.
Lors de son audition108(*), Denis Choimet, président de l'Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques, a ainsi souligné l'importance de mieux informer les professeurs et chefs d'établissements, qui peuvent avoir une vision datée ou erronée des CPGE scientifiques et par conséquent dissuadent les filles de les intégrer.
De même, Valérie Brusseau de l'association Elles bougent a mis en avant l'importance de mieux faire connaître les métiers de l'industrie aux professeurs du secondaire, qui connaissent souvent mal ces métiers.
Il est essentiel de toucher également les parents, qui sont prescripteurs dans les choix d'orientation. La synthèse de la concertation nationale sur l'orientation des élèves menée début 2025109(*) souligne la nécessité de mieux associer les familles aux actions et démarches d'orientation, en organisant des réunions d'information interactives régulières, en intégrant les parents à des actions collectives organisées par les établissements comme des forums et des séances d'information, ou encore en impliquant les associations de parents d'élève.
Il importe de leur faire connaître la diversité des métiers, les perspectives professionnelles et les niveaux de rémunération au sein des métiers scientifiques et d'ingénieurs. Il faut également les informer du caractère presque gratuit des classes préparatoires et des écoles d'ingénieur pour les familles issues de milieux populaires.
Les parents ont aussi souvent besoin d'être rassurés. En particulier, dans les territoires ruraux, les parents apparaissent particulièrement réticents à l'idée de laisser leurs filles partir dans des villes éloignées de leur lieu de vie. Ces préoccupations se retrouvent également dans les départements et collectivités d'outre-mer, où la distance géographique et logistique freine l'accès des jeunes ultramarins aux études supérieures. Il importe donc de proposer des places en internat ou des facilités de logement pour les filles et d'informer en amont les parents de ces facilités.
Plus globalement, Valérie Debord, première vice-présidente Emploi, formation, orientation, apprentissage et enseignement supérieur de la Région Grand Est et présidente déléguée de la commission formation-emploi au sein de Régions de France110(*), a mis en avant l'intérêt de renforcer la communication à destination des élèves et familles des territoires ruraux afin de leur faire connaître des métiers scientifiques mais aussi leur faire savoir que ces métiers pourront ensuite être exercés à proximité de leur bassin de vie.
Diverses associations ont saisi l'importance de mobiliser les familles pour faire évoluer les choix d'orientation des jeunes.
L'association Elles bougent mène ainsi une campagne nationale de déconstruction des stéréotypes auprès du grand public, afin de faire évoluer les perceptions des parents quant aux métiers scientifiques. Des antennes locales d'Elles bougent cherchent aussi à inviter les parents à venir, avec leurs filles, pour visiter des usines, mais y parviennent difficilement.
Dans le cadre du programme Power minottes de BPW, qui permet à des enfants de 7 à 13 ans de découvrir des métiers, les parents sont invités à rester pendant toute la durée de l'événement, sont sensibilisés aux biais cognitifs inconscients et peuvent eux aussi découvrir des métiers et leur caractère accessible pour leurs enfants.
De telles initiatives doivent être encouragées, tant les familles jouent un rôle essentiel dans la construction du parcours scolaire et l'orientation de leurs enfants.
Recommandation n° 12 : Mettre en place un véritable service public de l'orientation, sensibilisé aux enjeux d'égalité femmes-hommes et associant les familles. |
Une fois franchies les barrières de l'orientation au collège et au lycée, les jeunes femmes se trouvent confrontées à de nouveaux obstacles : minoritaires dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur, elles y affrontent un sexisme encore trop ordinaire et bien souvent des violences.
C'est pourquoi les classes préparatoires, les grandes écoles et les universités constituent un autre maillon décisif pour donner aux femmes toute leur place dans les sciences.
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* 108 Audition du 6 mai 2025.
* 109 Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), Synthèse de la concertation nationale sur l'orientation des élèves, avril 2025.
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