D. RENFORCER LES MOYENS HUMAINS

L'ensemble des acteurs rencontrés ont indiqué comme principal frein au développement de l'enseignement des langues régionales le manque de ressources humaines.

Pour y remédier, une triple action est nécessaire : utiliser davantage les ressources dormantes au sein de l'éducation nationale, renforcer la place des langues régionales dans la formation initiale et accroitre les efforts dans l'accompagnement des personnels, que ce soit à travers la formation continue ou le matériel pédagogique.

1. La nécessité d'utiliser davantage les ressources dormantes de l'éducation nationale

Les auditions ont montré que l'éducation nationale ne disposait pas de données complètes et fiables sur le nombre d'enseignants en capacité d'enseigner les langues régionales, notamment dans le premier degré. Dans certaines académies, il n'existe ainsi aucun recensement des enseignants ayant une maîtrise suffisante de la langue et disposés à l'enseigner. Or il s'agit d'éléments nécessaires pour pouvoir planifier et structurer un enseignement de la langue régionale, dans ces différents composants : enseignement renforcé (3 heures par semaine), enseignement bilingue à parité horaire et enseignement immersif.

Lors de son audition, Dominique Malroux, directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) en Pyrénées-Atlantiques, a indiqué qu'il existe dans son département une enquête régulière permettant de recenser les compétences linguistiques des enseignants du primaire. Il souhaite toutefois aller plus loin dans celle-ci afin d'identifier également les enseignants ne maîtrisant pas ou pas suffisamment une langue régionale pour pouvoir l'enseigner mais étant prêts à se former et, plus généralement, identifier leurs besoins.

Tant le DASEN des Pyrénées-Atlantiques que celui des HautesPyrénées ont mis en avant la nécessité d'un travail de prospection pour identifier les ressources dormantes ou potentielles sur lesquelles ils pourront s'appuyer dans une logique de développement de filières d'enseignement des langues régionales.

En ce qui concerne le breton, l'office public de la langue bretonne a indiqué aux rapporteurs regretter que l'engagement, prévu par la convention spécifique pour la transmission des langues de Bretagne et le développement de leur usage dans la vie quotidienne 2022-2027 de procéder par l'État « au recensement exhaustif des enseignants brittophones et de leurs niveaux », n'ait pas encore été mis en oeuvre.

Recommandation n° 10 : Recenser nationalement et dans les départements concernés pour chaque langue régionale les professeurs maîtrisant celle-ci à un niveau suffisant pour l'enseigner (niveau B2 ou C1 du cadre européen commun de référence pour les langues - CECRL) et souhaitant l'enseigner. Faire de même avec ceux disposant d'un niveau inférieur mais volontaires pour être formés afin de l'enseigner.

En ce qui concerne le secondaire, les rapporteurs ont été alertés dans l'ensemble des académies sur les difficultés à recruter des enseignants pour enseigner une discipline non linguistique (DNL) en langue régionale. Cette problématique rejoint pour certaines disciplines celle plus large de l'attractivité du métier d'enseignant. Mais pour la DNL, elle est accentuée par la nécessité que le professeur soit à la fois titulaire d'un CAPES en langue régionale et de la DNL à enseigner.

Afin de pallier les manques de ressources, certaines académies ont recours à des contractuels recrutés principalement pour leur compétence linguistique. Toutefois, les services des rectorats ont insisté sur la nécessité pour ces personnes de disposer d'une solide connaissance du contenu de la DNL ainsi que des compétences pédagogiques pour l'enseigner à des collégiens et lycéens. Au-delà de la langue, c'est la qualité de l'enseignement de la discipline qui est en jeu.

Conscients du « trou d'air » dans les effectifs à partir du collège et de la nécessité d'avoir une progression plus cylindrique, les rapporteurs estiment urgent d'enrichir l'offre au collège en DNL, pour aller vers une parité horaire ou a minima proposer une ou deux DNL dans les collèges.

C'est pourquoi, face à la carence de professeurs bivalents langue régionale - DNL et afin d'assurer un enseignement de qualité, les rapporteurs souhaitent que les professeurs volontaires du second degré possédant un niveau de langue suffisant, puissent enseigner tout ou partie de leur discipline en langue régionale. Pour les rapporteurs, ce niveau doit a minima être le niveau B2.

Les rapporteurs rappellent que pour les langues étrangères, la procédure de certification complémentaire permet « l'enseignement en langue étrangère d'une discipline non linguistique au sein des sections européennes et de langues orientales des collèges et lycées, des sections binationales et de tout autre dispositif spécifique ou contexte (classes Émile à l'école ou au collège par exemple) où l'enseignement d'une discipline non linguistique se fait en langue étrangère ». Dans ce cadre, la maîtrise de la langue d'enseignement « au niveau B2 ou C1 selon le contexte d'enseignement » est nécessaire.

Les rapporteurs soulignent également que pour les langues étrangères, cette certification en DNL est ouverte aux enseignants du premier degré pour enseigner dans le secondaire. Par parallélisme, cette possibilité doit également être possible pour les langues régionales.

Recommandation n° 11 : Permettre à des professeurs titulaires du CAPES dans une discipline non linguistique (DNL), de dispenser une partie ou la totalité de leur cours en langue régionale, après vérification de leur niveau de langue et de leur capacité à le faire par un inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) - langue régionale afin de faciliter le développement de l'enseignement de DNL en langue régionale au collège.

Enfin, pour le premier degré et du fait de l'existence d'un concours académique, les rapporteurs sont conscients que certains candidats maîtrisant une langue régionale ont fait le choix de se présenter à un concours autre que celui de l'académie où cette langue est pratiquée. Lauréats du concours, ils se trouvent alors affectés dans une académie où cette compétence linguistique ne peut pas être utilisée.

Les rapporteurs connaissent les difficultés de mobilité d'un département à un autre : outre le barème, un enseignant doit obtenir à la fois un ineat du département qu'il souhaite intégrer et un exeat du département qu'il veut quitter.

Ils ont également été informés de l'existence de stratégies consistant à demander des postes fléchées « langues régionales » pour pouvoir entrer dans un département puis postuler les années suivantes sur un autre poste ne proposant plus cet enseignement. Selon Katia Béguin, rectrice de l'académie de Nantes, cette stratégie permet de gagner vingt ans au regard des règles habituelles de mobilité de l'éducation nationale. Il en résulte une instabilité dans le maintien d'un enseignement de ou en langue régionale au sein de l'école, au gré des départs des enseignants postulant ensuite sur un autre poste de la circonscription.

Pour cette raison, les rapporteurs appellent à privilégier le recours aux postes à profil (POP) lors de la création d'un parcours langue régionale au sein d'une école.

La procédure spécifique de recrutement par les postes à profil

Les postes à profil (POP) sont des postes pour lesquels les modalités de recrutement diffèrent du mouvement de mobilité, qui se fait au barème (nombre de points obtenus en raison de l'ancienneté, de caractéristiques spécifiques du poste, de raisons familiales ou professionnelles).

Ces postes correspondent à des besoins particuliers, ou nécessitent des compétences, qualifications ou aptitudes spécifiques et font l'objet d'une fiche de poste. Tout enseignant à partir du moment où il remplit les conditions exigées de titre ou de certification, quelles que soient son ancienneté ou son académie d'exercice peut postuler à un POP, même si celui-ci est dans une autre académie.

Pour postuler, l'enseignant doit joindre, outre son CV, une lettre de motivation et les justificatifs demandés par le poste. Les candidatures sont examinées par les DSDEN. L'enseignant est recruté après un entretien devant une commission départementale. L'obtention du poste vaut automatiquement exeat du département d'origine et ineat dans le département d'accueil. L'enseignant recruté via un POP s'engage à rester sur celui-ci pendant trois ans.

En 2024, un peu plus de 600 postes à profil ont été inscrits dans le mouvement national POP. 21 d'entre eux concernent un poste d'enseignant du 1er degré bilingue breton, 2 concernent l'occitan dont un pour une filière bilingue, 1 le basque - avec une précision supplémentaire que cet enseignement a lieu en milieu rural. Il est difficile de comptabiliser les postes pour l'alsacien, car cette langue est souvent assimilée à l'allemand dans les postes. Dans ce cadre, 9 POP concernent des postes relatifs à l'allemand, dont un pour une filière bilingue.

Les POP permettent en effet le maintien pendant trois ans de la même personne sur le poste, durée nécessaire pour amorcer un enseignement en langue régionale dans une école.

Par ailleurs, pour permettre un ancrage de l'enseignement de la langue au sein de l'établissement scolaire et éviter que les POP ne soient utilisés uniquement pour entrer dans le département souhaité sans volonté ensuite de poursuivre l'enseignement de la langue, les rapporteurs proposent la mise en place d'une bonification au barème en cas d'engagement de l'enseignant à enseigner pendant six ans consécutifs sur ce poste - soit le double de la durée minimale d'un POP.

Recommandation n° 12 : Permettre un amorçage puis un ancrage de l'enseignement d'une langue régionale au sein d'une école :

- par le recours aux postes à profil (POP) impliquant un engagement de trois ans sur le même poste dans les filières bilingues ou immersives ;

- par l'attribution d'une bonification au barème en cas d'engagement du professeur à rester 6 ans soit le double de la durée de l'engagement actuel lié à un POP.

2. La réforme de la formation initiale : un virage à ne pas manquer

La prise en compte des langues régionales dans la formation initiale des enseignants doit être au coeur de la politique publique de promotion et de sauvegarde de celles-ci.

Certaines régions, en lien avec l'université et, dans certains cas, avec l'éducation nationale, se sont emparées de ce sujet. C'est notamment le cas pour le breton avec la mise en place d'un parcours préparatoire au professorat des écoles (PPPE) au lycée d'Iroise à Brest dédié au CRPE spécial. Ouvert à la rentrée 2022, celui-ci a séduit de nombreux étudiants : on dénombre à la rentrée 2024, 261 candidatures sur Parcoursup pour 30 places - la capacité initiale de cette préparation a d'ailleurs été augmentée de 6 places en l'espace de trois ans face à l'engouement qu'elle suscite. Sur trois années, ce sont ainsi 80 étudiants qui suivent cette formation spécifique. Ce parcours est ouvert aux étudiants des filières bilingues bretonnes, mais aussi aux étudiants ayant suivi un cursus classique - la région prenant alors en charge le financement d'une préparation linguistique supplémentaire pour une mise à niveau. Pour le rectorat de Rennes, « l'un des grands enjeux de [cette] licence est de permettre une appropriation de la langue et de la culture bretonne aux étudiants qui en sont relativement éloignés ». L'enjeu est important : à la rentrée 2025, seuls 13 % des candidats retenus sont issus d'un cursus scolaire bilingue.

L'INSPÉ de Bretagne propose pour sa part un parcours immersif « Kelenn » qui consiste en une formation en immersion bilingue pendant les deux années de master, afin de préparer les étudiants au concours de recrutement en langue régionale.

L'université Bordeaux Montaigne, en lien avec l'INSPÉ de Bordeaux, a créé dans le cadre de son Master MEEF 1er degré, un parcours bilingue français-occitan (qui accueille 13 étudiants) et un parcours bilingue français-basque (qui accueille 18 étudiants) afin de préparer aux CRPE spéciaux dans ces deux langues. Spécificité du Master MEEF françaisbasque, celui-ci forme les étudiants souhaitant ensuite enseigner dans une classe bilingue ou immersive des trois systèmes d'enseignement : l'éducation nationale, le réseau associatif immersif Seaska ou l'enseignement catholique. Afin de les préparer au mieux à leurs futures modalités d'enseignement, l'université a fait le choix que 30 % du volume horaire soit en langue régionale, notamment pour des disciplines non linguistiques.

Or, la réforme de la formation initiale des enseignants - dont les contours restent encore très flous - fait naître de nombreuses inquiétudes quant à la prise en compte des langues régionales. Ainsi, le devenir des parcours préparatoires du professorat des écoles est en suspens, notamment celui de Brest.

Pour les rapporteurs, la mise en place du concours à la fin de la licence 3 impose d'avancer aux années de licence des cours spécifiques de et en langue régionale, au risque de voir chuter le nombre de candidats aux CRPE spécifiques.

Dans le cadre des auditions menées, les rapporteurs ont obtenu les informations suivantes sur les projets de mise en oeuvre de la réforme dans l'académie de Bordeaux.

Pour la langue occitane, il est prévu la mise en place à la rentrée 2026 d'une licence de professorat des écoles bilingues occitan à l'université Bordeaux Montaigne, en plus du master MEEF 1er degré bilingue. Les rapporteurs saluent cette démarche qui pourrait servir de modèle pour d'autres langues régionales dans d'autres académies.

Par ailleurs, depuis cette année scolaire, l'INSPÉ propose un cours d'initiation pour les non spécialistes aux langues d'Aquitaine basque et occitan d'un volume horaire de 12 heures. Si cette initiative contribue à mieux faire connaître les langues régionales, les rapporteurs soulignent que celle-ci n'est pas suffisante pour former des locuteurs complets de niveau C1 - notamment pour les langues non romanes - qui est le niveau demandé pour enseigner en langue régionale. Ils alertent ainsi le ministère sur toute tentative de réduire la prise en compte des langues régionales dans la formation initiale des enseignants à des cours de sensibilisation ou d'initiation.

En revanche, selon les informations transmises, il n'est pas prévu pour le moment de préparation au CAPES occitan - langue d'oc dans l'académie de Bordeaux.

En ce qui concerne le basque, la licence LLCER Parcours d'études basques propose depuis cette rentrée universitaire un module de préparation au concours du 1er degré. Pour les étudiants actuellement en L3, un module de langue et culture régionales basque de 34 heures est prévu par l'INSPÉ de Bordeaux à destination des étudiants des six universités de l'académie qui souhaitent préparer le CRPE spécial langue régionale. Un module de préparation au concours de professorat des écoles est proposé aux étudiants de L3 suivant la licence LLCER Études basques. Par ailleurs, une licence bilingue de professorat des écoles devrait être créée à la rentrée 2026-2027, ainsi que de nouveaux Masters M2E (master enseignement et éducation) prévoyant un renforcement linguistique. Parallèlement, un parcours facultatif d'enseignement pour les premier et second degrés devrait également être lancé au sein de la licence LLCER Études basques.

Il est toutefois à noter que la langue basque n'est pas prise en compte dans les licences et masters disciplinaires (histoire-géographie, mathématiques, etc.) qui sont les études supérieures suivies par la plupart des candidats aux CAPES.

Recommandation n° 13 : Dans le cadre de la réforme de la formation initiale, prévoir :

- parmi les licences de préparation aux concours d'enseignant du premier degré qu'une partie du volume horaire se fasse en langue régionale,

- en master, qu'au moins 50 % des enseignements soient en langue régionale pour les lauréats des CRPE spécifiques,

- la possibilité, tout au long du parcours universitaire, de suivre des cours de langue régionale ainsi que des cours de matière disciplinaire en langue régionale, pour permettre aux futurs professeurs - y compris ceux ne préparant pas le CRPE spécial - d'enseigner en langue régionale.

En ce qui concerne le contenu du nouveau Master « M2E », selon les informations transmises aux rapporteurs et en fonction des négociations en cours avec les universités, chaque université aura la possibilité de consacrer 10 % du volume horaire de la maquette à une adaptation aux spécificités territoriales, pouvant inclure un enseignement de langue régionale.

Les nouveaux M2E doivent également prévoir des périodes de stages en classe. Les rapporteurs estiment nécessaire que les stages des Masters M2E bilingue se fassent dans des classes bilingues voire immersives.

Recommandation n° 14 : Prévoir systématiquement l'organisation des stages en master dans des classes bilingues ou immersives pour les étudiants lauréats des CRPE spéciaux langue régionale.

3. Le nombre de places ouvertes aux concours dédiés : un enjeu de valorisation des langues régionales

À de nombreuses reprises, les rapporteurs ont été interpellés sur le nombre de places ouvertes aux différents concours d'enseignement en langues régionales et les modalités d'accessibilité de ceux-ci.

Les rapporteurs soulignent un point : les concours d'enseignement dédiés aux langues régionales participent à leur valorisation et à la reconnaissance de leur place dans l'espace public.

C'est pourquoi, les rapporteurs ont interrogé la direction générale de l'enseignement scolaire sur l'opportunité d'ouvrir davantage de places aux concours des CRPE spéciaux et aux différents CAPES langues régionales.

Les rapporteurs entendent les arguments du ministère sur la nécessité de trouver un équilibre afin de garantir l'attractivité d'un concours : en effet, les postes ouverts en langue régionale chaque année ne sont déjà aujourd'hui pas tous pourvus. Augmenter le nombre de places risque d'accentuer ce phénomène et de réduire encore le taux de réussite à ce concours, ce qui peut décourager de potentiels candidats de s'y présenter. Toutefois, ils soulignent également les besoins importants afin de soutenir le développement de l'enseignement des langues régionales. Par ailleurs, le nombre de places ouvertes à un concours participe à l'attractivité de la filière de formation et à la mise en place de celle-ci.

En ce qui concerne le second degré pour lequel les postes sont globalement mieux pourvus, les rapporteurs constatent que le système actuel des CAPES des langues régionales, mis en place dans les années 1980, n'est plus adapté. En effet, il ne tient pas compte de l'existence de filières bilingues dans les collèges et de la nécessité de maîtriser à la fois une langue régionale et une matière disciplinaire. Aussi les rapporteurs souhaitent l'ouverture d'une réflexion sur les concours du second degré, afin d'adapter la bivalence aux besoins de construction des parcours bilingues (langue régionale/mathématiques, langue régionale/histoire-géographie, etc.).

Recommandation n° 15 : Afin de favoriser le développement de filières bilingues dans le secondaire et de garantir la qualité des enseignements, élargir la liste des bivalences possibles entre une DNL et une langue régionale.

4. Renforcer et relancer l'apprentissage des langues régionales dans la formation continue

Enfin, l'augmentation des ressources humaines capables d'enseigner en langue régionale passe nécessairement par un renforcement de la formation continue.

Selon les chiffres transmis par la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), toutes académies confondues, dans le cadre des écoles académiques de formation continue29(*), on compte pour l'année scolaire 20242025, 444 enseignants inscrits à au moins un module de formation continue lié aux langues régionales, et parmi eux 383 enseignants présents. Les trois principales langues concernées sont le basque (116 enseignants formés), le breton (48 enseignants formés) et le corse (39 enseignants formés).

S'y ajoutent des dispositifs académiques locaux fréquemment cofinancés et développés par les collectivités territoriales et l'office public de la langue régionale concernée. À cet égard, les rapporteurs saluent le rôle essentiel joué par ces acteurs locaux, qui sont des partenaires indispensables de l'éducation nationale pour former ses enseignants - et souvent pionniers pour proposer aux enseignants des modules de formation linguistique.

Un engagement des acteurs locaux au service de
l'enseignement des langues régionales

Les auditions ont permis de mettre en avant l'engagement fort des acteurs locaux pour proposer une formation continue aux enseignants, afin de leur permettre d'augmenter leur maîtrise de la langue régionale - y compris pour des débutants - et pouvoir ensuite enseigner celle-ci à leurs élèves.

Depuis la rentrée 2024, l'académie de Rennes a mis en place un dispositif de décharge à temps plein sur la durée de l'année scolaire pour les enseignants souhaitant se former à l'enseignement bilingue breton. 20 postes de professeur des écoles y sont consacrés pour le premier degré public et 5 postes pour le second degré public.

La rectrice de Nantes a indiqué aux rapporteurs que les demandes de congés formation en breton sont prioritaires. Par ailleurs, à la rentrée scolaire 2025, l'académie de Nantes a mis en place, à titre expérimental, la prise en charge d'une décharge complète pour se former en breton et ensuite enseigner à Nantes. Toutefois, selon les informations données aux rapporteurs, aucune candidature sur cette proposition de formation, puis de poste, n'a été déposée.

En ce qui concerne l'occitan, l'office public de la langue occitane a mis en place, en collaboration avec les rectorats de Bordeaux, Limoges, Montpellier et Toulouse, le dispositif Ensenhar. Celui-ci a pour objectif de former sur une année scolaire des enseignants titulaires à enseigner la langue occitane soit comme langue vivante, soit dans le cadre d'une DNL30(*).

Pour le basque, il existe depuis 2016 une convention régulièrement renouvelée entre l'office public de la langue basque et l'éducation nationale pour former des enseignants titulaires exerçant en français et volontaires pour enseigner en langue basque. Les modalités de partenariat ont évolué à la rentrée 2025 : les enseignants concernés se forment dans l'organisme de formation de leur choix qui met en place l'organisation de la formation (test de positionnement avant la formation, organisation logistique et pédagogique, formation). L'éducation nationale prend en charge le maintien du salaire des enseignants ainsi que leur remplacement. L'office public finance le coût de la formation. Les enseignants pouvant bénéficier de cette formation sont choisis en collaboration avec l'éducation nationale.

Par ailleurs, l'office public de la langue basque a mis en place des formations de perfectionnement du niveau de langue basque proposées à tous les enseignants volontaires des 1er et 2nd degrés des 3 filières d'enseignement. Celles-ci prennent la forme pour 20252026 de 6 séances de 3 heures réparties sur des mercredis après-midi sur un semestre pour un travail sur l'écrit (grammaire, syntaxe, etc.), et de deux fois deux journées entières pendant des vacances scolaires pour la fluidité à l'oral. Des formations spécifiques sur les mots techniques ont également été créées à destination des enseignants.

De son côté, l'office public de la langue catalane, en lien avec l'université de Perpignan, finance un diplôme universitaire en langue pour les enseignants.

Pour le corse, le rectorat a lancé son grand plan de formation en langue corse. Dans ce cadre sont notamment organisés des stages tournants sur toute la Corse. L'INSPÉ est associé à ce plan, notamment à travers l'examen de certification « langue corse » organisé par l'Università di Corsica et l'examen d'habilitation.

La formation continue est une voie essentielle pour le développement de l'enseignement des langues régionales. Entre 2016 et 2020, ce sont ainsi 19 enseignants du 1er degré et 20 enseignants de DNL du 2nd degré qui ont été formés à la langue basque. À titre d'exemple, 2 enseignants sont actuellement en formation (l'un enseigne l'EPS et l'autre la physique-chimie). Pour l'occitan, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, ce sont 7 enseignants qui ont été formés à un niveau au moins égal à B2, sur les cinq dernières années. Sur l'académie de Toulouse, ce sont 24 enseignants qui ont bénéficié de la formation continue Ensenhar sur la période 2018-2023.

L'académie de Corse : un investissement massif dans la formation continue dans un contexte « d'institution de la langue corse en savoir scolaire fondamental »

Le projet académique corse « Scola 2030 » couvrant la période 2025-2030 définit comme premier axe l'institution de la langue corse en savoir scolaire fondamental. Il fixe notamment comme objectifs de généraliser l'enseignement bilingue et de développer l'immersif en visant un haut niveau de maîtrise linguistique, ainsi que d'assurer la continuité des parcours bilingues de la maternelle au lycée.

Pour y parvenir, l'académie de Corse a lancé un plan ambitieux de formation. Sur les trois dernières années, 284 enseignants du 1er degré et 60 enseignants du 2nd degré ont suivi une formation dispensée par des enseignants de langue et culture corses, des conseillers pédagogiques et des professeurs habilités des disciplines non linguistiques. Le niveau de maîtrise de langue visée est le niveau B2. Selon le recteur, cette dynamique de formation est à poursuivre de manière à viser, à terme, dans le cadre du nouveau projet académique, la généralisation de l'enseignement bilingue dans le 1er degré et 200 nouveaux professeurs du 2nd degré habilités dans les 5 prochaines années.

Si ces dispositifs ont prouvé leur efficacité, force est de constater qu'ils s'essoufflent. Les raisons sont diverses.

Du côté de l'éducation nationale, il a été indiqué, par les services académiques aux rapporteurs, le coût RH important de ces formations qui nécessitent de mobiliser pendant plusieurs mois un remplacement sur le poste occupé par l'enseignant formé. Par ailleurs, notamment pour les langues non latines, l'enseignant doit disposer d'une maîtrise minimale de la langue avant la formation intensive sans quoi celle-ci ne permet pas d'atteindre le niveau demandé pour pouvoir enseigner. Enfin, les rapporteurs ont entendu les regrets des services du rectorat de ne pas pouvoir tirer tout le temps profit de ces formations en citant deux exemples : dans un cas, l'enseignant formé postule ensuite sur un POP dans une autre académie, dans l'autre les services académiques soulignent l'absence d'obligation pour l'enseignant formé d'enseigner ensuite la langue régionale ainsi apprise.

Face à ce constat, certaines académies conditionnent l'acceptation de la demande de cette formation longue à un engagement de ce dernier d'enseigner ensuite sur un poste qu'elles ont fléché. C'est notamment le cas de l'expérimentation menée dans l'académie de Nantes pour une prise de poste qui serait ensuite, selon les informations données aux rapporteurs, dans l'agglomération nantaise.

Toutefois, cette condition peut conduire à freiner les demandes de formation des enseignants qui ne souhaitent pas enseigner sur les postes ainsi fléchés.

Du côté des offices publics, ceux-ci ont souligné le manque d'information des enseignants sur l'existence de ces formations. Pour l'office public de la langue bretonne, ce manque de communication est la principale explication des difficultés pour le rectorat de Nantes à trouver un enseignant intéressé par la formation intensive d'un an.

Par ailleurs, ils ont fait part de leur inquiétude sur une remise en cause, même partielle, des co-financements de ces formations par les collectivités territoriales.

Recommandation n° 16 : Poursuivre les efforts en matière de formation continue en sécurisant les financements et en communiquant davantage auprès des professeurs sur l'existence de stages intensifs en langue régionale.

5. Un accompagnement renforcé des enseignants

Les rapporteurs ont entendu avec intérêt les propos de Dominique Malroux, directeur des services académiques des Pyrénées-Atlantiques, soulignant qu'un certain nombre d'enseignants abandonnent l'enseignement en langue régionale en raison, d'une part, de la difficile gymnastique en cours entre les deux langues et, d'autre part, d'un moindre nombre de ressources pédagogiques disponible en langue basque. Les professeurs en langue régionale doivent trop souvent « tout fabriquer » ce qui demande un investissement considérable. Cette absence de matériel pédagogique a également été pointée du doigt au lycée immersif Extepare : alors que l'enseignement se fait en langue basque, les élèves doivent utiliser un manuel en français. La fabrique des ressources repose sur des structures très différentes, fruit d'une histoire contrastée : ainsi au Pays basque, c'est une association IKAS qui est le principal producteur de ressources.

TES, la maison d'édition historique des manuels
d'histoire-géographie en langue bretonne

Créée il y a une vingtaine d'années, TES est la maison d'édition de contenus pédagogiques en langue bretonne. Financée principalement par la Région et l'éducation nationale et adossée Canopée, elle conçoit et édite des ressources pédagogiques pour les trois filières d'enseignement du breton, publique, privée catholique et Diwan.

Témoin d'un lien fort entre cette maison d'édition et l'éducation nationale, les choix éditoriaux de TES sont faits par un conseil d'édition constitué de l'inspecteur pédagogique régional de langue et culture bretonnes, des inspectrices de l'éducation nationale et de conseillers pédagogiques 1er et 2nd degrés des trois filières d'enseignement.

Ses premières parutions ont été des traductions de manuels d'histoire-géographie de collège, avant de se diversifier progressivement. Son champ de production s'est progressivement étendu aux mathématiques, à l'éducation physique et sportive, à la lecture et l'étude de la langue ou encore, aux arts et, suivant les disciplines, aux niveaux de maternelle, d'élémentaire ou de collège.

Il est important que l'éducation nationale s'empare de ce sujet et soutienne les différentes structures chargées de mettre à disposition des enseignants des matériels pédagogiques adaptés, le cas échéant, en lien avec les offices publics.

Il convient également de permettre aux enseignants de disposer de personnes ressources. Les rapporteurs ont constaté que la présence d'un conseiller pédagogique dans la langue régionale est de nature, d'une part, à dynamiser et structurer l'enseignement de celui-ci et, d'autre part, à faire office de personne ressource pour les enseignants. Or, ils constatent que les départements concernés par une langue régionale ne disposent pas tous d'un conseiller pédagogique dédiée.

De même, alors que la circulaire du 14 décembre 2021 sur les langues régionales constate que « la création d'une agrégation des langues de France en 2017 permet désormais la création d'un vivier d'IA-IPR de langues de France recruté nationalement et chargé de remplir auprès des recteurs des missions de conseillers et de veiller en particulier à la qualité des enseignements dispensés », la création d'une spécialité « langues de France » au sein du corps des IA-IPR n'est toujours pas à l'ordre du jour.

Pour les rapporteurs, la création de ce corps participerait, d'une part, à la reconnaissance par l'éducation nationale de la place des langues régionales dans l'enseignement et, d'autre part, permettrait la création d'une structure encadrant IA-IPR/conseillers pédagogiques sur laquelle pourraient s'appuyer les enseignants ainsi que le directeur des services académiques pour dynamiser et animer l'enseignement de ces langues.

Enfin, les rapporteurs ont été alertés par Katia Béguin, rectrice de l'académie de Nantes, sur l'absence au sein de ses équipes de personnels encadrants maîtrisant la langue bretonne. Comme l'a indiqué la rectrice, « lorsque nous recrutons des contractuels, nous n'avons pas les moyens de vérifier sa maîtrise du breton » ni le contenu des cours. Actuellement, ce sont des personnels de l'académie de Rennes qui procèdent à la vérification, à la suite d'un accord informel entre les deux académies. Toutefois, l'existence des limites académiques et donc de périmètre d'action des IA-IPR et des inspecteurs de l'éducation nationale peut constituer des obstacles administratifs pour la réalisation de missions en dehors de la circonscription.

Si les rapporteurs plaident pour la présence dans chaque académie d'un IPR de la ou des langues régionales de ce territoire et d'un conseiller pédagogique dédié dans chaque département, ils sont conscients de contraintes pesant également sur les moyens humains des services encadrants des rectorats. Aussi, à court terme ou en cas de vacances de poste, ils appellent à permettre l'élargissement des périmètres des missions de ces personnels au département voisin partageant la même langue : les limites administratives ne doivent pas constituer une entrave à l'accompagnement des enseignants et l'apprentissage d'une langue régionale commune à deux territoires.

Recommandation n° 17 : Développer des matériels pédagogiques adaptés, notamment des documents traduits pour les disciplines non linguistiques.

Recommandation n° 18 : Créer une spécialité « langue régionale » au sein du corps des IA-IPR pour mieux accompagner les professeurs et nommer dans tous les départements concernés par les langues régionales un conseiller pédagogique « langue régionale ».

Recommandation n° 19 : Autoriser l'élargissement des périmètres d'action des IA-IPR et des conseillers pédagogiques « langue régionale », afin que les limites administratives d'une académie n'entravent pas l'accompagnement des professeurs et l'apprentissage linguistique par les élèves dans le territoire voisin partageant la même langue régionale, notamment en cas de vacance de postes.


* 29Aux formations portées par l'éducation nationale doit également être ajouté l'institut supérieur des langues de la République française (ISLRF) qui forme les enseignants des réseaux associatifs d'enseignement privé immersif. Depuis 30 ans, ce sont plus de 430 professeurs des écoles qui ont été formés pour l'un de ces six réseaux (diwan, seaska, bressola, calandreta, ABCM-Zweisprachigkeit et scola corsa). En 2024-2025, il accueillait 20 inscrits en Master 1, 13 en Master 2 et 15 professeurs des écoles stagiaires.

* 30 À ce dispositif s'ajoute une formation hybride en deux ans qui s'articule entre un parcours sur m@gistère (5 niveaux de langue et 80 heures de formation environ par niveau) et des formations en présentiel animés par les conseillers pédagogiques départementaux en charge de l'occitan.

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