AVANT-PROPOS
Le 24 avril 2025, la Commission européenne a publié deux propositions de directive visant à réviser le paquet « contrôle technique » de 2014 qui se compose des trois directives suivantes :
- la directive 2014/45/UE du Parlement européen et du Conseil relative au contrôle technique périodique, qui exige de soumettre les véhicules utilisés sur la voie publique à des contrôles périodiques afin de garantir leur conformité à une série d'exigences minimales. Elle s'applique à toutes les voitures1(*), camionnettes et remorques lourdes et à tous les camions, autobus, tracteurs plus rapides, ainsi que, depuis janvier 2022, aux véhicules à deux ou trois roues et aux quadricycles de plus grande taille (sauf mise en place de mesures alternatives de sécurité routière),
- la directive 2014/47/UE du Parlement européen et du Conseil relative au contrôle technique routier, qui poursuit un objectif semblable à celui de la directive 2014/45/UE, bien qu'elle concerne le contrôle routier des véhicules lourds de transport de voyageurs et de marchandises et de leurs remorques,
- la directive 2014/46/UE du Parlement européen et du Conseil relative aux documents d'immatriculation des véhicules.
En effet, depuis leur adoption, de nombreuses lacunes ou sources d'inefficacité se sont faites jour. Certains véhicules dangereux, c'est-à-dire présentant des défaillances majeures ou critiques, peuvent ne pas être détectés, soit parce que les contrôles techniques périodiques ou les contrôles routiers ne sont pas en mesure de les détecter, soit parce qu'ils ne sont pas soumis à un contrôle.
Si l'on peut se féliciter que de nombreuses améliorations aient été apportées aux technologies automobiles, notamment les systèmes de sécurité active et les systèmes intelligents d'aide à la conduite, on doit regretter que la réglementation ne soit pas adaptée à ces nouveaux systèmes. En effet, elle ne prévoit pas de protocoles de contrôle spécifiques qui garantiraient la conformité et l'entretien des véhicules électriques et hybrides, notamment concernant les mises à jour logicielles.
Il devient nécessaire d'actualiser les contrôles techniques pour obtenir de manière efficace des données importantes concernant la sécurité de nos véhicules et surveiller les nouveaux capteurs et les nouvelles fonctionnalités qui les équipent.
Par ailleurs, un contrôle insuffisant des émissions de polluants atmosphériques et des émissions sonores des véhicules peut être déploré. Certains contrôles effectués dans le cadre des contrôles techniques périodiques actuels ne sont plus suffisamment sensibles pour détecter les défaillances du système de contrôle des émissions des véhicules modernes, et les procédures de contrôle actuelles ne sont pas adaptées pour atteindre les objectifs stratégiques de l'Union européenne (UE) en matière de pollution atmosphérique et sonore. La mesure des émissions de NOx ou les valeurs du nombre de particules pour les voitures neuves ne sont toujours pas couvertes par les directives actuelles, et il n'existe actuellement aucune réglementation de l'Union permettant de contrôler si les véhicules sont équipés de systèmes de réduction des NOx ou de filtres à particules défectueux ou manipulés.
Même si l'harmonisation des documents d'immatriculation des véhicules a permis aux citoyens d'immatriculer plus facilement des véhicules provenant d'autres États membres et de l'EEE, le processus de ré-immatriculation est encore parfois fastidieux et il est possible d'améliorer la reconnaissance mutuelle des contrôles techniques périodiques entre les États membres.
Enfin, le cadre qui régit actuellement l'échange d'informations sur les résultats des contrôles entre les États membres s'est révélé inefficace. Bien que les directives encouragent la possibilité de procéder à des échanges électroniques de données entre les autorités des États membres, ils n'en font pas tous usage. Ce paquet devrait mieux exploiter les avantages de l'échange numérique de données et harmoniser davantage les documents des véhicules afin de réduire la charge et les coûts administratifs.
Les trois principaux objectifs des propositions de révision présentées par la Commission européenne visent à :
- améliorer la cohérence, l'objectivité et la qualité du contrôle technique des véhicules d'aujourd'hui et de demain afin de remédier à l'incapacité de mener certains contrôles et à l'obsolescence de certaines mesures ;
- perfectionner la détection des systèmes de sécurité et de contrôle des émissions défectueux ou manipulés et réduire de manière significative les fraudes et les émissions qui en résultent ;
- accroître le stockage et l'échange électronique de données pertinentes relatives à l'identification et au statut du véhicule (y compris son kilométrage) et favoriser la dématérialisation des certificats.
I. LE PAQUET « CONTRÔLE TECHNIQUE » VISE À RENFORCER LES ACTIONS DE L'UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ROUTIÈRE, DE LUTTE CONTRE LES ÉMISSIONS DE POLLUANTS ET LES ÉMISSIONS SONORES
A. LA LUTTE CONTRE LA DÉFAILLANCE DES VÉHICULES : UNE DIMENSION IMPORTANTE DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE
Le 16 novembre dernier s'est tenue la Journée mondiale du souvenir des victimes des accidents de la route. À cette occasion, le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies a dressé le triste bilan des 1,2 million de personnes qui sont décédées et des 50 millions de personnes qui ont été blessées à la suite d'un accident de la route au cours de l'année. Les accidents de la route sont la première cause de mortalité chez les enfants et les jeunes.
Au niveau de l'Union européenne, on déplore malheureusement encore 19 800 décès en 2024. Si ce nombre a largement baissé depuis 2001 (51 400 décès), on peut regretter l'atteinte d'un palier depuis 2014.
Les statistiques sont très variables selon les États membres et la France n'est pas la meilleure élève. En 2024, 3 432 personnes sont décédées sur les routes de France métropolitaine et d'outre-mer, soit une augmentation de 1 % par rapport à 2023, mais une diminution de 1,9 % par rapport à 2019.
Les principales causes des accidents de la route sont la conduite sous l'influence de l'alcool ou de drogues, la distraction au volant (téléphone, télévision, ...), les excès de vitesse, ainsi que diverses erreurs humaines.
Le mauvais état ou la mauvaise conception de l'infrastructure (surfaces glissantes, marquages inadéquats et mauvais entretien) en sont également responsables.
L'amélioration des dispositifs de sécurité des véhicules et la mise en place des contrôles périodiques et routiers ont conduit à ce que les défaillances ne constituent plus qu'une part faible des accidents. Elles en demeurent toutefois un facteur contributif et une part de ces défaillances reste évitable via un contrôle effectif et efficace.
L'approche pour un Système Sûr, rappelée lors de la déclaration de Stockholm2(*), exige de prendre des mesures sur tous les fronts, en tenant compte du fait que les différentes parties de l'ensemble du système - y compris les utilisateurs, les véhicules, les infrastructures et les interventions d'urgence - forment un tout.
Cette proposition de révision du paquet « contrôle technique » contribue ainsi à atteindre l'objectif de réduire de 50 % le nombre de tués et de blessés graves entre 2020 et 2030, fixé dans la déclaration de La Valette3(*), et à se rapprocher de l'objectif à long terme de « zéro décès » sur la route dans l'Union d'ici 2050 (campagne « Vision zéro »). La Commission estime que les différentes mesures proposées pourraient permettre de sauver quelque 7 000 vies et d'éviter quelque 65 000 blessés graves entre 2026 et 2050 par rapport au scénario de référence.
L'approche pour un Système Sûr
L'approche dite du Système Sûr représente une des pierres angulaires du mouvement contemporain international pour la sécurité routière.
Les premières conceptualisations de l'approche Système Sûr émergent au début des années 1990 en Europe :
- aux Pays-Bas, le programme de « Sécurité Durable » (Sustainable Safety), initié dès 1992, propose une structuration du réseau routier, une planification urbaine cohérente et des règles de circulation conçues pour éviter les erreurs humaines ou en réduire les conséquences ;
- en Suède, en 1997, le Parlement adopte le programme « Vision Zéro », affirmant qu'aucun décès ni blessure grave persistant ne peut être toléré. La stratégie s'appuie sur des infrastructures plus sûres, un fort travail sur la vitesse et une prise en compte des limites physiologiques humaines.
D'autres pays s'inspirent ensuite de ces approches : l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore la Norvège, qui enregistre l'une des baisses les plus fortes de mortalité routière en Europe grâce à des infrastructures sécurisées, des véhicules plus sûrs et une réduction significative des vitesses pratiquées.
L'approche Système Sûr prend véritablement forme sur le plan international lorsque l'OCDE et le Forum International des Transports (FIT/ITF) publient en 2008, après deux ans de travaux, le rapport « Zéro tué sur la route, un Système sûr, des cibles ambitieuses », qui synthétise et formalise les principes fondamentaux de cette philosophie.
L'approche Système Sûr rompt avec l'approche traditionnelle, centrée sur la responsabilité individuelle. Cet ancien paradigme considère que c'est à l'usager de ne pas commettre d'erreur et d'être responsable de sa propre sécurité. Les actions de sécurité routière ne visent qu'à punir les comportements dangereux. Le Système Sûr inverse cette logique : les accidents graves ne sont pas acceptables et l'erreur humaine, elle, est normale. La responsabilité est donc partagée car les systèmes doivent compenser les défaillances humaines. Cette responsabilité partagée n'exempte pour autant ni les usagers ni leurs comportements fautifs.
L'approche Système Sûr dépasse le champ de la sécurité routière stricto sensu. Elle s'inscrit dans le champ de la transition écologique, du développement des mobilités actives, de la planification urbaine durable et de la réduction des inégalités dans l'espace public. C'est avant tout une approche éthique, systémique, lente et évolutive, orientée vers les mobilités de demain.
Dans les années 2010, l'ONU, l'OMS, la Banque mondiale et l'Union européenne4(*) intègrent pleinement ce paradigme dans leurs référentiels de sécurité routière. La déclaration de La Valette, en 2017, puis la déclaration de Stockholm, en 2020, engagent les États à réduire de 50 % les morts et blessés graves d'ici 2030 et à mettre en oeuvre l'approche Système Sûr.
Les travaux internationaux, consolidés en 20225(*), structurent aujourd'hui le Système Sûr autour de six piliers :
1. management de la sécurité routière (rôle d'une agence leader, coopération interministérielle, pilotage continu) ;
2. routes sûres pour tous (conception, hiérarchisation, zones apaisées, séparations physiques, route pardonnante) ;
3. véhicules sûrs (normes, équipements, aides à la conduite) ;
4. vitesses sûres (gestion des vitesses, lisibilité, cohérence avec la vulnérabilité humaine) ;
5. comportements sûrs (éducation, réglementation, contrôle, interventions ciblées) ;
6. secours et soins post-accident (chaîne de secours, qualité des interventions, centres spécialisés).
* 1 La directive permet aux États membres d'exclure les véhicules présentant un intérêt historique de son application.
* 2 Déclaration de Stockholm effectuée lors de la troisième conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière des 19 et 20 février 2020.
* 3 Déclaration de La Valette de mars 2017 adoptée par le Conseil sur la sécurité routière lors de sa réunion du 8 juin 2017.
* 4 La directive 2019/1936 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la gestion des infrastructures routières mentionne cette approche dans ses considérants.
* 5 Un deuxième rapport « Zéro tué et blessés graves sur les routes, mener un changement de paradigme vers un Système Sûr » est publié en 2016 et présente les 4 principes qui sous-tendent une approche de type Système Sûr. En juin 2022, un troisième rapport « le Système Sûr en action » ajoute aux précédents principes celui du management de la sécurité routière et celui de la gestion de l'après-accident.

