F. LES PROPOSITIONS DE LA PRÉSIDENCE NÉERLANDAISE
1. Les documents préparatoires
La présidence néerlandaise a
présenté, le 11 février puis le 3 avril, des notes
sur la nouvelle pondération des voix et le seuil de la majorité
qualifiée.
L'intérêt de ces documents est tout d'abord de reconnaître
l'existence du problème, que certains Etats avaient longtemps
nié. Ils montrent en effet que la majorité qualifiée en
nombre de voix, qui représente de fait au minimum 58 % de la population
de l'Union à quinze, pourrait ne représenter que 50 % de la
population d'une Union élargie à l'Est.
Ces données sont retracées dans le tableau ci-dessous :
Evolution de la majorité qualifiée en termes de minimum de population (1( * ))
|
12 Etats membres |
15 Etats membres |
26 Etats membres |
Total des voix au Conseil |
76 |
87 |
132 |
Majorité qualifiée, en nombre de voix |
54 |
62 |
94 |
Majorité qualifiée, en pourcentage du total des voix au Conseil |
71,05 |
71,26 |
71,21 |
Majorité qualifiée, en nombre minimum d'habitants requis (millions d'habitants) |
203,73 |
216,300 |
240,308 |
Coalition minimum d'Etats membres |
France, Royaume-Uni, Belgique, Grèce, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Danemark, Irlande |
France, Italie, Espagne, Belgique, Grèce, Portugal, Autriche, Suède, Danemark, Irlande, Finlande, Luxembourg |
Italie, Pologne, Roumanie, Pays-Bas, Grèce, République tchèque, Belgique, Hongrie, Portugal, Suède, Bulgarie, Autriche, Slovaquie, Danemark, Finlande, Lituanie, Irlande, Lettonie, Estonie, Chypre, Luxembourg |
Majorité qualifiée, en pourcentage de la population totale de l'Union |
63,21 |
58,30 |
50,29 |
Il est à noter, ensuite, que ces documents font droit,
dans une certaine mesure, aux arguments de la France. La présidence
néerlandaise souligne en effet que
" pour choisir la meilleure
solution, il pourrait être utile de tenir compte de certains
critères permettant d'évaluer chaque solution : la
nécessité d'établir des procédures simples et
transparentes, l'efficacité du processus de prise de décisions
(c'est-à-dire réduire les risques d'impasse) et
l'acceptabilité politique d'une solution ".
Enfin, la présidence observe que
" la tendance
générale est de maintenir le statu quo en ce qui concerne le
seuil de pourcentage de voix nécessaire pour atteindre une
majorité qualifiée ".
En d'autres termes, une
majorité de 71 % des voix resterait le seuil nécessaire pour
constituer la majorité qualifiée. Il s'avère ainsi que les
Etats membres qui s'étaient efforcés, lorsque l'Union est
passée de douze à quinze membres, de rendre plus facile
l'obtention d'une minorité de blocage, ont renoncé de fait
à poursuivre dans cette voie. (Au demeurant, il semble que le
" compromis de Ioannina ", si difficilement négocié,
n'ait jamais joué).
2. Les solutions envisagées
Au tout début du mois de mai, la présidence
néerlandaise a présenté des propositions précises,
en s'appuyant sur le fait qu'il existait
" un accord
général sur la nécessité de veiller à ce que
la future majorité qualifiée corresponde à un pourcentage
minimal de la population ".
La présidence néerlandaise ne tranche pas entre l'introduction
d'une " double majorité " et une nouvelle pondération
des votes, mais donne une formulation détaillée de chacune des
solutions.
a) Deux variantes pour la " double majorité "
Pour le système de la " double
majorité ", deux formules sont envisagées :
- dans la première, la pondération actuelle serait
conservée et, en cas d'élargissement, extrapolée aux
nouveaux membres ; le seuil de la majorité qualifiée serait
conservé à son niveau actuel (71 % des voix) ; une condition
démographique serait ajoutée, à savoir que les Etats
émettant un vote positif regroupent 60 % au moins de la population
de l'Union ;
- dans la seconde, la majorité qualifiée serait obtenue par le
vote positif d'une majorité d'Etats membres (ce qui revient à
supprimer toute pondération) représentant au moins 60 % de la
population de l'Union.
b) Deux variantes pour la nouvelle pondération
La présidence néerlandaise présente
également deux variantes pour une nouvelle pondération :
- dans la première (variante A), le nombre des voix des Etats les plus
peuplés serait augmenté, la pondération restant la
même pour les petits Etats. L'Allemagne, la France, l'Italie et le
Royaume-Uni passeraient ainsi de 10 à 12 voix, l'Espagne de 8 à 9
voix, et les Pays-Bas de 5 à 6 voix. Cette nouvelle pondération
aurait une incidence, dans la perspective de l'élargissement à
l'Est, sur le nombre de voix de la Pologne (qui serait dans la même
situation que l'Espagne) et sur le nombre de voix de trois
" petits "
Etats de moins de trois millions d'habitants (Slovénie, Estonie,
Lettonie) qui, avec deux voix, seraient assimilés aux Etats les moins
peuplés, le Luxembourg et Chypre. Avec cette nouvelle
pondération, dans l'Union actuelle, la majorité qualifiée
s'établirait à 69 voix sur 97 ; dans l'Union élargie de
vingt-six membres, elle s'établirait à 100 voix sur 140 ;
- dans la deuxième (variante B), le nombre des voix de tous les Etats
serait augmenté, l'augmentation étant plus forte pour les Etats
les plus peuplés. Le nombre des voix serait multiplié par 2,5
pour l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ; par 2,4
pour les Pays-Bas, et par 2 pour les autres Etats membres, sauf le Luxembourg
pour lequel le coefficient multiplicateur serait de 1,5. L'application de ces
règles aux pays candidats d'Europe de l'Est conduirait pour tous ces
Etats à une multiplication par deux du nombre obtenu par extrapolation
de la pondération actuelle, sauf dans le cas de la Pologne, pour
laquelle le coefficient multiplicateur serait de 2,5, et dans le cas de la
Slovénie, de l'Estonie et de la Lettonie qui, dans cette variante
également, seraient assimilés au Luxembourg et à Chypre.
Avec cette pondération, dans l'Union actuelle, la majorité
qualifiée s'établirait à 142 voix sur 199 ; dans l'Union
élargie de vingt-six membres, elle s'établirait à 201 voix
sur 283.
Ces propositions sont retracées dans le tableau ci-dessous :
Etats |
Nombre de voix actuel |
Population
|
Nombre de voix révisé
|
Nombre de voix révisé
|
Adhérents actuels |
||||
Belgique |
5 |
10,1 |
5 |
10 |
Danemark |
3 |
5,2 |
3 |
6 |
Allemagne |
10 |
81,3 |
12 |
25 |
Grèce |
5 |
10,4 |
5 |
10 |
Espagne |
8 |
39,2 |
9 |
20 |
France |
10 |
58 |
12 |
25 |
Irlande |
3 |
3,5 |
3 |
6 |
Italie |
10 |
57,2 |
12 |
25 |
Luxembourg |
2 |
0,4 |
2 |
3 |
Pays-Bas |
5 |
15,3 |
6 |
12 |
Portugal |
5 |
9,8 |
5 |
10 |
Royaume-Uni |
10 |
58,3 |
12 |
25 |
Autriche |
4 |
8 |
4 |
8 |
Finlande |
3 |
5 |
3 |
6 |
Suède |
4 |
8,7 |
4 |
8 |
Sous-total adhérents actuels |
87 |
370,4 |
97 |
199 |
Adhérents futurs (extrapolation) |
||||
Hongrie |
5 |
10,3 |
5 |
10 |
Pologne |
8 |
38,5 |
9 |
20 |
Slovaquie |
3 |
5,3 |
3 |
6 |
République tchèque |
5 |
10,3 |
5 |
10 |
Bulgarie |
4 |
8,4 |
4 |
8 |
Roumanie |
6 |
22,8 |
6 |
12 |
Slovénie |
3 |
1,9 |
2 |
3 |
Estonie |
3 |
1,5 |
2 |
3 |
Lettonie |
3 |
2,6 |
2 |
3 |
Lituanie |
3 |
3,7 |
3 |
6 |
Chypre |
2 |
0,7 |
2 |
3 |
Sous-total adhérents futurs |
45 |
106,5 |
43 |
84 |
Total général |
132 |
476,7 |
140 |
283 |
Il est clair que la variante B pour la nouvelle
pondération est la plus intéressante. Elle permettrait en effet
de stopper la dégradation de la légitimité
démographique du processus de décision : elle conduirait,
dans une Union élargie comptant vingt-six membres, à ce que la
majorité qualifiée représente de fait au minimum
57,7 %
de la population de l'Union, ce qui est très proche
du niveau actuel, soit
58,3 %
. (Rappelons que, sans une nouvelle
pondération, cette représentation tomberait à
50,3 %
dans une Union à vingt-six).
Par ailleurs, avec la variante B, la population minimum
représentée par la minorité de blocage augmenterait par
rapport à la situation actuelle où elle est de
12,3 %
de la population de l'Union, pour s'établir à
14,5 %
(alors que, sans nouvelle pondération, elle tomberait à
11,5 %
).
Enfin, la variante B présente un avantage psychologique : bien
qu'étant très légèrement plus favorable aux
" grands " Etats que la variante A, elle a le mérite
d'augmenter le nombre de voix de tous les Etats, ce qui montre bien qu'il
s'agit de corriger des distorsions pour préserver ou restaurer un
équilibre, et non pas de renforcer les " grands " Etats par
rapport aux " petits ".
La variante A, qui ne présente pas cet intérêt
psychologique, apporte en outre des garanties de représentativité
un peu moindres. Dans la variante A, la majorité qualifiée
représenterait de fait au minimum
56,5 %
de la population
d'une Union à vingt-six, tandis que la minorité de blocage en
représenterait
13 %
au minimum : ces chiffres
constitueraient certes un progrès par rapport au résultat
qu'entraînerait le maintien des règles actuelles, mais le
désavantage par rapport à la variante B n'est pas minime.
Pour autant, il convient de souligner que la variante B, la plus favorable,
reste une formule de compromis qui aboutirait seulement à
stabiliser
approximativement la représentativité
démographique de la majorité qualifiée, par rapport
à ce qu'elle est aujourd'hui. En conséquence, accepter une
formule moins favorable reviendrait à entériner la perspective
d'une dégradation de cette représentativité. Il est donc
souhaitable que les négociateurs français continuent à se
montrer très vigilants dans ce domaine qui est " sensible "
pour
tous
les Etats - puisqu'il s'agit de la légitimité
des décisions de l'Union - et non pas seulement pour les Etats que les
règles actuelles favorisent.