B. UNE POLITIQUE CRITIQUÉE
La politique communautaire de la recherche fait aujourd'hui l'objet de critiques multiples qui portent en particulier sur le " saupoudrage " de crédits auquel elle conduirait et sur l'efficacité de sa gestion.
1. La dispersion des actions
·
Le vote à l'unanimité en question
En vue de la préparation du cinquième Programme-cadre de
recherche, un groupe d'experts, présidé par M. Etienne
Davignon, a été chargé de formuler des propositions en
tenant compte de l'expérience acquise. Le rapport publié par ce
groupe
(1(
*
))
contient des
appréciations très critiques sur la manière dont ont
été conçus les programmes jusqu'à présent.
Le principal reproche formulé est celui du
" saupoudrage "
des actions et des crédits, critique souvent adressée aux
programmes communautaires, mais qui prend ici une acuité
particulière, compte tenu de l'importance de cette politique
.
Pour le groupe d'experts, la cause de ce problème est claire :
" La méthode de consultation des Etats membres conduit à
une négociation entre des intérêts nationaux et sectoriels.
Le programme devient alors une liste de priorités nationales, qui manque
souvent de cohérence et de valeur ajoutée
européenne "
.
De fait, les programmes-cadres ont jusqu'à présent
été adoptés à l'unanimité en vertu de
l'article 130 I du traité instituant la Communauté
européenne. En outre, les Etats membres, après avoir
adopté le programme-cadre lui-même, sont appelés à
adopter les programmes spécifiques prévus dans ce
programme-cadre. L'adoption des programmes spécifiques se fait à
la majorité qualifiée, mais le grand nombre de décisions
à prendre donne une lourdeur incontestable à la procédure.
Au cours des négociations sur le programme-cadre, chaque Etat essaie
d'imposer les priorités qui lui sont propres, d'inclure dans le
programme des actions qui vont lui permettre de bénéficier de
fonds communautaires pour financer ses recherches, même si manifestement
certaines actions ne relèvent pas du niveau communautaire, mais bien
davantage du niveau national.
Dans ces conditions, les négociations relatives aux programmes-cadres
sont en général âpres et longues. Les discussions sur le
quatrième Programme-cadre, actuellement en cours de réalisation,
se sont achevées au niveau du Conseil européen, en particulier
pour déterminer l'enveloppe financière attribuée au
programme. Pas moins de dix-huit programmes spécifiques ont
été mis en place (applications télématiques,
transports, biomédecine et santé, agriculture et pêche,
environnement et climat...), ce qui implique une forte dispersion des
crédits consacrés à la politique de recherche. En outre,
vingt-cinq décisions du Conseil ont été nécessaires
pour que les différentes actions prévues dans le programme-cadre
puissent être mises en oeuvre.
Par ailleurs, l'adaptation du programme en cours de réalisation ou la
modification de son enveloppe financière sont des exercices
extrêmement difficiles. Les négociations qui se sont
récemment déroulées en vue de l'attribution d'un
complément financier au quatrième Programme-cadre ont
démontré une nouvelle fois les graves défauts du
système actuel.
Le complément financier au quatrième
Programme-cadre :
illustration des faiblesses de la procédure de décision
en matière de recherche
Lorsqu'ils ont adopté le quatrième
Programme-cadre en 1994, les Etats membres ont décidé de laisser
ouverte la possibilité d'une augmentation des crédits de ce
programme au cours de sa réalisation. Le Conseil européen
s'était en effet accordé sur un budget de 12,3 milliards
d'écus, susceptible d'être porté à 13 milliards
pendant la mise en oeuvre du programme.
En janvier 1996, la Commission européenne a proposé un
complément financier de 700 millions d'écus. Compte tenu des
procédures de décision appliquées -unanimité au
sein du Conseil et co-décision avec le Parlement européen, il a
fallu près de deux ans pour que les institutions parviennent, le
23 septembre 1997, à un accord sur une somme de ...
115 millions d'écus, répartie dans sept domaines d'action
différents : encéphalopathies spongiformes (35 millions
d'écus), aéronautique (20 millions d'écus),
multimédias éducatifs (12 millions d'écus), transport
intermodal (12 millions d'écus), environnement-eau
(12 millions d'écus), mines antipersonnel (15 millions
d'écus) et énergies renouvelables (9 millions d'écus).
Lourdeur du processus décisionnel, éparpillement des
crédits attribués : les conditions dans lesquelles a
été adopté le complément financier au
quatrième Programme-cadre illustrent parfaitement les faiblesses de la
politique communautaire de la recherche.
·
La politique de recherche détournée de son objet
Le problème qui se pose en définitive est celui d'une Union
composée d'Etats dont les niveaux de développement sont de plus
en plus hétérogènes. Le tableau suivant illustre
l'importance accordée par chaque Etat membre aux activités de
recherche et développement.
Dans tous les Etats membres, les budgets de la recherche ont tendance à
décroître, compte tenu des impératifs de rigueur
budgétaire. Dans ces conditions, les programmes communautaires sont de
plus en plus sollicités et le sont souvent pour des actions qui ne
relèvent manifestement pas du niveau communautaire. Si votre rapporteur
a insisté sur l'objectif de renforcement de la
compétitivité industrielle assigné à la politique
de recherche de la Communauté, c'est parce que cet objectif semble
aujourd'hui souvent perdu de vue.
Certains Etats membres, dont le niveau de développement
économique est encore insuffisant, tentent de faire financer dans le
cadre du programme-cadre des actions qui relèvent davantage de la
cohésion économique et sociale.
Mme Edith Cresson soulignait, dans un entretien accordé à une
revue spécialisée, que
" la politique de recherche
n'est (...) pas une politique de " redistribution ".
Politique
d'excellence, elle est aussi, par vocation et par son mode de fonctionnement,
une politique " d'intégration " " (2(
*
)).
On ne peut que constater que cette vision n'a pas toujours prévalu et
que l'éparpillement des ressources nuit à l'efficacité de
cette politique. Représentant moins de 4 % de l'ensemble des
dépenses de recherche dans l'Union européenne, la politique
communautaire doit se concentrer sur un nombre d'objectifs limités pour
lesquels la Communauté est pleinement à même d'apporter une
valeur ajoutée par rapport à l'action des Etats membres.
Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre dernier, stipule que le
programme-cadre de recherche de la Communauté européenne sera
désormais adopté à la majorité qualifiée. Il
s'agit d'une évaluation tout à fait positive, qui devrait limiter
à l'avenir les errements constatés jusqu'à présent.
Une difficulté doit cependant être mentionnée. Les
négociations sur le cinquième Programme-cadre de recherche ont
d'ores et déjà commencé et doivent s'achever en 1998,
alors que la date d'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam,
compte tenu des ratifications nécessaires, est encore très
incertaine. Votre rapporteur reviendra sur cette question.
2. Les lourdeurs de gestion
La gestion des programmes de recherche fait également
l'objet de critiques sérieuses. Les bénéficiaires des
programmes insistent sur les
pesanteurs
qui caractérisent les
procédures communautaires. Le groupe d'experts chargé de formuler
des propositions pour le cinquième Programme-cadre note aussi que
presque tous les groupes d'évaluation des programmes spécifiques
"
ont constaté de forts mécontentements quant à
la
longueur des délais
qui s'écoulent entre la
clôture des appels de propositions et le premier versement. D'une
manière générale, le délai est de plus d'un an. Les
intéressés souhaitent manifestement qu'il ne dépasse pas
six mois. L'étape qui semble la moins satisfaisante est celle de la
conclusion et de la signature des contrats, et un changement d'attitude des
services juridiques et financiers de la Commission sont
nécessaires
".
Le rapport considère également que la
transparence des
procédures
est insuffisante et que les rejets de dossiers ne sont
pas expliqués de manière suffisante par les services de la
Commission européenne. Il souligne la nécessité
d'améliorer les retours d'information vers les candidats à des
programmes, notamment en cas de retards et de rejets de projets bien
notés.
Enfin, le groupe souligne que
les effectifs de la Commission sont
insuffisants
dans certains secteurs, et que cette situation contribue aux
retards et à la perte d'efficacité. Dans son rapport relatif
à l'exercice 1994, la Cour des comptes européenne avait
dressé un constat similaire en se penchant sur le programme
" capital humain et mobilité " lancé dans le cadre du
troisième Programme-cadre de recherche. Elle avait estimé que
" les personnes chargées du suivi des contrats étaient en
nombre insuffisant, puisque, entre autres tâches, chaque responsable dans
les services de la Commission devait traiter plusieurs centaines de
contrats "
(3(
*
)).
La gestion des programmes peut donc être améliorée.
Votre rapporteur doit cependant souligner que les représentants des
entreprises utilisatrices du programme-cadre qu'il a rencontrés ont
souligné la qualité du travail accompli par la Commission
européenne en matière de recherche. Ils ont en particulier
insisté sur l'effort d'information effectué par celle-ci au
moment des appels d'offres qu'elle lance régulièrement pour la
mise en oeuvre des programmes spécifiques. Les représentants des
entreprises souhaiteraient cependant que ces dernières soient davantage
associées à la gestion d'une politique à laquelle elles
participent activement.