1. Le plafonnement nécessaire des ressources publicitaires
Le
financement du secteur public donne lieu, depuis des années, à
des débats où l'hypocrisie le dispute à
l'incohérence.
D'un côté, on contraint le secteur public audiovisuel à
accroître ses ressources publicitaires en lui refusant les ressources
publiques qu'exigerait son développement. De l'autre, on déplore
une baisse de la qualité des programmes non sans se complaire bien
souvent dans une nostalgie des temps du monopole.
Ce que certains ont qualifié " d'injonction paradoxale " est
une contradiction partagée par tous les Gouvernements et toutes les
majorités ; on a délibérément limité
l'accroissement des ressources publiques tout en augmentant le nombre de
chaînes. Votre rapporteur, qui dénonce depuis longtemps cette
contradiction sans rencontrer d'écho favorable, connaît une
solution simple : l'augmentation des recettes de redevance et la
réduction corrélative des recettes publicitaires.
Seule la garantie de ressources stables permettra aux chaînes nationales
d'être fidèles à l'esprit du service public.
Expliquons-nous. Il ne s'agit pas de remettre en cause le principe d'un
financement mixte associant ressources publiques et recettes publicitaires.
La publicité est une ressource nécessaire. Elle est même
souhaitable lorsqu'elle constitue un complément de revenu qui n'affecte
pas la façon dont l'audiovisuel public accomplit ses missions. Il serait
dommage de se priver d'une ressource quand il s'agit simplement de se baisser
pour la cueillir. C'est même un bon indicateur de la capacité
d'une chaîne à trouver son public.
Mais la publicité reste une ressource dangereuse. Au-dessus d'un certain
niveau, au-delà d'une certaine dose, elle engendre des
phénomènes de dépendance qui affectent la façon
même dont est conçue la programmation. Où se situe le seuil
à ne pas dépasser ? Il est difficile de l'établir
avec une totale précision. Sachons toutefois qu'un niveau
supérieur à 50 % de recettes de publicité et de
parrainage est trop élevé. A partir de ce seuil, la
différence entre secteur privé et secteur public tend à
s'estomper, sapant dans le même temps la légitimité de la
redevance et alimentant l'argumentation de tous ceux qui présentent
l'audiovisuel public comme autant d'entreprises subventionnées.
Depuis l'exercice 1990, la durée des spots publicitaires a
été multipliée par deux pour France 2 et par trois
pour France 3. Une telle augmentation constitue un saut qualitatif qui
change la nature du système et affecte l'accomplissement des missions de
service public.
Il est impératif que les pouvoirs publics prennent conscience de la
nécessité de faire refluer la part des recettes publicitaires
dans les budgets de l'audiovisuel public à des niveaux compatibles avec
la nature de ses missions et qu'ils acceptent en conséquence de faire
l'effort financier correspondant.
Il faut donc inverser la tendance et votre rapporteur rejoint l'opinion
exprimée par M. Bernard Pivot dans son ouvrage
Remontrance
à la ménagère de moins de cinquante
ans
: "
Et qui a le front, le toupet, l'aplomb, le
culot, l'audace, l'hypocrisie, l'impudence (ne rayez aucune mention) de
regretter que la télévision ne soit pas plus culturelle, que les
meilleures émissions soient placées à des heures tardives,
que les chaînes généralistes n'aient pas plus d'ambition
civique, qu'elles sacrifient trop souvent à la violence, à
l'érotisme, à la grosse rigolade ? Qui tient ces discours
vertueux (...) ? Les mêmes qui ont contraint France 2 et
France 3 à vivre un peu plus chaque année de la
publicité (...). Actuel patron des chaînes publiques, Xavier
Gouyou Beauchamps, comme ses prédécesseurs, mais plus encore
puisqu'on lui a imposé, pendant sa première année de
présidence, d'engranger davantage de recettes publicitaires, doit se
frayer un chemin très étroit entre la nécessité de
cartonner dans l'audimat, de collectionner les juteuses parts de marché,
et l'obligation de conserver à la télévision, pour
laquelle les Français paient la redevance, un visage intelligent et
rayonnant.
"
Quoique l'écran du poste ait bien la forme d'un rectangle, il
ressemble à la quadrature du cercle. Xavier Gouyou Beauchamps
déclarait récemment : « Il est gênant qu'un
franc de publicité devienne vital pour la chaîne (France 2).
C'est à partir de ce moment que la mission de service public n'est plus
garantie »(...).
"
Il y a sûrement un seuil de publicité - 20 %,
30 %, 35 % - qui permettrait à France 2 de
présenter deux visages opposés, mais complémentaires et
satisfaisants. Au-delà de ce seuil, Janus est en danger de perdre son
identité.
"
On ne saurait mieux dire. Plaise aux Dieux que M. Bernard Pivot soit
mieux entendu qu'un rapporteur de la commission des finances du
Sénat
!