C. DES BESOINS NOUVEAUX
1. La prise en compte de la gestion de l'hétérogénéité
a) La discrimination positive : les zones d'éducation prioritaires (ZEP)
En 1981
et 1982, le gouvernement a décidé de mettre en oeuvre une
politique scolaire comportant un volet reposant sur le principe de
discrimination positive, en vertu duquel il faut
" donner plus
à ceux qui ont moins ".
Cette politique d'éducation prioritaire a pour objet, selon la
circulaire n° 90-028 du 1
er
février 1990, de
" renforcer l'action éducative dans les zones où les
conditions sociales sont telles qu'elles constituent un facteur de risque,
voire un obstacle pour la réussite scolaire des enfants et adolescents
qui y vivent et donc, à terme, pour leur intégration
sociale ".
Elle vise donc à lutter contre l'échec scolaire au sein de zones
d'éducation prioritaires (ZEP), prenant acte de
l'hétérogénéité croissante des publics
scolaires, elle-même reflet des évolutions de la
société française.
En 1982, il y avait 355 ZEP. En 1990, année au cours de laquelle la
carte des ZEP a été redéfinie par les rectorats et
arrêtée pour trois ans puis prorogée d'un an, elles
étaient au nombre de 559. A la rentrée 1997, elles étaient
563, dont 26 dans les départements d'outre-mer et 5 dans les territoires
d'outre-mer.
Le nombre des ZEP a donc augmenté de près de 60 % en 15
ans.
6.185 établissements sont classés en ZEP : 5.318
écoles, 724 collèges, 106 lycées professionnels et 37
lycées d'enseignement général et technique.
Près de 1,2 million de jeunes y sont scolarisés, soit 11,1 % des
effectifs de l'enseignement scolaire, ce qui représente respectivement
12 % et 9,9 % des élèves des écoles publiques et des
établissements publics du second degré.
Les académies métropolitaines présentent des situations
contrastées : de 5,6 % des écoliers dans l'académie
de Rennes à 26,5 % à Paris et 28 % en Corse. Pour les
collégiens, les parts vont de 5,4 % dans l'académie de
Clermont-Ferrand à 26,2 % dans celle de Rouen. Onze académies ont
des écoles ou des collèges en ZEP, mais aucun lycée. Trois
départements, le Cantal, la Haute-Loire et la Lozère n'ont aucun
établissement classé en ZEP. Quant aux DOM, ils scolarisent en
ZEP 20 % des élèves, soit une proportion double de celle de la
France métropolitaine. En Guyane, 50 % des élèves et plus
de 50% des collégiens sont concernés.
La part des écoliers et des collégiens en ZEP augmente avec
l'urbanisation : 2,8 % des élèves des écoles
publiques rurales mais 21,5 % de celles des unités urbaines de 100.000
à 200.000 habitants. Pour les collégiens, ces parts sont
respectivement de 4,9 % et 23,8 %. La population des ZEP est donc
concentrée en majorité dans les grands centres urbains :
seulement 10 % des élèves de ZEP (contre 30 % des
élèves hors ZEP) sont dans des petites villes, de moins de 10.000
habitants.
La population scolaire fréquentant les ZEP est
caractérisée par son appartenance à des catégories
socialement défavorisées. Dans les collèges situés
en ZEP, la proportion d'enfants d'ouvriers et d'inactifs dépasse en
moyenne 60 % ; il est rare que cette proportion descende en-dessous de 40
%, qui est la situation moyenne des collèges situés hors ZEP.
Dans près de 25 % des collèges de ZEP, cette proportion est
supérieure à 75 %. La proportion d'élèves
fréquentant la cantine est deux fois moins élevée en ZEP
(30,5 %) que hors ZEP.
Par ailleurs, le nombre d'élèves par classe est plus faible pour
les écoles en ZEP que pour l'ensemble des écoles. Si la baisse de
la taille moyenne des classes est générale, elle a
été plus rapide en ZEP. Cette évolution est donc
favorable.
En effet, les établissements scolaires classés en ZEP
bénéficient de moyens en personnels renforcés afin de
limiter le nombre d'élèves par classe. C'est l'application
même du principe de discrimination positive.
Le gouvernement a récemment décidé de mettre en place un
plan de relance de la politique d'éducation prioritaire, dont les grands
axes ont été présentés au conseil des ministres du
14 janvier 1998, et débattus lors des forums académiques puis des
assises nationales de Rouen des 4 et 5 juin 1998.
L'objectif est de redessiner une carte établie en 1983 et
révisée globalement en 1989 et qui ne correspond plus aux
réalités sociales mais aussi, par la création de
réseaux d'éducation prioritaires (REP) et la signature de
contrats de réussite, d'apporter une réponse en termes de moyens
pour améliorer les résultats scolaires des élèves.
La carte des ZEP sera revue par chaque recteur à partir de
critères socio-économiques. Les critères de
réussite scolaire ne devraient pas être pris en compte dans la
réforme afin de ne pas pénaliser les établissements :
l'amélioration des résultats des élèves sera donc
sans incidence sur le classement en ZEP de l'établissement.
Ce dernier point suscite l'interrogation de votre commission
d'enquête. En effet, ne pas tenir compte des critères de
réussite scolaire, n'est-ce pas se priver des moyens d'une analyse
qualitative du dispositif mis en place en 1982 ?
La discrimination
positive vise à satisfaire des objectifs reposant sur
l'équité, mais peut aussi constituer un facteur de
rigidité en ce sens où elle engendre un
effet de
cliquet : il est possible pour un établissement d'être
classé en ZEP, il lui est en revanche beaucoup plus difficile de sortir
du dispositif.
Des pressions de toutes sortes s'exercent pour que
l'établissement considéré continue de
bénéficier des conditions de travail plus favorables en vigueur
dans les ZEP. Pourtant, la réussite du dispositif ne devrait-elle pas se
mesurer au taux de sortie - au " déclassement " - des
établissements ? Classer un nombre croissant
d'établissements en ZEP n'est-ce pas faire reposer la politique scolaire
sur le postulat de l'échec ?
Une ZEP qui réussit devrait
être une ZEP qui disparaît.
En effet, la circulaire du 1
er
février 1990
précitée dispose que l'objectif premier de cette politique est
" d'obtenir une amélioration significative des résultats
scolaires des élèves, notamment des plus
défavorisés ".
Dès lors qu'on tend à en
accroître le nombre, n'est-ce pas reconnaître l'extension de
l'échec scolaire ?
Votre commission d'enquête est attachée à la politique
scolaire prioritaire. C'est pourquoi elle estime indispensable de la conforter
dans sa mission originelle, qui est de sortir les élèves de
l'échec scolaire.
Dans ces conditions, quel bilan peut-on dresser de plus de
quinze années de politique d'éducation prioritaire ?
Assurément, il est mitigé.
Le tableau ci-dessous rappelle le pourcentage de réussite en
français et en mathématiques à l'évaluation en CE2
et en 6
ème
depuis 1991, en établissant une comparaison
entre les établissements classés en ZEP et ceux qui ne le sont
pas.
Le constat est clair : les élèves en ZEP ont, en moyenne,
de moins bons résultats aux évaluations nationales, tant en
français qu'en mathématiques
, environ 11 points
d'écart en CE2 et 5 points en 6
ème
dans chacune de ces
deux disciplines. Surtout, il ne semble pas que cet écart se
réduise avec le temps.
Une analyse plus fine montre que la réussite scolaire diffère
selon la durée de fréquentation de l'école
maternelle : plus l'entrée en maternelle est précoce,
meilleurs sont les résultats. Les efforts entrepris en ZEP pour
scolariser les enfants dès l'âge de 2 ans sont donc
bénéfiques. Il faut toutefois constater que les
élèves de ZEP parviennent en 6
ème
plus souvent
avec retard : 10 % d'entre eux ont plus de 12 ans, contre 6 % hors ZEP,
mais cette proportion a suivi la tendance générale et a fortement
baissé, en liaison avec la chute des redoublements en primaire.
A l'issue du collège, les trajectoires des élèves en ZEP
et hors ZEP sont assez différenciées : les
élèves de 3
ème
générale de ZEP
entrent plus souvent en 2
nde
professionnelle. En revanche, les
élèves des classes technologiques ont des trajectoires semblables
en ZEP et hors ZEP ; 88 % parviennent après une
3
ème
technologique en 2
nde
professionnelle.
Les moyens attribués aux ZEP ne parviennent qu'imparfaitement à
rétablir l'égalité des chances à l'école et
à rehausser le niveau scolaire des élèves à celui
constaté hors ZEP. Les enseignants en ZEP travaillent toutefois dans des
conditions souvent très difficiles, et la qualité de leur travail
doit être soulignée.
Votre commission d'enquête regrette vivement que le coût induit
par la nécessaire prise en considération de
l'hétérogénéité sociale ne soit que
partiellement connu.
Le coût du système indemnitaire dont bénéficient les
personnels affectés en ZEP est relativement bien identifié. Ce
dispositif indemnitaire comprend trois volets :
- l'indemnité de sujétions spéciales ZEP :
prévue par le plan de revalorisation de la fonction enseignante de 1989,
elle a été instituée à partir du 1
er
septembre 1990 en faveur des enseignants exerçant dans les ZEP, et
à partir du 1
er
janvier 1991 en faveur des personnels de
direction ; le taux de cette indemnité est indexé sur la
valeur du point de la fonction publique et est fixé depuis le
1
er
avril 1998 à 6.828 francs ; les dotations concernent
près de 81.000 personnes, 40.500 dans le premier degré et 40.400
dans le second degré ;
- l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves :
elle comprend une part fixe de 7.083 francs pour les enseignants du second
degré et une part modulable, dont le montant varie entre 5.289 francs et
8.325 francs allouée aux professeurs principaux ;
- une bonification indiciaire variant entre 10 et 30 points selon les fonctions
exercées : 30 points pour les personnels enseignants,
d'éducation et de documentation titulaires exerçant
l'intégralité de leurs obligations de service dans un
établissement sensible ou classé en ZEP ; 10 points pour les
personnels ATOS et de santé affectés dans un établissement
classé en ZEP et 20 points lorsqu'ils sont en établissement
sensible ; 8 points pour les assistantes sociales dont le secteur
d'intervention comprend au moins un établissement sensible ou
classé en ZEP.
M. Jacques Guyard, rapporteur spécial des crédits de
l'enseignement scolaire à l'Assemblée nationale, estime que
" le " surcoût " annuel du dispositif ZEP
s'élève à 2 milliards de francs ".
Votre commission d'enquête souhaiterait que le coût global des
ZEP soit mieux appréhendé et fasse l'objet d'une
présentation détaillée lors de l'examen annuel du projet
de budget de l'enseignement scolaire par le Parlement.
Le gouvernement pourrait ainsi déposer chaque année, en annexe du
projet de loi de finances, un document budgétaire retraçant le
coût global du dispositif des ZEP, c'est-à-dire non seulement les
crédits alloués au régime indemnitaire des personnels
travaillant en ZEP, mais aussi les conséquences budgétaires de la
politique scolaire prioritaire en termes d'aménagement des conditions de
travail et de gestion des personnels.
Il convient en effet de constater que les coûts des zones
d'éducation prioritaires ne sont pas au centre des préoccupations
des gestionnaires du système, les actes des assises nationales des ZEP
à Rouen, en juin 1998, n'abordant jamais ce sujet, sauf à
réclamer des moyens supplémentaires sans qu'une véritable
évaluation de l'efficience du dispositif ait été
entreprise.
Un " jaune " portant sur le budget de l'enseignement scolaire
obligerait le ministère à présenter l'ensemble des
crédits affectés aux ZEP et permettrait de mieux informer la
représentation nationale des conséquences pratiques de son vote
du budget
, comme c'est déjà le cas pour la recherche, et,
depuis la loi de finances pour 1999, pour l'enseignement supérieur.
b) Le souci de l'aménagement du territoire : l'école en milieu rural
L'école est aujourd'hui confrontée à
des
situations extrêmes
: d'une part, l'existence de 246 quartiers
urbains qui présentent une forte concentration de population mais
également de problèmes sociaux, et qui font l'objet de la
politique scolaire prioritaire qui vient d'être analysée, et,
d'autre part, le dépeuplement et le vieillissement de 425 cantons sur
environ 3800.
Or, l'école joue un rôle essentiel en milieu rural : elle
constitue souvent le dernier service public présent dans une commune ou
un canton isolé. Elle est donc essentielle à l'aménagement
du territoire. Cependant, la gestion des personnels sera nécessairement
différente, s'il s'agit d'un établissement en milieu rural ou
d'un établissement en milieu urbain.
M. Jean-Claude Lebossé, inspecteur général de
l'éducation nationale, a remis un rapport à Mme
Ségolène Royal, ministre déléguée à
l'enseignement scolaire, sur la présence des établissements
scolaires dans les zones rurales isolées. En effet, les pouvoirs publics
paraissaient hésitants sur la politique à mener à
l'égard des établissements en milieu rural. Il y a d'abord eu un
mouvement important de regroupement des écoles et des classes
consécutif à l'idée alors avancée selon laquelle
les écoles à classe unique étaient source d'échec
scolaire ultérieur pour leurs élèves : un
impératif de qualité pédagogique poussait donc à
fermer des classes et des écoles, au risque de précipiter le
dépérissement d'un village. Puis, un mouvement inverse a
été enclenché.
En avril 1993, le gouvernement de M. Balladur a instauré un moratoire
suspendant la fermeture ou la réduction des services publics en milieu
rural : un processus permettant de maintenir dans une commune la
dernière classe qui aurait dû être fermée au seul
regard de ses effectifs a dès lors été engagé,
étant précisé qu'
il existe 7.780 écoles à
classe unique
et que
75 établissements du second degré ont
des effectifs inférieurs à 100 élèves.
Aucune dernière classe d'une commune n'a été fermée
contre la volonté du maire, au seul regard de ses effectifs.
Le
moratoire a été
appliqué strictement, y compris
lorsque le nombre d'élèves de la dernière école
à classe unique ouverte dans une commune était très
faible. C'est ainsi qu'ont pu être maintenues à chaque
rentrée scolaire :
- 1993-1994 :180 écoles à classe unique,
- 1994-1995 : 320 écoles à classe unique,
- 1995-1996 : 352 écoles à classe unique,
- 1996-1997 : 401 écoles à classe unique,
- 1997-1998 : 389 écoles à classe unique.
Pour la préparation de la rentrée scolaire 1998-1999, le
moratoire a été reconduit pour la sixième année
consécutive : fin juin 1998, près de 400 écoles
à classe unique, qui auraient dû être fermées compte
tenu de leurs faibles effectifs, ont pu être maintenues à ce titre
par les inspecteurs
d'académie, directeurs des services
départementaux de l'éducation nationale.
C'est désormais dans le cadre des comités locaux
d'éducation qu'est posé le problème du maintien du
moratoire des classes rurales. Il appartient aux élus de décider
si, au vu des données scolaires, cette solution est la plus judicieuse
pour la communauté éducative, ou s'il n'est pas
préférable, dans l'intérêt des élèves,
de fermer une classe unique pour ouvrir une classe dans une commune de
proximité. Une politique de regroupement peut alors être
engagée.
Les regroupements concentrés permettent de scolariser, dans une
école importante, à tous les niveaux, et d'offrir aux enfants des
activités plus nombreuses et diversifiées.
Les
regroupements dispersés permettent de maintenir dans chacune des
communes qui le composent, une ou deux classes. Il n'y a pas de formule
exclusive, tant les situations locales sont diverses ; toutes présentent
l'intérêt de maintenir l'école en milieu rural.
En 1997-1998, ont été recensés 4.591 regroupements
pédagogiques intercommunaux (RPI) d'écoles, dont à peine
20 % de type concentré.
Des enquêtes réalisées par l'éducation nationale ont
montré, au moins pour l'école primaire et pour les
premières classes du collège, que, dans les matières
fondamentales, les élèves ne présentaient pas de
différence de niveau selon qu'ils sont issus d'écoles à
classe unique ou à classes multiples. La pérennisation des
établissements en milieu rural constituait alors l'objectif premier.
Votre commission d'enquête estime qu'il faut aborder ce sujet avec
sérénité et bon sens. Si le maintien des services publics
en zone rurale est un objectif à atteindre dans le cadre d'un
aménagement harmonieux du territoire, il ne saurait être poursuivi
s'il est préjudiciable à l'intérêt des
élèves et des enseignants ou si une réforme
concertée de la carte scolaire en milieu rural s'avérait
bénéfique à la gestion d'ensemble du système
éducatif.
Une politique de rénovation de la présence des
établissements scolaires en milieu rural peut par exemple reposer sur la
mise en oeuvre de projets pédagogiques passant par la constitution de
réseaux d'écoles recourant aux nouveaux moyens de communication,
même si les ordinateurs et Internet ne remplaceront jamais les
pédagogues. Pour éviter la fermeture d'établissements
scolaires ruraux, il est également souhaitable d'élargir
l'utilisation des moyens humains et des équipements. La
" multifonctionnalité " des établissements pourrait
être promue par une politique contractuelle établie entre
l'éducation nationale et les collectivités territoriales. La
gestion du système pourrait ainsi s'en trouver rationalisée.
La mesure de l'efficience du système nécessite que soit
établi un bilan en termes de coût et d'avantages.
La fermeture
d'un établissement peut engendrer une économie pour l'Etat mais
aussi, de façon corrélative, une dépense
supplémentaire pour une collectivité territoriale, en
matière de transport scolaire par exemple. Inversement, ces nouvelles
dépenses peuvent se révéler bien moindres que les
dépenses nécessitées par le maintien d'une école
à classe unique.
Or, le problème se pose pour les zones rurales comme il se posait pour
les ZEP, avec plus d'acuité peut-être : le coût de la
contribution de l'éducation nationale à l'aménagement du
territoire n'est pas évalué.
Votre commission d'enquête
propose que ce coût global soit établi et présenté
chaque année dans l'annexe au projet de loi de finances relative
à l'enseignement scolaire.