CHAPITRE II :
DES DYSFONCTIONNEMENTS GÉNÉRÉS
PAR L'ÉDUCATION NATIONALE ELLE-MÊME
Du fait de ses rigidités, résultant notamment de la centralisation et de la multiplicité des statuts, l'éducation nationale est affectée de dysfonctionnements graves qui trouvent leur origine, pour la plupart, dans l'institution elle-même.
I. LES RIGIDITÉS DU SYSTÈME SCOLAIRE
A. UNE GESTION IMPARFAITE : UNE CENTRALISATION, FRUIT DE L'HISTOIRE ET UNE DÉCONCENTRATION MAL CONTRÔLÉE
Dans le
droit fil des acquis révolutionnaires et de l'Empire, ainsi que des
grandes lois sur l'école votées à la fin du siècle
dernier, l'éducation nationale a toujours privilégié une
approche centralisatrice, qui était d'ailleurs logique dans une
conception élitiste de l'enseignement secondaire qui s'est
perpétuée jusqu'à des décennies récentes.
Cette tradition centralisatrice se traduisait notamment dans les règles
d'affectation et de mutation des enseignants, de ce qu'on appelle le mouvement
des enseignants du second degré, qui vient de faire l'objet d'une
réforme ainsi que dans l'organisation des concours et dans la
définition nationale des programmes.
1. L'ancien mouvement centralisé
a) Le principe
Les
affectations et les mutations des enseignants du second degré se
réalisaient à l'occasion d'un mouvement général qui
traitait l'ensemble des demandes et des postes, en fonction d'un barème,
de mouvements particuliers et spécifiques permettant de réaliser
l'adéquation entre le profil des postes et le choix des personnels.
A l'origine de tout mouvement, on trouve des candidats ayant formulé des
voeux de mutation et des postes vacants. Le mouvement national des personnels
enseignants du second degré était organisé par discipline
d'enseignement et pour les enseignants de lycée, il se faisait tous
corps confondus (professeurs agrégés, certifiés,
chargés d'enseignement, adjoints d'enseignement). Le mouvement
organisé au titre de la rentrée 1998 a porté sur
110.247 demandes : sur ce total, 50.030 agents ont
été mutés ou affectés dont 43.370 sur leurs voeux.
Le mouvement général s'effectuait au moyen d'un barème
indicatif prenant en compte des points donnés en fonction de
l'échelon atteint et des points donnés en fonction du nombre
d'années passées dans le poste actuel.
A ces paramètres, s'ajoutaient des éléments liés
à la situation administrative et des éléments relatifs aux
voeux formulés par l'enseignant. Ils étaient
complétés par des éléments à
caractère familial dont les plus importants sont les bonifications qui
visent à rapprocher l'enseignant de son conjoint.
Les mouvements particuliers et spécifiques représentaient un peu
moins de 10 % de l'ensemble des candidatures présentées au
titre de tous les mouvements et avaient pour objet de prendre en compte la
spécificité des postes (niveau de l'enseignement dispensé,
compétences particulières recherchées, contraintes
géographiques, publics difficiles, ...).
Les mouvements particuliers les plus importants concernaient les affectations
dans les classes préparatoires aux grandes écoles, les classes de
techniciens supérieurs et les postes dans les établissements
sensibles.
Le système actuel, appliqué jusqu'à la dernière
rentrée permettait de réaliser en une seule opération les
mutations, les premières affectations des nouveaux recrutés et
les réintégrations, en prenant en compte tous les postes vacants
et ceux libérés par une mutation.
Il mettait en concurrence, pour un même poste, tous les candidats, qu'ils
soient extérieurs ou déjà présents dans
l'académie. Avec les larges possibilités offertes dans la
formulation des voeux, les candidats pouvaient demander sans risque leur
mutation, puisqu'ils conservaient le poste dont ils étaient titulaires
s'ils n'obtenaient pas satisfaction.
b) Les inconvénients d'un mouvement centralisé
Dans son
fonctionnement même, ce dispositif était d'une très grande
complexité, pour un rendement faible. D'une part, la majorité des
voeux formulés (plus de 67 %) et des mutations obtenues (plus de
55 %) se faisaient au sein de la même académie. Seuls
33 % des enseignants concernés demandaient en premier voeu un
changement d'académie.
Le système imposait donc de faire transiter par la direction des
personnels du ministère plus de 110.000 dossiers de demande de
mutation, alors que la majorité des affectations se faisait à
l'intérieur de la même académie.
D'autre part, les règles permettant d'organiser le mouvement
étaient devenues très complexes, peu transparentes et la gestion
centralisée et anonyme des affectations ne pouvait qu'entraîner
des dysfonctionnements. S'agissant notamment des jeunes titulaires, le
mouvement national leur était particulièrement
défavorable : la majorité d'entre eux étaient le plus
souvent affectés comme titulaires académiques sur des postes
difficiles, laissés vacants à l'issue du mouvement.
De plus, ce système centralisé constituait un lieu de
confrontation entre les organisations syndicales et les responsables
administratifs, où les enjeux de pouvoirs dominaient. Ainsi, force
est-il de reconnaître que certains syndicats disposaient plus rapidement
des informations relatives au déroulement du mouvement que les
responsables de l'éducation nationale.
Enfin, le calendrier imposé par le déroulement du mouvement
national était loin d'être satisfaisant. La remontée des
postes offerts au mouvement se faisait très tôt dans
l'année, obligeant par la suite les académies à
créer de nombreux postes provisoires qui ne pouvaient être pourvus
de façon définitive que l'année suivante. Les affectations
sur ces postes ne pouvaient se faire qu'à l'issue du mouvement national
et donc très tardivement (juillet ou août) par rapport à la
rentrée scolaire.
En réalité, outre les mouvements particuliers et
spécifiques, la déconcentration du mouvement était
déjà largement engagée.
Depuis 1985, les recteurs prononçaient les affectations provisoires sur
postes vacants des " titulaires académiques " (39.490
à la rentrée 1997-1998) ; depuis 1986, ils géraient
les affectations des enseignants en réadaptation et, depuis 1987, ils
prononçaient la réaffectation des enseignants dont le poste avait
été supprimé ou transformé par suite d'une mesure
de carte scolaire.
A cela s'ajoutait l'affectation des stagiaires IUFM qui effectuent un service
d'enseignement de six heures hebdomadaires, ainsi que la procédure de
" délégation rectorale " qui permettait d'affecter sur
des postes provisoirement vacants des personnels titulaires d'un poste
définitif mais qui souhaitaient en changer. A ce titre, les recteurs
modifiaient plus de 15 % des affectations ministérielles.
c) Les avantages attendus de la déconcentration
Le
mouvement national à gestion déconcentrée, qui se met en
place cette année, constitue techniquement un " mouvement en deux
temps ".
Au cours d'une phase préparatoire interacadémique, qui se
déroule en février-mars, les enseignants sont invités
à formuler des voeux pour les académies de leur choix, sans
limitation de nombre. La définition pour chaque académie de ses
besoins prévisionnels -incluant les remplacements- permet de
définir les flux d'entrée pour chaque discipline.
Pour sélectionner les candidats, les critères de classement
s'appuieront sur un barème très proche de celui actuellement
utilisé par le mouvement centralisé.
A l'issue de cette première phase, les enseignants nommés dans
une nouvelle académie, participeront, avec les enseignants
présents dans cette académie mais souhaitant " muter ",
au mouvement intra-académique.
Cette opération se déroulera en mai-juin et, à cette date,
l'offre en postes devrait être optimisée puisque l'académie
sera en mesure d'inclure la quasi-totalité des informations sur la
rentrée.
Elle se déroulera par discipline et sur la base d'un barème
identique au barème national, auquel s'ajouteront des critères
communs à toutes les académies, liés aux postes
sollicités, aux grades et à la prise en compte de
priorités ouvrant droit à la réintégration.
Une partie du barème pourra tenir compte du contexte spécifique
de l'académie, mais elle devra être négociée avec
les représentants syndicaux.
La mise en place de ce mouvement est assortie d'un dispositif d'information et
d'accueil à l'intention des enseignants, notamment des jeunes
titulaires. Un outil informatique d'aide à la décision
individuelle sera consultable dans les rectorats et surtout dans chaque
établissement.
Les principaux avantages pouvant être attendus de ce nouveau dispositif
tiennent à la méthode et au calendrier.
Le nouveau système impose de mettre en place à tous les niveaux
une véritable gestion prévisionnelle. Les académies
devront établir, par discipline, des balances entre l'ensemble de leurs
besoins d'enseignement et de remplacements estimés et l'ensemble de leur
potentiel de personnels titulaires et auxiliaires.
Le nouveau calendrier permettra de connaître plus tôt les
prévisions et le potentiel dont chaque académie disposera et leur
donnera plus de temps -de mars à fin juin- pour faire les affectations
et procéder aux ajustements de rentrée.
Les recteurs auront la possibilité, dans cet intervalle, d'engager un
dialogue avec les établissements et pourront assurer le suivi d'un
certain nombre de situations individuelles difficiles.
d) Les inconnues et les risques de la réforme
Les
détracteurs de la réforme du mouvement avancent plusieurs
éléments qui constituent autant d'écueils susceptibles de
la faire échouer.
Il faut tout d'abord éviter que les rectorats ne rétablissent
à leur profit et à leur niveau, des structures administratives
qui auraient tous les défauts de l'administration centrale. Un tel
risque n'est pas exclu, d'autant que les organisations syndicales pourraient
avoir la tentation de reconstituer dans chaque académie le même
type de fonctionnement qu'au niveau central.
Par ailleurs, le principe du paritarisme du mouvement sera intégralement
maintenu au niveau déconcentré. Dans le cadre de l'ancien
mouvement, les commissions administratives paritaires nationales (CAPN) se
réunissaient, au niveau central, pour examiner le projet de mouvement
des corps de professeurs de lycée professionnel, de personnels
d'éducation, de personnels d'orientation et de personnels
d'éducation physique et sportive.
S'agissant des professeurs agrégés, certifiés et des
adjoints d'enseignement, les projets de mouvement étaient
examinés, au niveau ministériel, par des formations paritaires
mixtes nationales (FPMN), émanant des CAPN des corps
précédents, pour chaque discipline.
Ces structures subsistent pour le mouvement interacadémique, mais des
formations paritaires mixtes (FPMA) dotées de compétences de
même nature que les FPMN sont également créées au
niveau académique, pour suivre la deuxième phase
intra-académique du mouvement.
Comme le résumait de façon lapidaire la secrétaire
générale du SNES devant la commission d'enquête,
"
ce que nous faisions avec cent personnes au plan national, nous
allons le faire avec vingt-cinq fois 58 personnes. En matière de
dégraissage du mammouth, cela pose un petit problème !
".
On peut craindre, à ce sujet, que la démultiplication des
réunions paritaires au niveau académique accroisse le nombre des
enseignants, représentants du personnel, qui devront abandonner leurs
classes pour siéger dans ces commissions.
Par ailleurs, il faut aussi se demander si tous les syndicats auront les moyens
de participer aux commissions et aux formations paritaires de chaque
académie. Ne risque-t-on pas, en définitive, de renforcer
considérablement le poids du syndicat majoritaire qui aura les moyens
d'être partout présent et donc de porter atteinte au pluralisme
syndical ?
Enfin, il faut s'interroger sur la réalité des marges de
manoeuvre qui seront données aux recteurs pour mieux tenir compte des
réalités locales dans les choix des affectations, dès lors
que le barème utilisé est a priori identique au barème
national.
Ce barème académique commun a été imposé
à toutes les académies pour une durée de trois ans, et les
organisations syndicales sont très attachées à ce principe
d'équité.
Pour l'avenir, la part académique du barème devrait être
négociée avec les organisations syndicales au niveau de chaque
académie, afin de prendre réellement en compte ses
spécificités et les réalités de la demande
d'enseignement.
e) Les interrogations de la commission d'enquête
Sans
être en mesure actuellement de porter une appréciation
autorisée sur un dossier aussi technique, la commission d'enquête
ne peut qu'être favorable au principe d'un dispositif qui tend à
déconcentrer le mouvement national et à assurer une gestion des
personnels au plus près du terrain.
Elle n'est cependant pas convaincue que la réforme apporte plus de
souplesse de fonctionnement, une adéquation plus fine des moyens aux
besoins et permette de réduire les dysfonctionnements observés
à chaque rentrée scolaire dans plusieurs disciplines, souvent les
mêmes, de trop nombreux établissements du second degré.
L'expérimentation du nouveau dispositif sur plusieurs années
devrait, seule, permettre d'apprécier son efficacité ou en
révéler les inconvénients.
La commission d'enquête proposera ainsi qu'un rapport soit
déposé à la rentrée 2000 sur le bureau des
assemblées, établissant un premier bilan de la
déconcentration du mouvement des enseignants du second degré.