CHAPITRE II
:
LE MATCH « EUROPE-ETATS
UNIS »
En
dépit de l'émergence, en Asie ou en Amérique Latine, ou de
la subsistance, en Russie, d'une industrie aéronautique et spatiale, le
monde se partage essentiellement dans ce secteur entre les Etats-Unis et
l'Europe
Ce « duopole » apparaît très
déséquilibré.
Les entreprises américaines ont connu des mutations certes douloureuses
et pas totalement achevées qui ont encore accru leur puissance. Elles
bénéficient de plus d'un environnement leur conférant des
avantages comparatifs considérables.
De son côté, l'Europe de l'aéronautique regroupe des
acteurs sans doute influents mais guettés par le danger de la
disparition ou de la satellisation
I. DES POSITIONS DE MARCHE SANS COMMUNE MESURE
La comparaison des chiffres d'affaires des industries aéronautiques en Europe et aux Etats-Unis illustre tout le profit qu'a pu tirer l'industrie américaine des avantages comparatifs dont elle bénéficie.
A. L'ACTIVITE AÉRONAUTIQUE AUX ETATS-UNIS ET EN EUROPE, DEUX MONDES À PART
Les grandes caractéristiques du rapport de force sont sommairement illustrées par les données figurant dans le tableau ci-dessous qui rappelle les ordres de grandeur relatifs à l'activité de l'industrie aéronautique.
Chiffres d'affaires des industries aéronautiques et spatiales occidentales en 1997
(en millions d'écus)
|
France |
Allemagne |
Grande-Bretagne |
États-Unis |
CA total non consolidé |
19.947 |
10.819 |
21.748 |
|
CA total consolidé |
16.744 |
9.566 |
19.331 |
114.305 |
CA exportation |
11.743 |
6.327 |
16.277 |
44.356 |
Source : AECMA, AIA
Le
chiffre d'affaires de l'industrie aéronautique américaine
équivaut, avec 755 milliards de francs, à plus de deux fois
et demi celui des trois principaux pays aéronautiques en Europe qui
s'est élevé en 1997 à 301,7 milliards de francs.
Cet ordre de grandeur ne change que très légèrement
lorsque l'on agrège l'activité aéronautique de l'ensemble
de l'Union européenne, la dimension du chiffre d'affaires de l'industrie
américaine apparaissant alors comme un peu plus de deux fois celle de
l'industrie européenne.
L'accès à un niveau d'activité élevé est un
atout majeur pour les acteurs de l'industrie aéronautique. Il permet une
plus grande souplesse d'organisation, justifie économiquement les lourds
investissements qui sont nécessaires aux lancements de nouveaux
programmes et à travers les économies d'échelles qu'il
provoque autorise, toutes choses égales par ailleurs, un meilleur niveau
de compétitivité.
Cette disproportion dans l'activité des deux branches du duopole a
évidemment des répercussions sur le volume des effectifs des
industries aéronautiques de part et d'autre de l'Atlantique.
Effectifs des principales industries aéronautiques et spatiales occidentales en 1997
|
France |
Allemagne |
Grande-Bretagne |
Etats-Unis |
Grands systémiers |
46.900 |
38.076 |
44.745 |
358.600 |
Motoristes |
20.900 |
8.534 |
29.501 |
100.600 |
Equipementiers |
27.500 |
16.404 |
46.845 |
598.600 (1) |
(1)
Autres + 270.000 = 868.600
Mais les différences entre les chiffres d'affaires des industries
aéronautiques américaine et européenne ne sont pas
seulement des différences de niveau. Il s'agit aussi de
différences de nature.
Il ressort d'abord du tableau ci-dessus une première donnée
importante.
La dépendance des industriels américains aux exportations
est
, avec 38,8 % du chiffre d'affaires réalisé à
l'exportation,
importante mais
beaucoup plus réduite qu'en
Europe
où, en moyenne, 75,2 % du chiffre d'affaires provient de
commandes extérieures.
Ainsi, même si l'industrie américaine occupe une place plus vaste
du le marché mondial que l'industrie européenne
(44,4 milliards d'euros contre 34,3 milliards d'euros en 1997), elle
apparaît moins soumise aux phénomènes liés à
la mondialisation.
Elle peut en particulier compter sur un équilibre entre son
marché intérieur et le marché étranger ce qui,
compte tenu des écarts de conjoncture qui peuvent exister entre ces deux
segments de la demande, constitue un facteur de solidité.
De plus,
l'industrie américaine reste orientée plus vers la
satisfaction de la demande militaire que vers les marchés
commerciaux
. Une situation différente prévaut en
Europe.
|
1980 |
1990 |
1995 |
|||
|
Europe |
Etats-Unis |
Europe |
Etats-Unis |
Europe |
Etats-Unis |
Chiffre d'affaires militaire |
70,3 |
54,5 |
52,7 |
61,0 |
46,8 |
55,7 |
Chiffre d'affaires civil |
29,7 |
45,5 |
47,3 |
39,0 |
53,2 |
44,3 |
Total |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : Commission européenne « The European Aerospace Industry » 1997
Cette
caractéristique recèle à son tour plusieurs avantages pour
l'industrie américaine.
Issue pour beaucoup du niveau nettement plus élevé qu'en Europe
de la commande militaire aux Etats-Unis, elle permet aux industriels
américains de pouvoir compter sur un marché protégé
de la concurrence extérieure.
En outre, même si le budget de la défense américaine s'est
inscrit ces dernières années sur une tendance à la baisse,
et si le Pentagone met en concurrence les entreprises nationales, les
industriels tirent de cette situation le bénéfice d'une meilleure
visibilité de leur chiffre d'affaires. Leurs anticipations sont mieux
assurées, ce qui constitue un avantage décisif dans une
activité qui suppose de prendre en compte le temps.
La concurrence relativement moins aiguë rencontrée sur les
marchés militaires intérieurs permet de surcroît de
dégager des marges plus satisfaisantes que celles usuellement
autorisées dans le cadre des marchés commerciaux.
Enfin, la recherche militaire étant, plus que la recherche civile,
financée sur des ressources extérieures, et d'ailleurs le plus
souvent préfinancée, l'industrie aéronautique
américaine retire de l'équilibre particulier de ses sources de
chiffre d'affaires un dernier avantage de taille.