B. LES AVANTAGES COMPARATIFS DE L'AÉRONAUTIQUE AMÉRICAINE
La prééminence de l'industrie américaine qui s'appuie sur une volonté politique forte d'en assurer la suprématie mondiale repose en particulier sur une série d'avantages comparatifs liés à son environnement.
1. Un soutien public qui ne se relâche pas
Les
Etats-Unis considèrent avec raison que la maîtrise d'une industrie
aéronautique puissante est une condition même de la puissance
politique du pays.
Du coup, ils mettent volontiers celle-ci au service des intérêts
de l'industrie nationale, les administrations animant un réseau
très élaboré d' « advocacy »
c'est-à-dire de promotion des produits américains. Il est
loisible de s'interroger sur l'existence de pratiques, pourtant
prohibées, d' « inducement », autrement dit de
pressions des autorités politiques américaines sur les clients
étrangers qui sont souvent encore des compagnies publiques.
En tout cas, la diplomatie américaine sait se mettre au service des
entreprises élaborant et conduisant des stratégies
cohérentes face auxquelles les européens paraissent souvent mal
armés.
L'illustration parfaite de ces propos peut être trouvée dans
l'accord du 17 juillet 1992 entre l'Europe et les Etats-Unis sur les
soutiens publics aux constructeurs d'avions commerciaux de plus de
100 places. On relèvera que cet accord très
défavorable aux intérêts européens aura
été négocié par une commission dont les services
n'avaient alors qu'une culture aéronautique réduite.
Le soutien public n'est évidemment pas seulement politique et
administratif. Il est aussi d'une espèce, plus décisive,
financière.
Le tableau ci-après récapitule les données quantitatives
disponibles pour apprécier le niveau comparé de soutien public en
Europe et aux Etats-Unis.
Soutien public dans l'Union européenne (UE) et aux Etats-Unis
(Niveaux en millions d'Euros)
|
Union européenne |
Etats-Unis |
||||||||||
|
Contrats de recherche |
Autres |
Total |
Contrats de recherche |
Autres |
Total |
||||||
|
Niveau |
% |
Niveau |
% |
Niveau |
% du C.A. |
Niveau |
% |
Niveau |
% |
Niveau |
% du C.A. |
1990 |
4.793 |
30 % |
11.155 |
70 % |
15.949 |
35 % |
11.974 |
22 % |
42.478 |
78 % |
54.452 |
64 % |
1994 |
4.162 |
29 % |
10.353 |
71 % |
14.514 |
37 % |
7.393 |
16 % |
38.045 |
84 % |
45.348 |
60 % |
Source : « The european aerospace
industry ». Commission européenne.1997
Il apparaît que le total des fonds publics alimentant l'industrie
américaine s'élève à plus de trois fois le niveau
atteint en Europe.
Cet écart n'est pas seulement le fait d'un niveau de commandes
militaires sans communes mesures.
Il est aussi le résultat d'un niveau de financement de la recherche bien
supérieur.
Depuis la période concernée par le tableau ci-dessous, la
disproportion des soutiens publics s'est encore amplifiée. Le
gouvernement américain a accru les dotations publiques à la
recherche aéronautique militaire qui s'établissent dans le budget
1999 à 36,6 milliards de dollars. Les européens ont
réduit la voilure sous l'effet des difficultés budgétaires
et été pris à contre-pied par l'accord de 1992.
Les entreprises européennes ont dû s'ajuster ce qu'elles ont fait
soit en réduisant leur effort de recherche, soit en absorbant vaille que
vaille les contraintes d'un autofinancement plus important de leurs
investissements en la matière.
Mais, la comparaison des niveaux de soutiens publics financiers à
l'industrie aéronautique doit être complétée en
soulignant la diversification des interventions publiques aux Etats-Unis et
leurs caractéristiques qui sont beaucoup plus avantageuses pour les
industriels américains.
Sur le premier point, une fois rappelée la mise à disposition de
l'industrie américaine d'infrastructures publiques à des
conditions de prix très avantageuses (travaux industriels,
souffleries...), il faut insister sur la prise en charge sur les crédits
du DoD d'une fraction très considérable des coûts des
restructurations de l'industrie aéronautique.
De fait, une analyse de sept grandes opérations
11(
*
)
démontre que les crédits
publics devraient financer environ 56 % des coûts résultant
des restructurations soit 856,2 millions de dollars sur
1.522,5 millions. On observera que ces seuls crédits
représentent près de 4 fois le montant du soutien public
français prévu en 1998.
S'agissant de la comparaison globale de la qualité des
systèmes de soutien en Europe et aux Etats-Unis, il est manifeste que
l'efficacité est là aussi du côté
américain.
La gestion des soutiens y paraît meilleure ne serait-ce que parce qu'ils
sont gérés de façon unifiée, la dispersion
étant de règle en Europe en raison des caractéristiques
politiques du vieux continent avec sa cohorte de doubles-emplois. En outre, les
équipes chargées de concevoir et d'appliquer l'intervention
publique sont dotées de plus de moyens aux Etats-Unis.
Mais,
surtout, les mécanismes sollicités aux Etats-Unis
relèvent de la subvention tandis qu'en Europe l'essentiel du soutien est
accordé sous forme d'avances remboursables par programmes
. Ce
dernier mécanisme, certes ingénieux, a ceci contre lui qu'il fait
dépendre les aides accordées aux constructeurs de programmes
nouveaux les privant de la continuité des flux dont
bénéficient les industriels américains et qu'il peut se
retourner contre les constructeurs lorsque, comme c'est le cas depuis quelques
années, le bilan du mécanisme s'accompagne de davantage de
remboursements d'avances que de nouvelles dotations.