2. BOEING : la suprématie d'un concurrent en pleine restructuration
Depuis sa fusion avec Mac Donnell-Douglas, Boeing est plus encore qu'auparavant l'entreprise qui domine, et de loin, le paysage aéronautique mondial. Les difficultés traversées par l'entreprise doivent être relativisées. Même si certaines options peuvent susciter des inquiétudes pour l'avenir, la capacité de rebond de l'entreprise est telle qu'elle que sa suprématie demeure face à des concurrents désunis.
a) Une suprématie maintenue
Données financières relatives à Boeing 14( * )
en millions de dollars
|
1998 |
1997 |
1996 |
1995 |
1994 |
Chiffres d'affaires |
56.154 |
45.800 |
35.453 |
32.960 |
34.969 |
Résultat Net |
1.216 |
632 15( * ) |
1.905 |
1.479 |
1.483 |
Carnet de commandes |
112.896 |
121.640 |
114.173 |
95.488 |
86.596 |
Recherche-Développement |
1.895 |
1.924 |
1.633 |
1.674 |
2.076 |
Investissement Net |
1.584 |
1.391 |
971 |
747 |
883 |
Dette totale |
6.972 |
6.854 |
7.489 |
5.401 |
5.247 |
Dividendes |
564 |
557 |
480 |
434 |
395 |
Evolution des effectifs
Même s'ils sont en retrait par rapport aux résultats
enregistrés en 1996, les résultats de Boeing sont en nette
amélioration en 1998 avec 1,2 milliard de dollars de
bénéfices, soit le double du résultat de 1997.
En réalité, l'amélioration est encore plus importante
puisqu'en 1997 des charges exceptionnelles résultant de la fusion
avec MDD avaient été constatées. Une correction de 876
millions de dollars après impôts (1 400 avant
impôts) pour tenir compte d'une estimation des stocks et d'engagements
hors bilan auprès des clients avait conduit à extérioriser
une perte de 178 millions de dollars.
Présentation détaillée des
résultats
de Boeing
1996-1998
|
RESULTATS NETS |
CHIFFRE D'AFFAIRES
|
||||
|
1998 |
1997 |
1996 |
1998 |
1997 |
1996 |
Avions commerciaux |
63 |
- 1.837 |
956 |
35.545 |
26.929 |
19.916 |
1. Avions militaires et missiles |
1.283 |
1.317 |
1.387 |
12.990 |
18.125 |
14.934 |
2. Espace et communications |
248 |
|
|
|
|
|
Sous-Total 1 + 2 |
1.531 |
1.317 |
1.387 |
19.879 |
|
|
Autres |
367 |
381 |
329 |
730 |
746 |
603 |
Résultat d'exploitation |
1.567 |
- 256 |
2.485 |
|
|
|
Autres |
283 |
428 |
388 |
|
|
|
Charges de la dette |
- 453 |
- 513 |
- 393 |
|
|
|
Résultat avant impôt |
1.397 |
- 341 |
2.480 |
|
|
|
Impôt sur les sociétés |
277 |
- 163 |
662 |
|
|
|
Total |
1.120 |
- 178 |
1.818 |
56.154 |
45.800 |
35.453 |
Les
résultats des différentes branches de l'entreprise ont
évolué de façon très contrastée.
La section « défense et espace » désormais
séparée en deux divisions autonomes (« Avions
militaires et missiles » d'un côté, « Espace
et communication », de l'autre) est une source de profit plus solide
que la division des avions commerciaux qui a connu des variations très
accusées de ses performances.
Le chiffre d'affaires résultant des ventes d'appareils
commerciaux
a pourtant occupé au cours des trois dernières
années une place de plus en plus importante, passant de 56 à 63 %
du total entre 1996 et 1998.
Les livraisons se sont réparties comme suit :
Structure des livraisons
|
1998 |
1997 |
1996 |
737 Classic |
116 |
132 |
76 |
737 NG |
165 |
3 |
- |
747 |
53 |
39 |
26 |
757 |
50 |
46 |
42 |
767 |
47 |
41 |
42 |
777 |
74 |
59 |
32 |
MD-90 |
8 |
16 |
12 |
MD - 80 |
34 |
26 |
24 |
MD- 11 |
12 |
12 |
15 |
Total |
559 |
374 |
269 |
Elles
ont généré 20 milliards de dollars de recettes en 1996 et
35 milliards en 1998 soit une progression de 75 %. Cette augmentation du
chiffre d'affaires est moins importante que celle des ventes qui ont plus que
doublé. Cela tient à deux facteurs concomitants : une
augmentation de la part des avions de faible capacité, moins
rémunérateurs , dans l'ensemble à quoi s'ajoutent sans
doute des tensions sur les prix de vente.
La marge d'exploitation de la division s'est ainsi considérablement
réduite passant de plus de 10 % en 1996 à 4 % en 1998
après avoir fléchi de moitié entre 1996 et 1997.
Cette évolution provient certes de la dégradation des conditions
d'extériorisation du chiffre d'affaires de l'entreprise.
La montée en puissance des nouveaux appareils sur lesquels les marges
sont moins élevées que sur les appareils plus anciens et des
pressions sur les prix de vente dans un contexte économique
perturbé et de forte concurrence avec Airbus sont également
responsables de cette situation. Cependant, ce dernier facteur ne doit pas
être surestimé.
La capacité d'Airbus à livrer une guerre des prix apparaît
en effet limitée -ce qu'illustre l'évolution des résultats
du consortium en 1998 qui, malgré des succès commerciaux,
auraient été lourdement négatifs. Au regard d'un tel
combat, Airbus est en effet vulnérable en raison de quatre
faiblesses : une moindre profitabilité ; le monopole de Boeing
sur le segment haut du marché ; le caractère exclusivement
commercial de ses productions quand Boeing peut compter sur les flux plus
continus des crédits militaires et spatiaux qu'elle sait convertir en
marges ; enfin le défaut de maîtrise du dollar, la
compétition par les prix supposant pour Airbus en cours du dollar
relativement élevé.
Les autres facteurs de dépréciation des marges de Boeing viennent
des difficultés d'assurer une production en forte augmentation avec des
pénuries de matériaux et d'équipements et une baisse
importante de la productivité du travail. Elles sont en passe
d'être résolues à la fois par une adaptation des moyens de
production passant notamment par un effort signification de formation et par
l'évolution naturelle des marchés.
Le chiffre d'affaires du segment spatial et de défense
s'est
développé moins rapidement, sur un rythme toutefois significatif,
avec une progression d'un tiers entre 1996 et 1998. Il s'élève
à 19,9 milliards de dollars
16(
*
)
répartis en 13 milliards pour
les avions militaires et les missiles et 6,9 milliards, pour la division
« Espace et communications ».
Mais, malgré le développement du recours par le Pentagone aux
marchés à remboursement de coûts par rapport aux
marchés à prix fixes, plus propices à
l'extériorisation de bénéfices, Boeing trouve dans ces
activités à forte marge d'exploitation (12,7 % en 1998 avant
frais de recherche et développement) une source permanente de profit.
C'est d'ailleurs cette considération qui a primé lors de
l'absorption de MDD qui a permis un rééquilibrage des
activités de l'entreprise.
La suprématie de Boeing s'en est trouvée renforcée
malgré les coûts transitoires de fusion avec une entreprise
à la culture différente et même si la fusion n'a pas
débouché sur une addition des chiffres d'affaires des deux
firmes. Cet objectif n'était d'ailleurs pas recherché, la
maximisation des profits commandant de se centrer sur les activités les
plus profitables des deux entités au prix de restructurations
coûteuses dans l'immédiat mais porteuses d'avenir.
b) Quelques options contestées
Une entreprise aéronautique doit faire face à des besoins d'investissement importants qu'il s'agisse d'investissements en recherche-développement ou d'investissements productifs. Elle doit aussi disposer d'une main-d'oeuvre qualifiée sans laquelle elle rencontre des problèmes de performance. Or, certaines annonces suscitent des inquiétudes sur ces deux plans.
(1) La recherche-développement
L'effort annuel de recherche-développement de Boeing s'est stabilisé entre 1,5 et 2 milliards de dollars au cours des 5 dernières années. En 1998, il s'est élevé à 1,9 milliard comme en 1997. Mais le ressaut enregistré alors par rapport à l'année précédente où les dépenses de recherche s'étaient élevées à 1,6 milliard de dollars n'est pas entièrement significatif ; il provient essentiellement de l'intégration de Rockwell.
Evolution des charges de recherche-développement
Les charges de recherche varient fortement d'une division à l'autre de
l'entreprise.
Boeing
Dépenses de R-D par segment
(en millions de dollars)
|
1996 |
1997 |
1998 |
|||
|
Niveau |
en % du CA |
Niveau |
en % du CA |
Niveau |
en % du CA |
Aviation commerciale |
1.156 |
5,8 |
1.208 |
4,5 |
1.021 |
2,9 |
Avions militaires et missiles |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
304 |
2,3 |
Espace et communications |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
570 |
8,3 |
Plus de
la moitié de l'effort de recherche provient encore de la branche des
avions commerciaux en 1998 malgré une montée en charge des autres
divisions et une baisse des coûts de recherche de la division civile.
Celle-ci vient de l'achèvement des grands programmes
développés ces dernières années et de l'absence,
peut-être apparente, de nouveaux programmes significatifs dont
témoigne le tableau ci-après.
|
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
777-200 |
|
|
|
|
|
|
|
|
777-200ER |
|
|
|
|
|
|
|
|
777-300 |
|
|
|
|
|
|
|
|
737-700 |
|
|
|
|
|
|
|
|
737-800 |
|
|
|
|
|
|
|
|
737-600 |
|
|
|
|
|
|
|
|
737-900 |
|
|
|
|
|
|
|
|
757-300 |
|
|
|
|
|
|
|
|
767-400ER |
|
|
|
|
|
|
|
|
717-200 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Source : Boeing. Rapport annuel 1998
Le niveau de l'effort de R et D de Boeing apparaît relativement modeste
et a pu susciter les réserves de certains analystes et quelques
réactions de la part de l'administration américaine. Si son
évolution n'apparaît pas compatible avec un maintien de la
capacité installée de recherche, son niveau est pourtant
très substantiel. Manifestation des effets de taille, il paraît
pouvoir concilier un « trend » d'innovations satisfaisant
et l'extériorisation de marges financières propres à
séduire les investisseurs.
(2) Les investissements
Il en va de même pour les investissements que la fusion avec MDD a permis au surplus de rationaliser.
Boeing
Investissement par segment
(en millions de dollars)
|
1996 |
1997 |
1998 |
|||
|
Niveau |
en % du CA |
Niveau |
en % du CA |
Niveau |
en % du CA |
Aviation commerciale |
336 |
1,7 |
531 |
2 |
754 |
2,1 |
Avions militaires et missiles |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
198 |
1,5 |
Espace et communications |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
N.C. |
273 |
4 |
(3) La politique d'effectifs
L'aspect
le plus contestable de la gestion de Boeing reste sans doute la
flexibilité des effectifs que l'entreprise pratique sans états
d'âme. Il ne s'agit pas ici d'en déplorer les conséquences
sociales mais d'insister sur les difficultés qu'elle peut provoquer pour
l'entreprise elle-même. Cette modalité de gestion sociale a en
effet suscité des goulots d'étranglement. Quand l'entreprise a
dû faire face au développement de commandes adressées
à elle, elle ne disposait plus de la main d'oeuvre nécessaire, ni
en quantité, ni en qualité.
Il est évidemment dangereux dans une industrie où la main
d'oeuvre apparaît comme assez proche d'un investissement
stratégique d'adopter une gestion des personnels qui,
dépréciant régulièrement cet investissement, n'en
assure pas le renouvellement ni même le simple maintien.
Pour autant, cette capacité d'adaptation permanente de charges
considérées comme des coûts variables, quelque choquante
qu'elle soit, est sans doute l'un des atouts de l'entreprise américaine.
Si, dans la période récente, elle a pu constituer un handicap
c'est très largement en raison de la situation exceptionnellement
favorable de l'emploi aux Etats-Unis. Dans les situations où
l'économie américaine ne connaît pas le plein emploi, une
pénurie telle que celle qui a été observée ne se
rencontre pas.
Les entreprises européennes malgré le chômage qui
sévit en Europe, ne disposant pas d'un tel réservoir de main
d'oeuvre, ne peuvent envisager d'adopter une telle flexibilité que
pourtant certaines d'entre elles pourraient souhaiter mettre en oeuvre,
évoluant dans des espaces économiques et politiques où une
telle stratégie serait acceptée.