B. LES ENTREPRISES AMERICAINES SONT MIEUX ARMEES QUE LEURS CONCURRENTES EUROPEENNES
La
dimension des entreprises américaines supérieure à celle
des entreprises européennes et, avec quelques nuances,
l'éclectisme de leur activité leur offre des avantages
compétitifs importants.
Cette situation provient pour beaucoup des concentrations qui ont marqué
l'histoire récente de l'industrie aéronautique américaine
et qui contrastent avec les divisions des industriels européens. Elle
constitue non seulement un élément de puissance pour les
entreprises américaines mais aussi une source d'économies
publiques.
Elle confère au tissu industriel américain un ensemble de
caractéristiques qui font défaut en Europe. Compact face à
une industrie européenne encore éparpillée, il est
puissant, grâce à ses entreprises géantes, et
cohérent du fait d'un équilibre des portefeuilles
d'activités de ses acteurs lui assurant des ressources
diversifiées.
1. Les consolidations intervenues dans l'industrie aéronautique aux Etats-Unis
Le tableau ci-après rend compte de l'importance des processus de structurations intervenues dans l'industrie américaine depuis 1992.
Les consolidations dans l'industrie américaine de défense
Acteurs en 1992 |
Acteurs en 1997 |
Boeing |
Boeing/Mc Donnell/Rockwell |
Mc Donnell Douglas |
Lockheed/Martin |
Rockwell |
Raytheon Hugues |
Martin Marietta |
Northrop Grumman |
Lockheed |
|
Loral |
|
LTV |
|
GE Aerospace |
|
Raytheon |
|
Hugues |
|
Texas Instruments |
|
E-Systems |
|
Northrop Grumman |
|
Westinghouse |
|
Carlyle |
|
Les
principales consolidations industrielles intervenues aux Etats-Unis dont
été les suivantes :
Hugues-General Dynamics, UDLP, Martin Marietta-General Electric,
Northrop-Grumann-Vought, Martin Marietta-General Dynamics, Lockheed-Martin
Marietta, Hugues- CAE Link, Boeing-Rockwell, Boeing-Mc Donnell Douglas.
a) Des consolidations souhaitées par les pouvoirs publics
L'origine des restructurations intervenues aux Etats-Unis
mérite d'être évoquée. Même si leur
déroulement a suivi des logiques complexes et même si les
témoins varient sur ce point, il est acquis que
la volonté des
autorités politiques américaines a joué un rôle
essentiel.
La culture du milieu aéronautique américain reste
imprégnée par le souvenir du « last supper »
au cours duquel le secrétaire à la défense
américain aurait annoncé aux responsables des différentes
entreprises l'inéluctabilité de leur regroupement.
De façon plus prosaïque, les choix du Pentagone ont exercé
une influence décisive sur la fusion Boeing-MDD par exemple. Dans un
contexte de pertes de parts du marché commercial, MDD étant
devenu particulièrement vulnérable aux contrats militaires, le
choix de confier l'étude du « Joint Strike Fighter »
aux concurrents de MDD, Boeing et Lockheed Martin, a constitué un
élément déclenchant.
Cette part active au remodelage de l'industrie américaine qui
s'accompagne en contrepoint d'une opposition efficace à des projets
jugés négatifs (fusion Lockheed Martin / Northrop Grumman)
s'étend jusqu'à la prise en charge d'une part des coûts des
restructurations (v.supra)
L'intervention publique américaine en matière de concentrations
aéronautiques comme toute autre intervention dirigée vers des
entreprises privées ne peut certes pas réussir sans l'assentiment
d'une des entreprises concernées au moins lorsqu'il s'agit d'initier des
fusions.
Mais, il est démontré par l'exemple américain, d'une part,
qu'elle peut efficacement surmonter les réticences de l'entreprise-cible
et, d'autre part, que ses objectifs, sans doute autonomes sous certains
aspects, peuvent, et ont toutes chances de coïncider avec les
intérêts de l'un des partenaires.
b) Des objectifs largement communs aux entreprises et aux pouvoirs publics
L'examen
des objectifs
poursuivis par les acteurs des restructurations aux
Etats-Unis, qu'il s'agisse des pouvoirs publics ou des entreprises
privées, montre en effet que, différents par nature, ils
coïncident pourtant.
S'agissant des entreprises, les buts poursuivis sont assurément
axés autour des gains financiers des concentrations.
La logique des fusions consiste «
grosso modo
»
à accroître sa présence sur les marchés tout en
recherchant une diminution des coûts à travers une optimisation
des actifs regroupés.
Les regroupements aéronautiques ne permettent pas en
général d'additionner les chiffres d'affaires des entreprises qui
fusionnent. En effet, leurs produits étant au moins partiellement
concurrents, ces fusions conduisent dans un premier temps à nationaliser
les lignes de production. Ainsi chez Lockheed Martin, où les lignes de
produits ont été diminuées passant de 80 à 60, ou
encore de Boeing où les appareils commerciaux de MDD sont appelés
à l'extinction à l'exception peut-être du 717-200 si
toutefois Boeing en accepte la coexistence avec le 737.
Si donc les opérations de croissance externe ont un impact effectif plus
limité que leur impact théorique à court et moyen terme,
elles permettent toutefois
d'élargir l'activité
tout en
créant une situation où la concurrence est partiellement
éliminée pour l'avenir.
Elles permettent aussi et c'est capital
de diversifier l'activité
ce qui a joué un rôle majeur dans la fusion Boeing-MDD. Cette
dernière opération était, en effet, destinée moins
à augmenter le chiffre d'affaires commercial de Boeing qu'à
rééquilibrer l'activité de la firme en accroissant la part
militaire et aérospatiale de celle-ci.
La réduction des coûts est un objectif concomitant des
opérations de fusion dont la réalisation est le plus souvent
retardée.
Sans doute, les consolidations commencent-elles en général par
générer des coûts comme le montrent les tableaux
ci-après qui récapitulent les estimations faites, en la
matière, à partir de sept grandes restructurations intervenues
récemment aux Etats-Unis.
Coûts de quelques restructurations industrielles Etats-Unis
(en millions de dollars
|
Montants |
Hugues-General Dynamics |
319,1 |
UDLP |
38,5 |
Martin Marietta-General Electric |
233,9 |
Northrop-Grumman-Vought |
75,1 |
Martin Marietta- General Dynamics |
63,0 |
Lockheed- Martin Marietta |
419,5 |
Hugues-CAE Link |
38,7 |
TOTAL |
1.187,8 |
Source : General Accounting Office. Defense Industry
Restrcturing - Avril 1998.
La répartition de ces coûts est précisée ci-dessous.
Répartition des coûts de quelques
restructurations
industrielles américaines par catégories
(en millions de dollars)
Catégories de doûts |
Montants |
Coûts autres que de personnel |
|
Restructuration des usines |
547,4 |
Harmonisation des systèmes |
93,7 |
Restructuration des programmes |
124,8 |
Autres |
146,3 |
Coûts liés au personnel |
|
Mobilité |
140,4 |
Formation |
10,5 |
Autres |
9,3 |
Coûts de licenciements |
|
Indemnités |
95,8 |
Prolongation des allocations sociales |
4,1 |
Replacements |
4,1 |
Autres |
11,4 |
TOTAL |
1.187,8 |
Source : General Accounting Office. Defense Industry
Restrcturing - Avril 1998.
Les coûts des restructurations examinées se partagent entre les
charges des ajustements touchant le personnel pour à peu près
¼, le reste venant des restructurations de sites et de la mise en synergie
des produits et des moyens.
Les coûts supportés par les entreprises sont compensés par
des perspectives d'économies nettes.
Avec celles-ci, se présente un premier type de convergence
d'intérêt entre entreprises et pouvoirs publics. Mais il faut au
préalable évoquer les coûts pour les pouvoirs publics
susceptibles d'accompagner les restructurations.
Le premier d'entre eux s'attache aux risques de voir émerger une offre
monopolistique potentiellement coûteuse. Aux Etats-Unis, ce risque est
géré par des interventions publiques, réalisées
dans le cadre de la législation anti-trust et dans une affectation
équilibrée des moyens, destinées au maintien d'une
concurrence entre les entreprises.
Mais il faut souligner encore qu'il est illusoire d'espérer des
restructurations qu'elles ne s'accompagnent de conséquences sociales.
Les réductions d'effectifs consécutifs aux restructurations
industrielles aux Etats-Unis ont été nombreuses.
Pour les restructurations concernées par l'étude ci-dessus
mentionnée, elles se sont réparties comme indiqué
ci-dessous
Réductions d'effectifs associées à
quelques
restructurations
industrielles aux Etats-Unis
Opérations |
Projetées |
Réalisées |
Hugues-General Dynamics |
6.600 |
6.441 |
UDLP |
483 |
500 |
Martin Marietta-General Electric |
1.453 |
1.504 |
Northrop-Grumman-Vought |
450 |
450 |
Martin Marietta- General Dynamics |
1.150 |
1.250 |
Lockheed- Martin Marietta |
10.678 |
7.049 |
Hugues-CAE Link |
548 |
665 |
TOTAL |
21.362 |
17.859 |
Les
différentes restructurations qu'a traversées Northrop-Grumman au
cours de ces dernières années ont entraîné 5.000
licenciements sur un total de 40.000 employés.
Quant à la fusion entre Boeing et MDD elle devrait se traduire par une
très nette réduction des effectifs à travers l'abandon de
certaines productions (ainsi, le site historique de MDD à Long Beach qui
a déjà perdu 6.000 de ses 14.000 employés semble promis
à un avenir incertain) ou les gains d'efficacité
réalisés dans les fonctions transversales (gestion,
commerce, ...).
Les conséquences sociales des restructurations ne doivent donc pas
être dissimulées
. Elles sont importantes à court terme
ce qui d'ailleurs est conforme au poids des charges salariales dans les
entreprises aéronautiques qui les désigne comme une variable
importante d'ajustement des coûts.
Cet envers négatif des restructurations est cependant susceptible de
beaucoup varier selon les situations et dans le temps.
Les ajustements
observés aux Etats-Unis ne sont ainsi pas entièrement
représentatifs du fait des modalités particulières de la
gestion sociale dans ce pays et, surtout, des caractéristiques des
fusions américaines qui ont le plus souvent conduit à des
regroupements d'activités jusqu'alors concurrentielles et non pas
complémentaires. Il s'agit là d'une différence essentielle
avec ce qui pourrait advenir en Europe.
Surtout, le coût social des restructurations est susceptible de
s'atténuer dans le temps à mesure que la
compétitivité des entreprises s'améliore, leurs parts de
marché grandissant.
Cette perspective amène à tirer la conclusion forte que le
coût social de l'immobilisme a toute chance d'être plus
élevé que celui des rationalisations industrielles.
Cette dernière conclusion est confortée par la
considération des économies attendues de ces opérations
par les pouvoirs publics dont les données ci-dessous donnent un
aperçu à partir de quelques unes des opérations
menées aux Etats-Unis.
Économies estimées pour le ministère de
la
défense américain du fait
de quelques restructurations
industrielles aux Etats-Unis
(en millions de dollars)
Opérations |
(I)
|
(II)
|
Économies nettes |
Ratio (I/II) |
Hugues-General Dynamics |
505,8 |
132,5 |
373,3 |
3,82 - 1 |
UDLP |
79,7 |
29,1 |
50,6 |
2,74 - 1 |
Martin Marietta-General Electric |
305,4 |
156,3 |
149,1 |
1,95 - 1 |
Northrop-Grumman-Vought |
263,4 |
46,7 |
216,7 |
5,64 - 1 |
Martin Marietta- General Dynamics |
139,6 |
50,7 |
88,9 |
2,75 - 1 |
Lockheed- Martin Marietta |
2.675,8 |
405,9 |
2.269,9 |
6,59 - 1 |
Hugues-CAE Link |
148,1 |
35,0 |
113,1 |
4,23 - 1 |
TOTAL |
4.117,8 |
856,2 |
3.261,6 |
4,81 - 1 |
1)
Crédits publics consacrés à l'accompagnement des
restructurations.
Source : General Accounting Office. Defense Industry Restructuring - Avril
1998.
Les chiffres mentionnés ici font apparaître une économie
globalement importante puisque les opérations envisagées auraient
permis d'économiser 4,1 milliards de dollars (soit près de 27
milliards de francs de dépenses publiques).
L'origine de ces économies publiques provient sans doute des gains
d'efficacité réalisés au sein des entreprises mais aussi
des rationalisations intervenues dans la gestion des programmes publics.
Elles dégagent des marges de manoeuvre budgétaires susceptibles
de profiter aux contribuables ou d'être allouées à des
dépenses publiques alternatives.